Année politique Suisse 2008 : Infrastructure, aménagement, environnement / Protection de l'environnement / Protection des sites et de la nature
À la suite du Conseil des Etats l’année précédente, le Conseil national s’est saisi du message du Conseil fédéral concernant
l’initiative populaire « Droit de recours des organisations: Assez d’obstructionnisme – Plus de croissance pour la Suisse! ». Au terme d’un débat long et passionné, la chambre du peuple s’est ralliée de justesse à celle des cantons en recommandant, par 88 voix contre 84 et 12 abstentions, le rejet de l’initiative sans contre-projet. La majorité, issue des rangs socialistes, écologistes et PDC-PEV, a jugé que les précisions apportées par le parlement lors de la révision du droit de recours de 2006 avaient permis d’éliminer les risques d’abus. Elle a par conséquent estimé que les restrictions proposées par les initiants étaient excessives, au point de mettre en péril l’application du droit de l’environnement. À l’inverse, les groupes PRD et UDC, quasi unanimes, ont vainement plaidé pour l’immunisation des décisions parlementaires et populaires contre le droit de recours. En votation finale, les chambres ont confirmé leur décision, respectivement par 94 voix contre 90 et 10 abstentions et par 30 voix contre 9 et 3 abstentions
[30].
Dans la foulée, le Conseil national a décidé tacitement de ne pas donner suite à une initiative parlementaire Ernst Schibli (udc, ZH) demandant la
suppression pure et simple du droit de recours des associations. Le Conseil des Etats a quant à lui décidé, par 24 voix contre 13, de ne pas donner suite à l’initiative cantonale zurichoise exigeant également la suppression de ce droit de recours
[31].
À l’issue des délibérations parlementaires et après plusieurs semaines de tractations au sein du PRD, le comité d’initiative, présidé par la conseillère nationale Doris Fiala (prd, ZH) a décidé de maintenir son texte. Le Conseil fédéral ayant fixé la date du scrutin au 30 novembre, la
campagne a débuté dès la rentrée de septembre et s’est principalement déroulée sur deux fronts. En effet, l’initiative n’a pas seulement opposé le camp réunissant socialistes, écologistes et démocrates-chrétiens, privilégiant l’environnement, à la droite radicale-libérale et UDC, plaidant pour la primauté de l’économie. Si elle devait permettre au PRD de se poser comme « le parti de l’économie », elle a également, voire surtout, causé sa division
[32].
Du côté des
partisans de l’initiative, on a retrouvé les alliés habituels sur les enjeux économiques, à savoir le PRD, l’UDC, le PLS, l’UDF, le PBD, ainsi que Economiesuisse et l’USAM. Les partisans ont considéré que le droit de recours ralentit les projets de construction et accroît leur coût, quand il ne les fait pas échouer. Des équipements et infrastructures essentielles au développement économique des régions et du pays sont ainsi sous la menace constante du droit de recours. En ce sens, il constitue un obstacle à la croissance économique. De plus, estimant que le droit de recours place les associations au dessus du parlement et du peuple, puisqu’il leur permet de contester les décisions de ceux-ci en justice, les partisans de l’initiative ont jugé qu’il leur confère un pouvoir excessif, incompatible avec la tradition démocratique suisse
[33].
Le camp des
opposants était quant à lui constitué d’un comité de gauche (PS, Verts, PdT) et d’un comité du centre (PDC, PCS, PEV, Verts libéraux), ainsi que des organisations de protection de l’environnement (ATE, Greenpeace, WWF, Pro Natura, Initiative des Alpes, etc.), de Travailsuisse et de l’USS. Il a fait valoir que le droit de recours des associations permettait de faire respecter le droit de l’environnement. Il a également souligné que le droit de recours exercé contre une décision d’un organe de l’Etat était une composante essentielle de l’Etat de droit, puisqu’il garantit que personne, pas même les titulaires du pouvoir politique, n’est au-dessus de la loi. Les organisations écologistes ont par ailleurs balayé le reproche des initiants selon lequel les recours ne visaient qu’à faire obstacle aux projets afin de négocier des concessions ou, pire, des dédommagements financiers. Elles ont en effet publié une synthèse chiffrée de leurs activités judiciaires au cours de l’année 2007 dont il ressort que les associations ont obtenu partiellement ou totalement gain de cause dans plus de 70% des cas où elles ont déposé un recours et n’ont perdu que dans 16% des cas. Les opposants en ont tiré l’argument de la légitimité du droit de recours et de son usage raisonnable par les associations, rejetant l’accusation d’obstruction sur les particuliers
[34].
