Année politique Suisse 2001 : Infrastructure, aménagement, environnement / Energie
Energie nucléaire
En vertu de la loi fédérale du 18 mars 1983 sur la responsabilité civile en matière nucléaire, chaque exploitant d’installation nucléaire répond de manière illimitée des dommages causés. Depuis le 1er janvier 2001, le pool suisse pour l’
assurance de risques nucléaires assume entièrement la couverture légale d’assurance d’
un milliard de francs par installation. Jusqu’alors les assurances privées couvraient 700 millions et la Confédération 300 millions de francs. Bien que cette dernière ait retiré ses quotes-parts, elle assure, à concurrence d’un milliard également, les risques extraordinaires que les assureurs privés sont autorisés à exclure, à savoir des dommages dus à des événements naturels exceptionnels ou à des faits de guerre, de même que des prétentions issues de dommages différés. A la demande de l’OFE, Peter Zweifel, professeur à l’Institut d’économie sociale de l’Université de Zurich et son collaborateur Roland Umbricht ont examiné la couverture du risque nucléaire en Suisse et le prix à payer pour l’améliorer. Ils plaidaient en faveur d’une couverture d’assurance plus généreuse de l’ordre de 40 milliards, en invoquant les dommages estimés de 10 à 200 milliards que pourrait entraîner un accident grave avec fuites radioactives. Si la couverture était portée à 4 milliards de francs par installation, le courant d’origine nucléaire renchérirait de 0,14 ct./kWh. La hausse serait de 0,60 ct./kWh si elle passait à 10 milliards. A l’heure de la présentation du rapport, les primes responsabilité civile pesaient en moyenne pour 0,058 ct./kWh dans le prix du courant d’origine nucléaire. La seconde partie du rapport posait la question d’un recours au marché des capitaux pour créer une capacité supplémentaire d’assurance, notamment grâce à l’émission de titres de risques de crédit. Les auteurs parviennent à la conclusion qu’il serait possible de réunir au mieux de cette façon quelques centaines de millions de francs, et encore à un prix spécifique supérieur à la réassurance traditionnelle
[14].
Le Conseil fédéral a adopté le message à l’attention du parlement concernant la
loi sur l’énergie nucléaire (LENu) et les initiatives antiatomiques. Il avait pris l’année précédente des décisions préalables à ce sujet. Le projet de loi contient des propositions relatives aux questions liées à l’énergie nucléaire. Le Conseil fédéral
maintient l’option nucléaire. La poursuite de l’exploitation des centrales existantes et la construction de nouvelles centrales demeuraient admises en principe. Le projet ne contient pas de limitation de la durée des autorisations d’exploiter. Quant à la décision relative à de nouvelles installations nucléaires, elle serait soumise au référendum facultatif. Le retraitement d’éléments combustibles usés, ainsi que les exportations qui y sont liées, ne seront plus autorisés. Les contrats en cours pourront cependant être honorés dans le cadre défini juridiquement. Par ailleurs, le Conseil fédéral pourra prévoir des exceptions à des fins de recherche. Les centrales devront donc renoncer à récupérer les éléments encore fissibles restés dans les barres d’uranium après utilisation. Jusqu’ici, ils devaient être débarrassés de leur gangue à l’étranger et renvoyés en Suisse sous une forme purifiée. Dans son message, le Conseil fédéral reconnaît que le retraitement est problématique sous plusieurs aspects : sécurité, protection contre les radiations, risques lors du transport et même du point de vue de la rentabilité. Le transport par voie aérienne de matières nucléaires contenant du plutonium sera également interdit. Le concept de gestion des déchets radioactifs repose sur les recommandations du groupe d’experts pour les modèles de gestion des déchets radioactifs (EKRA). Pour le financement des coûts de désaffectation et de gestion des déchets, le projet se conforme à l’ordonnance sur le fonds de désaffectation et à l’ordonnance sur le fonds de gestion des déchets provenant des centrales nucléaires. En outre, des versements complémentaires obligatoires, sur le modèle de la responsabilité solidaire, seront imposés aux autres sociétés exploitantes, comme c’est déjà le cas pour le fonds de désaffectation. Le projet de loi précise que leur montant se limitera à ce qui est supportable économiquement ; au besoin, l’Assemblée fédérale se prononcera sur une participation de la Confédération aux coûts non couverts. Le Conseil fédéral a présenté son projet comme
contre-projet aux initiatives "Moratoire plus" et "Sortir du nucléaire" et proposait au parlement de recommander au peuple et aux cantons leur rejet. Selon lui, l’acceptation de l’initiative "Moratoire plus" entraverait le maintien de l’option nucléaire et celle de l’initiative "Sortir du nucléaire" influerait négativement sur le développement économique de la Suisse. En plus celles-ci compromettraient la réalisation des objectifs pour la réduction des CO2 et l’interdiction absolue d’importer le courant d’origine nucléaire ou produit à base d’énergie fossile, laquelle figure dans l’initiative "Sortir du nucléaire", serait inacceptable pour des raisons commerciales. Le Conseil fédéral estimait néanmoins que le projet de LENu avait rejoint plusieurs souhaits exprimés dans les deux initiatives
[15].
