Année politique Suisse 2011 : Chronique générale
Résumé
En 2011, la politique suisse était placée sous le signe des élections fédérales. Pour la première fois depuis 1991, l’UDC n’a plus progressé. Le parti a perdu 2,3% en parts de suffrages, mais, grâce à ses 26,6%, est resté de loin la plus grande formation au sein du Conseil national. Les Vert’libéraux et le PBD sont sortis grands vainqueurs du scrutin. Les deux partis sont parvenus à convaincre respectivement 5,4% de l’électorat. Le succès de ces deux jeunes formations s’explique par leur nouveauté. Ces gains ne sont qu’en partie attribuables aux pertes de l’UDC. Cette dernière a en effet perdu moins d’électeurs que le PBD, issu d’une scission avec l’UDC, n’a réussi à mobiliser. Ce sont plutôt le PLR et le PDC qui ont subi des pertes douloureuses. La force électorale de ces deux partis s’établit désormais à des niveaux historiquement bas (15,1% et 12,3%). Les Verts (-1,2%) ont, quant à eux, souffert du succès des Vert’libéraux en perdant, par les aléas de la proportionnelle, un quart de leurs députés au Conseil national. En revanche, le PS a été chanceux. Malgré de légères pertes par rapport à 2007 (-0,9%), les socialistes ont gagné deux sièges. Le Mouvement des Citoyens Romands (MCR) a fait son entrée au parlement en attisant avec succès les ressentiments envers les frontaliers. Cela s’applique tout autant à la Lega, qui détient de nouveau deux sièges à Berne. Le PEV est parvenu à maintenir ses deux sièges. Par contre, l’UDF ainsi que le PST-POP ne sont plus représentés à Berne. Ce dernier détenait pourtant, depuis 1947, au moins un mandat au sein de la chambre du peuple. Dans l’ensemble, les élections 2011 ont abouti à un léger report des forces vers le centre, qui s’est cependant fortement fractionné.
Afin de pourvoir les sièges du Conseil des Etats, des deuxièmes tours ont eu lieu dans pas moins de 13 cantons. Cela était en particulier attribuable au fait que l’UDC avait lancé une attaque sur la chambre des cantons en misant sur des personnalités connues. Le parti est non seulement parvenu à faire de la campagne, traditionnellement calquée sur la représentation cantonale, un événement national avec une mise en avant de la politique des dossiers, mais aussi à rendre les scrutins plus concurrentiels, entraînant ainsi des résultats plus serrés dans la plupart des cantons. En revanche, l’UDC a nettement échoué dans son objectif de gagner du terrain au Conseil des Etats. Sa stratégie, consistant à gagner ces élections au scrutin majoritaire grâce à des personnalités adhérant à la ligne dure de parti, n’a pas fonctionné. L’UDC a même dû céder deux mandats. Au sein de la chambre des cantons, le camp rouge-vert a légèrement progressé. Le PS est sorti vainqueur des élections au Conseil des Etats en parvenant à gagner deux sièges. Les socialistes en détiennent désormais 11, ce qui les place au même niveau que le PLR (-1 siège). Malgré la perte de deux sièges, le PDC demeure, avec ses 13 sièges, le plus grand groupe au Conseil des Etats. Les Verts et les Vert’libéraux ont réussi à maintenir leurs deux mandats respectifs et le PBD son siège dans le canton de Berne. En plus de ces 6 formations, le Conseil des Etats compte avec Thomas Minder, l’auteur de l’initiative populaire contre les rémunérations abusives, un membre sans appartenance politique.
Pour ce qui est du nombre des listes déposées (365) et le nombre de candidats au Conseil national (3472) et au Conseil des Etats (152), les élections 2011 ont établi de nouveaux records. La participation (48,5%) s’est également inscrite en légère progression. Néanmoins, la proportion de candidates a diminué. Alors que 35,2% de femmes s’étaient portées candidates en 2007, elles ne représentaient plus que 32,8% en 2011. Ce recul s’est répercuté sur le taux de femmes au sein du parlement. Celui-ci a diminué pour la première fois depuis l’introduction du vote des femmes en 1971. Au Conseil national et au Conseil des Etats, les femmes ont respectivement perdu un siège. Au total, elles détiennent encore 67 des 246 sièges.(27,2% contre 28% en 2007).
Les pertes de sièges subies par l’UDC, la procédure peu professionnelle du parti quant à la sélection de ses candidats et le refus des autres partis de recourir à un changement dans la composition des partis représentés au gouvernement, ont conduit à la réélection d’Eveline Widmer-Schlumpf, la Conseillère fédérale du PBD. L’UDC, le parti le plus fort au parlement, n’est donc représenté que par un Conseiller fédéral. Pour ce qui est du PS, c’est Alain Berset, le Conseiller aux Etats fribourgeois, qui a été élu au Conseil fédéral en remplacement de Micheline Calmy-Rey.