La campagne a été marquée dès son démarrage par la
division du PRD. Déjà lors des débats aux chambres, plusieurs élus radicaux s’étaient distanciés du parti, estimant l’initiative excessive et contraire à l’Etat de droit. Fer de lance du comité d’initiative, la conseillère nationale Doris Fiala (prd, ZH) a d’ailleurs vertement critiqué les quatre radicaux qui s’étaient abstenus lors du premier vote à la chambre basse, les jugeant responsables de l’échec au parlement. Signe des vives tensions internes au parti, la direction a décidé que l’assemblée des délégués voterait à bulletin secret pour déterminer le mot d’ordre du parti, de sorte à protéger les minoritaires. À l’issue du vote, les délégués ont décidé de soutenir l’initiative par 142 voix contre 57 et 17 abstentions. Loin de se résigner, les minoritaires, soit dix parlementaires fédéraux, des anciens conseillers aux Etats et la section genevoise du PRD ont mené une campagne très active
[35].
La campagne a également été marquée par la
mobilisation de la corporation quasi unanime des professeurs de droit public
contre l’initiative. Quarante-cinq d’entre eux ont en effet signé une prise de position commune, diffusée par voie de presse, appelant à rejeter l’initiative au nom de l’Etat de droit. Les signataires ont souligné que, dans un Etat de droit, le peuple et les législatifs sont tenus de respecter le droit. Ils ont par conséquent jugé « inadmissible » que des décisions communales ou cantonales soient soustraites au contrôle judiciaire de leur conformité au droit supérieur, qu’il soit cantonal ou fédéral. Les juristes ont en outre pesé dans la campagne à travers la publication des résultats d’une étude commandée par l’OFEV au Centre d’étude, de technique et d’évaluation législatives de l’Université de Genève (CETEL). Selon cette étude, les associations écologistes ont obtenu gain de cause dans 61,2% des cas traités par le Tribunal fédéral entre 1996 et 2007. Plus précisément, les associations ont un taux de succès de 53,7% lorsqu’elles font recours et de 76,9% lorsqu’elles sont assignées en justice par des tiers. Outre ce taux de succès, jugé élevé par l’OFEV, l’étude a mis à mal la thèse des initiants d’un abus du droit de recours par les associations. En moyenne annuelle, la fréquence à laquelle les juges de Mon Repos doivent trancher de telles affaires est en effet de 10,1 recours par an, dont 6,8 interjetés par les associations, soit une proportion extrêmement faible de l’activité du Tribunal fédéral
[36].
Initiative populaire « Droit de recours des organisations: Assez d’obstructionnisme – Plus de croissance pour la Suisse ! »
Votation du 30 novembre 2008
Participation : 47,2%
Oui : 773 467 (34,0%) / cantons : 0
Non : 1 501 766 (66,0%) / cantons : 20 6/2
Mots d’ordre :
– Oui : PRD (4*), UDC, PLS, UDF et PBD ; USAM, Economiesuisse.
– Non : PDC (3*), PCS, PS, Verts, PEV, PdT, Verts libéraux ; USS, Travail suisse, ATE, WWF, Greenpeace, Pro Natura.
