Année politique Suisse 1998 : Infrastructure, aménagement, environnement / Transports et communications / Chemins de fer
Au cours de la session de printemps, le Conseil national s'est penché sur le dossier relatif à la réalisation et au financement des infrastructures des transports. Dans l'article constitutionnel sur le financement, une divergence d'importance subsistait avec le Conseil des Etats sur la question des 5 centimes supplémentaires sur le prix de l'essence. Contrairement à la décision du Conseil des Etats de 1997, les conseillers nationaux ont estimé que le financement de la construction des NLFA ne nécessitait pas de ressources financières supplémentaires. Ils ont décidé de renoncer, dans l'article constitutionnel, au prélèvement de 5 centimes supplémentaires par litre de carburant. La majorité du Conseil – PDC, PRD et PS en tête – a rejeté cette ressource supplémentaire afin d’éviter d'élargir le front de l'opposition. En renonçant à cette mesure, les députés ont prévu de compenser le manque à gagner en échelonnant dans le temps les coûts du projet. En outre, la hausse de la TVA a été maintenue à 0,1%, par 90 voix contre 79. Les députés ont rejeté une proposition de minorité de la CTT qui souhaitait une hausse de 0,15%.
Concernant la question des projets proprement dits (arrêté sur le transit alpin), la grande Chambre s'est ralliée au Conseil des Etats en acceptant
la construction simultanée des tunnels de base du
Gothard et du
Lötschberg, en dépit de propositions de minorités proposant de construire l'un ou l'autre des tunnels en priorité. Les partisans des deux tunnels ont souligné le bien-fondé de cette mesure, puisque les doutes avaient été levés sur les problèmes géologiques du Gothard. Ils ont estimé que seule la solution des deux tunnels était susceptible de réunir une majorité populaire et de maintenir la cohésion nationale. Sans le Lötschberg, l'accord sur le transit signé avec l'UE ne pourrait pas être respecté. Enfin, seuls les deux tunnels permettraient de créer la capacité nécessaire pour réaliser l'article constitutionnel sur la protection des Alpes. Il a été décidé que, dans une première phase, les deux tunnels seront réalisés simultanément. Une seconde étape permettra de réaliser les tunnels du Monte-Ceneri et du Zimmerberg et les tronçons d'accès. Suivant la majorité de la CTT, les députés ont accepté d'ajouter une liaison entre la rive gauche du lac de Zurich et la ligne du Gothard et d'améliorer le tronçon entre Saint-Gall et Arth-Goldau. Finalement, en accord avec la Chambre des cantons, le Conseil national a décidé qu'il appartenait au Conseil fédéral de donner le coup d'envoi de la deuxième phase des travaux
[43].
Au cours de la même session, le dossier est retourné au
Conseil des Etats. L'arrêté sur le transit alpin ne connaissant plus de désaccord, il restait à la petite Chambre à traiter les divergences dans l'arrêté concernant la réalisation et le financement des projets d'infrastructure des transports publics. Suivant sa CTT, le Conseil des Etats s'est rallié à la grande Chambre en
renonçant à l'augmentation de 5 centimes du prix du litre d'essence. Il s'est aussi rallié au National, par 19 voix contre 17, en acceptant de n’augmenter la TVA que de 0,1 %. Néanmoins, les sénateurs ont maintenu une ultime divergence dans la question du raccordement de la Suisse au réseau européen des trains à grande vitesse. Ils ont souhaité préciser que ce raccordement concernait «
la Suisse orientale et occidentale» alors que la version adoptée par le Conseil national ne mentionnait que «la Suisse»
[44].
Saisi à nouveau du projet,
le Conseil national a résolu la dernière divergence sans difficulté. Les députés ont considéré que les buts de la version du Conseil des Etats allaient dans le même sens que les leurs. Ils ont exprimé leur volonté de n'exclure aucune région de la Suisse du raccordement au réseau européen des trains à haute performance
[45].
