Année politique Suisse 2001 : Chronique générale / Défense nationale
 
Activité internationale
L’année sous revue a vécu au rythme des votations sur l’armement et l’entraînement des soldats suisses à l’étranger, soit principalement les contingents de volontaires helvétiques à pied d’œuvre au Kosovo, actifs dans la reconstruction du pays sous protection des troupes allemandes et autrichiennes. La votation portait sur deux articles de la réforme de la loi fédérale sur l’armée et l’administration militaire (LAAM), acceptée par le Parlement en 2000 après de vifs débats [13]. Un double référendum avait été alors initié des deux pôles de l’échiquier politique : d’un côté, les mouvements de gauche et le GSsA; de l’autre, les nationalistes de l’Association pour une Suisse Indépendante et Neutre (ASIN), proches de l’UDC. Si les deux mouvements refusaient unilatéralement, mais pour des raisons idéologiques différentes, le premier article de la révision – la possibilité pour les troupes sur place de se défendre de leur propre chef, et de ne plus dépendre de la protection d’un tiers –, seule l’ASIN rejetait le second arrêté – l’opportunité pour les soldats suisses de poursuivre un entraînement à l’étranger. En début d’année, les deux mouvements ont déposé à Berne respectivement 54 000 et 65 000 signatures [14]. Pour l’ASIN, la révision aurait été contraire à l’esprit de la Constitution fédérale qui interdit de se mêler des conflits extérieurs. Selon le GSsA, elle aurait participé à la consolidation d’Armée XXI et à des dépenses militaires somptuaires, alors que la coopération suisse devrait selon lui passer en priorité par les ONG à l’œuvre sur le terrain.
Le gouvernement, Samuel Schmid en tête, est rapidement monté au front pour défendre son projet. Il a du affronter une campagne très vive, principalement orchestrée par l’ASIN et animée par Christoph Blocher (udc, ZH). Via une importante et spectaculaire opération d’affichage – des rangées de tombes symbolisant les futurs soldats suisses tombés à l’étranger –, les opposants ont placé le débat sur le plan émotionnel. Argument récurrent: l’adhésion, voire l’asservissement à l’OTAN en germe dans un éventuel oui, a constitué la pierre angulaire de l’ASIN comme du GSsA. Alors que ce dernier investissait dans la bataille plus de 200 000 francs, l’ASIN a en revanche déboursé officiellement 1,5 millions de francs, même si plusieurs sources ont évalué au double son engagement financier. Dans le camp adverse, la principale contribution est venue du lobby patronal Economiesuisse [15]. Pour le gouvernement, Samuel Schmid a dénoncé une «campagne intolérable», parlant du populisme et du manque d’objectivité des partisans du non que le Conseiller fédéral a traité de «menteurs», en réponse aux arguments selon lesquels un vote positif aurait entraîné la fin de la neutralité suisse et son entrée à l’OTAN [16]. Quelques jours plus tôt, le DDPS avait annoncé avoir reçu des menaces de mort à l’encontre de Samuel Schmid, preuve du climat hautement émotionnel de ces votations. Le chef du DDPS a dû mener une campagne inconfortable contre son parti – UDC –, dont les délégués réunis en assemblée avaient refusé à 80% les deux articles de la révision [17].
Tandis que l’UDC s’engageait activement contre la révision de la LAAM, le oui a pu compter sur le soutien des autres partis gouvernementaux : les radicaux et le PDC se sont engagés en sa faveur, alors que le PS, très partagé sur la question au niveau romand, a finalement apporté son soutien après de longs débats [18]. A l’Assemblée fédérale, 142 parlementaires se sont rassemblés en comité pour soutenir le gouvernement dans sa campagne pour le oui: une vingtaine de socialistes et 9 membres de l’UDC en faisaient partie [19]. La Société suisses des officiers (SSO) s’est aussi prononcée pour l’armement des soldats à l’étranger [20], alors que ces mêmes soldats, à travers une pétition adressée aux parlementaires, ont recommandé le oui, fustigeant au passage la campagne «primitive» de l’ASIN [21]. Dans le camp des opposants, des forces politiques traditionnellement en conflit se sont retrouvées au coude à coude pour l’occasion: l’UDC, l’ASIN, l’Union démocratique fédérale (UDF), les Démocrates suisses, le GSsA, les Verts et les Femmes socialistes ont fait campagne pour le «non» [22]. L’Union syndicale suisse s’est abstenue de toute recommandation de vote [23].
«Loi fédérale sur l’armement et l’administration militaire (LAAM) (Armement)»
Votation du 10 juin 2001

Participation: 42,5%
Oui: 1 002 271 (51,0%)
Non: 963 336 (49,0%)

Mots d'ordre:
Oui: PRD, PDC, PS (7*), PL, PEP; Economiesuisse, USAM, USP, CSC
Non: UDC (8*), PE (5*), PdL, Lega, PdT, DS, UDF; ASIN
Pas de mot d’ordre : USS

