Année politique Suisse 2002 : Infrastructure, aménagement, environnement / Transports et communications / Poste et télécommunications
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Poste
Le Conseil fédéral a publié un rapport sur la suite de l’ouverture du marché postal à la concurrence. Il se fera en deux temps. Le marché des colis sera entièrement libéralisé en 2004 (La Poste a actuellement le monopole des paquets de moins de 2 kilos) et la limite pour les lettres sera abaissée à 100 grammes en 2006. Le Conseil fédéral a décidé d’inscrire dans l’ordonnance sur la poste des critères pour l’établissement du réseau des offices de poste. Il approuvait ainsi l’initiative de la CTT-CN, sauf sur la question de puiser dans la caisse fédérale pour financer ce réseau (voir infra – initiative CTT-CN). En outre, le Conseil fédéral soumettra les acteurs privés à des concessions dès 2004. Il leur faudra respecter les règles en matière de droit du travail, être financièrement solides et fournir des prestations de qualité. Ces concessions s’accompagneront de redevances qui pourraient contribuer à financer le service universel [64].
Bien que la loi ne donne qu’au Conseil fédéral la compétence d’abaisser lesdites limites, le Conseil national et le Conseil des Etats ont pu donner leur avis sur le scénario proposé. Le Conseil national a suivi la voie de la libéralisation progressive défendue par le Conseil fédéral par 98 voix contre 65. Il a refusé le demi-moratoire de la gauche ; celle-ci acceptait l’ouverture totale du marché des colis, mais à condition qu’elle soit retardée de deux ans (2006), et elle demandait que la libéralisation du courrier ne soit posée qu’à ce moment-là. L’ouverture "express" dès 2005 pour les lettres, soutenue par les radicaux et les libéraux, a également été rejetée. Pour que le peuple puisse s’exprimer via un référendum, deux propositions socialistes de Hofmann (AG) et Grobet (GE) demandaient que la réduction des limites de poids pour le libre transport des paquets et des lettres soit inscrite dans la loi. Toutes deux ont été écartées. Le Conseil national a par ailleurs refusé de lier l’octroi d’une concession à des concurrents privés à une convention collective de travail [65]. Tout comme le Conseil National, le Conseil des Etats a approuvé par 28 voix contre 14 la voie médiane du Conseil fédéral. Il a écarté la proposition de Gentil (ps, JU), qui aurait voulu suspendre l’ouverture du marché jusqu’en 2006, ainsi que le vote de défiance proposé par Studer (ps, NE). Ce dernier contestait la légitimité de la démarche du Conseil fédéral, qui, à son avis, n’avait pas à requérir l’appui politique du parlement pour une décision qui est de sa seule compétence. A la différence du National, les Etats ont demandé que l’on exige des titulaires de concessions le respect du droit des conditions de travail usuelles dans la branche [66].
La CTT-CN a élaboré une initiative de commission visant à assurer le maintien du réseau postal sur tout le territoire par le biais d’indemnités fédérales. Le texte prévoit de modifier la loi sur La Poste pour obliger cette dernière à exploiter des bureaux dans tout la Suisse. Il s’agit de faire en sorte que les habitants des régions périphériques bénéficient aussi des services d’un office postal à une distance géographique acceptable. La Confédération devrait verser des indemnités compensatoires pour couvrir une partie – 10 à 20% – des frais engendrés par la gestion des bureaux postaux déficitaires. Au mois de juillet, devant le refus du Conseil fédéral (voir supra – message), la Commission est revenue sur sa proposition. Elle a accepté de ne pas prévoir d’indemnités compensatoires pour les frais non couverts dans son initiative [67]. Par 120 voix contre 62, le Conseil national a accepté l’initiative de sa Commission lors de la délibération de la loi fédérale sur la poste. En revanche, il a refusé par 98 voix contre 92 une proposition d’une minorité de gauche voulant que la Confédération indemnise La Poste d’une partie des frais couverts par l’exploitation du réseau d’offices de poste. Il a aussi rejeté une proposition de Grobet (-, GE) voulant que toute fermeture d’un office postal soit soumise au préalable à l’approbation du canton concerné. La demande de réexamen en 2004 pour la création d’une banque postale par la gauche et les Verts a connu le même sort. Les conseillers nationaux ont refusé tacitement une initiative du canton du Jura visant à garantir un service public dans les régions périphériques et à subordonner la création d’une banque postale à une remise en cause fondamentale du plan de restructuration de La Poste. Le National a estimé que l’initiative de sa Commission répondait aux attentes du canton du Jura [68]. Saisi, le Conseil des Etats a soutenu l’initiative parlementaire de la Commission du Conseil national, mais il a refusé la proposition de la gauche d’indemniser une partie des frais non couverts pour l’exploitation du réseau d’offices. Les Etats ont dans ce cadre accepté une formule qui juge plus important de garantir des prestations que des offices postaux [69].
