Année politique Suisse 1998 : Infrastructure, aménagement, environnement / Transports et communications
Politique des transports
Trois initiatives parlementaires ont réclamé des
modifications de l'article constitutionnel sur la protection des Alpes. Toutes les trois ont été
rejetées par le Conseil national. La première initiative émanait de l'UDC et proposait de modifier l'article constitutionnel afin de le rendre moins contraignant. Elle demandait également d'abroger l'article concernant les dispositions transitoires de la Constitution fédérale. L’initiative a été repoussée par 101 voix contre 51. La seconde initiative, proposée par le PdL, réclamait l'abrogation de l'article constitutionnel sur la protection des Alpes. Les conseillers nationaux l'ont balayée par 134 voix contre 10. La troisième initiative, du PL, souhaitait assouplir l'article constitutionnel pour permettre au Conseil fédéral d'adapter, dans les négociations bilatérales, la politique suisse des transports à la politique européenne. Elle a été à son tour rejetée par 102 députés contre 52. La majorité de la commission des transports et communications (CTT) rappela que l'administration fédérale était en train d'élaborer un message sur la mise en œuvre de l'article constitutionnel, dont le principe de base est une application non discriminatoire, eurocompatible et conforme aux lois du marché. Le moment a été jugé inopportun pour se prononcer sur une proposition ayant pour but la modification de l'article constitutionnel, en raison de la politique intérieure et extérieure de la Suisse. La majorité de la CTT estima que le peuple suisse, en acceptant l'initiative des Alpes et la redevance poids lourds, avait donné un signal clair en faveur d'une variante écologique de la politique suisse des transports. Aussi, le soutien à la redevance poids lourds liée aux prestations (RPLP) constituait, avec la taxe sur le transit alpin et une offre ferroviaire attractive, l’un des piliers de la politique suisse des transports
[1].
Dans l’attente de concrétiser l’article constitutionnel sur la protection des Alpes, au moyen de la RPLP, de la taxe alpine, des NLFA et de la réforme des chemins de fer, le Conseil fédéral a décidé un paquet de
mesures
d'appoint dans le but de faciliter l'application de cet article. L'objectif de l’exécutif était de renforcer les outils susmentionnés afin de garantir le transfert du trafic marchandises de la route au rail. Ces mesures d'appoint devraient permettre aux chemins de fer d'accroître leur productivité et d'augmenter l'offre du fret ferroviaire transalpin de près de 300 000 envois dès 2000 ou 2001. Premièrement, le Conseil fédéral a décidé de renforcer la
surveillance des convois routiers, plus précisément de surveiller les temps de conduite et de repos ainsi que le poids des véhicules. Il a également maintenu l'interdiction de circuler la nuit. Le trafic combiné non accompagné sera rendu plus attractif. Pour cela, le Conseil fédéral a élargi le rayon autorisé pour les véhicules pesant plus de 28 tonnes autour des 13 gares de transbordement reconnues, et supprimé totalement ou partiellement la taxe poids lourds pour les trajets jusqu'aux terminaux. Il a également décidé d’améliorer l’offre en matière de trafic combiné. Les CFF devront augmenter leur volume de transport de marchandises de 47,5 à 50 ou 60 millions de tonnes pour l'année 2002. Le
subventionnement du ferroutage passera de 115 millions de francs par an à 200 millions, mais il diminuera de 5% par année dès la mise en service du premier tunnel de base des NLFA. Outre ces 200 millions, l'exécutif pourrait octroyer 15 à 20 millions afin de garantir une capacité suffisante des terminaux. Finalement, l’exécutif a décidé de poursuivre le
projet de chaussée roulante, mais uniquement en tant que mesure intermédiaire, car la nécessité économique de cette idée a été contestée. Le Conseil fédéral ambitionne avec l’ensemble de ces mesures de doubler le nombre de transports effectués par le rail et de réduire le trafic routier des marchandises à moyen terme de 15 à 35% par rapport à 1998
[2].
