Année politique Suisse 2001 : Infrastructure, aménagement, environnement / Protection de l'environnement
Protection des sites et de la nature
La deuxième mouture du plan de protection de la
Grande Cariçaie a suscité une nouvelle
avalanche d’oppositions. Les cantons concernés, Vaud et Fribourg ont reçu, respectivement 20 000 et 6000 recours. La quasi-totalité des opposants a déposé un texte standard basé sur quatre arguments principaux, relayés par Aqua Nostra, le lobby des usagers de la nature : une inégalité de traitement entre les cantons de Vaud et de Fribourg, l’absence d’étude économique sur les effets de la protection des marais, une trop grande restriction de baignade et la suppression des chalets au bord des berges, prévue pour 2008. En réponse à ces oppositions et pour marquer leur soutien au projet officiel de protection de la rive du lac de Neuchâtel, Pro Natura, le WWF et l’Association suisse pour la protection des oiseaux ont réuni par pétition 70 000 signatures. Le Service fribourgeois, comme l’oblige la loi lors du traitement des oppositions, a reçu Aqua Nostra afin d’aplanir les divergences. La négociation n’a donné aucun résultat. En théorie, le canton de Fribourg devrait entendre individuellement chaque opposant, mais en pratique on s’achemine uniquement vers des rencontres avec les acteurs disposant d’une qualité d’agir. La procédure vaudoise n’oblige pas à de tels entretiens avec les opposants, mais le canton doit en revanche leur répondre individuellement
[17].
Au mois de juin, un député vaudois et deux fribourgeois ont réclamé conjointement via des postulats le maintien des 284 résidences secondaires de la rive sud du lac de Neuchâtel. Ils proposaient en outre un "contrat nature" entre les cantons et les propriétaires. Son principe : sur base d’un mandat de prestation, ces derniers s’engageraient à raccorder leurs chalets à une station d’épuration, à poursuivre des travaux ponctuels pour lutter contre l’érosion des rives et à assurer la libre circulation des promeneurs sur les parcelles. Le
Département de la sécurité et
de l’environnement vaudois
a levé la quasi-totalité des 20 000 oppositions contre la seconde version du plan de protection de la rive sud du lac de Neuchâtel. La conséquence directe de ce classement a été que six périmètres marécageux sur quelque 37 kilomètres de rives ont été interdits d’accès aux riverains et plaisanciers. Trois oppositions formulées par des communes ont retenu l’attention du canton. A Cudrefin, les zones de baignade seront renégociées avec l’Etat. La commune d’Yvonand a été entendue dans sa volonté de garantir l’usage d’une route et d’un chemin. L’opposition de Chevroux sur la zone interdite à la navigation a été levée, mais ce point sera soumis à Philippe Roch, directeur de l’Office fédéral de l’environnement. Le canton de Vaud s’est aussi déclaré d’accord d’entrer en matière, dans le cadre d’un groupe de travail paritaire, sur la proposition des "contrats nature" que les propriétaires offraient d’échanger contre le droit de rester. Au terme du délai de dix jours qu’avaient les mécontents pour réagir, l’administration cantonale vaudoise n’a reçu qu’une poignée de recours pour dénoncer le classement des rives de la Grande Cariçaie
[18].
Le périmètre définitif du domaine protégé d’Aletsch a été fixé et accepté par les quinze communes bernoises et valaisannes. Il s’étend jusqu’au bout du Lötschental, sur la partie du Bietschhorn qui rejoint la plaine valaisanne à Niedergesteln. A l’est, il va jusqu’à Fieschertal, en passant par les stations du plateau d’Aletsch et Naters. Au nord, il englobe le secteur de la Jungfrau jusqu’à Grindelwald et Lauterbrunnen du côté bernois. L’immense région protégée couvre 540 km2. Le nom complet du nouveau territoire est "
Jungfrau-Aletsch-Bietschhorn". Les treize communes valaisannes et les deux bernoises ont signé en septembre la Charte du développement durable pour le secteur d’Aletsch, de la Jungfrau et du Bietschhorn. Elles s’engagent à le promouvoir dans la région. Cette ratification était obligatoire pour pouvoir être inscrit à l’Héritage mondial de l’UNESCO. En décembre, l’UNESCO a décidé à Helsinki d’ajouter la région Jungfrau-Aletsch-Bietschhorn à la liste du Patrimoine mondial. C’est le premier site naturel suisse et de tout l’arc alpin à y être inscrit. L’ensemble de la région figure dans l’inventaire fédéral des paysages, sites et monuments naturels d’importance nationale (IFP). Avec cette acceptation, la deuxième phase du projet sera pour les communes de créer un réseau qui prend en compte et coordonne les potentialités de chacune d’entre elles. Les aspects du développement durable et la mise au point de structures qui leur sont relatives, mais aussi les questions financières doivent en outre être développées
[19].
