Année politique Suisse 2005 : Chronique générale / Défense nationale / Organisation militaire
En mai, le Conseil fédéral a donné son accord à la mise en œuvre des
mesures proposées par le DDPS en vue d’adapter les priorités pour l’armée, et d’optimiser de ce fait la réforme de cette dernière, engagée en 2004 (« Armée XXI »). Prévues pour entrer pleinement en vigueur à partir de 2008, ces diverses mesures ont été rendues nécessaires, selon le DDPS, par l’évolution des menaces – le terrorisme étant une menace réelle, alors que la probabilité qu’une guerre classique éclate en Europe est peu probable – et la réduction des moyens financiers mis à sa disposition. Le déplacement des priorités se fera au profit des engagements de sûreté (protection d’ouvrages, de bâtiments ou d’axes, engagements dans les secteurs-frontière), ce qui permettra notamment d’affecter les unités formées pour ces opérations de sûreté aux engagements en faveur des autorités civiles (protection de conférences, tâches de surveillance). À ce titre, les capacités consacrées à la défense militaire classique du territoire seront à l’avenir réduites de moitié : seuls 18 000 soldats se concentreront en effet désormais sur cette tâche. Malgré l’adaptation des priorités de l’armée, le conseiller fédéral Samuel Schmid, chef du DDPS, a précisé que les missions de celle-ci ne changeaient pas, son but restant la défense du pays. Il a ajouté que les effectifs totaux de l’armée seront maintenus à 220 000 hommes, répartis entre 120 000 actifs, 20 000 recrues et 80 000 réservistes. Le système de milice, tout comme l’obligation de servir sont en outre conservés. Dans la ligne des efforts menés jusqu’alors au niveau de la politique de sécurité, l’armée devra également pouvoir engager simultanément 500 militaires pour des opérations de maintien de la paix à l’étranger à partir de 2008. Ce remaniement de l’armée doit entraîner, selon les estimations du DDPS, des économies d’environ 150 millions de francs par année, l’augmentation des effectifs affectés à des missions de maintien de la paix engendrant de son côté des coûts supplémentaires de l’ordre de 35 à 45 millions de francs par an. Le Conseil fédéral a toutefois dû constater que les économies ainsi réalisées étaient insuffisantes pour atteindre les objectifs du programme d’allégement budgétaire 2004, qui demandait 145 millions d’économies supplémentaires. Le DDPS a communiqué que celles-ci seraient donc réalisées dans les investissements. Dans le cadre de cette redéfinition des priorités de l’armée, Samuel Schmid a cependant averti que l’armée aurait toujours besoin de 4 milliards de francs par année. Dans le cas contraire, le conseiller fédéral a averti qu’il faudrait revoir les missions de celle-ci, ses effectifs ou encore son niveau technologique. D’un point de vue juridique, les mesures prises par le Conseil fédéral n’ont pas entraîné de modifications de lois. En revanche, les chambres devront se prononcer sur la révision d’une ordonnance, en 2006, afin que le remaniement puisse être mis en œuvre dès le 1er janvier 2008, et être mené à bien jusqu’en 2011
[7].
Les
réactions à ce remaniement des priorités de l’armée ont été nombreuses. Si le PDC et une partie du PRD ont apporté leur soutien – sous certaines conditions – à ces adaptations, la Société suisse des officiers et l’UDC ont crié au démantèlement de la défense classique. De leur côté, le PS, les Verts et le GSsA ont affirmé leur volonté de briser le tabou de l’obligation de servir. S’appuyant sur le rejet du programme d’armement 2004 par les chambres (voir infra, Armement), les socialistes ont notamment fait plusieurs propositions concrètes en présentant leur conception de l’armée suisse et de sa mission dans un papier de position publié au mois de mai. Selon eux, la tâche principale de l’armée doit désormais être l’engagement dans des missions de maintien de la paix organisées sous l’égide de l’ONU ou de l’OSCE. À ce titre, ils ont réclamé la création d’un bataillon d’environ 1500 soldats au maximum, qui puisse être engagé à tout moment dans des missions de paix à l’étranger. Dans cette perspective, le PS a proposé une armée de 50 000 hommes, composée d’un noyau dur de 12 000 militaires professionnels et de 38 000 volontaires de milice, c’est-à-dire des personnes dont l’activité professionnelle principale serait une activité civile, mais qui s’engageraient contractuellement à suivre une formation militaire. Or, comme les socialistes l’ont précisé, cela impliquerait la levée de l’obligation de servir, incompatible avec des effectifs aussi modestes. Quant aux coûts d’une telle armée, ils seraient de 2,5 milliards de francs au lieu des 4,7 milliards inscrits au budget de l’année sous revue. Le PS a appelé le PRD et le PDC à réfléchir avec lui sur ces réformes. Les socialistes n’ont cependant pas souhaité y associer l’UDC, jugée « trop éloignée » pour permettre l’entame d’un dialogue. Les démocrates du centre ont de leur côté réitéré en fin d’année leurs vives critiques vis-à-vis du projet de remaniement de l’armée du Conseil fédéral – prenant le relais de celles émises par la Société suisse des officiers – et ont attaqué de ce fait indirectement le conseiller fédéral UDC Samuel Schmid
[8].
