Année politique Suisse 2002 : Infrastructure, aménagement, environnement / Energie
Energie nucléaire
Le Conseil national s’est emparé de la loi sur l’énergie nucléaire (LENu) au cours des sessions d’été et d’automne. Il a suivi les propositions de sa Commission de l’énergie. En entrée, le Conseil national a rejeté les demandes de renvoi de la minorité rose-verte antinucléaire par 107 à 60. A l’image du Conseil des Etats, il a refusé de limiter la durée de vie des centrales nucléaires existantes à 40 ans ou de faire dépendre la prolongation de ce délai à l’existence d’un dépôt radioactif. Par contre à 74 contre 68, il a désavoué les Etats en
renonçant à retirer le droit de veto cantonal pour la construction de "dépôts géologiques contrôlés". Il n’a pas voulu introduire un droit de référendum facultatif au niveau fédéral. Le National a également décidé que les cantons donneront leur approbation à tout sondage précédant l’installation d’un dépôt en profondeur, ainsi que pour l’utilisation du sous-sol et des droits de l’eau. Les citoyens concernés devraient pouvoir s’exprimer avant la mise en exploitation d’un tel dépôt ainsi que lors de sa fermeture définitive. Une partie de la droite s’y est opposée en arguant que la Confédération est seule compétente en matière nucléaire et que chaque scrutin à l’image du refus nidwaldien d’autoriser un sondage au Wellenberg est voué à l’échec. Le Conseil national a repoussé tout droit de veto des cantons sur l’autorisation de construction des centrales et sur l’autorisation générale d’exploitation. En revanche, si la Confédération devait accepter un nouveau réacteur, cette décision serait soumise au référendum facultatif. Par 77 voix contre 76 et deux abstentions, le National a refusé d’interdire l’exportation des déchets nucléaires suisses vers les usines de retraitement de La Hague (F) et Sellafield (GB). Il a également renoncé à exclure l’exportation définitive des résidus radioactifs. Dans la foulée, pour des questions de réciprocité, l’importation de déchets radioactifs étrangers en Suisse a été autorisée. A une courte majorité de 76 voix contre 75, les conseillers nationaux ont en outre rejeté le moratoire de dix ans proposé par les Etats sur le retraitement des déchets en France et en Angleterre. Comme le Conseil des Etats, le National n’a pas fait confiance au gouvernement dans le domaine de l’attribution pour les nouvelles centrales. Par 90 voix contre 70, il a décidé que le parlement devrait se prononcer non seulement sur les demandes acceptées, mais aussi les projets refusés par l’exécutif. Les Chambres pourraient ainsi forcer le Conseil fédéral à accepter un projet dont il ne veut pas. Moritz Leuenberger et la droite n’ont pas réussi à contester une disposition demandant la création d’une société nationale pour l’exploitation du réseau électrique destinée à assurer la sécurité de l’approvisionnement dans tout le pays. Il s’agit d’une mesure récupérée de la défunte loi sur le marché de l’électricité, destinée à garantir l’approvisionnement du pays. A nouveau, contre l’avis du Conseil fédéral et d’une partie de la droite, le Conseil national a approuvé par 77 voix contre 74 une proposition de sa Commission sur l’énergie qui prévoit une taxe sur l’atome de 3 centimes par kWh pour favoriser les énergies renouvelables. Les énergies hydraulique, éolienne ou solaire devraient ainsi être rendues meilleur marché grâce à ces recettes nouvelles. La taxe pourrait rapporter entre 60 et 70 millions de francs par an. Au vote sur l’ensemble, la LENu l’a emporté par 56 voix (18 pdc et 21 socialistes) contre 47 (19 socialistes) et 48 (radicaux et démocrates du centre) abstentions
[20]. Elle doit servir de contre projet aux initiatives "Sortir du nucléaire" et "Moratoire plus"
[21].
Contrairement au National, le
Conseil des Etats a refusé d’accorder en deuxième lecture, par 27 voix contre 11,
un droit de veto aux cantons sur la réalisation de dépôts de déchets radioactifs. Selon la majorité, ce droit empêcherait toute démarche visant à trouver un lieu d’entreposage définitif. Les Etats ont néanmoins adouci cette décision en acceptant, par 32 voix contre 1, un compromis de Pfisterer (prd, AG). Celui-ci prévoit que la Confédération procède à l’audition des représentants des cantons et les associe à la préparation d’une autorisation. Le Conseil des Etats a fait une autre concession en matière de droits populaires en acceptant tacitement d’introduire un référendum facultatif sur la réalisation de dépôts de déchets radioactifs. Il a par contre rejeté, par 23 voix contre 17, la taxe sur l’énergie atomique de 3 centimes par kWh en se basant sur l’échec des taxes sur l’énergie en votation populaire
[22]. Le dossier est retourné à au National.
