Année politique Suisse 2009 : Chronique générale / Politique étrangère suisse / Europe: UE
Au mois de février, le peuple a approuvé par 59,6% des voix la reconduction de l’accord sur la libre circulation des personnes
Suisse-UE et sur
son extension aux nouveaux membres de l’UE, la Bulgarie et la Roumanie. La participation a été supérieure à la moyenne avec un taux de 51%, comme c’est habituellement le cas lors de votations sur la politique étrangère. Pour l’essentiel, l’accord sur la libre circulation permet aux travailleurs de l’espace Schengen de pouvoir chercher et accepter sans restriction un emploi dans les autres Etats. Il a été approuvé par le peuple en 2000 et était valable jusqu’à l’année sous revue. En 2008, le parlement a adopté un arrêté comportant l’extension aux nouveaux membres (Roumanie et Bulgarie) et la reconduction définitive de l’accord sur la libre circulation. Le référendum a été lancé par la Lega dei Ticinesi et les Démocrates suisses. Ces derniers ont été rejoints pendant la campagne par les jeunes UDC, puis par l’UDC.
La campagne a été très intense mais très courte (huit semaines), de multiples comités et sous-comités autonomes se sont créés et de nombreuses personnalités se sont fortement engagées, tel Joseph Deiss qui est sorti de la retenue traditionnelle des anciens conseillers fédéraux et a adhéré au camp du oui. Seuls les DS, la Lega, l’UDC, l’UDF, le PdT et l’ASIN ont recommandé de rejeter cet accord. Tous les autres partis, les associations patronales et les syndicats ont recommandé son approbation. Plus particulièrement, la campagne a vu l’UDC se déchirer entre les représentants de l’économie et la majorité de ses délégués. Plus du tiers du groupe parlementaire s’est ainsi opposé à la direction du parti qui prônait le refus de l’accord et de multiples initiatives contradictoires sont sorties de ses rangs. Le président de l’Union suisse des paysans Hansjörg Walter (udc, TG) et l’entrepreneur Peter Spuhler (udc, TG) ont fortement milité pour le oui. Après s’être opposé au référendum, Christoph Blocher, vice-président de l’UDC, a créé son propre comité des arts et des métiers pour faire campagne contre l’accord et pour tenter de court-circuiter les milieux économiques. La campagne a été particulièrement virulente avec l’attaque frontale de Micheline Calmy-Rey par l’ASIN, l’exercice de pressions sur la section cantonale thurgovienne de l’UDC et d’une campagne de désinformation sur internet. Parallèlement, l’ambassadeur de l’UE à Berne a déclaré que les 27 ne pouvaient pas présenter de meilleure variante d’accord en cas de refus de la population suisse, et des fonctionnaires européens ont prédit des conséquences négatives pour la Suisse en cas de rejet.
La grande partie des opposants a estimé que l’accord aurait pour conséquences un pillage des institutions sociales par les immigrants sans travail profitant d’un système social attractif, une aggravation de la criminalité étrangère par une immigration massive et une augmentation du chômage. Certains d’entre eux ont également considéré que la votation était antidémocratique car elle ne permettait pas de se prononcer sur les deux volets de l’arrêté fédéral de manière distincte. Ils affirmaient encore qu’un rejet de l’accord n’entraînerait pas l’activation automatique de la clause guillotine (dénonciation de l’ensemble des accords des bilatérales I si l’un des accords est dénoncé), que le parlement pouvait reconduire l’accord sur la libre circulation tout en excluant son extension et que le Conseil fédéral avait la possibilité de relancer des négociations avec l’UE ce concernant. Ainsi, ils s’opposaient essentiellement à l’extension à la Roumanie et à la Bulgarie et non pas à la reconduction de l’accord en soi. D’autres opposants issus des milieux de gauche ont jugés que l’accord entraînerait un effet de dumping salarial malgré les mesures d’accompagnement. Ils ont effectivement considéré la libre circulation comme synonyme de libre exploitation des personnes au vu des restrictions à l’application des conventions collectives émises par la Cour européenne de justice. Un comité ouvrier, essentiellement romand, a ainsi été créé pour recommander le non. Certains pro-européens s’opposaient finalement à la continuation de la voie bilatérale afin de pousser à une vraie adhésion.