Deux événements internationaux ont eu une grande influence sur la politique suisse: la catastrophe nucléaire survenue à Fukushima (Japon) et la crise dans la zone euro. Les événements au Japon ont été à l’origine d’un tournant de la politique énergétique suisse visant désormais une sortie progressive de l’énergie nucléaire. Le Conseil fédéral a esquissé une nouvelle Stratégie énergétique 2050 à cet égard. Plusieurs partis ont lancé des scénarios de sortie du nucléaire et 20'000 personnes ont protesté contre cette technologie en mai. La crise économique, qui constitue selon les sondages la préoccupation majeure de la population suisse, a eu néanmoins un impact moins important que prévu. Le taux de chômage a ainsi diminué de 3,9% à 3,1% en moyenne annuelle. Contrairement à la plupart des autres pays européens, la situation budgétaire n’a pas donné lieu à des préoccupations. La Confédération a bouclé l’année 2011 par un excédent budgétaire de 1,9 milliards de francs. Toutefois, le secteur exportateur a souffert du franc fort, ce qui a entraîné la Banque nationale suisse à introduire un taux plancher de 1,20 francs par rapport à l’euro. Par ailleurs, les chambres ont adopté un paquet de mesures de 869 millions de francs destiné à soutenir l’économie.
Bien que de nombreuses initiatives aient été lancées à l’approche des élections fédérales – pas moins de 28 projets se trouvaient au stade de la récolte des signatures fin 2011, huit avaient été déposés et 14 étaient en suspens – une seule votation fédérale a eu lieu au cours de cette année électorale. L’initiative populaire « Pour la protection face à la violence des armes » demandant une interdiction de la conservation d’armes dangereuses, une attestation de capacité à les manipuler ainsi qu’un registre central des armes à feu, a été rejetée par 56,3% des votants.
La politique étrangère s’est caractérisée par des négociations plutôt tenaces avec l’Allemagne et les Etats-Unis au sujet des accords fiscaux. Avec le voisin du nord, un accord de double imposition a été conclu. Grâce à un accord fiscal bilatéral signé par la Conseillère fédérale, Eveline Widmer-Schlumpf, et le ministre des finances allemand, Wolfgang Schäuble, le conflit en matière fiscale semblait prendre une fin provisoire. En revanche, les fronts se sont durcis pour ce qui est de la dispute liée au bruit du trafic aérien. La pression exercée par les Etats-Unis sur la place financière suisse s’est également accentuée. Un acte transactionnel destiné à mettre fin à la dispute en matière fiscale a été adopté par le Conseil des Etats à la fin de l’année sous revue. Les négociations menées avec l’Union européenne portant sur le développement de la coopération bilatérale institutionnalisée sont cependant restées bloquées.
La décision du Conseil fédéral de remplacer les avions de combat Tiger F-5 par l’achat de 22 Gripen JAS 39, produits par le constructeur suédois Saab, a causé des remous. Quelques semaines avant cet arrêté, des documents d’évaluation secrets dressant un avis plutôt défavorable au Gripen sont parvenus à la presse. Dans le cadre des délibérations parlementaires sur l’armement et sur fond du rapport de l’armée, les chambres ont pris la décision d’effectuer cette acquisition par le budget de l’armement. Celui-ci a été fixé à 5 milliards de francs. En même temps, le parlement a décidé de ne pas soumettre la transaction au référendum.
Dans plusieurs thématiques, le parlement s’est montré peu enclin au consensus. Ainsi, la modification de la loi sur l’assurance-maladie (Managed Care) et la révision de la loi fédérale sur l’encouragement du sport n’ont été acceptées qu’au bout d’une conférence de conciliation. Au total, neuf conférences de conciliation se sont tenues en 2011 (contre cinq en 2010 et sept en 2009). Les chambres ne sont pas parvenues à s’entendre sur l’initiative populaire « Accéder à la propriété grâce à l’épargne-logement ». Dans ce cas précis, les observateurs de la politique suisse ont assisté à une première. Alors que le Conseil national a suivi la recommandation de la conférence d’émettre un avis favorable à l’initiative, le Conseil des Etats a refusé de faire de même. Par conséquent, l’initiative a été soumise au peuple sans recommandation. En revanche, les chambres ont trouvé, suite à une conférence de conciliation, une solution à la problématique « too big to fail » en s’entendant sur les fonds propres minimaux dans le cadre de la révision de la loi fédérale sur les banques. A contrario, le long processus de prise de décision du parlement quant à l’initiative populaire sur les rémunérations abusives n’a pas pris fin en 2011.
Le Conseil fédéral a arrêté une réorganisation des départements. Dès 2013, le Département fédéral de l’économie (DFE) portera le nom de Département fédéral de l'économie, de la formation et de la recherche (DEFR). Le Secrétariat d'état à l'éducation et à la recherche (SER), le domaine des écoles polytechniques fédérales et l'Office fédéral de la formation professionnelle et de la technologie (OFFT) seront ainsi regroupés dans ce nouveau département. En même temps, le SER et l'OFFT fusionneront en un nouveau Secrétariat d'Etat à la formation, à la recherche et à l'innovation, le SEFRI.
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Marc Bühlmann / Traduction: Laurent Bernhard et Emilia Pasquier