Année politique Suisse 2003 : Chronique générale / Défense nationale / Organisation militaire
Malgré l’absence de soutien des partis gouvernementaux, les signatures pour les
référendums (armée et protection civile) ont été déposées lors de la deuxième moitié du mois de janvier. Le camp des
opposants conservateurs s’est amenuisé au fil de la campagne et la gauche s’est en grande partie désintéressée de l’objet. Cette dernière s’est concentrée sur les thèmes à teneur plus sociale au menu de la votation de mai. Le camp conservateur s’est trouvé diminué par les divisions internes de l’UDC. Ce parti a finalement accepté le projet en assemblée, principalement grâce à l’engagement de son conseiller fédéral Samuel Schmid, en charge du dossier. De nombreuses sections cantonales ont toutefois rejeté Armée XXI (voir tableau infra). Quant à l’ASIN (Action pour une Suisse Indépendante et Neutre), d’ordinaire prompte à combattre tout projet de réforme de la défense nationale ou marquant une volonté d’ouverture du pays, son comité a décidé de ne pas donner de mot d’ordre et de ne pas soutenir financièrement les opposants.
Le manque de moyens du principal comité opposé à la réforme (Bürgerkomitee für eine unabhängige und leistungsfähige Milizarmee in einer neutralen und sicheren Schweiz), dirigé par l’ancien divisionnaire Hans Wächter, et la difficulté de coordonner l’action des nombreux groupes le composant ont été soulignés par de nombreux commentateurs. Début avril, un « Comité fédéral pour une Suisse souveraine, neutre et démocratique », regroupement d’organisations proches des milieux conservateurs, a condamné une dérive politique vers l’OTAN et la création de dépendances techniques et organisationnelles par rapport à l’étranger. De plus, la capacité de la nouvelle armée à défendre l’intégralité du territoire a été mise en question. En fin de campagne de votation, durant la dernière semaine d’avril, un
comité de parlementaires, présidé par le conseiller national Thurgovien Alexander Baumann (udc) et composé d’une dizaine de députés, est venu renforcer le camp de l’opposition. Ils ont rappelé le danger que représentait le projet pour la milice, ainsi que le risque d’aboutir à une armée à deux classes. Ils ont en outre prétendu que les coûts allaient exploser et qu’à terme c’était l’entrée dans l’OTAN qui était visée par le DDPS. Les rangs de l’opposition parlementaire étaient nettement plus réduits que lors du vote au plénum. Sur les 18 UDC qui avaient refusé le projet au parlement, ils n’étaient plus que huit dans ce comité. On y trouvait la frange la plus conservatrice du parti représentée par le Zurichois Ulrich Schlüer, accompagné du président de l’ASIN Hans Fehr, de Toni Bortoluzzi (ZH) ou encore de Christoph Mörgeli (ZH). L’unique député des Démocrates suisses, le bernois Bernhard Hess, ainsi que le représentant de l’Union démocratique fédérale, le bernois Christian Waber, s’étaient associés à cette démarche. De nombreux poids lourds de l’UDC, tels le président du parti Ueli Maurer ou Christoph Blocher, malgré leur opposition aux changements législatifs, ne figuraient pas dans ce comité, de même qu’aucun romand. Il convient de préciser que la gauche, au sein de laquelle se trouvaient certains opposants, avait d’emblée refusé d’être associée à un tel comité parlementaire
[10].
Le conseiller fédéral Samuel Schmid, ainsi que des représentants des gouvernements cantonaux, ont lancé la campagne à l’occasion d’une conférence de presse organisée à la mi-février. Ils ont rappelé qu’Armée XXI était le meilleur compromis pour avoir une défense nationale moins chère, moderne, plus souple et répondant aux menaces de son temps. Ils ont également rappelé que la coopération internationale ne remettait pas en cause la neutralité. Ils ont souligné que la formation serait améliorée, avec des cours de répétition à un rythme annuel. De plus, l’abaissement de l’âge de libération, combiné au raccourcissement de la formation des cadres, devraient faciliter le recrutement de volontaires pour un service d’avancement. Le chef du DDPS a également défendu la réorganisation de la protection civile et estimé que la meilleure coopération entre les institutions chargées de la sécurité (polices, pompiers, services sanitaires, protection civile) justifiait le soutien aux modifications légales. Le conseiller d’Etat valaisan Jean-René Fournier (pdc), président de la Conférence des directeurs cantonaux des affaires militaires, a fait part de l’appui des 26 cantons aux deux projets de réformes, estimant qu’ils prenaient en compte la limitation croissante des ressources financières et les structures fédéralistes de la Suisse
[11].