Le Conseil fédéral a décidé en octobre de présenter la candidature d’un deuxième site à l’inscription au Patrimoine mondial de l’UNESCO. Il s’agit du
Monte San Giorgio (1096 mètres) qui se dresse au bord du lac de Lugano. Le périmètre, proposé par le canton du Tessin pour le classement, reprend 80% du site inscrit dans l’IFP. Il englobe la totalité des formations fossilifères du Trias (datant de 230 à 240 millions d’années). Le site est fameux pour ces milliers de squelettes de sauriens marins et de poissons, dont certains très rares, qui y ont été découverts dès le XIXème siècle
[20].
L’UNESCO a reconnu l’
Entlebuch (LU) comme une réserve de biosphère. C’est la première région de Suisse qui accède à cette appellation, réservée aux régions riches en beautés naturelles et visant un développement durable. Trois critères, que l’Entlebuch a satisfait, ont été pris en considération pour l’obtention de cette reconnaissance : une zone centrale de réserve naturelle, une zone tampon de gestion écologique et une zone de développement durable des ressources. Cent vingt et un de ses 395 km2 sont inscrits dans l’IFP. Presque un tiers de la région est un site protégé, qui compte des marais et une région karstique. Sur le reste du territoire, l’agriculture, l’économie et le tourisme se développent dans le respect de l’environnement
[21].
L’intégralité du
Rhône genevois, le
vallon d’Allondon, ainsi que celui de la
Laire ont été placés sous la protection de la Convention de Ramsar
[22], une sorte d’équivalent pour les zones humides d’un classement par l’UNESCO. A l’occasion du 30ème anniversaire de la convention, la Suisse, pays hôte, a vu doubler la surface du site genevois classifié, qui totalise maintenant 1929 hectares. Deux ordonnances concernent déjà le site. Il fait partie de l’IFP et de l’Ordonnance sur les réserves d’oiseaux d’eau et migrateurs (Oroem)
[23].
Le droit de recours des associations environnementales a subi une nouvelle fois une attaque par le biais d’une motion déposée par Hofmann (udc, ZH). Le Conseil national n’a pas suivi le Conseil d’Etat, qui l’avait accepté l’année précédente, et l’a repoussé de justesse par 80 voix contre 78. Le texte demandait une
utilisation plus stricte de l’étude sur l’impact sur l’environnement (EIE) et une
limitation du droit de recours des associations de protection de l’environnement. Pour Hofmann, le EIE et le droit de recours ne s’imposaient que lorsqu’un projet de construction risquait de porter gravement atteinte à l’environnement. En outre, l’étude devait se limiter aux domaines environnementaux touchés par le projet. La finalité des restrictions demandées par Hofmann était d’éviter que la procédure ne s’embourbe. C’est pour cette raison qu’il demandait au Conseil fédéral d’adapter les ordonnances pertinentes en ce qui concernait la nécessité d’une EIE (valeurs seuils) et les exigences requises pour le droit de recours. La motion a reçu le soutien de l’UDC et du PRD. Le Conseil fédéral a répondu à la motion en arguant que les causes principales de la lenteur des procédures étaient dues à un manque de coordination entre les diverses procédures décisionnelles et au fait que les requérants envoyaient souvent des documents incomplets aux autorités compétentes. Néanmoins, afin de clarifier la situation le Conseil national a plébiscité le Conseil fédéral, qui se proposait de rendre compte dans un délai de deux ans des effets de l’EIE sur l’application des prescriptions relatives à la protection de l’environnement et sur les procédures d’autorisation ainsi que des mesures d’amélioration
[24].