Le DETEC a lancé un appel d'offre pour le
projet pilote d'autoroute roulante entre Freiburg (Allemagne) et Novare (Italie) afin de tester les chances de ce modèle de transport. La Suisse est tenue d’encourager le trafic combiné et l'autoroute roulante en vue de réaliser l'article constitutionnel sur la protection des Alpes et l'accord sur le transit avec l'UE. Elle s'est engagée, vis-à-vis de l’Union européenne, à mettre en place un tel modèle à titre de solution transitoire sur l'axe Lötschberg-Simplon, dans l’attente de la mise en service de la NLFA. Le projet compte transférer dès l'an 2000 plus de 150 000 camions sur la chaussée roulante
[3]. Au cours de l’année sous revue, seules deux offres ont été déposées. L’une émanait du consortium CFF, BLS et Hupac SA, l’autre du consortium Lokoop réunissant les sociétés ferroviaires Mittelthurgaubahn et Südostbahn. Aucune offre étrangère n'a été jusqu’ici soumise. En outre, les consortiums suisses ont exprimé leurs réticences sur le projet et ont déclaré ne pas souhaiter prendre de trop grands risques financiers
[4].
Une
étude de faisabilité concernant
le trafic combiné rail-route a été présentée par un groupe de travail composé de représentants des transporteurs, du rail, de la Confédération et des cantons, ainsi que de clients potentiels. L’étude a évalué les possibilités du trafic combiné en Suisse. Il existerait un potentiel suffisant pour une offre concurrentielle de trafic combiné permettant de transférer sur le rail 666 camions par jour, soit 1,25 million de tonnes-marchandises par année. Le groupe de travail a estimé que le train devait être prioritaire pour les longues distances, mais que la route restait valable pour les distances courtes. L’étude a proposé d'utiliser les infrastructures des CFF déjà existantes et de créer des trains navettes circulant de nuit sur deux axes principaux (est-ouest et nord-sud) accessibles par cinq lignes d'accès, desservant ainsi près de 70% de la Suisse. Selon cette étude, le trafic combiné pourrait couvrir ses coûts et ne pas nécessiter de subventions d'exploitation. Un investissement unique de deux millions de francs serait requis afin d'intégrer les gares de transbordement actuelles
[5].
Les ministres des transports des quinze Etats membres de l'UE s'étaient entendus fin 1997 pour accorder à la Suisse la possibilité de prélever des taxes couvrant uniquement les coûts d'infrastructure. Ce principe devait encore être chiffré et négocié par les deux parties. Le dernier montant qui avait été officiellement proposé par Berne était de 410 francs en moyenne pour une traversée Bâle-Chiasso par un camion de 40 tonnes, en 2005. Ce chiffre comprenait la RPLP et la taxe sur le transit alpin (TTA). L'UE a proposé à la mi-janvier une RPLP à 330 francs pour la traversée Bâle-Chiasso. Ce montant correspondait à une RPLP de 2,75 centimes par kilomètre pour un véhicule de 40 tonnes, mais il ne laissait pas de marge de manœuvre pour la TTA devant permettre de remplir le mandat constitutionnel imposé par l'Initiative des Alpes.
La véritable reprise des négociations a eu lieu à la fin janvier, lorsque le conseiller fédéral Moritz Leuenberger et le commissaire européen aux transports Neil Kinnock ont signé le
compromis de Kloten. Cet accord entre les représentants du Conseil fédéral et de la Commission européenne porta sur le montant des charges routières que la Suisse pourrait imposer sur ses routes, à partir de 2005, et sur le régime en application pendant la période transitoire précédant 2005. Les charges routières ont été différenciées en trois catégories selon le degré de pollution des camions.
La moyenne pondérée des charges pour les camions de 40 tonnes ou moins a été fixée à environ
325-330
francs pour le trajet Bâle-Chiasso, incluant la RPLP et la TTA. Le montant tient compte de l'inflation, une correction pourrait toutefois avoir lieu en 2005, sous certaines conditions. Selon l’accord, la Suisse portera en 2001 la limite générale des poids lourds de 28 à 34 tonnes, puis à 40 tonnes en 2005. Des camions de 40 tonnes seront déjà autorisés entre 1999 et fin 2004, mais ils seront contingentés. Les poids lourds (suisses et étrangers) payeront la RPLP dès 2001, plus la TTA qui représentera au maximum 15% de la fiscalité totale. En 2004, les contingents seront portés à 300 000 trajets par année avec un plafond des charges à 334 francs pour les 40 tonnes. L'interdiction de circuler la nuit a été maintenue. En outre, l'accord a prévu des mesures de sauvegarde pour la Suisse: des mesures fiscales et non fiscales, ainsi que des mesures spéciales en cas de crise. Deux ans après l'entrée en vigueur de l'accord, les compagnies aériennes helvétiques pourront bénéficier des droits de trafic des troisième, quatrième, cinquième et septième libertés dans l'UE (transport aérien entre deux pays de l'UE). Cinq ans après l'entrée en vigueur, la huitième liberté sera négociée (trafic entre deux points d'un même pays de l'UE)
[6].