Dans le
vote final, l'arrêté fédéral relatif à la réalisation et au financement des projets d'infrastructure des transports publics a été approuvé, au Conseil des Etats, par 31 voix contre 7. Au Conseil national, il fut accepté par 126 députés contre 30. L’opposition était principalement composée de parlementaires de l’UDC. L’arrêté fédéral relatif à la construction des NLFA a été avalisé à la Chambre des cantons par 26 voix contre 10, et par 113 voix contre 63 à la Chambre du peuple. Au National, on compta dans les rangs des opposants, la majorité UDC précédente ainsi que de nombreux députés radicaux
[46].
Concernant le
fonds spécial pour les
grands projets ferroviaires, le Conseil national s'est penché sur le règlement à édicter au moyen d'un arrêté fédéral de portée générale non soumis au référendum. Ce règlement traite du financement des NLFA, de Rail 2000, du raccordement au réseau européen à haute vitesse et des mesures antibruit, au moyen d'un fonds juridiquement dépendant de la Confédération et doté d'une comptabilité propre. Les députés ont décidé, par la voix prépondérante de leur président, de
confier au parlement le soin de fixer chaque année les montants nécessaires aux différents projets, d'approuver les crédits de paiement ainsi que les comptes du fonds. Ils ont rejeté in extremis deux propositions de minorité Bezzola (prd, GR) demandant que ces deux compétences soient attribuées au Conseil fédéral. Les députés ont ensuite modifié les dispositions concernant la compétence pour déterminer la limite supérieure du plafonnement des avances (établie à 4,2 milliards de francs). Ils ont confié cette compétence au
parlement, alors que le message du gouvernement l’avait attribuée au Conseil fédéral. Ils ont également refusé une proposition de minorité souhaitant que les moyens financiers de tiers restent à disposition du fonds pour anticiper éventuellement des ouvrages programmés. Les députés ont refusé un éventuel dépassement de la limite d'endettement ou un accroissement des risques financiers, pouvant avoir un impact ultérieur sur les comptes de la Confédération. Dans le vote sur l'ensemble, le projet a été avalisé par 104 voix contre 4
[47].
Au
Conseil des Etats, l'entrée en matière concernant le règlement a été décidée sans opposition. Le débat s'est focalisé sur la compétence pour fixer annuellement les moyens financiers à octroyer aux différents projets et pour approuver les crédits de paiement. Suivant la majorité de la commission, les sénateurs ont
confié cette compétence au Conseil fédéral, à l'encontre des versions du gouvernement et du National. Ils ont estimé qu'il était indispensable que les fonds puissent être engagés par l'exécutif, afin de garantir flexibilité et rapidité dans la régulation des fonds nécessaires à la construction des grands projets. Ils ont aussi confié au Conseil fédéral la tâche d'approuver les comptes du fonds. Enfin, la petite Chambre s'est ralliée au National en attribuant la compétence pour déterminer la limite supérieure du plafonnement des avances au parlement, instituant ainsi un instrument de contrôle
[48].
Au Conseil national, lors de la session d'automne, les députés ont maintenu leur version. Celle-ci fut ensuite avalisée par la CTT du Conseil des Etats.
Finalement, la compétence pour décider du budget et approuver les comptes du fonds a été attribuée au
parlement
[49].
Outre la question du financement et de la planification de la construction des NLFA, le Conseil national a traité un projet d'arrêté fédéral relatif à une
convention bilatérale avec l'Allemagne. Le projet vise à optimaliser l'utilisation des futures transversales et à garantir la capacité des lignes d'
accès nord à la NLFA. L'arrêté avait déjà été approuvé par le Conseil des Etats l'année précédente. La CTT recommanda de suivre la Chambre des cantons qui avait mis l’accent sur la collaboration et la coordination des autorités compétentes pour développer des accès pour la ligne rhénane Karlsruhe-Bâle, mais aussi pour les lignes de Zurich-Saint-Gall-Munich et Zurich-Schaffhouse-Stuttgart. Les députés ont adopté l'arrêté fédéral par 123 voix contre 5. La Chambre du peuple a également transmis une motion Mühlemann (prd, TG) sous la forme d'un postulat. Il demande
de tenir davantage compte du trafic est-ouest et d'améliorer les infrastructures des deux dernières lignes susmentionnées, pareillement à ce qui est prévu pour la ligne rhénane. Craignant que l'accord avec l'Allemagne ne privilégie uniquement la ligne rhénane et délaisse les deux autres, l’intervenant a demandé la mise en place de nouveaux trains plus performants sur ces deux axes, ainsi qu'un aménagement des voies et tronçons. Moritz Leuenberger a déclaré que les performances allaient être améliorées au moyen de trains inclinables sur ces deux lignes. Par contre, il a ajouté que la construction de nouvelles lignes pour trains à haute vitesse n'était pas réalisable, car la demande était insuffisante
[50].