Le Conseil national et le Conseil des Etats ont dû voter en décembre sur les deux arrêtés fédéraux concernant l’
initiative populaire "Moratoire plus – pour la prolongation du moratoire dans la construction de centrales nucléaires et la limitation du risque nucléaire" et l’initiative "Sortir du nucléaire – pour un tournant dans le domaine de l’énergie et pour la désaffectation progressive des centrales nucléaires". La proposition de régler "Moratoire plus" a été acceptée par le National (109 contre 67) et les Etats (35 contre 6). Celle concernant "Sortir du nucléaire" a connu un sort identique ; 108 contre 53 au National et 36 contre 5. L’opposition est venue des socialistes et des écologistes
[23].
En octobre, le groupe d’experts pour les modèles de gestion des déchets radioactifs (EKRA), présidé par le professeur Wildi, a publié son
deuxième rapport au sujet du modèle de stockage géologique durable contrôlé [24]. Le document réaffirme qu'un dépôt en profondeur est plus adapté qu'un dépôt en surface. La sécurité y sera meilleure, notamment face aux catastrophes, à la guerre, au terrorisme, aux chutes d’avion. Le "modèle Wildi" est composé de trois types de dépôts : le dépôt test, le dépôt pilote et le dépôt principal. Il offre la possibilité de maintenir ouvertes certaines parties – le dépôt pilote en particulier – pendant une phase de contrôle et d’observation prolongée. Il s’agit aussi de laisser la porte ouverte à la récupération des déchets en cas de défaillance de la sécurité. Conséquence : le groupe Wildi propose de mettre en place un système d’assurance spécial et d’en tenir compte dans la révision de la loi sur la responsabilité nucléaire. L’EKRA considère que la multiplication des droits d’opposition contre la construction d’un dépôt est problématique. Il suggère de retirer aux cantons et aux communes leur droit de veto et de transférer l’ensemble des compétences en matière d’énergie nucléaire à la Confédération. Le groupe "Wildi" reconnaît néanmoins l’importance de la participation des acteurs régionaux. Elle suggère la création d’un conseil de gestion pour l’élimination des déchets, une instance consultative dans laquelle la Confédération, les cantons, les producteurs de déchets, les organisations préposées à leur gestion, des organisations non gouvernementales (ONG) et associations régionales seraient représentées. Selon le deuxième rapport Wildi, le rôle de la Confédération doit être accru. Elle devrait fixer un calendrier contraignant de mise en service des dépôts souterrains, car tant pour le Wellenberg que pour le dépôt de Benken la procédure était, à ses yeux, trop lente. La commission recommande également de séparer les autorités qui délivrent les autorisations de celles qui assurent la surveillance. Elle demande aussi la création d’un organe de contrôle indépendant chargé de superviser la gestion financière et le programme de travail de la Coopérative pour l’entreposage des déchets radioactifs (NAGRA). Le groupe plaide enfin pour l’encouragement des programmes pluridisciplinaires de recherche sur la gestion des déchets et pour la formation de spécialistes
[25].
La Suisse a adhéré au
Generation IV International Forum (GIF). Cet organisme, mis sur pied en 2001 par le Département américain de l’énergie, réunit dix pays souhaitant
développer le réacteur nucléaire de la quatrième génération. Celui-ci devrait en théorie voir le jour en 2030. L’objectif du GIF est de proposer un concept plus économique, plus sûr, produisant moins de déchets et qui limite la prolifération nucléaire. L’idée est notamment de réduire la durée de confinement total des déchets nucléaires de plusieurs centaines de milliers d’années à quelques milliers. Le GIF est une instance de coordination. Elle permet de passer en revue les concepts technologiques et de proposer des axes de recherche et de développement. Les recherches nécessaires seront cependant mises en œuvre dans les différents pays membres et financés par eux. Les fruits des travaux des différents pays sont en principe à disposition de tous. En se joignant au GIF, la Suisse s’est associée à un groupe, comprenant l’Afrique du Sud, l’Argentine, le Brésil, le Canada, la Corée du Sud, la France, le Japon, le Royaume-Uni et les Etats-Unis
[26].
Les événements du 11 septembre 2001 ont eu des répercussions directes sur le marché de l’assurance des risques nucléaires. Le Pool suisse de l’assurance des risques nucléaires a informé l’autorité fédérale compétente qu’à partir du 1er janvier 2003, la couverture du risque terroriste sera limitée à 500 millions de francs au-lieu d’un milliard comme c’était en vigueur. Cette réduction de la couverture fait suite aux difficultés rencontrées par les assureurs nucléaires à lever des capitaux destinés à couvrir le risque terroriste. Le Conseil fédéral a donc décidé de modifier l’ordonnance sur la responsabilité civile en matière nucléaire (ORCN) :
la Confédération se substitue à l’assurance privée afin de couvrir le risque terroriste entre 500 millions et un milliard de francs, comme le prévoit la loi fédérale sur la responsabilité en matière nucléaire (LRCN). En contrepartie, elle augmentera de 12,7% le montant des primes fédérales prélevées auprès des exploitants d’installations nucléaires. La modification de l’ORCN entrera en vigueur le 1er janvier 2003, tout comme les nouvelles polices d’assurance privées
[27].