Plusieurs pays membres de l'UE ont vivement contesté le compromis de Kloten. L'Allemagne jugeait la taxe trop élevée. L'Autriche redoutait que la taxe soit dissuasive, ne permettant pas de détourner le trafic du Brenner. Elle a déclaré qu'elle n'accepterait pas d'être moins bien traitée que la Suisse par l'UE. Relevons aussi que l’Autriche a dépassé le coût maximal autorisé par la directive sur l'eurovignette pour le passage du Brenner. Cela lui valu une plainte de Bruxelles auprès de la Cour européenne de justice. La France, l'Espagne et le Portugal ont contesté les concessions consenties à la Suisse dans le domaine aérien. Les transporteurs italiens, quant à eux, se sont opposés durement au projet, menaçant de prendre des mesures de rétorsion contre la Suisse. Ils ont revendiqué, entre autres, la suppression de l'interdiction de circuler la nuit.
A ce stade, les négociations bilatérales peinaient à sortir de l'ornière. Les désaccords persistaient sur le compromis de Kloten et de multiples problèmes restaient encore en suspens dans les secteurs des personnes, de l'agriculture et en matière institutionnelle. En outre, le
directeur de l'ASTAG, M. Crippa, a déclaré, dans une lettre envoyée au ministère allemand des transports, que l'échec des négociations sur les transports provenait des exigences irréalistes et de l'attitude butée et égoïste du gouvernement suisse. Cet épisode envenima un peu plus les relations entre la Suisse et l'UE. L’affaire connut de nombreux échos dans toute la presse. Le chef du DETEC, les partis et les organisations économiques suisses ont condamné unanimement l'attitude de l'ASTAG
[7].
Réunis à Bruxelles à la fin mars, les ministres des transports des Quinze n'ont pas réussi à se mettre d'accord sur le compromis de Kloten. Plusieurs pays, l'
Allemagne en tête, ont jugé l’accord inacceptable. Le conseiller fédéral Leuenberger a réitéré son refus de renégocier le montant de la taxe (330 francs), confirmant ainsi la validité de l'accord de janvier. Dès lors, les ministres des Affaires étrangères ont renoncé à procéder à un état des lieux des négociations bilatérales avec la suisse, lors de leur réunion de la fin avril. Les négociations butaient toujours sur des obstacles dans les domaines de la libre circulation des personnes, de l'agriculture et surtout des transports. Au sein de l’UE, les difficultés pour aboutir à un compromis avec la Suisse étaient étroitement liées au règlement du dossier «eurovignette», dont l'objectif est d'harmoniser les taxes et redevances applicables aux poids lourds communautaires pour l'usage des infrastructures routières. A la fin juin, les chefs de la diplomatie des pays de l’UE se sont enfin réunis pour un état des lieux des négociations bilatérales. Une avancée a été soulignée dans plusieurs secteurs, excepté celui des transports, véritable pierre d'achoppement des négociations. L'Allemagne et l'Italie sont restées pour leur part très réticentes à l'accord de Kloten, sans toutefois demander la renégociation du compromis
[8].