Un
comité favorable aux réformes, intitulé « 2 x oui pour l’Armée XXI et pour la protection de la population » et fort de 116 parlementaires bourgeois, s’est présenté aux médias à la fin du mois de février. Outre les arguments de l’efficacité et de la modernité, les avantages de la réduction des jours de service pour les vies familiales et professionnelles ont été mis en exergue. La capacité de cette nouvelle structure à faire face aux nouvelles menaces (terrorisme, extrémisme) a également été invoquée
[12].
Les délégués du
parti socialiste ont recommandé de voter blanc à la réforme Armée XXI. Trois sections cantonales ont cependant accepté Armée XXI (Fribourg, Neuchâtel, Thurgovie). L’ Assemblée des délégués de l’UDC s’est laissée convaincre par son conseiller fédéral Samuel Schmid, même si elle n’a accepté la réforme de l’armée que de justesse (165 voix contre 161). Douze sections cantonales et les Jeunes UDC se sont en outre opposés à la réforme de l’armée. Le PRD et le PDC ont recommandé l’approbation des projets. Au sein du parti écologiste, les délégués se sont montrés plus réceptifs aux changements proposés, alors que le groupe parlementaire avait nettement refusé le texte (8 non et une abstention), et ont recommandé de voter blanc. La composition du comité référendaire, principalement des personnalités conservatrices et des officiers à la retraite, a poussé les écologistes à ne pas rejoindre le camp des opposants. Concernant la loi sur la protection de la population, les prises de position des partis et associations ont peu varié par rapport à celles sur Armée XXI
[13].
Les deux réformes ont été largement soutenues par la population et par l’unanimité des cantons. Celle de l’armée a été acceptée par 76% des votants. Celle de la protection de la population l’a été encore plus largement avec 80% d’approbation. Cette dernière n’a été que marginalement présente dans le débat. Bien que la majorité des cantons n’était pas requise, le résultat illustre le large soutien populaire aux réformes, même dans les cantons considérés comme plus conservateurs. Les cantons de Berne, Fribourg, Vaud et Neuchâtel ont été les plus enthousiastes et ont accepté Armée XXI à plus de 80% alors qu’Uri (63% de oui), Schaffhouse (62%) et Schwyz (60%) ont été les plus sceptiques. La plus forte résistance constatée dans les cantons périphériques peut s’expliquer par les conséquences de la réorganisation de l’armée. La fusion de places d’armes, la centralisation des arsenaux ou l’affaiblissement de l’ancrage territorial des troupes étaient de nature à les rendre méfiants. L’ancien divisionnaire Hans Wächter, responsable du principal
comité d’opposants, a estimé que c’était la fin de la Suisse « telle que nous la connaissons ». Le conseiller national UDC thurgovien Alexander Baumann, chef de fil du comité parlementaire défavorable aux réformes, a fustigé la propagande d’Etat, à hauteur de plusieurs millions de francs, menée par le DDPS. Ce dernier a répliqué que l’information aux soldats aurait également été faite sans référendum. De nombreux commentateurs ont souligné
l’importance de l’engagement de Samuel Schmid dans la campagne. Par la sobriété de ses interventions et sa capacité à convaincre les régions périphériques qu’elles ne seraient pas les grandes perdantes de ces changements, le ministre de tutelle est parvenu à neutraliser bon nombre d’oppositions
[14].
Modification de la loi sur l’armée et l’administration militaire
Votation du 18 mai 2003
Participation: 50%
Oui: 1 718 452 (76,0%)
Non: 541 577 (24,0%)
Mots d'ordre:
– Oui: PDC, PRD, UDC (12*), PCS, PEV, PL; Economiesuisse, USP, UCAPS, USAM, USS.
– Non: DS, PSL, UDF, PdT.
– Blanc: PS (3*), PE.
– Liberté de vote: Lega.
– Pas de mot d’ordre: CSC.
* Recommandations différentes des partis cantonaux.