Après discussions, la Confédération et les cantons, à l’exception du Valais, se sont mis d’accord au sujet de la
ratification des protocoles d’application de la Convention alpine. Ils étaient au nombre de neuf : aménagement du territoire et développement durable, agriculture de montagne, forêts de montagne, protection de nature et entretien des paysages, tourisme, énergie, transports, protection des sols et règlement des différends. Le Valais redoutait un antagonisme entre le développement touristique et les impératifs de la protection de la nature. Néanmoins, il s’est finalement rétracté et a accepté les protocoles additionnels, mais à la seule condition de rédiger un protocole socio-économique supplémentaire. Celui-ci devait, d’après lui, garantir un équilibre entre volonté de protection et développement économique des régions alpines. Le PRD a réagi en appelant le parlement à rejeter la ratification des protocoles. Economiesuisse en a fait de même. Le protocole des transport posait problème au parti radical, car il empêchait la construction de nouvelles routes transalpines et entrait, selon lui, en contradiction avec l’accord bilatéral sur les transports signé avec l’UE. Celui-ci laissait le libre choix du moyen de transport, élément que le protocole n’évoquait pas. Les radicaux y décelaient une manœuvre du Conseil fédéral pour empêcher le doublement du tunnel du Gothard. Outre ce point, le PRD craignait aussi le protocole sur le principe de subsidiarité, qui risquait selon eux de faire perdre aux cantons certaines compétences. L’UDC a maintenu sa position aux côtés des radicaux. Le PDC s’est dit prêt à approuver les protocoles, à condition que ceux-ci soient complétés par un volet "Economie et Société". Le PS a été le seul parti gouvernemental à approuver sans réserve les décisions prises par le Conseil fédéral
[25].
Grâce au soutien des ses quatre membres socialistes et démocrates-chrétiens, le
Conseil fédéral a adopté les protocoles
et les a transmis aux Chambres pour ratification. Le PRD, l’UDC, l’USAM et Economiesuisse ont réitéré leur opposition. Le Conseil fédéral leur a répondu en précisant que le Protocole sur les transports ne s’oppose pas à un deuxième tunnel au Gothard, car l’axe n’est pas considéré comme une nouvelle route. Quant à l’entorse à l’accord bilatéral sur les transports, Moritz Leuenberger n’a pas caché qu’il souhaitait engager les autres pays dans la même voie que la Suisse, à savoir celle du transfert modal des marchandises de la route vers le rail. Afin d’ancrer la position centrale de la Suisse, le Conseil fédéral a également retenu la candidature de Lugano pour accueillir le Secrétariat permanent. Les dossiers de Davos, Lucerne et Sion ont été écartés. Le Tessin soumettra sa candidature le 28 février 2002 au comité de la Conférence alpine. Lugano affrontera celles d’Innsbruck (A), de Bolzano (I) et de Grenoble (F)
[26].
A la date d’échéance du concours pour la création d’un second Parc national, six régions se sont présentées comme candidates. Le Cervin (VS), les Muverans (VS/VD) et le Maderanertal (UR) sont venus s’ajouter aux trois dossiers initiaux. Toutefois pour connaître les contours clairs du nouveau parc, il faudra attendre la
révision de la loi fédérale sur la protection de la nature, qui jusqu’alors ne pipait mot des parcs nationaux. C’est elle qui fixera les critères requis. En attendant, les divers promoteurs ont chacun lancé leur étude de faisabilité. Conformément au projet de loi, le DETEC prépare également les catégories de parc régional et de domaine sauvage. Ces derniers existent déjà sous différentes formes dans quelques cantons
[27].
L’OFEFP a lancé à mi-mai un inventaire national systématique des espèces animales et végétales appelé "
Monitoring de la biodiversité en Suisse" (MBD). La notion de biodiversité porte sur le nombre de plantes, de champignons et de micro-organismes dans une zone donnée. S’y ajoutent le critère de la variabilité génétique et les nombreuses biocénoses (communautés d’êtres vivants). Vu qu’il est impossible de saisir la biodiversité comme un tout, l’étude se contentera des indicateurs importants que sont les espèces centrales les plus répandues. L’inventaire permettra, d’ici cinq ans, de savoir où le pays en est de la surface de ses biotopes de grande valeur ; si des éléments nutritifs du sol se sont modifiés ; si les surfaces de compensation écologique dans l’agriculture ont apporté le mieux-être attendu. L’utilité première de ce programme est donc de pouvoir saisir la biodiversité comme l’un des indicateurs du développement durable, figurant dans la Constitution fédérale comme priorité politique. Le budget annuel est de 1,8 millions de francs. 80 collaborateurs récolteront des données sur 500 zones d’un kilomètre carré dans tout le pays. Un second réseau de 1600 points de mesure comprend des surfaces plus réduites
[28].