L'acceptation de la RPLP, lors de la votation du 27 septembre 1998, et l'élection d'un
nouveau gouvernement rose-vert en Allemagne ont permis de ranimer les discussions sur les bilatérales et l'eurovignette. En effet, l'augmentation de la fiscalité routière suisse, permettant d'accepter les 40 tonnes, était la condition nécessaire pour que l'UE accepte de boucler l'accord sur les transports. Suite au résultat positif sur la RPLP, le commissaire européen aux transports déclara que la votation montrait que le peuple suisse approuvait le compromis de Kloten. Il a dès lors reconduit son invitation aux pays membres récalcitrants afin qu’ils acceptent au plus vite le compromis, insistant sur le fait qu’il était plus favorable aux transporteurs européens que la redevance globale pratiquée jusqu'ici par la Suisse
[9].
Au lendemain de l'acceptation du financement des grands projets ferroviaires (dont les NLFA), lors de la votation du 29 novembre 1998, les ministres européens des transports et une délégation suisse, menée par Moritz Leuenberger, se sont réunis à Bruxelles pour débattre à nouveau du compromis de Kloten et de l'eurovignette. Au terme d'un marathon nocturne,
l'accord bilatéral Suisse-UE sur les transports était sous toit, les Quinze se sont mis d'accord à l'unanimité. Quelques allégements ont été apportés au compromis de Kloten. Premièrement, la taxe maximale de 330 francs pour le transit Bâle-Chiasso ne sera effective que lorsque le tunnel de base du Lötschberg des NLFA entrera en service, c'est-à-dire pas avant 2006 ou 2007. En attendant, la Suisse ouvrira ses frontières aux 40 tonnes dès 2005, mais avec une taxe réduite de 10% environ. La Suisse autorisera aussi un plus grand nombre de 40 tonnes à circuler sur son territoire avant 2005: entre 200 000 et 300 000 par an pour 2001 et 2002, et entre 300 000 et 400 000 pour 2002 et 2003. Le transit de camions vides bénéficiera d'un tarif de «faveur» durant la période transitoire; 200 000 camions annuellement pourront bénéficier de ce régime. Concernant l'interdiction de rouler la nuit, la Suisse s'est engagée à simplifier ses formalités douanières (dédouanement possible avant 5 heures du matin) et à octroyer des dérogations pour les camions transportant certains biens périssables. Notons que les membres de l’UE se sont aussi entendus sur le dossier de l'eurovignette. L'Autriche a renoncé à une clause de sauvegarde pour protéger le col du Brenner, puisque la Suisse a accepté, dès 2001, un contingent de 200 000 camions de 40 tonnes. En Suisse, l'accord bilatéral sur les transports a été accueilli favorablement par les milieux économiques et par tous les partis gouvernementaux, à l'exception de l'UDC. Toutefois, les organisations écologistes ont exprimé leurs craintes face à une avalanche de camions
[10].
En décembre, lors de la réunion des ministres européens des affaires étrangères, le bouclement de l'ensemble des bilatérales a encore butté sur le transport aérien. Le refus de la France d'accorder à la Suisse les 5e et 7e libertés de vol dans le domaine a repoussé la conclusion définitive des bilatérales. Par la suite, à Vienne, la France leva ses dernières réserves, permettant
de conclure les négociations bilatérales au niveau ministériel. Suite à cet accord, le Conseil fédéral a exprimé sa satisfaction et insisté sur l'importance de la conclusion des bilatérales pour améliorer la compétitivité de l'économie suisse et atténuer les effets négatifs d'un isolement en Europe. Finalement, le dossier sur le trafic aérien a répondu à toutes les revendications suisses
[11].
[1]
BO CN, 1998, p. 436 ss., 439 ss. et 441 ss. Voir également
APS 1997, p. 179.1
[4]
TA, 4.8 et 28.12.98.4
[6]
JdG, 19.1.98; presse des 20.1 et 26.1.98. Voir
APS 1997, p. 180 ss. Voir également supra, part. I, 2 (Europe: UE).6
[7]
JdG, 29.1.98; presse des 17.2, 5.3 et 7.3.98;
NZZ, 6.3.98.7
[8] Presse des 18.3, 27.5 et 30.6.98;
LT, 15.4.98.8
[9] Presse des 28.9 et 29.9.98;
TA, 2.10.98. Pour la RPLP, voir infra, trafic routier.9
[10] Presse des 1.12, 2.12 et 3.12.98. Pour la votation, voir infra, chemins de fer.10
[11]
NZZ, 8.12.98; presse des 8.12 et 12.12.98.11
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