Année politique Suisse 2000 : Infrastructure, aménagement, environnement / Energie / Politique énergétique
En mars 1995, les Verts avaient déposé deux initiatives populaires; la première ‘’Pour l’introduction d’un centime solaire’’ (initiative solaire) et la seconde ‘’Energie et environnement’’. Le parlement avait décidé en 1999 de leur répondre avec deux contre-projets. Alors que l’initiative solaire avait été maintenue, les protagonistes de la seconde initiative s'étaient donnés le premier trimestre 2000 comme délai de réflexion. La décision de
retirer leur initiative populaire « Energie et environnement » a été annoncée en mars. Les raisons étaient qu'ils se satisfaisaient du contre-projet direct proposé par les Chambres et qu’ils espéraient favoriser l’autre initiative qu’ils avaient également lancé
[1].
Compte tenu de ce retrait,
le peuple était appelé à voter le 24 septembre sur trois taxes énergétiques. La première,
l’initiative solaire, proposait dans un premier temps une taxe d'un centime, qui serait progressivement hissé à un maxima de 0,5ct par kWh sur les énergies non renouvelables. Sa durée de vie serait de 25 ans, mais elle ne serait pleinement prélevée qu’à partir de la cinquième année. Le produit récolté – estimé à 750 millions – serait destiné pour moitié à la promotion de l’énergie solaire et, pour l’autre moitié, à l’utilisation rationnelle et durable de l’énergie (isolation des bâtiments, pompes à chaleur...). La seconde taxe, le contre projet du parlement à l’initiative solaire (Article constitutionnel sur une redevance pour l’encouragement des énergies renouvelables /
redevance promotionnelle), visait à taxer de 0,3ct par kWh les énergies non renouvelables. La perception durerait de 10 à 15 ans au maximum. Le produit – estimé à 450 millions – irait pour un premier quart à la promotion du solaire et autres énergies propres (géothermie, bois, biomasse), pour un second quart à l’encouragement des économies d’énergies, pour un troisième quart affecté à l’entretien et au renouvellement des centrales hydrauliques et pour un dernier quart en fonction des besoins respectifs. La troisième taxe, l’article constitutionnel sur une
redevance incitative sur l’énergie en faveur de l’environnement (contre-projet à l’initiative ‘énergie et environnement’) voulait intervenir au plus tôt en 2004 avec le nouveau régime financier de la Confédération et augmenter progressivement jusqu’au taux maximum de 2ct par kWh. Pour le Conseil fédéral, cette ‘’taxe particulière’’ viendrait ultérieurement en remplacement d’une des deux taxes précédemment citées et ouvrirait la voie à une ‘’fiscalité écologique’’. Elle serait prélevée sur les énergies non renouvelables comme le charbon, le pétrole, le gaz naturel ou l’uranium. Le produit – pouvant avoisiner 3 milliards – servirait à réduire les charges salariales annexes obligatoires (AVS, etc.). En plus d’approuver ou de rejeter ces taxes, une question subsidiaire demandait au souverain de choisir entre l’initiative solaire et le contre-projet. Il est à constater que la possibilité de donner un double oui constituait une première dans les votations populaires suisses
[2].
Devant la pléthore de combinaison de votes possibles pour ces trois objets (8), chacune des parties a dû faire un effort dans son argumentaire afin de donner un mot d'ordre clair. Le PS, les Verts, le Parti chrétien-social ont prôné le
triple oui. A ces derniers se sont associés l'Union syndicale suisse, l'UPS, la Fondation suisse de l'énergie (FSE), la Fondation suisse pour l'énergie solaire et Electricité sans atome. Dans le camp des oui se trouvaient aussi les adversaires habituels des écologistes, à savoir les cantons de montagne et les paysans. Les buts de cette alliance inhabituelle n'était pas les mêmes pour les écologistes ou les cantons de montagne. Ces derniers étaient surtout intéressés au contre-projet, car il leur permettait d’obtenir un soutien pour leur usines hydroélectriques, toutefois, pour des raisons tactiques, ils soutenaient aussi l’initiative solaire. La position officielle du Conseil fédéral et des Chambres face aux trois objets était de rejeter l'initiative solaire et d'accepter en corrélation son contre-projet, ainsi que le deuxième contre-projet. L'objectif était, d'une part de provoquer un changement de comportement dans la consommation d'énergie et donc de respecter les promesses de la Conférence de Kyoto pour la réduction des gaz polluants et, d'autre part, d'intégrer une composante écologique dans le système fiscal dont la réforme serait menée dans les années à venir. Le seul parti gouvernemental à suivre les recommandations du Conseil fédéral et du parlement a été le PDC. Le camp du
triple non était composé du PRD, de l'UDC et du PL. A ces derniers s'ajoutaient les associations faîtières de l'économie (Economiessuisse et USAM), les organisations proches de l'automobile (ACS et TCS), l'industrie des machines, l'association des entreprises électriques de Suisse, le Forum suisse de l'énergie et la branche de l'énergie atomique. Les arguments des opposants aux taxes énergétiques étaient que celles-ci seraient un frein au développement économique et que la législation sur le CO2 était suffisante pour assurer le développement des énergies renouvelables et la protection de l'environnement
[3].
La portée de la votation sur les taxes énergétiques a pris une dimension plus large lorsque le Conseil national a concrètement décidé de lier la loi sur la libéralisation du marché de l’électricité à la taxe sur l’énergie dans le but de régler notamment la question des investissements non amortissables. En désaccord sur ce lien, le Conseil des Etats a décidé d’attendre le résultat de la votation populaire de septembre. Pour plus d’explications voir infra.
