Année politique Suisse 2007 : Infrastructure, aménagement, environnement / Energie / Politique énergétique
Au printemps, la problématique énergétique a été le principal objet de discussion du Conseil fédéral et des partis gouvernementaux à l’occasion des Entretiens de Watteville. En marge de la rencontre, Moritz Leuenberger a présenté à la presse le rapport final « Perspectives énergétiques pour 2035 » publié par l’Office fédéral de l’énergie (OFEN) en janvier. L’étude propose quatre scénarii correspondant à quatre stratégies énergétiques distinctes. La consommation d’énergie étant essentiellement tributaire de l’évolution de l’économie, les auteurs planchent sur une croissance du PIB de 35% d’ici à 2035. Le premier scénario, dit « Statu quo », correspond à la poursuite de la politique actuelle. En fonction d’une croissance annuelle de 2% de la consommation globale d’énergie et de 29% de celle d’électricité d’ici à 2035, il en résulterait une pénurie évaluée à 22 terawattheures (tWh), soit 36% de la demande actuelle. Pour combler ce manque, il serait nécessaire de construire deux centrales nucléaires ou sept centrales à gaz supplémentaires. Le deuxième scénario intitulé « Collaboration renforcée » consiste en l’instauration d’un système de taxes modérées sur le CO2, les combustibles fossiles et l’électricité censé permettre de promouvoir les énergies renouvelables à hauteur de 330 millions de francs/an et l’amélioration de l’efficacité énergétique pour un montant de 200 millions/an. À l’horizon 2035, la consommation devrait baisser de 4%, mais celle d’électricité croître de 22%, de telle sorte que la pénurie s’élèverait à 18,6 tWh. Il faudrait par conséquent recourir à deux centrales nucléaires ou cinq usines à gaz supplémentaires. Le scénario « Nouvelles priorités » procède en fonction d’objectifs précis : atteindre 24% d’énergies renouvelables dans le secteur de la chaleur, 10% dans celui des carburants, et réduire de 34% les émissions de CO2. Les mesures prévues sont une taxe élevée sur les carburants fossiles (doublement du prix final) et l’électricité (hausse du prix final de 30%). La consommation globale baisserait ainsi de 14%, tandis que celle d’électricité augmenterait de 13%. Le manque de 13 tWh devrait être compensé par une centrale nucléaire ou quatre centrales à gaz. Enfin, le scénario « Société 2000 Watts » poursuit des objectifs plus drastiques : une réduction de moitié des émissions de CO2, de 30% de la consommation globale et de 2% de celle d’électricité. Une combinaison de taxes très élevées et de prescriptions très strictes en matière de consommation en tous domaines (véhicules, appareils et bâtiments) permettrait de ramener la pénurie à 5 tWh.
Le clivage traditionnel droite/gauche, pro/anti-atome, n’a rien perdu de sa saillance et aucune base commune aux partis gouvernementaux n’est ressortie des
Entretiens de Watteville. Pour prévenir la pénurie qui menace le pays dès 2012, mais de façon certaine à l’horizon 2020, le
PRD préconise la construction de deux nouvelles centrales nucléaires, le raccourcissement de la procédure d’autorisation et la promotion des énergies alternatives. Il exclut par contre le recours à des usines à gaz en raison de l’importance de leurs émissions de CO2.
L’UDC plaide également pour de nouvelles centrales nucléaires, mais souligne que la Confédération doit laisser faire l’économie privée et se limiter à l’établissement de conditions cadres favorables et à garantir l’indépendance énergétique du pays. Plus réservé, le
PDC n’exclut pas le recours aux centrales à gaz et laisse également ouverte l’option nucléaire. Le
PS, quant à lui, rejette toute nouvelle centrale nucléaire et soutient une stratégie de promotion massive des énergies alternatives et d’amélioration de l’efficacité énergétique. Il convient cependant de relever que la droite suit exceptionnellement une stratégie distincte des
grands groupes énergétiques (EOS, AXPO, FMB, etc.), qui ont conservé au gaz un rôle important dans leurs options stratégiques
[1].
Le Conseil fédéral ne fait pas preuve de plus d’unanimité à la veille de sa séance du 21 février consacrée à la stratégie énergétique de la Confédération, chaque conseiller défendant les options de son parti. Le collège gouvernemental est néanmoins parvenu à un compromis sur les grandes lignes de la stratégie énergétique à moyen et long terme. Il ne s’est cependant pas déterminé sur les mesures concrètes proposées par le ministre de l’énergie sur la base du scénario « Nouvelles priorités » de l’OFEN. Il a par contre entériné quatre objectifs stratégiques : l’amélioration de l’efficacité énergétique, le développement des énergies renouvelables, la garantie de l’approvisionnement électrique par la construction de nouvelles installations et la formulation d’une politique extérieure en matière énergétique. Convaincu de la nécessité de construire de nouvelles centrales nucléaires, le Conseil fédéral n’en a pas pour autant exclu les usines à gaz comme solution transitoire jusqu’en 2020, date probable d’entrée en fonction d’une nouvelle installation nucléaire. Toutefois, cette option est soumise à l’exigence pour les entreprises électriques de compenser totalement les émissions de leurs installations décidée par le parlement (cf. infra, Produits pétroliers et gaz). Enfin, le collège a confié au DETEC la tâche de lui présenter un plan d’action proposant des mesures concrètes pour réaliser les objectifs ainsi définis d’ici à la fin de l’année en cours.