Plusieurs
interventions parlementaires ont également été déposées en relation avec les nouvelles mesures proposées par le DDPS. Parmi celles-ci, un postulat du conseiller national Baumann (udc, TG) a demandé au Conseil fédéral de remettre au parlement un rapport intermédiaire sur la politique de sécurité avant de mettre en œuvre les mesures de transformation de l’armée décidées au mois de mai. Le conseiller national a estimé que les nouvelles priorités fixées par le Conseil fédéral à l’armée n’étaient pas suffisamment justifiées, et que ce dernier se devait d’expliquer en détails de tels changements de stratégie, les conséquences qui en résultaient, de même que les nouveaux objectifs et les moyens qui permettraient de les atteindre. Une des principales inquiétudes des parlementaires était que le gouvernement les tienne à l’écart de la conception et/ou de l’approbation de ces nouvelles mesures. Dans sa réponse à une interpellation Bugnon (udc, VD), le Conseil fédéral a précisé que les étapes de développement planifiées ne requéraient pas de modifications de lois formelles – notamment de la loi fédérale sur l’armée et l’administration militaire (LAAM) –, mais qu’il s’efforcerait d’intégrer les milieux publics, le parlement et les partis politiques dans les travaux sous une autre forme. Le gouvernement a déclaré en outre que la réalisation de certaines décisions impliquerait la modification de l’ordonnance sur l’organisation de l’armée, et qu’il procéderait dans ce contexte à une consultation avant que le message ne soit approuvé à l’intention du parlement
[9].
Le Conseil des Etats a adopté un postulat Wicki (pdc, LU), qui demandait au Conseil fédéral de présenter au parlement un
rapport sur la mise en œuvre des obligations militaires dans le cadre de la réforme de l’armée. Le député a notamment demandé au gouvernement s’il était disposé à examiner, notamment au vu du nombre élevé de recrues déclarées inaptes au service militaire, la transformation des obligations militaires en une obligation générale de servir pour les hommes en faveur de la population, à condition que les effectifs de l’armée soient maintenus
[10].
[7] Presse du 13.5.05 (mesures du DDPS). Dans un sondage réalisé peu après l’annonce de ces mesures, 60% des personnes interrogées se sont déclarées favorables à ces dernières, 26% contre, alors que 15% n’avaient pas d’opinion sur la question (
NZZ, 17.5.05). Voir
APS 2004, p. 74.
[8] Presse du 28.5.05 (propositions socialistes); presse du 11.11.05 (critiques de la Société suisse des officiers);
Exp. et
NLZ, 12.11.05;
TA, 16.11.05 (critiques UDC). Notons que la Jeunesse socialiste a critiqué le papier de position du PS, jugeant que celui-ci n’allait pas dans la bonne direction. Pour la JS en effet, l’armée ne doit aucunement être réformée, mais supprimée (
LT, 30.5 et 19.12.05).
[9] Po. Baumann: 05.3460;
BO CN, 2005, p. 1984 (interpellation Bugnon). Voir aussi une interpellation Rutschmann (udc, ZH):
BO CN, 2005, Annexes III, p. 227 s.
[10]
BO CE, 2005, p. 1009.
Copyright 2014 by Année politique suisse