Année politique Suisse 2003 : Infrastructure, aménagement, environnement / Transports et communications / Trafic aérien
print
Swiss
Compte tenu du mauvais exercice 2002 (perte de 980 millions), de la fonte de ses fonds propres à 1,7 milliard en décembre 2002, de la conjoncture et de la crise généralisée dans le transport aérien, Swiss a été obligée de poursuive la restructuration amorcée l’année précédente. Le dégraissage est intervenu pour l’entrée en vigueur de l’horaire d’été. La compagnie a réduit son offre de moyen et court-courriers [97] de 45 destinations: 25 vols ont été retirés et 20 autres ont vu leur fréquence diminuer. Tous les aéroports suisses ont été touchés. Swiss a supprimé 700 emplois (200 pilotes dont principalement des ex-Crossair, 200 employés dans le personnel de cabine et 300 collaborateurs parmi les cadres et le personnel au sol) et a retiré 20 avions sur une flotte de 129 (1 Airbus A321, 2 Boeing MD-83 et 17 avions régionaux). Les économies escomptées se chiffraient à 100 millions de francs. Bien que les long-courriers n’aient pas été touchés, ces mesures jetaient définitivement le Plan Phoenix aux oubliettes [98].
En parallèle de cette restructuration, Swiss a demandé à l'aéroport de Zurich-Kloten (Unique) et Skyguide, ainsi qu’à la Confédération de la soutenir. En réponse, le Conseil fédéral a opposé une fin de non-recevoir aux exigences formulées par Swiss: pas de baisse des impôts sur le carburants, pas de baisse des taxes d’aéroport, pas de rabais chez Skyguide, pas d’injection d’argent public et pas de garantie financière pour l’obtention de crédits. Le gouvernement a par contre institué un comité intitulé "Conditions cadres Swiss" composé de Moritz Leuenberger, Kaspar Villiger et Joseph Deiss. Celui-ci jugera de la nécessité d'agir pour la Confédération et évaluera les conditions cadres, ainsi que les éventuelles mesures de surveillance. Lors de l'assemblée générale, les 860 actionnaires de Swiss, représentant 84,3% des droits de vote, ont approuvé la demande de la compagnie de réduire de la valeur nominale de l'action de 50 à 32 francs. Cette mesure avait été proposée pour que les fonds propres ne dépassent pas la barre de la moitié du capital-actions [99].
Additionnés à une baisse des liquidités, les mauvais chiffres du premier trimestre – perte de 200 millions de francs due aux surcapacités du secteur aérien, à la concurrence effrénée entre compagnies, aux conséquences du SARS (pneumonie atypique) et de la guerre en Irak sur la demande –, ont entraîné une seconde restructuration d'envergure de la compagnie. Pour l'entrée en vigueur de l'horaire d'hiver, l'offre en sièges/kilomètres a été réduite de 27% et la flotte à 81 appareils. 3050 emplois à plein temps ont été supprimés: 700 pilotes, 850 flight attendants et 1500 collaborateurs au sol, dont 850 dans l'administration. Les économies annuelles induites par ces coupes ont été devisées à 1,6 milliard de francs. Swiss ne desservait plus que 72 destinations contre 96, soit 44 pays reliés depuis les aéroports suisses. Le réseau longue distance a été réduit de 40 à 30 destinations, réparties dans 22 pays, celui européen concernait 42 pays au-lieu de 56, dans 22 pays également. Tous les aéroports ont été touchés par cette restructuration; Berne-Belp a disparu du réseau et Lugano-Agno ne conservait plus que des vols vers Zurich [100]. La liaison Genève-Lugano a pu reprendre du service via la reprise de la concession par la compagnie suisse "Flybaboo". La desserte sera toutefois assurée jusqu'au 26 mars 2004 par la compagnie allemande Cirrus, à laquelle l'OFAC a octroyé une dérogation [101].