La réaction de la presse fut très mitigée entre la satisfaction que le gouvernement soit parvenu à un compromis et la déception qu’il ait privilégié une solution peu innovante. Les
partis bourgeois se sont montrés satisfaits, tandis que
le PS et les Verts ont réaffirmé leur refus de toute nouvelle centrale nucléaire. Les Verts ont notamment rappelé leur objectif à long terme de faire de la Suisse une « société 2000 watts », c’est-à-dire dans laquelle chaque personne ne consomme que 2000 watts par an, contre 6000 actuellement. Les entreprises de la branche électrique se sont pour leur part dites satisfaites, alors que les organisations environnementales ont exprimé de vives critiques. Les jeunesses du PDC, du PRD, du PS, de l’UDC et des Verts ont par ailleurs adopté une prise de position commune pour exprimer leur refus des centrales à gaz
[2].
Année électorale aidant, les partis politiques n’ont pas attendu que le DETEC présente son plan d’action pour proposer des mesures visant, selon les options partisanes, à promouvoir un type d’énergie au détriment d’un autre. Par voie parlementaire, le PRD et l’UDC se sont faits porte-parole du lobby nucléaire par leurs efforts pour préparer la voie pour la construction de nouvelles centrales, notamment par la disqualification de la solution des usines à gaz et la promotion de l’indépendance énergétique. À l’inverse, le PS, les Verts et les évangéliques ont proposé des mesures en faveur des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique, tout en essayant de faire obstacle à l’option nucléaire. Le Conseil national a adopté deux motions du groupe radical. La première charge le Conseil fédéral de présenter à l’Assemblée, dans un délai de six mois, un
rapport sur les divers moyens de combler les insuffisances de l’approvisionnement électrique sans hausse des émissions de CO2, tout en garantissant l’indépendance énergétique du pays. La seconde exige du gouvernement qu’il prenne les dispositions nécessaires afin de
moderniser et rééquiper les centrales nucléaires existantes. Le résultat du vote (105 voix contre 66) montre clairement l’opposition frontale entre la droite et la gauche sur la question nucléaire. La Chambre basse a en outre approuvé, par 101 voix contre 71, une motion du conseiller national Keller (udc, ZH) confiant au gouvernement la tâche
d’inciter l’industrie de l’électricité à planifier sans délai jusqu’au stade décisionnel les centrales nucléaires nécessaires à l’approvisionnement du pays. Partant des mêmes considérations que les motions radicales, le motionnaire a fait valoir que, la faisabilité du stockage final des déchets radioactifs étant acquise, plus rien ne s’oppose à la construction de nouvelles centrales
[3].
Le PS et les Verts ont lancé plusieurs
attaques contre l’option nucléaire, toutes neutralisées par la majorité bourgeoise du Conseil national. Le groupe écologiste a ainsi vainement proposé un moratoire de dix ans sur l’octroi d’autorisations pour la construction de centrales nucléaires, tandis que le socialiste bâlois Rechsteiner a demandé que le Conseil fédéral garantisse que toute nouvelle autorisation serait soumise au référendum facultatif. La motion du groupe socialiste pour l’instauration d’une responsabilité civile illimitée pour les exploitants de nouvelles installations a également été balayée. Le Conseil des Etats a toutefois transmis au Conseil fédéral un postulat Ory (ps, NE) demandant un
rapport complet sur les coûts réels de l’énergie nucléaire, c’est-à-dire l’ensemble des coûts engendrés par la construction, l’entretien, l’exploitation et le démantèlement des centrales, afin d’évaluer précisément l’option nucléaire dans le cadre de l’élaboration de la stratégie énergétique de la Suisse à moyen et long terme
[4].
[1]
NZZ et
LT, 1.2.07;
BaZ, 3.2.07; presse du 17.2.07; OFEN,
communiqué de presse, 16.2.07; cf.
APS 2006, p. 136 s.
[2]
BaZ, 21.2.07; presse du 22.2.07;
LT, 24.2.07 (jeunesses).
[3]
BO CN, 2007, p. 503 (motions radicales) et 504 (motion Keller).
[4]
BO CN, 2007, p. 495 (groupe des Verts et Rechsteiner) et 497 (groupe socialiste);
BO CE, 2007, p. 70 s.;
NZZ, 17-18.2.07. Concernant la révision de la LRCN, cf. infra Energie nucléaire.
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