Année politique Suisse 2002 : Chronique générale / Défense nationale / Organisation militaire
C’est durant l’année sous revue que le projet de réforme de l’armée a finalement été traité au parlement
[5]. Le Conseil des Etats s’est saisi de cet objet lors de la session de printemps. Sa
Commission de la politique de sécurité (CPS) a tout d’abord estimé qu’il devait appartenir au
parlement, et non plus au gouvernement, de définir la
durée du service militaire et les limites d’âge. L’importance de cette décision pour les individus et l’économie justifiait de retirer cette compétence au gouvernement. Dans la discussion concernant la durée de l’Ecole de recrue (ER), la CPS a estimé que le gouvernement, bien qu’ayant réduit ses exigences de 24 à 21 semaines suite à la procédure de consultation, en demandait encore trop et elle a soutenu le modèle de 18 semaines avec un cours de répétition (CR) supplémentaire. Le DDPS a rappelé que 21 semaines, contre 15 actuellement, représentaient une durée incompressible pour assurer une instruction crédible aux nouveaux équipements, plus complexes, et compenser la baisse des effectifs. Pour le président de la CPS, le radical Hans Hess (OW), 18 semaines étaient plus adaptées aux besoins de l’économie et des étudiants. La commission a également demandé au gouvernement de présenter un nouveau concept de direction s’orientant plus vers des
structures de commandement régional. Elle a émis le souhait que les
neuf brigades permanentes prévues soient rattachées à trois ou quatre Etats-majors de divisions régionaux. Ces revendications éloignaient encore un peu plus la réforme du concept d’origine d’Armée XXI qui prévoyait la formation de brigades ad hoc, issues des divers bataillons, en fonction des besoins de l’engagement. C’est notamment sous la pression des cantons que cette conception hors-sol, axée sur la modularité et la flexibilité des unités, a été remise en question. Concernant le nombre de
soldats en service long (SSL), la CPS a estimé qu’il ne devrait pas excéder les 10% des ER, alors que le gouvernement en souhaitait le double
[6].
Le premier document traité a été la
Plan directeur de l’Armée XXI présentant les grandes orientations de la réforme. Le
débat au plénum a permis à de nombreux parlementaires de développer leurs convictions en matière de politique de défense. La vision la plus proche de l’armée actuelle a certainement été celle de Carlo Schmid (pdc, AI). Sceptique par rapport à l’interopérabilité des forces armées, il rappelé que l’ami d’aujourd’hui pouvait devenir l’ennemi de demain. Rare parmi les parlementaires bourgeois à faire preuve d’enthousiasme pour Armée XXI, le radical Fritz Schiesser (GL) n’a pas manqué de souligner que le maintien de certaines unités relevaient plus du folklore que de priorités stratégiques clairement définies. Dans une assemblée peuplée de nombreux cadres supérieurs de l’armée, le socialiste Michel Béguelin (VD) s’est retrouvé bien seul lorsqu’il a évoqué la nécessité d’une discussion publique sur l’alternative entre une armée de milice ou professionnelle. Après l’acceptation du Plan directeur,
l’examen de détail a commencé. Sur la question de la
longueur de l’école de recrue, le conseiller fédéral Schmid, qui défendait les 21 semaines puis s’est dit prêt à descendre jusqu’à 20, a été désavoué par les parlementaires qui ont soutenu la solution de la commission : 18 semaines et 6 CR (20 voix contre 17). Cette variante était principalement soutenue par des conseillers aux Etats bourgeois, sensibles aux arguments de l’économie privée et des milieux académiques, et par des socialistes. Le transfert de la compétence de déterminer la longueur du service du gouvernement au parlement a été confirmée par 30 voix contre 12. Le chef du DDPS a subi un autre revers avec le maintien de
l’ancrage territorial des troupes et l’abandon de l’idée de brigades flottantes. A l’Etat-major de conduite de l’armée ont été ajoutés quatre Etats-majors de division auxquels seront soumises neuf brigades, dont trois de montagne, les cantons concernés en ayant finalement obtenu une supplémentaire. Sur les
SSL, un compromis à 15% (environ 3000 personnes), entre les 20% demandés par le DDPS et les 10 % des défenseurs d’une milice forte, a finalement été trouvé (24 voix contre 17). Pour le département de la défense, ces soldats doivent avant tout être utilisés de manière flexible pour les tâches subsidiaires de l’armée comme l’aide en cas de catastrophe et la protection de bâtiments et permettre de ne plus mobiliser des CR. Les partisans d’une solution minimale craignaient pour leur part une professionnalisation rampante de l’armée. Certaines décisions n’ont pas provoqué de grands débats. Il en a été ainsi de la baisse des effectifs de 360 000 à 120 000 hommes auxquels il convient d’ajouter 20 000 conscrits et 80 000 réservistes. Le maintien des tirs obligatoires hors service et des colonnes du train ont également passé la rampe sans problème. De nombreux commentateurs ont souligné la nature hybride du projet par rapport aux objectifs des concepteurs d’Armée XXI. Ils ont notamment estimé que les concessions faites aux lobbies, particulièrement aux cantons en matière de décentralisation du commandement, ôtaient une grande part de modularité à l’institution. Le projet a finalement été adopté par 25 voix, sans opposition
[7].