Analysant la situation, le comité gouvernemental "Conditions cadres Swiss" a considéré les mesures prises comme nécessaires à la survie de l'entreprise. Le Conseil fédéral, partageant cet avis, a estimé que, malgré la cure d'amaigrissement, il avait été juste de s'engager pour Swiss et le secteur aérien suisse un an et demi auparavant. Le Conseil fédéral a pris deux mesures d'accompagnement destinées à améliorer les conditions cadres de Swiss. La première exonérait la compagnie de l'impôt sur les huiles minérales sur certains vols intérieurs: 6 millions d'économies. La seconde prenait en charge le coût des vols spéciaux (rapatriement des personnes non autorisées à entrer sur le territoire suisse) lorsque le rapatriement a lieu pour des raisons non imputables à Swiss. Les coûts tournent autour de 900 000 francs. Le Conseil fédéral n'a par contre pas pris de décision sur la demande de Swiss de lui pourvoir une déclaration sans engagement ("Letter of Comfort), ni sur celle de savoir si les crédits d'exploitation à long terme accordés par des investisseurs étrangers pouvaient être assurés entre autres par une garantie contre les risques à l'exportation [102]. L’année 2003 s’est soldée par des chiffres défavorables pour la compagnie aérienne suisse. La perte nette avoisinait les 650 millions de francs, charges de restructuration incluses. De plus, Swiss n’a, hormis une garantie bancaire de 50 millions de British Airways (voir infra), pas obtenu de ligne de crédit auprès des banques. Quant à la Confédération, elle n’a toujours pas donné suite à la demande de « Letter of Comfort » [103].
Conformément à la décision du Tribunal arbitral de Bâle l’année précédente, la direction de Swiss a accordé aux pilotes de l’ex-Crossair le même nombre de jours de vacances et les mêmes bonus qu'aux ex-Swissair. Par ailleurs, la centaine de pilotes de MD 83 a obtenu un salaire identique à celui des pilotes ex-Swissair de Airbus A320 en vertu du droit à un salaire égal pour travail égal. Devant à nouveau se prononcer sur la querelle entre le syndicat Swiss Pilots et Swiss, le Tribunal arbitral de Bâle a donné une seconde fois raison au syndicat des pilotes de l’ex-Crossair. La compagnie aérienne s’est vue obligée de respecter une règle de proportionnalité dans les licenciements des pilotes. La Cour a estimé que toute réduction d’effectifs dans le corps des pilotes devait toucher les membres de l’ex-Crossair et de l’ex-Swissair dans une proportion de 4 moyen et long-courriers pour 5 court-courriers [104], quels que soient le type d’appareils concernés et les besoins de l’entreprise. La règle était valable avec effet rétroactif pour les 169 licenciements prononcés en début d’année et pour toute nouvelle mesure jusqu’à l’expiration du contrat collectif de travail fin octobre 2005. Considérant ces 169 licenciements comme abusifs et discriminatoires, le juge a enjoint Swiss à réintégrer les pilotes, s’il ne trouvait pas d’autre accord avec eux. L’autre requête de Swiss Pilots, demandant que les pilotes de l’ex-Swissair soient les premiers touchés en cas de licenciements, a été rejetée par le tribunal [105].
Le jugement du Tribunal arbitral n’a toutefois pas été appliqué, car le syndicat, après négociations avec Swiss, a renoncé à demander son application et l’annulation des 169 licenciements de février. Swiss Pilots acceptait ainsi le partage inégal des licenciements entre les deux corps de pilotes et la suppression de 559 postes parmi ses membres. En contrepartie, la compagnie leur a octroyé une indemnité de départ de 16 mois de salaire. Les autres pilotes de l’ex-Crossair ont obtenu d’être en partie protégés contre les licenciements jusqu’à la fin octobre 2005. La concession la plus importante de Swiss a été l’abandon de la constitution juridique de la filiale régionale low cost Swiss Express. Présentée en mai, cette dernière – censée permettre des économies de 20% - était appelée à regrouper tous les vols régionaux en Europe et n’aurait incorporé que des pilotes de l’ex-Crossair. S’estimant relégué à des emplois de seconde zone, Swiss Pilots en avait fait un casus belli. Lors de la votation, la base de Swiss Pilots a accepté à 74% l’accord signé par sa direction avec Swiss. La mauvaise situation financière et la volonté de Swiss de rejoindre une des grandes alliances aériennes ont pesé lourd dans l’armistice signée par le syndicat Swiss Pilots [106].