Traitant de motions en provenance du Conseil national, le Conseil des Etats a transmis au Conseil fédéral celle de Fasel (pcs, FR) et a transformé celle de Dupraz (prd, GE) en postulat [70].
A la fin octobre, Ulrich Gygi, patron de La Poste, a présenté le plan de restructuration des centres de tri du courrier : REMA–Reengineering Mailprocessing. Réalisé jusqu’alors dans 18 centres répartis à travers tout le pays, le tri du courrier se concentrerait sur trois nouveaux sites implantés dans les régions de Fribourg-Ouest, Langenthal/Aarau et Zurich. La décision définitive du conseil d’administration ne devait tomber qu’au printemps 2003. Le choix d’implanter trois sites uniques sur le Plateau – à proximité des principaux axes de communication –, est dû à la répartition géographique du courrier : 86% du dépôt et 77% de la distribution nationale du courrier se concentrent sur le Plateau. La cherté des surfaces, l’absence de liaisons routières, l’exiguïté et la dissémination des centres de tri au cœur des villes militaient aussi en faveur de cette solution. La mise en œuvre de ce programme devrait débuter en 2006 avec la construction du premier centre, tandis que le troisième est censé entrer en service fin 2008. Si l’option choisie est maintenue, près de 2500 postes à plein temps seraient supprimés au terme de cette restructuration. 8500 employés des centres de tri sont concernés par ces mesures. Les coûts d’investissements s’élèveraient à près d’un milliard et demi. La restructuration permettrait à terme d’économiser 240 millions de francs par année ; en diminuant les frais de personnel et en réduisant les transports inutiles entre les différents centres [71].
L’annonce du projet de restructuration a entraîné une cascade de réactions négatives. Les responsables de l’économie publique de Genève, du Valais et de Vaud ont manifesté leur désir de rencontrer les dirigeants de La Poste et les autorités fédérales. Rompant la convention collective de travail, les employés de Lausanne, Genève et des Grisons, suivis plus tard par ceux d'autres villes, ont voté la grève pour manifester contre la fermeture de leur centre de tri. Les syndicats ont exigé le maintien des postes de travail, spécialement dans les régions périphériques. Devant ce concert de protestations, La Poste a fait marche arrière en signant une trêve avec les syndicats et en s’engageant à réexaminer son projet. En échange, les syndicats de la communication et Transfair ont renoncé temporairement à des mesures de lutte. Deux variantes à l’étude ont été évoquées par La Poste ; la première prévoit de maintenir les trois centres, tout en gardant un nombre limité de petites unités régionales, dans la seconde le nombre de centres serait porté à cinq. Les deux emplacements retenus en plus se situeraient dans les régions de Lausanne et de Winterthour/Wil [72].