* Recommandations différentes des partis cantonaux
En votation, l’initiative populaire « Droit de recours des organisations: Assez d’obstructionnisme – Plus de croissance pour la Suisse! » a été
rejetée par 66% des citoyennes et citoyens et par tous les cantons. Le taux de participation s’est élevé à 47,2%. Le rejet a été particulièrement net en Suisse romande (à l’exception du Valais) et dans les cantons de Berne et Bâle-Ville. Il est intéressant de souligner que même dans le canton de Zurich, où l’initiative est pourtant née, elle a été balayée par 61,8% des votants
[37].
Selon
l’analyse VOX, ce vote a montré un net fossé entre la gauche et la droite, le comportement des votants coïncidant avec les recommandations des partis auxquels ils s’identifient. Demi surprise, les sympathisants de l’UDC ont plus fortement soutenu l’initiative que les sympathisants du PRD (60 contre 53%). Moins surprenant, l’importance accordée à l’environnement par rapport à la croissance économique a coïncidé avec le comportement à l’urne. Mais le résultat le plus troublant de l’analyse VOX concerne le degré de compréhension de l’objet soumis à votation. Seul un tiers des sondés a pu se rappeler qu’il s’agissait d’une restriction du droit de recours des organisations. Plus remarquable encore, un tenant du « oui » sur cinq était apparemment hostile à cet objet (d’après les motifs invoqués). Ce phénomène a également été observé dans le camp adverse pour 9% des tenants du « non », de telle sorte que l’analyse a conclu que « l’effet des faux-votants » était quasi nul. Concernant les arguments mentionnés par les sondés pour justifier leur vote, les partisans de l’initiative ont principalement invoqués les usages abusifs du droit de recours par les organisations de protection de l’environnement. Cependant, une majorité des sondés, indépendamment de leur vote en faveur ou contre l’initiative, a estimé non seulement que le droit de recours des organisations avait fait ses preuves mais également que les organisations devaient pouvoir porter plainte en cas de violation des lois en vigueur
[38].
À la suite du Conseil des Etats l’année précédente, le Conseil national a adopté tacitement une motion Hofmann (udc, ZH), chargeant le Conseil fédéral
d’adapter l’ordonnance relative à l’étude d’impact sur l’environnement (EIE) à la modification de la loi sur la protection de l’environnement entrée en vigueur en 2007. Cette modification portait notamment sur la hausse des valeurs-seuils des installations soumises à une EIE
[39].
[30]
FF, 2007, p. 4119 ss.;
BO CN, 2008, p. 208 ss., 260 ss., 284 ss et 485 s.;
BO CE, 2008, p. 208;
FF, 2008, p. 2051 s. Cf.
APS 2007, p. 200 s.
[31]
BO CN, 2008, p. 292;
BO CE, 2008, p. 198 ss.
[33] Presse du 30.6.08;
LT, 9.10.08.
[34]
NZZ et
TA, 29.3.08 (organisations); presse du 30.6.08 (PS et PDC);
LT, 4.10.08 et
NZZ, 8.10.08 (comité de gauche);
Lib., 11.11.08 (comité bourgeois).
[35] Presse du 30.6.08. Les parlementaires, anciens et actuels, qui se sont engagés contre l’initiative étaient Christine Egerszegi (AG), Erika Forster (SG), Kurt Fluri (SO), Rolf Büttiker (SO), Dick Marti (TI), Olivier Français (VD), Hugues Hiltpold (GE), Corina Eichenberger (AG), Christa Markwalder (BE), Peter Malama (BS), Thomas Pfisterer (AG), Thierry Béguin (NE), Gilles Petitpierre (GE) et René Rhinow (BS) (
NZZ, 28.8.08;
Lib., 31.10.08;
LT, 4.11.08).
[36]
LT,
NZZ et
TA, 28.8.08 (prise de position commune);
LT et
Lib., 31.10.08 (CETEL).
[37]
FF, 2009, p. 499 ss.; presse du 1.12.08.
[38] Krömler, Oliver / Milic, Thomas / Rousselot, Bianca,
Analyse des votations fédérales du 30 novembre 2008, Berne et Zurich 2009.
[39]
BO CN, 2008, p. 293. Cf.
APS 2007, p. 201.
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