Les partisans ont eux estimé qu’un refus de cet accord entraînerait la dénonciation des accords bilatéraux avec l’UE en raison de l’automaticité de l’application de la clause guillotine. Ils ont jugé que l’abrogation des bilatérales I créerait une incertitude présentant un danger pour les salaires et les places de travail, l’UE étant le plus grand partenaire commercial de la Suisse, et mettrait ainsi le pays en position de faiblesse pour de nouvelles négociations, les nouveaux arrivants dans l’UE n’étant pas aussi bien disposés envers la Confédération que ne l’était le noyau originel. Les partisans se sont présentés en ordre dispersé. Plus particulièrement, les milieux économiques ont insisté sur les avantages dont la Suisse avait bénéficié avec la libéralisation du marché du travail et l’accès privilégié aux marchés européens, ainsi que sur les dangers d’une abrogation des bilatérales I pour l’économie d’exportation. Les milieux de gauche ont considéré que les accords bilatéraux avaient permis la mise en place de mesures d’accompagnement qui protégeaient efficacement les travailleurs en étendant les mesures de contrôle et l’application des conventions collectives nationales de travail (CCNT).
Le 8 février, le peuple a aisément
accepté par près de 60% des voix la reconduction et l’extension de la libre circulation. Tous les cantons l’ont accepté sauf le Tessin, Schaffhouse, Appenzell Rhodes-Intérieures et Glaris. D’autre part, l’acceptation a été plus forte en Suisse romande et dans les villes
[15].
« Libre circulation des personnes Suisse-UE »
Votation du 8 février 2009
Participation : 51%
Oui : 1 517 132 (59,6%)
Non : 1 027 899 (40,4%)
Mots d’ordre :
– Oui : PS, PLR, PDC, PE, PEL, PEV (2*), PBD, PCS ; Economiesuisse, USP, USAM, USS, UCAPS, UPS.
– Non : UDC (1*), PdT, DS, Lega, UDF, PDL ; ASIN.
* Recommandation différente des partis cantonaux.
L’analyse VOX a montré que la confiance placée dans le Conseil fédéral a été l’élément le plus important dans le choix des votants. Les personnes qui lui faisaient confiance ont approuvé l’accord à 83%, alors que celles qui s’en méfiaient l’ont accepté à 25%. Les sympathies partisanes ont également joué un rôle important. Les sympathisants du PDC, du PLR et du PS ont ainsi suivi les recommandations de leur parti respectivement par 75%, 77% et 80% des voix. Ceux de l’UDC ont fait de même à 94%, rejetant massivement l’accord. Finalement les personnes non alignées sur un parti se sont exprimées en faveur de l’accord à 69%, soit presque 10% de plus que la moyenne nationale. Par ailleurs, l’appartenance gauche-droite a entraîné des répercussions moins fortes que les sympathies partisanes. Ainsi, l’approbation a été plus forte parmi les votants de gauche (91%) et d’extrême gauche (77%). Les votants se classant au centre ont approuvé l’accord par 64%, ceux s’estimant à droite l’ont fait à 46% et ceux de l’extrême droite à 21 %. La position par rapport aux étrangers a pesé également de manière importante sur la décision des électeurs. Les tenants d’une politique égalitaire à leur encontre ont soutenu massivement l’accord (83%), ceux qui donnaient une préférence nationale l’ont majoritairement rejeté (70%). Les caractéristiques sociales et économiques ont eu un faible impact sur l’issue de la votation. Toutefois, les catégories urbaines, matériellement aisées et issues de hautes écoles ont approuvé cet accord de manière plus nette. Finalement, la Suisse romande l’a approuvé à 66%, la Suisse alémanique à 59% et la Suisse italienne à 34%
[16].