Le Conseil national a transmis un postulat
Ratti (pdc, TI) invitant le Conseil fédéral à examiner la construction d'un tronçon ferroviaire d'environ cinq kilomètres permettant de compléter la
ligne ferroviaire Lugano-Mendrisio-Varese-Malpensa, en attendant la réalisation du raccordement sud de la NLFA. L’intervenant a motivé sa demande par la nécessité de rallier le nouvel aéroport international de Milan, inauguré en octobre de l’année sous revue (Malpensa 2000). Une liaison entre Mendrisio et Varese profiterait aux lignes ferroviaires déjà existantes et pourrait bénéficier de contributions financières de l'Union européenne
[51].
En outre, le Conseil fédéral a confié
la maîtrise des NLFA à une filiale des Chemins de fer fédéraux et à une filiale du Chemin de fer du Lötschberg SA (BLS). Il a adapté en conséquence les conventions conclues avec chacun des deux chemins de fer sur la construction des NLFA. La construction sera ainsi confiée à deux sociétés anonymes indépendantes. Les actions des sociétés se trouveront entre les mains de la Confédération et des CFF pour l'une, de la Confédération et du BLS pour l'autre. Le BLS avait déjà fondé en 1993 sa filiale, la BLS Alp Transit SA. Les CFF ont constitué la leur: Alp Transit Gothard SA
[52].
Au mois de novembre, les citoyens étaient appelés à se prononcer sur l'arrêté
fédéral relatif à la réalisation et au financement des projets d'infrastructure des transports publics (modernisation des chemins de fer). L'arrêté devait régler le financement à long terme de quatre grands projets ferroviaires: Rail 2000 (13,4 milliards de francs), NLFA redimensionnées (13,6 milliards), raccordement au réseau TGV européen (1,2 milliard) et mesures antibruit (2,3 milliards), soit un total de 30,5 milliards échelonnés sur 25 ans. Les quatre sources de financement étaient la RPLP, l'impôt sur les huiles minérales, la TVA et le marché des capitaux. Le souverain a accepté l'arrêté fédéral avec 63,5% de oui. Les résultats du vote ont montré une forte corrélation avec la votation concernant la redevance sur le trafic des poids lourds. Néanmoins, par rapport à la RPLP, les taux d'approbation ont sensiblement augmenté dans les communes rurales et dans les communes francophones. Le clivage entre les centres et les régions périphériques a fonctionné, les villes approuvant plus nettement l'arrêté (67% de oui) que les campagnes (55% de oui). La Suisse romande a accepté le projet un peu plus nettement que la Suisse alémanique, mais les différences sont restées minimes. Les cantons approuvant le plus massivement l'arrêté ont été: Genève (78,3%), Bâle-Ville (75,1%), le Tessin (73,6%) et le Valais (73,5%).
La
campagne qui précéda le vote fut marquée par une forte médiatisation des enjeux. Au sein du système de partis, le projet bénéficia d'un large soutien. En effet, ne se sont opposés au projet que l'UDC, le PdL, les DS, ainsi que certaines sections cantonales du PRD, appuyés par le TCS, seule grande association à se prononcer contre. Les
partisans du projet ont soutenu l'argument selon lequel les NLFA étaient nécessaires pour conclure les négociations bilatérales. Ils ont en outre souligné la cohérence du projet avec les dernières votations liées au dossier européen (NLFA, initiative des Alpes, RPLP). Aussi, le souci de mettre les deux régions linguistiques sur un pied d'égalité, en perçant les deux tunnels, a été largement partagé. Finalement, les conséquences positives sur l'environnement et sur l'emploi dans les transports publics et le tourisme ont été mises en avant. Les
opposants au projet se sont surtout focalisés sur l'aspect «gouffre à milliards» que constituait selon eux l'objet du vote. Ils ont essentiellement dénoncé les coûts jugés démentiels, entraînés notamment par le percement de deux tunnels au lieu d'un seul. L'argument, selon lequel de nouveaux impôts pourraient apparaître pour rentabiliser les NLFA, a été aussi plébiscité. Le TCS a dénoncé le fait que le financement reposait essentiellement sur des recettes provenant de la route
[53].