En décembre, le Conseil des Etats s’est emparé de la LENu. Tiraillé entre l’interdiction pure et simple de la réutilisation des
combustibles usés et l’autorisation de les retraiter ou de les exporter en vue de recyclage comme l’avait avancé sa Commission, il a opté pour une solution médiane : sur proposition de Inderkum (pdc, UR), il a décrété un
moratoire de dix ans qui courra dès le 1er juillet 2006, date à laquelle les contrats passés entre les centrales suisses et les usines de retraitement de La Hague (F) et Sellafield (GB) arriveront à échéance. Moritz Leuenberger et une minorité de centre gauche ont plaidé en vain pour une interdiction totale du retraitement. Les sénateurs ont ainsi assoupli les prescriptions concernant le stockage de ces déchets, en précisant que le recours à des solutions à l’étranger devait demeurer possible. Ils ont aussi argumenté sur le fait que rien ne garantissait qu’il y aurait suffisamment d’uranium dans le futur. La majorité a néanmoins exigé des exploitants de centrales qu’ils apportent la preuve qu’une solution à l’évacuation de leur déchet soit trouvée dans les dix ans, voir quinze ans au plus. Au terme des dix ans, le moratoire pourra être prolongé de dix années supplémentaires par le parlement. Les Etats ont choisi cette solution par 22 voix contre 15. Sur la question du domaine d’attribution d’
autorisation de nouvelles centrales, ils n’ont pas fait confiance au gouvernement et ont suivi les recommandations de leur Commission. Par 43 voix sans opposition, mais contre l’avis de Moritz Leuenberger, ils ont décidé que le parlement devra se prononcer non seulement sur les demandes acceptées, mais aussi les projets refusés par l’exécutif. Paradoxalement, la gauche a soutenu cette option, qui pourtant profite au lobby nucléaire. Elle a motivé cette décision par un souci de contre-poids envers le gouvernement. Les Chambres pourraient ainsi forcer le Conseil fédéral à accepter un projet dont il ne veut pas. Toutefois comme il a été prévu dans le projet de loi, le dernier mot revient au peuple puisque la construction de toute nouvelle centrale sera soumise au vote facultatif. En revanche, le Conseil des Etats a refusé un droit de veto aux cantons concernés par une éventuelle implantation nucléaire, à l’exception de celui de Nidwald, qui conserve son droit de regard sur l’aménagement du site d’entreposage du Wellenberg. Par 25 voix contre 8, les sénateurs n’ont pas voulu que l’autorisation de construire une centrale dépende de l’existence d’un dépôt pour les déchets fortement radioactifs. Au cours de ces délibérations, la droite a tenté de restreindre les obligations des exploitants concernant le financement de la désaffectation des centrales et de la gestion des déchets. Par 21 voix contre 16, cette proposition a été repoussée ; le Conseil des Etats a décidé qu’en cas de mise hors service d’une centrale, les autres exploitants devraient contribuer à prendre en charge les coûts si ceux-ci ne sont pas assurés. Le vote d’ensemble a approuvé la LENu par 27 voix contre 4. Les deux initiatives anti-nucléaires ont été balayées par la Chambre des cantons par 24 voix contre 4
[16].
Les
convois nucléaires en direction de Sellafield (GB)
ont pu reprendre en mai. L’instance de surveillance de la Confédération (DSN) a de nouveau autorisé les transports – interdits l’année précédente pour cause de danger –, après que l’usine ait su satisfaire les conditions exigées par son homologue anglaise (Nuclear Installation Inspectorate, NII). Greenpeace a protesté auprès du DETEC et a tenté d’arrêter le convoi
[17].
En 1998 et 1999, la CEDRA avait effectué des études du sous-sol à Benken (ZH) et avait conclu que le site était à même d’accueillir un dépôt de déchets moyennement ou hautement radioactivé. Par 99 voix contre 59, le parlement cantonal zurichois a refusé une initiative individuelle qui réclamait que le peuple décide par les urnes de la construction ou non du dépôt. En septembre, le mouvement contre un dépôt atomique à Benken ("Bedenken") et le comité d’intérêt pour l’énergie et l’habitat (IGEL) ont lancé une
initiative cantonale "Atomfragen vors Volk" afin que le peuple puisse donner son avis sur la construction de la galerie de sondage, de même que l’autorisation pour la construction du dépôt et sa fermeture. L’initiative se veut aussi une garantie des droits populaires, car jusqu’à présent, un dépôt atomique pouvait être construit à Zurich sans l’accord de ses concitoyens
[18].