Le Conseil fédéral a inscrit 700 biotopes dans le nouvel inventaire des sites de reproduction de batraciens d’importance nationale. Les batraciens sont fortement menacés en Suisse. A l’exception de la grenouille rousse, toutes les espèces encore présentes en Suisse figurent sur la liste rouge. Cette situation résulte de la dégradation et de la destruction de leurs milieux naturels, en particulier des plans d’eau dans lesquels ils se reproduisent. Le nouvel inventaire, qui comprend des biotopes (site de reproduction) de quelques dizaines de mètre carrés à un kilomètre carré, s’est basé sur l’
ordonnance sur la protection des sites de reproduction de batraciens d’importance nationale. Celle-ci a été élaborée par l’OFEFP en collaboration avec les cantons et est entrée en vigueur le 1er août. Deux catégories d’objets ont été prévues dans l’ordonnance ; d’une part, les biotopes fixes tels qu’étangs, mares et autres petits plans d’eau ; d’autre part, des biotopes itinérants, qui incluent des zones exploitées à des fins économiques, telles que les gravières et autres sites d’extraction, qui se déplacent au fur et à mesure de l’exploitation. La nouvelle ordonnance laisse aux cantons une grande marge de manœuvre en ce qui concerne les objets itinérants. Il leur appartient de conclure des accords avec les propriétaires et les ayants droit
[29].
Au 1er août, l’
inventaire fédéral des zones alluviales d’importance nationale a été complété par 66 marges proglaciaires et plaines alluviales situées au-dessus de la limite de la forêt dans les cantons de Berne, Uri, Glaris, Grisons, Tessin et Valais. A cette même date, les périmètres de certaines zones alluviales de basse altitude et de certains bas-marais et sites marécageux ont été adaptés aux délimitations de détail, dans les cantons de Fribourg et de Vaud. Les zones alluviales alpines ou de basse altitude sont des milieux naturels dynamiques, dans lesquels les inondations, l’érosion et le dépôt d’alluvions jouent un rôle important. Leur conservation permet de protéger de nombreuses espèces animales et végétales menacées qui ont besoin de ces conditions pour vivre
[30].
[17]
QJ, 12.1.01;
LT, 5.5 et 11.5.01;
24h, 10.5 et 20.6.01. Voir aussi
APS 2000, p. 179. 17
[18]
24h, 22.6, 8.8 et 18.10; presse du 6.10.01. 18
[19]
NF, 19.2, 9.7 et 11.7; presse du 14.12.01; DETEC,
communiqué de presse, 14.12.01. Voir également
APS 2000, p. 179 s. 19
[20]
24h, 25.10.01; DETEC,
communiqué de presse, 24.10.01. 20
[21] Presse du 24.9.01. 21
[22] La Convention relative aux zones humides d’importance internationale a été adopté en 1971 dans la ville iranienne de Ramsar. Il s’agit du premier traité moderne de conservation de la nature. Cent-dix-huit pays en sont partie prenante et plus de 1000 zones humides sont placées sous sa protection, dont huit en Suisse. 22
[24]
BO CE, 2000, p. 816 ss.; BO
CN, 2001, p. 985 ss.;
Bund, 18.9.01. 24
[25] Presse du 25.6.01;
LT, 14.9 et 15.12.01;
24h, 27.10.01;
QJ, 31.10.01;
NF, 10.11 et 7.12.01; DETEC,
communiqué de presse, 6.6.01. Voir également
APS 2000, p. 180 s. 25
[26]
FF, 2002, p. 2740 ss.; presse du 20.12.01. 26
[27]
CdT, 1.2 et 13.12.01;
BZ, 10.5.01;
LT, 26.5 et 20.12.01;
24h, 8.8 et 14.8.01;
TG, 20.8.01. Voir également
APS 2000, p. 182. 27
[29]
24h, 19.6.01; DETEC;
communiqué de presse, 15.6.01. 29
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