Année politique Suisse 2001 : Infrastructure, aménagement, environnement / Transports et communications / Trafic aérien
Les pertes énormes en 2000 de LTU (350 millions), d’AOM (600 millions) et de Sabena (500 millions) ont eu raison de la tactique de prise de participation tous azimuts du SairGroup et de son directeur Bruggiser. Résultat direct de cette volonté à se désengager et à réintégrer les chiffres noirs, le SairGroup a renoncé à participer aux privatisations des compagnies portugaise TAP et turque de Turkish Airlines. A la lumière des pertes et de leurs responsabilités, neuf des dix membres du conseil d’administration de SairGroup, l’exception de Mario Corti, ont annoncé leur démission. Réagissant à cette décision, les actionnaires minoritaires, représentant les collectivités publiques et les petits porteurs ont refusé de les décharger de leur obligation. Pour pallier à l’absence de chef opérationnel, ils ont confirmé et nommé Mario Corti, comme président et délégué du conseil d’administration. Mis à part l’annonce du retour au nom de Swissair, ses premières mesures prévoyaient un
redressement et redimensionnement de la compagnie, synonyme de rupture avec la stratégie du passé. Dans les faits cela s’est traduit par la liquidation d’Air Littoral en avril et par le dépôt de bilan pour AOM/Air Liberté en juin. Contre 395 millions de francs, Swissair réussissait aussi à se libérer de l’obligation de prendre 85% de Sabena. Swissair et le gouvernement belge ont convenu de participer à une nouvelle recapitalisation de Sabena pour un montant de 658 millions de francs; Swissair assumerait 60% de ce montant et l’Etat belge le solde. La signature de cet accord permettait l’abandon de toutes les poursuites judiciaires qui avait été engagées contre la compagnie suisse. En juillet toujours, Swissair a abouti à un accord sur la reprise d’AOM-Airliberté par ses employés. Contre une exonération de toute obligation, elle s’est engagée à verser 345 millions pour financer sa restructuration. Swissair a aussi décidé d’accorder à LTU 450 millions de francs sous forme de "prêt actionnaires". Devant une dette évaluée à 15 milliards et les importantes pertes dues à des investissements dans des entreprises déficitaires, Swissair a annoncé la suppression de lignes et la vente de l’assistance au sol et des duty-free
[74].
Comme les autres compagnies aériennes, Swissair a subi de plein fouet les effets des attentats terroristes aux USA le 11 septembre. L’absorption des coûts liés à l’annulation des vols outre-Atlantique a accentué la
vulnérabilité de la compagnie suisse, qui disposait de quasi aucune réserve. A ces répercussions immédiates est venue s’ajouter une augmentation du prix du carburant, due à la hausse du prix du baril, et une baisse des réservations. Conséquence directe de la crise, l’action Swissair est partie en piqué à 47 francs, soit une chute de 90% en trois ans. Devant cette situation préoccupante, Susanne Leutenegger-Oberholzer (ps, BL) a déposé une interpellation réclamant un débat urgent sur la question. Le Conseil fédéral lui a répondu en évoquant la possibilité d’une recapitalisation, dans le cadre d’un assainissement général, pour peu qu’il ne soit pas seul. Il a également réagi en garantissant Swissair contre les risques de guerre et de terrorisme. Afin que les avions suisses puissent voler, le gouvernement n’a pas eu d’autre choix que celui de suivre la position des USA, de l’Union européenne et des autres pays qui garantissaient aux transporteurs les risques que les assurances n’acceptaient plus de couvrir. Par contre, le Conseil fédéral l’a refusé aux aéroports, faute de base légale. Alors que Mario Corti désirait absorber la petite compagnie aérienne Crossair, majoritairement en possession de Swissair, en une seule et même compagnie afin de rationaliser les coûts et regrouper les dessertes, l’UBS et le Credit Suisse proposaient à la place un crédit relais d’un milliard de francs réservé aux seules activités aériennes. Les banques avaient en tête pour le groupe aérien un autre plan de restructuration nommé Phoenix, à savoir une reprise des deux tiers des activités aériennes de Swissair par Crossair. Le reste devait être mis en faillite. Alliant les actes aux mots, le Crédit Suisse et l’UBS ont racheté la participation de Swissair dans Crossair (70,35%). Acculé par une dette totale de 17 milliards, Swissair Group a dû demander un sursis concordataire provisoire pour les sociétés SairGroup, SairLines et Flightlease
[75].
