Année politique Suisse 2004 : Chronique générale
Résumé
Au début de l’année sous revue, l’opinion publique était impatiente de savoir quelles seraient les conséquences de la formation du gouvernement à la fin 2003 sur la politique suisse. Les partis bourgeois et les représentants de l’économie comptaient sur le fait que, le PDC ayant perdu un siège au profit de l’entrepreneur Christoph Blocher (UDC) et que le nouveau conseiller fédéral radical Hans-Rudolf Merz appartenait à l’aile droite de son parti, l’on assisterait à une baisse de l’influence de l’Etat sur l’économie et à un arrêt du développement du système social. La gauche, et avant tout les syndicats, ont réagi à ce défi en lançant un appel à lutter contre le « démantèlement de l’Etat social ». Les votations durant la première moitié de l’année ont cependant freiné de manière brusque les espérances du camp bourgeois : en février, le peuple a suivi les recommandations de la gauche et a clairement refusé la libéralisation du droit du bail, de même que le contre-projet à l’initiative Avanti prévoyant un second tunnel routier pour le Gothard. Le point culminant de la désillusion a pourtant eu lieu le 16 mai, lorsque deux tiers des votants ainsi que l’ensemble des cantons ont rejeté le paquet fiscal accordant des décharges pour les entrepreneurs et les propriétaires, tandis que le référendum contre la 11ème révision de l’AVS, lancé par la gauche, a été couronné de succès.
Au niveau de la politique menée par le gouvernement, aucun changement de fond notable n’a été observé au cours de l’année sous revue. L’attention portée aux conflits et autres explications – ouverts ou simplement présumés – entre membres du gouvernement, s’est par contre renforcée. On a pu constater que l’UDC et la gauche, qui disposaient ensemble d’une majorité encore plus nette au Conseil national par rapport à la législature précédente (125 sièges sur 200), ont été prêtes à faire usage plusieurs fois de celle-ci pour combattre des propositions du gouvernement. Cette alliance s’est articulée autour d’intérêts parfois communs (affectation des réserves d’or de la Banque nationale à l’AVS), mais également distincts (programme d’armement), voire parfois contraires (programme de législature du Conseil fédéral). Etant donné que les radicaux et le PDC disposaient d’une solide majorité au Conseil des Etats, cela a conduit à des blocages entre les deux chambres, avec des conséquences diverses. Dans le cas de l’or de la Banque nationale, le statu quo, qui était conforme à la préférence du Conseil des Etats, a été maintenu; le programme d’armement a par contre été, pour la première fois dans l’histoire, définitivement rejeté. Le veto du Conseil national au programme de législature n’a pas eu de conséquences, la version du Conseil fédéral restant valable.
Après des négociations qui ont duré environ trois ans, le deuxième volet des négociations bilatérales avec l’UE a pu être signé en automne. Le parlement suisse a adopté ces accords lors de la session d’hiver. Parmi ceux-ci, entre autres, l’adhésion au système d’information de l’UE en matière de police et d’asile (accords de Schengen et de Dublin). Cette adhésion à Schengen/Dublin a suscité de violentes critiques de la part de l’UDC. Cette dernière a d’ailleurs soutenu le référendum lancé par l’ASIN. Puisque l’UE s’est élargie à dix nouveaux pays membres depuis la conclusion des Accords bilatéraux I, ces derniers ont dus être étendus à ces nouveaux pays. Comme cela pouvait être supposé, il n’y avait véritablement que l’application de la libre circulation aux nouveaux membres de l’UE situés en Europe de l’Est et en Europe centrale qui était susceptible de générer des conflits politiques. Le fait que ces pays avaient des salaires très bas et, pour certains d’entre eux, un fort taux de chômage, avait déjà suscité de grandes craintes et de vives polémiques dans les anciens pays membres, en ce qui concerne la concurrence qui était faite aux travailleurs résidents. Avant le début des débats aux chambres fédérales, les syndicats ont ainsi menacé de lancer le référendum contre l’extension de la libre circulation, dans le cas où elle ne serait pas combinée à des mesures contraignantes pour lutter contre la sous-enchère salariale. La majorité du parlement, de même que les associations d’employeurs, ont largement tenu compte des exigences syndicales. L’une des principales raisons de cette attitude conciliante résidait dans le fait que les sept accords bilatéraux I sont juridiquement liés les uns aux autres, et que la Suisse devait compter avec la dénonciation de l’ensemble de ceux-ci si elle ne se prononçait pas en faveur de l’extension de la libre circulation. Bien que les syndicats aient pu être rassurés par les mesures d’accompagnement, le sujet passera toutefois par les urnes en 2005, puisque les Démocrates suisses ont lancé le référendum.
Suite à la guerre civile dans les Balkans, mais également à cause des mouvements migratoires grandissants de l’Afrique vers l’Europe, la frontière entre immigration et asile politique est devenue floue. Le Conseil fédéral a tenu compte de cette évolution en regroupant dans un même office les fonctionnaires traitant de ces questions. On peut en outre supposer que les difficultés relatives à la politique d’immigration et d’asile ont influé sur l’avis de la population, au préjudice des étrangers vivant dans le pays. Quoi qu’il en soit, les citoyens ont nettement rejeté le projet de loi sur la naturalisation facilitée des étrangers de la deuxième génération. Rappelons qu’un projet semblable avait été accepté par une majorité des votants en 1994 (mais rejeté par la majorité des cantons). Le Conseil national a approuvé, malgré l’opposition de la gauche, les durcissements de la loi sur l’asile proposés par le Conseil fédéral.
La légère amélioration de la situation économique amorcée en 2003 s’est poursuivie durant l’année sous revue, sans qu’elle ait cependant conduit à une diminution des chiffres du chômage. Les libéralisations exigées par l’économie ont été poursuivies timidement, mais elles se sont heurtées à une résistance acharnée des syndicats et de la gauche. Ces derniers ont lancé le référendum contre la flexibilisation des heures d’ouverture des magasins dans les grandes gares et les aéroports. L’initiative « Services postaux pour tous » a échoué de très peu en votation populaire. La situation financière de la Confédération s’est quelque peu améliorée, dans la mesure où le déficit des finances de 1,7 milliard de francs a finalement été moitié moins important que budgété. Un excédent des recettes, mais également une diminution des dépenses ont contribué à ce résultat. Il est vrai que ce sont les taux d’intérêt de la dette plus bas et non les mesures d’économies qui sont à l’origine de cet état de fait. Le plus grand poste de dépenses, le domaine social, a présenté une croissance supérieure à la moyenne. Des inquiétudes sont apparues en particulier au niveau de l’assurance-invalidité, hautement déficitaire et dont les dépenses ne sont plus couvertes par les cotisations sociales depuis longtemps. La proposition d’augmenter la taxe sur la valeur ajoutée en faveur de l’AI a été rejetée en votation populaire. C’est par contre suite à une décision populaire – après diverses tentatives manquées – que l’assurance maternité, financée par l’assurance perte de gains, a été introduite. Le peuple et les cantons ont également accepté à une nette majorité la réforme de la péréquation financière et la redistribution des tâches entre les cantons et la Confédération, malgré l’opposition de la gauche qui craignait une réduction des prestations sociales.
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