La CPS du Conseil national a proposé de rendre son aspect originel au projet en désavouant la chambre haute et en faisant un pas en direction du gouvernement. Elle a proposé de fixer la durée de l’ER à 21 semaines, puis de laisser la compétence de déterminer le temps de service et la cadence des CR au Conseil fédéral. Les commissaires de gauche, accompagnés de quelques élus issus des rangs bourgeois, ont toutefois estimé que la menace actuelle ne nécessitait pas une prolongation aussi radicale de la formation. Le
plénum a suivi la CPS. Un certain nombre de propositions allant dans le sens d’une limitation de la détention d’armes et de munitions hors service ont également été examinées par la Chambre basse. Une proposition de suppression des tirs obligatoires a été rejetée. Une requête soutenue par les socialistes et les verts demandant l’entreposage des armes de service à l’arsenal entre les périodes de service a été rejetée par 104 vois contre 69. La séparation de la munition de l’équipement individuel, demandée par le démocrate chrétien genevois Jean-Claude Vaudroz et appuyée par les libéraux, a été refusé par 91 député contre 83. Le Conseil National a également estimé que le parlement devait donner son aval pour la subordination de soldats à d’autres départements, cela afin de garder un contrôle des engagements subsidiaires, notamment dans le domaine policier. Concernant le commandement, une solution plus centralisatrice que celle de la chambre haute, et se rapprochant du modèle du gouvernement, a été soutenue. Le maximum de 15% de soldats en service long a été confirmé, malgré l’opposition d’un certain nombre de députés démocrates du centre. Si la chambre basse a accepté la baisse des effectifs dans les mêmes proportions que le Conseil des Etats, elle s’est opposée, par 94 voix contre 73, à un ancrage territorial aussi poussé que celui soutenu par la chambre haute. Malgré la position régionaliste soutenue par une forte minorité bourgeoise, le modèle choisi était plus conforme aux attentes du gouvernement, concédant toutefois l’inscription d’Etats-majors de régions dans l’articulation de l’armée. Lors du vote sur l’ensemble, la révision de la loi sur l’armée a été acceptée par 101 voix contre 18 (dont 8 verts, 4 socialistes et 4 udc) et 27 abstentions (dont 19 socialistes et 5 udc) et l’ordonnance sur son organisation par 73 voix contre 6 (tous udc)
[8].
Lors du
deuxième passage au Conseil des Etats, des concessions ont été faites en matière de durée de l’ER. Les sénateurs, conformément aux propositions de leur commission, se sont alignés sur le modèle défendu par le national. Alors que 2/3 des recrues devraient effectuer 21 semaines et 6 CR (par exemple dans l’infanterie ou l’artillerie), le tiers restant n’en effectuerait que 18 avec un CR supplémentaire (par exemple les troupes sanitaires ou du génie). La chambre haute a confirmé sa volonté de confier au parlement la compétence de fixer la durée du service et laissé au gouvernement le soin de déterminer quelles unités seraient soumises aux régimes long ou court. Une forte minorité, composée de socialistes et de radicaux, a maintenu son soutien aux 18 semaines. La volonté d’assurer un ancrage régional a été réaffirmée avec la demande de conserver trois des quatre Etats-majors de divisions existants (est / ouest / montagne). Le projet modulaire du conseiller fédéral Schmid, soutenu par le Conseil national, s’est, une fois de plus, heurté aux réflexes régionalistes et à la peur d’une centralisation excessive du commandement de l’armée
[9].
Lors de la session d’automne,
le Conseil national s’est rapproché, par 98 voix contre 43, du modèle défendu par la chambre haute. Si la gauche a plaidé, en vain, pour le maintien du concept gouvernemental, une majorité a soutenu l’existence de quatre Etats-majors de régions territoriales, formule plus souple que les trois Etats-majors de division proposés initialement par la chambre haute. Selon Samuel Schmid, ce compromis allait dans le sens du Plan directeur de l’armée et répondait aux exigences de la nouvelle armée. Une dizaine de divergences ont été liquidées tacitement, dont la durée de l’ER, fixée à 21 (la règle) et 18 semaines (l’exception) en fonction des armes et qui pourra être effectuée en deux périodes en fonction de critères précis
[10].
Les deux chambres ont adopté la réforme en
votation finale lors de la session d’hiver. Ce sont quatre textes qui ont été soumis au vote. Au Conseil national, la loi fédérale sur l’armée et l’administration militaire (Armée XXI - LAAM) a été acceptée par 112 voix contre 37 et 30 abstentions. Ce sont principalement des démocrates du centre, accompagnés de quelques députés de gauche (verts, socialistes et l’extrême gauche), qui ont refusé le texte. Les abstentionnistes se comptaient majoritairement dans les rangs socialistes. L’arrêté fédéral concernant l’administration de l’armée a été soutenu par 143 députés, 12 oppositions, principalement de gauche, et 3 abstentions. L’ordonnance de l’Assemblée fédérale sur l’organisation de l’armée a été avalisée par 109 députés, refusée par 32, 37 s’abstenant. Le rapport de force était comparable à celui constaté pour la LAAM. La loi fédérale sur la taxe d’exemption de l’obligation de servir n’a été combattue que par 35 députés, exclusivement socialistes ou verts, contre 125 partisans et 14 abstentionnistes, principalement socialistes. La chambre haute a approuvé les quatre textes à l’unanimité
[11].
[5] Voir également
APS 1999, p. 118 s.,
2000, p. 86 s. et
2001, p. 70 s.
[7]
BO CE, 2002, p. 97 ss., 109 ss. et 122 ss.
[8]
BO CN, 2002, p. 791 ss., 858 ss., 1005 ss. et 1050 ss.
[9]
BO CE, 2002, p. 618 ss.
[10]
BO CN, 2002, p. 1397.
[11]
BO CN, 2002, p. 1706 ss.;
BO CE, 2002, p. 940;
FF, 2002, 6086 ss. et 6100 ss.
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