Le
coup de grâce a été donné le 2 octobre : Swissair s’est avéré incapable de payer le kérosène de ses avions (livraison contre pré-paiement). Les banques se sont montrées inflexibles et c’est la Confédération qui a dû mettre 450 millions de francs pour que les vols reprennent le 4 octobre jusqu’au 28 octobre, date à la laquelle la nouvelle compagnie Crossair a pris le relais. Durant ces deux jours, 420 vols ont été annulés et 39 000 passagers sont restés en rade. Les 63 000 actionnaires ont pratiquement tout perdu : le titre Swissair, qui valait 500 francs en 1998, a clôturé à 6,5 francs. Sabena faute de toucher le crédit de 450 millions promis par Swissair, a dû solliciter un concordat. Quant à TAP, ils ont décidé de poursuivre en justice Swissair pour n’avoir pas acheté 34% de leur capital. Analysant la crise, les banques ont estimé que leur apport ne suffisait pas à la création de la nouvelle Crossair et ont invité les pouvoirs publics et les investisseurs à passer à la caisse. Une task force, réunissant les représentants de la Confédération, de Swissair Group, de Crossair, a été mise sur pied. Des trois variantes, la moins coûteuse en emplois (9400 suppressions - 14% des employés, dont 4100 en Suisse et 5300 à l’étranger), mais la plus chère financièrement (4 milliards) a été retenue. Cette
variante Full Scale comprenait l’intégration de 26 courts-courriers Swissair dans Crossair jusqu’au 29 octobre, puis de 26 long-courriers jusqu’au 29 mars 2002. Ces derniers continueraient d’être exploités par Swissair jusqu’à cette date
[76].
Moins d’une semaine plus tard, le financement de la restructuration et le maintien provisoire de Swissair ont été trouvés par la Confédération, les cantons et les milieux économiques. Les
coûts d’opération corrigés ont été devisés à
4,69 milliards de francs; 2,74 milliards d’augmentation du capital-actions de Crossair, 1 milliard pour les coûts d’exploitation supplémentaire et 1 milliard pour les frais de restructuration. La Confédération détiendra 20% de la nouvelle compagnie, les cantons 18%, le reste revenant aux banques et aux milieux économiques (62%). Le profil de la nouvelle compagnie était de 26 avions Swissair court et moyen-courriers, 26 avions Swissair long-courriers, 82 avions Crossair; 36 vols long-courriers maintenus, et 78 vols courts et moyen-courriers maintenus (Europe), 114 vols au total. Le conseil d’administration de Crossair décidait à l’unanimité de mettre en œuvre ce plan Phoenix Plus. Suite à l’aval du Conseil fédéral et de la délégation parlementaire aux finances par 3 voix contre 2 et une abstention , la Confédération a décidé d’injecter en tout 1,6 milliards de francs en plus des 450 millions débloqués; tout d’abord un prêt de 1 milliard de francs pour permettre à Swissair d’assurer ses vols jusqu’au printemps, à cela s’ajoutera une prise de participation au capital s’élevant à 600 millions. Les Chambres ont dû se prononcer le 16 et le 17 novembre sur le crédit, mais la messe était dite (voir infra). En effet, la loi prévoit que le gouvernement peut débloquer des fonds dans l’urgence avec l’accord de la délégation des Chambres aux finances. Les cantons devront investir 400 millions (18% du capital), dont 300 millions pour Zurich et 30 pour les deux Bâle; quant aux milieux économiques, leur investissement sera de 1,9 milliards (dont 600 millions pour les deux grandes banques). A l’exception de l’UDC et des Verts, les partis politiques et les collectivités publiques ont salué ce sauvetage. Le Conseil fédéral a informé la Commission européenne des modalités de la nouvelle compagnie aérienne nationale, compte tenu de l’entrée vigueur de l’accord bilatéral sur le transport aérien. La situation critique dans laquelle se trouvaient les filiales a été arrangée soit par des rachats ou des prêts. Le
chapitre social a été le grand
oublié de la restructuration; rien n’avait été prévu pour payer les préretraites et pour indemniser les personnes licenciées durant le délai de congé. Les syndicats estimaient les coûts liés aux paiements des salaires pour les sociétés en sursis concordataire à 76 millions de francs et le plan social à 135 millions. Comme une grande partie ne pouvait pas être couverte par la masse en faillite, ils demandaient une aide de 250 millions au gouvernement et au secteur privé. Les banques et la Confédération ont repoussé leur implication dans le financement du plan social pour les 4500 employés licenciés par Swissair
[77].
Par 21 voix contre 2 (2 cantons non représentés), la Conférence des directeurs cantonaux des finances (CDCF) a adopté une résolution invitant l’ensemble des
cantons à participer au capital-actions de la nouvelle compagnie aérienne. Les cantons étaient encouragés, mais ils restaient cependant entièrement libres de leur choix. Le gouvernement du canton de Zurich s’est proposé d’assumer la plus grande part de la somme avec 300 millions. Ayant reçu l’aval du parlement cantonal, celle-ci était toutefois conditionnée à son acceptation par le souverain zurichois lors de la votation populaire de janvier 2002. Les autres cantons aéroportuaires se sont aussi engagés à l’achat d’actions de la nouvelle Crossair : 21 millions pour Bâle-Ville et 5 pour Bâle-Campagne; 10 pour Genève sous réserve d’un engagement de tous les autres cantons. Le solde, soit 59 millions, a été réparti entre les 23 autres cantons selon une clé de répartition qui a tenu compte du nombre d’habitants, du revenu cantonal brut et l’éloignement par rapport à l’aéroport de Zurich. Le canton de Berne, qui devait théoriquement verser 10 millions, a immédiatement fait connaître son opposition. St Gall et Soleure ont fait de même. De son côté, Argovie a limité son aide à 3 millions au-lieu des 10 prévus. L’objectif des engagements dans la recapitalisation de Crossair était fixé à 2,74 milliards; le plancher était à 2,2 milliards
[78].