Après les pilotes et le personnel de cabine, Swiss a trouvé un accord avec les représentants du personnel au sol. Celui-ci comprend la flexibilisation du temps de travail hebdomadaire compris entre 42 et 37 heures sur une base volontaire, ainsi qu’une réduction correspondante des salaires. Une centaine d’emplois a pu être sauvée grâce à un élan de solidarité des employés. Symbolisée par l’action « sauver un emploi », elle demandait aux membres du personnel de cabine de consentir à offrir une part de leur temps de travail [107].
Swiss a mis fin à des mois de suspens et de rumeurs en choisissant en septembre de rejoindre l’alliance Oneworld, plutôt que Lufthansa. L’adhésion à Oneworld sera terminée pour mars 2004. Swiss élargira son réseau de destinations en accédant à celles de ses huit partenaires (Aer Lingus, American Airlines, British Airways, Cathay Pacific, Finnair, Iberia, LanChile et Quantas) et à leurs 220 millions de passagers par an, via des vols en partage de code. La coopération prévoit également un programme de fidélisation des voyageurs. En optant pour Oneworld, la marque Swiss continue d’exister, alors qu’avec Lufthansa une fusion était évoquée à plus ou moins long terme. Les autorités fédérales ont accueilli avec soulagement la nouvelle. L’accord de partenariat avec British Airways a été officiellement avalisé en octobre. En échange d’une garantie bancaire de 50 millions de francs, la compagnie suisse a cédé 8 de ses 14 créneaux horaires (slots) à l’aéroport de Londres Heathrow à sa consœur britannique [108].
La Cour d’appel de Paris a estimé que le Tribunal de Paris était le seul compétent pour départager les compagnies aériennes Swiss et Air Lib. Il a également jugé que Swiss, extension de Swissair, était bien solidaire des accords passés entre Swissair et Air Lib au moment de la reprise de cette dernière par la holding Holco fin juillet 2001 [109].
 
[97] Les destinations moyen et court-courriers sont situées en Europe.
[98] Presse du 26.2 (restructuration) et 15.3.03 (bilan 2002). Le Plan Phoenix prévoit le modèle 26 long-courriers et 26 moyens-courriers.
[99] Presse du 31.3 (injonctions de Swiss), 26.3 (action), 28.4 (crédits), 30.4 (crédits), 1.5 (CF, fin de non-recevoir) et 7.5.03 (assemblée); Exp., 22.3.03; DETEC, communiqué de presse, 9.5.03.
[100] Presse du 28.5 (perte) et du 25.6, 12.7 et 21.10.03 (restructuration); DETEC, communiqué de presse, 24.6.03.
[101] TG, 25.10.03; LT, 1.11.03; DETEC, communiqué de presse, 29.10.03.
[102] Presse du 26.6.03 (geste du CF); DETEC, communiqué de presse, 25.6.03.
[103] Presse du 20.8 (perte premier semestre), 24.9 (garantie bancaire) et 18.11.03 (perte troisième trimestre); Exp., 31.12.03.
[104] Les 1050 pilotes provenant de l’ex-Crossair et les 850 de l’ex-Swissair ont donné la clé au calcul de la proportionnalité.
[105] LT, 28.2.03 (avantages accordés); presse du 20.6.03; voir également APS 2002, p. 160.
[106] Presse du 3.5 (Swiss Express) et 17.8.03 (accord); 24h, 9.8.03 et TG, 11.8.03 (base); Lib., 10.10.03 (nombre de pilotes).
[107] Presse du 6.8.03 (accord); 24h, 28.8 (base) et 30.10.03 (action des employés); LT, 5.9.03.
[108] Presse du 24.9.03; 24h, 24.10.03; Exp., 18.10.03. Voir aussi APS 2002, p. 159.
[109] Lib., 26.6.03; voir aussi APS 2002, p. 160.