Deux oppositions se sont faites connaître contre la concession pour la galerie de sondage du
Wellenberg (NW) que le gouvernement de Nidwald avait octroyé à la Société coopérative pour la gestion des déchets nucléaires au Wellenberg (GNW). Les réfractaires, à savoir la station d’Engelberg et la commune de Klosterdorf, ont toutefois réussi à trouver un compromis avec le GNW et ont retiré leur plainte. La votation cantonale sur la galerie de sondage a été agendée en septembre 2002
[19].
Le dépôt intermédiaire central (ZWILAG) de
Würenlingen (AG) a attaqué la deuxième étape des travaux. Une halle de dépôt pour les déchets faiblement et moyennement radioactifs sera construite. Les exploitants possèderont ainsi un espace nécessaire aux différentes manipulations. Cette halle permettra aussi de pallier au dépôt définitif de stockage du Wellenberg dont le chantier n’a toujours pas commencé. L’autorisation de mise en service de la halle d’entreposage pour les déchets hautement radioactifs et les assemblages combustibles épuisés a été retardée, car les experts ont remarqué que les températures des récipients étaient plus chaudes que ce qui était prévu. Des clarifications complémentaires ont été rendues nécessaires. La DSN est arrivé à la conclusion que bien que les conteneurs étaient à 120° au lieu de 60°, ils pouvaient être directement posés sur le sol en béton. Par conséquent, plus rien ne s’est opposé à l’octroi de l’autorisation à ZWILAG pour sa halle d’entreposage de déchets hautement radioactifs. Peu après cet accord, le dépôt a pu accueillir ses premiers combustibles usés en provenance de Leibstadt (AG). Ils ont été suivis par le transfert de matériaux contaminés de la centrale désaffectée de la Broye (VD). En octobre, Würenlingen a accueilli pour la première fois les déchets nucléaires issus du retraitement à l’étranger des éléments combustibles de centrales nucléaires suisses. Le premier convoi était en provenance de la Hague (F). Celui-ci rentrait dans le cadre de contrats qui prévoyaient le retour des déchets résultant du retraitement sous forme de résidus vitrifiés dans leur pays d’origine (le recyclage des barres usées produit 3% de résidus rendus inutilisables). Initialement, il était prévu qu’à leur retour ces déchets hautement radioactifs soient entreposés définitivement dans des souterrains inaccessibles. Mais vu les oppositions et en l’absence de solution, les autorités se sont décidées à un stockage provisoire. Grâce à l’aménagement de l’entrepôt pour les déchets hautement radioactifs, la condition essentielle au rapatriement a été remplie et les envois ont pu commencer. Comme la Suisse a déjà envoyé au retraitement 1000 des 1200 tonnes prévues dans les contrats, Würenlingen servira aussi à l’entreposage de combustibles usés non retraités. Les
premiers résidus vitrifiés revenus de la Hague (F) représentent le début d’une série de 26 envois, qui s’échelonneront sur de nombreuses années, au rythme d’un à deux transports par an. Greenpeace a manifesté pour dénoncer les dangers du retraitement et du transport des déchets, mais elle n’a pas cherché à l’entraver estimant normal qu’un pays reprenne ses déchets
[20].
[14] OFEN,
communiqué de presse, 23.1.01;
TA, 24.1.01. 14
[15]
FF, 2001, p. 2529 ss.; OFEN,
communiqué de presse, 28.2.01;
TG, 1.3.01;
24h, 30.5.01. Voir
APS 1999, p. 175 et
2000, p. 140 s. 15
[16]
BO CE, 2001, p. 1000 ss.;
LT, 1.9 et 24.11.01; presse du 14.12.01. 16
[17] Presse du 18.5.01. Voir
APS 2000, p. 141. 17
[18]
TA, 18.1, 6.3 et 26.3.01;
NZZ, 12.9.01. Voir aussi
APS 1999, p. 178. 18
[19] Presse du 20.4.01;
NZZ, 22.5.01;
NLZ, 25.5, 15.9 et 26.9.01. Voir
APS 2000, p. 142. 19
[20] OFEC,
communiqué de presse, 8.1 et 23.10.01;
NZZ 13.3, 20.6 et 17.5.01;
24h, 22.3, 22.6, 24.10 et 13.12.01;
TA 10.4.01;
LT, 19.6 et 12.12. Voir
APS 2000, p. 142. 20
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