Le Conseil fédéral s’étant déjà engagé auprès des partenaires de la future compagnie, la marge de manœuvre du
parlement était très réduite. Le gouvernement a pris cette décision, car il considérait que la Suisse avait besoin d’une compagnie aérienne internationale et un "hub" intercontinental qui puissent assurer la pérennité des relations commerciales (importations/exportations), de la place financières et du tourisme. Par 110 voix contre 56, le Conseil national a
octroyé le crédit de 2,1 milliards pour la nouvelle entreprise aérienne (crédit d’engagement de 1,6 milliards s’ajoutant aux 450 millions de francs pour l’exploitation des vols). Le camp rose-vert a tenté sans succès, via plusieurs amendements, de lier l’engagement de la Confédération à des clauses sociales en faveur du personnel de Swissair. La majorité bourgeoise a refusé d’attribuer 150 millions sur les 2,1 milliards de fonds public à un plan social. Elle a aussi renoncé à augmenter la facture fédérale de 500 millions pour des mesures de reconversion ou de financement des préretraites. Malgré ces échecs, les socialistes ont pourtant refusé de remettre en cause la participation de la Confédération dans le capital de Crossair. Les radicaux et les démocrates-chrétiens considéraient eux aussi que la création d’une nouvelle compagnie aérienne autour de Crossair était la meilleure solution pour l’économie suisse et la sauvegarde des places de travail. A l’opposé, l’UDC, les libéraux et les écologistes dénonçaient le projet. Suivant le National, le Conseil des Etats a avalisé par 36 voix contre 3 les dépenses de 2,1 milliards. En obtenant la majorité qualifiée dans les deux Chambres, le parlement évitait une crise politique qui aurait entraîné le désaveu du Conseil fédéral. Le montant sera réparti entre les budgets 2001 et 2002. Le mois de novembre a aussi été marqué le dépôt de bilan de Sabena et la plainte de l’Etat belge à l’encontre de Swissair
[79].
Après les débrayages à Genève et les menaces latentes, les représentants des syndicats et les employeurs se sont entendus sur les 110 millions de francs réclamés par les employés (versements pendant le délai de licenciement, indemnités de départ de quatre mois / cinq pour les pilotes et préretraites). Seul problème, personne ne savait d’où allait provenir le financement. La justice zurichoise a reconduit le sursis concordataire jusqu’au 5 juin 2002 pour SairGroup, SairLines, Swissair et Flightlease. Au parlement, l’UDC et le PDC ont demandé la mise sur pied d’une
commission d’enquête parlementaire (CEP) sur la débâcle de Swissair. Les radicaux et les verts étaient opposés. Les socialistes, qui auraient pu assurer la création de la CEP avec leur appui, ont temporisé. Ils réservaient leur réponse à février 2002, mais soutenaient l’enquête de la commission de gestion des Etats. Celle-ci se penchait sur le devoir de surveillance de l’OFAC, sur le rôle de la Confédération en tant qu’actionnaire, sur la gestion de la crise par le Conseil fédéral et sur les raisons du grounding du 2.10. Lors de l’assemblée générale des actionnaires, le conseil d’administration de Crossair a démissionné dans sa totalité, y compris son fondateur Moritz Suter, afin de laisser place libre à une nouvelle équipe de onze membres présidée par le hollandais Pieter Bouw. Le
nouveau conseil d’administration a approuvé le business-plan. Entre temps, le DETEC a octroyé à Crossair 31 concessions pour des lignes court et moyen-courriers qui étaient desservies par Swissair. En fin d’année, le Conseil fédéral a levé la garantie étatique pour risques liés aux actes de guerre ou de terrorisme. En effet, les assureurs garantissaient à nouveau la couverture des risques allant jusqu’à 1 milliard de dollars
[80].
[74] Presse du 24.1, 18.7, 28.7 et 31.8.01;
LT 2.2, 10.3, 17.3, 21.4 et 16.6.01;
TG, 3.2 et 26.4.01;
24h, 27.8.01.74
[75]
BO CN, 2001, p. 1410 et 1451; presse de septembre et d’octobre 2001.75
[76] Presse d’octobre 2001.76
[77] Presse d’octobre et de novembre 2001.77
[78] Presse de novembre 2001.78
[79]
FF, 2002, p. 399;
BO CN, 2001, 1472 ss.;
BO CE, 2001, p. 713 ss.; presse du 16.11, 17.11 et 19.11.01;
LT, 6.11.01;
TA, 26.11.01.79
[80] Presse du 27.11 et de décembre 2001;
LT, 27.3.02.80
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