Au mois de mai, le Conseil fédéral a renoncé à utiliser la
clause de sauvegarde de l’accord sur la libre-circulation qui permet de réintroduire des quotas lorsque l’immigration est trop importante. L’UDC a été le seul acteur politique à soutenir le retour au contingentement tandis que les cantons et les milieux économiques se sont opposés à ce retour administrativement lourd. Par la suite, un rapport des autorités fédérales a tenté de montrer que la libre circulation a renforcé la croissance économique en Suisse, sans pour autant établir de lien clair avec l’augmentation du chômage des résidents suisses. Au mois de novembre, le chômage a dépassé les 4%. Le gouvernement a alors déclaré qu’il s’était initialement attendu à plus de retour des citoyens européens. Doris Leuthard a estimé que le Conseil fédéral avait fait une erreur en n’activant pas la clause de sauvegarde. Le président du PS, Christian Levrat (ps, FR), a lui insisté sur la question des problèmes de certaines régions frontalières et sur le besoin d’augmenter les mesures d’accompagnement en faveur des travailleurs. Christoph Blocher a lui dénoncé l’accord sur la libre circulation et a affirmé que l’augmentation du chômage en était la conséquence. Ainsi, le groupe parlementaire UDC a adopté une motion exigeant des restrictions de la libre circulation et de nouvelles négociations avec l’UE. Les autres partis et le gouvernement n’ont pas envisagé de remettre l’accord en question
[17].
Au mois de juin, le Conseil fédéral a présenté son message concernant la
contribution de la Suisse en faveur de la Bulgarie et de la Roumanie au titre de réduction des disparités économiques et sociales dans l’UE élargie. Il a estimé qu'il existait des avantages économiques, politiques et culturels à l'extension des accords bilatéraux européens à ces deux pays. Ainsi, il a proposé au parlement de soutenir l'UE dans ses efforts pour atténuer les disparités économiques et sociales de ces deux pays avec l’ouverture d’un crédit-cadre de 257 millions de francs non remboursable pour une période de 5 ans. La DDC et le SECO se verraient confier la mise en œuvre du projet. Au
Conseil national, la CPE-CN a recommandé d'adopter le projet du Conseil fédéral par 14 voix contre 7. Une proposition de ne pas entrer en matière Stamm (udc, AG), soutenue en bloc par l’UDC, a été refusée par 108 voix contre 51. Le député estimait qu'il n'était pas du devoir de la Suisse de réduire les disparités de l'UE et qu’il y avait de grands risques que l’argent investit disparût dans la corruption. La majorité du conseil a elle considéré que la stabilité et la prospérité au sein de l’UE servaient les intérêts helvétiques et permettaient d’améliorer l’accès des exportations suisses aux marchés d’Europe de l’Est. De plus, elle a souligné que la DDC et le SECO avaient les outils nécessaires pour garantir le bon acheminement des investissements proposés. Une fois l’entrée en matière acquise, une proposition de minorité Schlüer (udc, ZH) a été rejetée par 112 voix contre 52 malgré le soutien du groupe UDC. Cette minorité proposait de conditionner la libération du crédit à la réfutation par l’UE de ses propres accusations de corruption et à la libération de tous les fonds européens bloqués destinés à ces deux pays. Une autre proposition de minorité Hans-Jürg Fehr (ps, SH) de consacrer 10% de la contribution aux communautés roms de Roumanie et de Bulgarie a été refusée par 109 voix contre 56. Cette proposition n’a été soutenue que par les socialistes et les écologistes. Au vote final, le Conseil national a adopté le projet par 113 voix contre 52. Le groupe UDC s'est opposé en bloc au projet. Au
Conseil des Etats, la commission de politique extérieure (CPE-CE) a recommandé à l’unanimité d'adopter le projet. Le plénum l’a suivie par 34 voix contre 2
[18].
[15]
FF, 2009, p. 1429 s. (résultats); presse du 3.1 au 9.2.09. Voir
APS 2008, p. 64 ss.
[16] Hirter, Hans / Linder, Wolf,
Analyse VOX de la votation populaire du 8 février 2009, Berne 2009. Voir
APS 2008, p. 64 ss.
[17]
TG, 14.5.09;
LT, 20.5.09;
NZZ, 22.5.09;
Bund, 3.7.09 (rapport); presse des mois de novembre et décembre 2009.
[18]
FF, 2009, p. 4339 ss.;
BO CN, 2009, p. 1328 ss.;
BO CE, 2009, p. 1207 ss.;
NZZ, 8.9.09.
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