*Recommandations différentes des partis cantonaux
«Loi fédérale sur l’armement et l’administration militaire (LAAM) (Coopération en matière d’instruction)»

Oui: 1 001 300 (51,2%)
Non: 956 496 (48,8%)

Mots d'ordre:
Oui: PRD, PDC, PS (9*), PL, PEP; Economiesuisse, USAM, USP, USS, CSC
Non : UDC (5*), PE (5*), PdL, Lega, PdT, DS, UDF; ASIN

*Recommandations différentes des partis cantonaux
Appelé aux urnes le 10 juin, le peuple a accepté la révision de la loi militaire: 51% de oui pour le premier article (armement des soldats suisses à l’étranger) et 51,2% en faveur du second (coopération en matière d’instruction). Un vote extrêmement serré qui a dû compter sur une participation moyenne: 42,5%. Face à un objet qui touchait au thème polémique de la neutralité helvétique, les votants se sont exprimés sur un axe idéologique plus que géographique ou linguistique. Le fréquent fossé entre la Suisse romande et alémanique s’est refermé pour l’occasion, et ni le clivage ville-campagne, ni les différences entre les classes d’âge et les sexes n’ont eu d’effets notables. Le front du refus s’est plutôt développé dans les régions périphériques: Suisse centrale, Valais, Grisons et Tessin ont exprimé un non «conservateur» marqué par l’attachement à l’idée de neutralité suisse, alors que Jura et Genève ont pu s’appuyer sur les nombreux votes traditionnellement antimilitaristes. Le Tessin remporte deux records pour cette votation: celui du plus haut pourcentage de non (63%), et celui de la plus faible participation (27,4%). Il apparaît que l’aspect idéologique de la votation a efficacement rebondi sur les consignes des partis: 61% des sympathisants du PS ont voté oui, alors que 74% des partisans de l’UDC ont suivi les recommandations officielles du parti. De plus, les analyses ont montré que les Suisses n’ont pas fait de différence entre les deux objets du volet militaire de la votation: les votants se sont principalement déterminés sur le chapitre «armement», puis ont voté à l’identique sur le second objet. Enfin, un tiers des opposants au projet ont placé des raisons pacifistes en première explication de leur choix [24].
En tant que membre du gouvernement et conseiller fédéral le plus impliqué dans les enjeux de ces votations serrées, Samuel Schmid a jugé bon de rappeler que ce résultat positif n’était en rien synonyme d’une adhésion à terme à l’OTAN, ni d’un abandon de la neutralité helvétique [25]. Le gouvernement a transmis en septembre le texte de l’arrêté fédéral sur la participation de la Suisse à la Force multinationale de maintien de la paix au Kosovo (KFOR). Celui-ci prolonge le mandat des soldats suisses jusqu’en 2003, allouant pour la période un budget de 70,5 millions de francs. Le texte prévoit aussi d’augmenter de 40% le contingent de la Swisscoy, de 160 volontaires pour l’année sous revue à 220 personnes au maximum. Dès octobre 2002, les volontaires porteront une arme personnelle et seront épaulés par la présence de cinq chars [26].
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Coopération internationale
En visite de travail à Paris, le chef du DDPS Samuel Schmid a évoqué avec son homologue français Alain Richard la possibilité d’un exercice commun entre la Suisse et la France en 2004, sur les modèles des exercices de sauvetage «Léman 1» et «Léman 2», en 1997 et en 1999 [27]. La mise sur pied d’un «Léman 3» avait alors été envisagée pour 2001, mais le calendrier politique – le vote conflictuel sur l’envoi des soldats armés à l’étranger – avait finalement fait renoncer les autorités militaires à cette éventualité. Les autorités françaises ont aussi profité de la venue à Paris de Samuel Schmid pour s’aligner comme probable fournisseur des nouveaux système électroniques d’aide au commandement budgétisés dans le programme d’armement 2001 (voir infra) [28].
 
[13] Voir APS 2000, p. 84.13
[14] FF, 2001, p. 1098 ss.; TG, 24 et 25.1.01.14
[15] Lib., 30.5.01; TG, 6.6.01.15
[16] TG, 6.6.01.16
[17] Presse du 30.4.01.17
[18] LT, 2.4.01.18
[19] LT, 4.4.01.19
[20] LT, 9.4.01.20
[21] TG, 4.5.01.21
[22] TG, 7.5.01.22
[23] LT, 29.3.01.23
[24] FF, 2001, p. 4458 ss. Thanh-Huyen Ballmer-Cao e.a., Analyses des votations fédérales du 10 juin 2001, Analyse VOX 74, Genève 2001.24
[25] Presse du 11.6.01.25
[26] FF, 2001, p. 5771 ss.; TG, 6.12.01.26
[27] Voir APS 1999, p. 116 s.27
[28] LT, 16.11.01.28