En 1994, le Conseil fédéral avait accordé au groupe Nordostschweizerische Kraftwerke (NOK) une autorisation d’exploiter la centrale de
Beznau II à Döttingen (AG) limitée au 31 décembre 2004. Par requête du 17.11.2000, le NOK avait demandé la suppression de la limite de sa durée d’exploitation, en invoquant notamment que toutes les conditions et charges dont est assortie l’autorisation d’exploiter étaient remplies. Lors de la mise à l’enquête publique de la documentation, plusieurs milliers de particuliers, diverses organisations et associations ainsi que des collectivités publiques ont fait
opposition à la demande de suppression de la limite de la durée d’exploitation. Les recourants estimaient que la centrale ne remplissait pas les conditions nécessaires en matière de sécurité en cas d’attentat terroriste ou de chute d’avion. De plus, une autorisation de durée illimitée soustrayait l’exploitation de la centrale au contrôle direct des pouvoirs publics. Le Conseil fédéral devrait statuer sur la demande au second semestre 2004
[28].
Malgré l’appui de Moritz Leuenberger,
les nidwaldiens ont, comme en 1995
[29],
refusé le projet de galerie de sondage au Wellenberg (NW) par 57,5% des voix, participation 71,3%. Avec ce non, ils ont désavoué leur Conseil d’Etat qui avait octroyé la concession, estimant que les conditions pour une telle galerie étaient remplies, même si certaines questions restaient ouvertes. Ce résultat négatif a été un revers pour la question de l’élimination des déchets radioactifs et diverses voix, dont la Société coopérative pour la gestion des déchets nucléaires au Wellenberg (GNW), se sont élevées pour demander l’élaboration de conditions-cadres qui permettent de trouver une solution politique au problème de ces déchets. La NAGRA devra remettre l’ouvrage sur le métier et trouver une alternative. Elle ne disposait pas de solution de rechange. Jusqu’à présent, les déchets faiblement à moyennement radioactifs provenant des centrales nucléaires suisses étaient placés dans les dépôts intermédiaires de ces centrales, tandis que ceux issus de la médecine et de la recherche allaient dans le dépôt intermédiaire (Zwilag) de Würenlingen (AG). Peu après le vote, le GNW a annoncé sa décision d’abandonner le projet au Wellenberg. Les recherches seront archivées et le site réaménagé
[30].
Muni de 14 969 signatures,
l’initiative cantonale "Atomfragen vors Volk" a été déposée auprès des autorités zurichoises. Elle exige que les zurichois puissent donner leur avis quant à la concession pour l’installation d’un dépôt de déchets hautement radioactifs au Benken (ZH). Côté allemand, les opposants se sont également mobilisés contre le projet. Le Conseil de l’environnement du lac de Constance a demandé au ministre allemand de l’environnement de défendre les intérêts de la région face à la Suisse. A la fin de l’année, la NAGRA s’est prononcée en faveur de la commune de Benken pour le projet d’entreposage définitif de déchets hautement radioactifs . Pour elle, le Weinland zurichois constitue une "zone de première priorité" en raison de sa géologie. Elle propose à la Confédération de se concentrer sur le site de Benken pour la suite des démarches. Une décision du Conseil fédéral est prévue pour 2006
[31].
[20] 18 démocrates-chrétiens et 21 socialistes ont voté en faveur de la loi; 9 écologistes, 9 démocrates du centre et 19 socialistes ont voté contre; 13 radicaux et 21 démocrates du centre se sont abstenus.
[21]
BO CN, 2002, p. 457 (délai supplémentaire de traitement des initiatives), 1057 ss., 1070 ss. et 1093 ss.; presse du 21.6 et 24.9.02. Voir aussi
APS, 2001, p. 119 s.
[22] Voir
APS, 2001, p. 148.
[23]
BO CN, 2002, p. 2173 s.;
BO CE, 2002, p. 952 ss. et 1308;
FF, 2002, p. 7571 ss.; presse du 12.11. et 27.11.02.
[24] Ce rapport fait suite à un premier qui était consacré à l’aspect technique du stockage souterrain des déchets radioactifs – stockage géologique durable contrôlé. Voir aussi
APS 2000, p. 141 s.
[25] Presse du 10.10.02; DETEC,
communiqué de presse, 9.10.02.
[27] DETEC,
communiqué de presse, 29.11.02.
[28]
AZ, 2.3.02;
LT, 8.6.02; OFEN,
communiqué de presse, 1.3.02; DETEC,
communiqué de presse, 7.6.02.
[29] En 1995, un projet qui liait sondage et entreposage définitif avait été rejeté à 52,5%.
[30]
TA, 24.1.02 (étude);
NLZ, 6.6 (tunnel) et 24.9 (GNW); presse du mois de juin, août et 23.9 (votation). Voir également
APS 2000, p. 142 et
2001, p. 121.
[31] Presse du 12.3, 25.9 et 21.12.02;
TG, 21.3.02 (Allemagne). Voir aussi
APS 2001, p. 121.
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