La détermination des syndicats et des employés, les oppositions régionales et le désaveu tardif de Moritz Leuenberger ont obligé La Poste à renoncer définitivement aux projets de trois et de cinq centres. La direction a décidé d’entamer des discussions avec les cantons et les syndicats afin de mettre sur pied pour le printemps 2003, un nouveau projet qui tienne compte des impératifs de politique du personnel, des exigences de politique régionale et des répercussions sur l’environnement. Les syndicats ont accueilli avec satisfaction la nouvelle, mais ont réitéré leur volonté d’éviter les licenciements et l’abandon des régions hors de l’axe est-ouest. En cas d’échec des négociations, la grève serait réactivée [73].
L’initiative "Services postaux pour tous" de l’Union syndicale suisse a abouti avec 106 234 signatures. L’examen de la provenance des signatures révèle que plus de la moitié provenait de la Suisse latine [74].
Dès mai 2003, La Poste, en alliance avec UBS, lancera une gamme de prêts nommée Crédits jaunes [75]. Ceux-ci comprendront, d’une part, des hypothèques à taux fixes et variables pour les particuliers, et d’autre part, des crédits en compte courant et des avances à terme fixe pour les collectivités publiques et pour les clients commerciaux (surtout les PME). L’accord répartit les compétences de la manière suivante : Postfinance s’occupera du traitement des affaires et de la commercialisation des crédits, alors que UBS achètera les créances de crédit, en assumant les risques et le refinancement. La décision sur le crédit sera prise conjointement entre La Poste et UBS. Durant les cinq premières années, les deux partenaires espèrent conquérir 1 à 2% du marché des hypothèques, soit quelques 20 000 transactions représentant un volume de prêt de 6 milliards. Pour les PME, ils escomptent engloutir 5% du marché, soit 9000 crédits pour un volume de 500 millions. S’agissant des collectivités publiques, l’objectif est d’atteindre 30% des communes et des cantons, soit 1200 crédits pour un total de 500 millions. Par cette alliance, La Poste a donc contourné l’abandon du projet de banque postale comme le lui avait recommandé le Conseil fédéral [76].
La Poste a réalisé un bénéfice en hausse de 5% à 204 millions de francs. Le chiffre d'affaire a aussi légèrement progressé pour atteindre 6,28 milliards de francs. Le développement du secteur financier Postfinance, la diminution du déficit de l'unité PosteColis, qui s'approche de l'équilibre financier, et les revenus de la vente de produits de tiers ont permis d'arriver à ce résultat. Les unités PostMail et Réseau postal ont par contre subi des pertes de recettes dues au recul du volume des envois. Pour la première fois, une perte a été enregistrée dans le domaine du monopole, c'est-à-dire les envois au-dessous de deux kilos [77].
 
[64] FF, 2002, p. 4683 ss.; presse du 23.5.02.
[65] BO CN, 2002, p. 1602, 1604 ss., 1680 et 2176.
[66] BO CE, 2002, p. 1164 ss. et 1309.
[67] Presse 27.2.02; LT, 3.7.02.
[68] BO CN, 2002, p. 1676 ss.; presse 5.10.02.
[69] BO CN, 2002, p. 1172 ss.; presse 10.12.02.
[70] BO CE, 2002, p. 45 ss.; pour plus de détails sur les motions voir APS 2001, p. 143.
[71] Presse du 23.10.02; voir également APS 2001, p. 143.
[72] Presse du 24.10, 29.10 (grève), 7.11 (réexamen et variantes), 12.11 (grève) et 15.11.02 (critiques cantonales); LT, 26.10 (responsables cantonaux VD, VS et GE) et 5.11.02 (grève); 24h, 28.10.02 (USS); TG 5.11.02 (grève).
[73] Presse du 26.11 et 27.11.02; DETEC, communiqué de presse, 29.10.02.
[74] FF, 2002, p. 3975 s.; presse du 27.4.02; QJ, 21.6.02. Pour les détails de l’initiative, voir APS 2001, p. 143.
[75] UBS gère déjà les fonds de placement (Fonds jaunes) de La Poste.
[76] Presse du 16.2.02. Voir aussi APS 2000, p. 156 et 2001, p. 138 s au sujet de la banque postale.
[77] LT, 29.3.03.