Initiative populaire ‘Pour l’introduction d’un centime solaire’ (initiative solaire)
Votation du 24 septembre 2000
Participation : 44,7%
Oui: 636 848 (31,9%)
Non: 1 364 751 (68,1%) / 20 6/2 cantons
Mots d’ordre :
– Oui: PS, Verts, PEP, PdT, DS, CS; USS, CSCS, USP, WWF, Pro Natura
– Non: PDC (2*), PRD, UDC, PL, PdL, Lega; Economiesuisse, USAM, TCS, Association pour l'énergie nucléaire
* Recommandations différentes des partis cantonaux
Redevance pour l’encouragement des énergies renouvelables (Contre-projet à l’initiative solaire)
Votation du 24 septembre 2000
Participation : 44,7%
Oui: 922 481 (46,6%) / 4 ½ cantons
Non: 1 055 977 (53,4%) / 16 5/2 cantons
Mots d’ordre :
– Oui: PS, PDC (9*),Verts, PEP, PdT, DS, CS; USS, CSCS, USP, WWF, Pro Natura
– Non: PRD (1*), UDC (3*), PL, PdL, Lega; Economiesuisse, USAM, TCS, Association pour l'énergie nucléaire
* Recommandations différentes des partis cantonaux
Le résultat de cette importante votation pour la politique énergétique et environnementale de la Suisse fut que le peuple a, non seulement, refusé de taxer les énergies polluantes en faveur de l'énergie renouvelable, mais a aussi opposé un refus clair à toute réforme écologique de la fiscalité.
Les trois objets ont été rejetés par le peuple: 68.1% de non pour l'initiative solaire,
53.4% de non pour la redevance pour l'encouragement des énergies renouvelables,
55.5% de non pour la redevance incitative sur l'énergie en faveur de l'environnement. Toutefois si l'initiative solaire n'a recueillie aucune majorité cantonale, les deux contre-projets fédéraux l'ont obtenue dans certains cantons. La redevance promotionnelle a gagné dans les cantons de Zurich, Berne, Genève, Grisons et de Bâle Ville. Quant à la redevance incitative, les cantons de Zurich, Grisons et Bâle Ville ont donné leur soutien à cette réforme écologique de la fiscalité
[4].
Redevance incitative sur l’énergie en faveur de l’environnement (contre-projet à l’initiative retirée ‘Energie et environnement’)
Votation du 24 septembre 2000
Participation : 44,7%
Oui: 898 050 (44,5%) / 2 ½ cantons
Non: 1 119 697 (55,5%) / 18 5/2 cantons
Mots d’ordre :
– Oui: PS, PDC (10*), Verts, PEP, PdT (1*), CS; USS, CSCS, USP, WWF, Pro Natura.
– Non: PRD, UDC (2*), PL, PdL, Lega, DS; Economiesuisse, USAM, TCS, Association pour l'énergie nucléaire
L'
Analyse Vox de la votation menée sur une base d'enquêtes représentatives a montré que, bien que le paquet énergétique recelait une certaine complexité pouvant favoriser un vote en bloc, les votants ont su panacher leurs choix. Ceux qui ont voté en bloc l'ont fait en connaissance de cause. L'ampleur du refus des trois objets énergétiques augmente en fonction de l'âge des votant(e)s (soutien des jeunes), du lieu de résidence ('non' plus répandu en campagne qu'en ville) et surtout en fonction du niveau de formation (les bas niveaux de formation sont fortement opposés). Toutefois, selon l'analyse, l'explication du vote doit être recherchée principalement dans les indicateurs classiques de la position idéologique (sympathie partisane et position sur l'axe gauche-droite) ou en d'autres termes dans l'impact des valeurs, qui révèle un clivage entre défenseurs de l'écologie et défenseurs de l'économie, et entre partisans d'un interventionnisme et partisans du libéralisme économique
[5].
Prenant acte du refus populaire de soutien à sa politique énergétique, Moritz Leuenberger s'est déclaré pour une ouverture rapide du marché de l'électricité, mais sans compensations pour les investissements non amortissables. Quant à la
réforme fiscale écologique, malgré le rejet peu massif (55.4%), Kaspar Villiger et Pascal Couchepin se sont mis d'accord avec Moritz Leuenberger pour la retirer de l'agenda afin de plancher sur son lancement. Le rejet des taxes énergétiques a aussi eu pour conséquence un plafonnement du budget du programme SuisseEnergie à 50 millions et une limitation de ses effets stricto sensu. Malgré le désaveu populaire, la question des taxes n'est pas terminée car deux nouvelles taxes écologiques vont faire parler d'elles dans un avenir proche: la première est la taxe CO2, qui a été adoptée en mai, et dont la gauche et les écologistes ont commencé à faire pression pour que celle-ci soit mise en vigueur dès 2004. La seconde est liée à l'initiative populaire ''Pour garantir l'AVS – taxer l'énergie et non le travail'', déposée en 1996
[6].
[1] Voir
APS 1995, p. 159 et
1999, p. 167 s.1
[2]
Lib., 3.6, 11.8 et 5.9.00; OFEN,
communiqué de presse, 9.6.00;
LT,
30.8.00.2
[3] Presse des mois d'août et de septembre 2000.3
[4]
FF, 2001, p. 167 ss.; presse du 25.9.00.4
[5] Ballmer-Cao, Thanh-Huyen e.a., Vox.
Analyse des votations fédérales du 24 septembre 2000, Genève 2000.5
[6]
Lib., 25.9.00;
LT, 25.9.00. Voir également
APS 1998, p. 168 et
1999, p. 173.6
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