L
’analyse VOX a montré que même les sympathisants de l’UDC ont majoritairement soutenu les réformes et accepté celle de l’armée à 64% et de la protection de la population (71%). Les sympathisants des autres partis gouvernementaux l’on fait encore plus nettement : 77% d’approbation d’Armée XXI par les socialistes (81% pour la protection de la population) contre 87% par les radicaux (88%) et 91% par les démocrates-chrétiens (93%). Au niveau des caractéristiques sociales et politiques ayant joué un rôle dans l’orientation du vote, le clivage entre défenseurs de valeurs modernistes ou traditionalistes s’est révélé significatif. Les citoyens estimant défendre une Suisse moderne ont accepté Armée XXI à 83% (86% pour la protection de la population) alors que ceux se réclamant d’une Helvétie gardienne des traditions ne l’ont fait qu’à 63% (68%). Le critère de la confiance dans le gouvernement semble également avoir eu un impact sur le niveau de soutien aux projets. Contrairement aux scrutins précédents sur l’armée, la ligne de conflit entre ses opposants et ses partisans ne semble pas avoir joué de rôle, les niveaux de soutien des deux camps étant très proches. Les commentateurs ont estimé que la nature des objets permettait de comprendre le peu de différences. La question ne concernait ainsi pas l’existence de l’institution mais uniquement le maintien d’une structure, l’Armée 95, jugée dépassée par les deux camps
[15].
C’est à la mi-décembre de l’année sous revue que la cérémonie de
passage d’Armée 95 à Armée XXI a eu lieu à Berne. Le Comandant de Corps Christophe Keckeis, chef désigné de l’armée, s’est vu remettre le fanion des mains du conseiller fédéral Samuel Schmid. Au nombre de 10 000, des représentants des autorités civiles et militaires, mais également de simples citoyens, se sont réunis pour assister, en musique, au lancement de cette réforme
[16].
Le
nouveau système de recrutement a été appliqué pour la première fois à la mi-janvier à Mels (SG). Encore programmé sur deux jours jusqu’à la fin de l’année sous revue, au lieu d’un seul précédemment, il en durera trois dès 2004. L’accent est mis sur une procédure de sélection permettant de fortement diminuer le taux de personnes déclarée inaptes durant les premières semaines de l’école de recrue. Cette proportion a atteint 20% dans les années nonante. L’objectif des autorités est de le faire descendre à 5%. Son introduction ne dépendait pas de l’acceptation la réforme par le souverain (votations du mois de mai de l’année sous revue) dans la mesure où le nouveau système était également compatible avec l’ancienne législation. Les appelés doivent subir de nombreux tests élaborés en collaboration avec la division de psychologie appliquée de l’Université de Zurich. Les plus de 650 questions se divisent en douze catégories dont les ressources psychologiques, l’intelligence, la compréhension de textes, la logique ou encore la motivation. Un examen médical, ainsi que des épreuves sportives, font également partie de cette procédure. Avec un tel système, l’armée espère pouvoir mieux déterminer les aptitudes des personnes pour les différentes fonctions. Après trois jours, ces personnes seront incorporées dans l’armée, admises au service civil (voir infra) ou considérées comme inaptes. Six autres centres de recrutement ont vu le jour : Lausanne (VD), Nottwil (LU), Rivera (TI), Rüti (ZH), Sumiswald (BE) et Windisch (AG). L’ancien recrutement était organisé par les cantons
[17].
De nombreuses organisations de jeunesse se sont insurgées contre la teneur très intime de certaines questions, notamment relativement au comportement sexuel, aux opinions politiques ou à la prise de stupéfiants. Le DDPS a indiqué qu’indépendamment de cette polémique, il avait l’intention de modifier le questionnaire controversé en raison de sa publication sur Internet, rendue possible par un centre bernois de conseil aux objecteurs de conscience. Cet accès public aurait fait perdre de sa pertinence au test et nécessitait sa reformulation
[18].
[10]
FF, 2003, p. 673 s. et 675 s.; presse du 24.1.03;
TA, 19.3.03 (division dans le camp des opposants; décision de l’ASIN);
BaZ, 8.1.03 et
TA, 25.3.03 (commentaires de la campagne); presse des 2.4, (Comité fédéral pour une Suisse souveraine, neutre et démocratique) et du 26.4.03 (comité de parlementaires opposés aux réformes). Voir également
APS 2002, p. 76 s.
[13] Presse des 3.3. (ps) et 7.4.03 (udc);
Lib., 14.4.03 (pe).
[14]
FF, 2003, p. 4668 ss.; presse du 19.5.03.
[15] Blaser, Cornelia et al.,
VOX no 81,
Analyse des votations fédérales du 18 mai 2003, Zurich 2003
[18]
BaZ, 11.4.03;
TA, 25.4.03; presse du 22.5.03;
TG, 5.7.03 (publication du test sur Internet); presse du 10.9.03.
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