Arrêté fédéral relatif à la réalisation et au financement des projets d'infrastructure des transports publics
Votation du 29 novembre 1998
Participation: 37,7%
Oui : 1 104 294 (63,5%) / 19 3/2 cantons
Non : 634 714 (36,5%) / 1 3/2 cantons
Mots d'ordre:
– Oui : PS, PRD (6*), PDC, AdI, PEP, PCS, PL, PE, PdL, PdT; Vorort, USP, USS, CSC, WWF.
– Non : UDC (3*), PdL, DS (1*); TCS.
– Liberté de vote: USAM.
* Recommandations différentes des partis cantonaux.
L'analyse VOX a révélé que cet objet revêtait une importance particulière aux yeux des citoyens qui l’ont considéré comme essentiel pour l'avenir du pays. L'influence sur le comportement de vote du positionnement sur l'échiquier politique a été importante. Alors que les sympathisants de la gauche ont approuvé massivement l'objet, à mesure qu'on se rapprochait des positions de la droite radicale, le soutien a décliné progressivement. Les partisans du projet ont été motivés par les aspects positifs sur l'environnement et par les perspectives d'amélioration des relations avec l'Europe et de l'emploi. Pour justifier leur décision, ils ont invoqué l'importance du réseau ferroviaire pour alléger le réseau routier et transférer les marchandises de la route au rail. Ensuite, l'argument européen a été mentionné. L'acceptation de l'objet permettrait d’envisager une conclusion rapide des négociations bilatérales. Finalement, les partisans ont souligné le fait que le financement du projet était assuré, notamment par la RPLP approuvée en septembre. Du côté du non, les motifs ont été essentiellement liés aux coûts du projet (9 personnes sur 10). De manière bien moins importante, les opposants ont estimé que le percement de deux tunnels n'était pas justifié, et en dernier lieu, ils ont mentionné le credo antieuropéen
[54].
Suite à l’acceptation par le peuple et les cantons de l’arrêté fédéral relatif à la réalisation et au financement des projets d’infrastructure des transports publics, dans le cadre du budget 1999, l'Assemblée fédérale a approuvé
les crédits de paiements pour 1999, prélevés du fonds pour les grands projets ferroviaires: NLFA: 385,6 millions de francs, RAIL 2000: 800 millions, mesures de protection contre le bruit: 5 millions
[55].
[43]
BO CN, 1998, p. 251 ss. et 257 ss.43
[44]
BO CE, 1998, p. 291 ss.44
[45]
BO CN, 1998, p. 612.45
[46]
FF, 1998, p. 1204 ss.;
BO CE, 1998, p. 463;
BO CN, 1998, p. 811 s.46
[47]
BO CN, 1998, p. 553 ss. Voir également
APS 1997, p. 193 s.47
[48]
BO CE, 1998, p. 558 ss.48
[49]
BO CN, 1998, p. 1686 s. et 2298;
BO CE, 1998, p. 921 s. et 1144.49
[50]
BO CN, 1998,
p. 275 ss. et 280 s. Voir également
APS 1997, p. 193.50
[51]
BO CN, 1998, p. 1538 s.51
[52]
FF, 1998, p. 1693 s. et 1695 s.52
[53]
FF, 1999, p. 963; presse des 7.10, 9.10 et 13.10.98; NZZ, 27.10.98;
Bund, 11.11.98;
BaZ, 27.11.98; OFS,
communiqué de presse du 22.12.98.53
[54] L. Marquis / R. Lachat / D. Wisler,
Vox: Analyse des votations fédérales du 29 novembre 1998, Genève, 1998.54
[55]
BO CN, 1998, p. 2534;
BO CE, 1998, p. 1300 s.;
FF, 1999, p. 247.55
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