Année politique Suisse 2011 : Economie / Agriculture
Politique agricole
En début d’année, l’Union suisse des paysans (USP) a considéré que la
souveraineté alimentaire helvétique est mise sous pression par la disparition d’un mètre carré par seconde de terres cultivées, par l’augmentation de la population, par l’importation des intrants nécessaires à l’agriculture et par la finitude des ressources naturelles comme l’eau. Le président, Hansjörg Walter (udc, TG), estime essentiel que le taux d’auto-approvisionnement d’un peu moins de 60% soit maintenu afin de garder le contrôle sur la qualité de l’alimentation de la population et sur l’indépendance alimentaire helvétique. L’USP a finalement souligné que la signature d’un accord de libre-échange agricole avec l’UE oriente la production suisse vers quelques rares aliments ayant un avantage comparatif, met en péril les exploitations agricoles et supprime l’indépendance alimentaire
[1].
Les chambres ont adopté une motion Bourgeois (plr, FR) chargeant le gouvernement de mettre en place une
stratégie globale
de valorisation de la biomasse, de renforcer la recherche dans le domaine et de prévoir des incitations pour son utilisation en se basant sur des critères économiques et écologiques. Le motionnaire estime que l’utilisation de la biomasse permet de répondre aux défis que posent l’augmentation de la démographie et la diminution de la surface de terres cultivables. Le Conseil national a accepté la motion par 117 voix contre 43, la moitié des radicaux et deux tiers du groupe UDC l’ont rejetée, tandis que le Conseil des Etats l’a adoptée par 20 voix contre 18
[2].
Le Conseil national a adopté une motion Schibli (udc, ZH) chargeant le gouvernement d’assurer que l’agriculture suisse soit présente dans les meilleures conditions lors de
l’exposition universelle de 2015 à Milan. Le motionnaire estime qu’au vu de la thématique de cette exposition, « Nourrir la planète, énergie pour la vie », et de la haute qualité de l’agriculture suisse, le monde agricole helvétique doit y être bien représenté
[3].
Le Conseil des Etats s’est rallié à la position du Conseil national de l’année précédente et a adopté une motion de la commission de l’économie et des redevances du Conseil national (CER-CN) visant à accorder la même importance au
respect des normes environnementales et sociales qu’à l’élimination des obstacles tarifaires dans le cadre des négociations agricoles à l’OMC ou lors d’accords internationaux
[4].
Le Conseil national a soutenu la décision du Conseil des Etats de l’année précédente et a adopté par 129 voix contre 34 une motion Bieri (pdc, ZG) chargeant le gouvernement de modifier la loi sur l’agriculture afin d’attribuer à la Confédération la tâche d’exploiter un
haras national et d’en assurer le financement. La moitié des radicaux-libéraux et un tiers des socialistes ont rejeté la motion
[5].
Suivant la proposition du Conseil des Etats datant de l’année précédente, le Conseil national a adhéré à la modification de la motion von Siebenthal (udc, BE) relative à
l’exploitation agricole des terrains en pente. Les chambres chargent dès lors le Conseil fédéral de tenir compte des conditions difficiles de cette exploitation dans le cadre du développement des paiements directs
et non plus de l’indemniser
[6].
Le Conseil des Etats a rejoint par 23 voix contre 10 la position du Conseil national de l’année précédente en adoptant la motion von Siebenthal (udc, BE) chargeant le gouvernement de ne pas instaurer de réglementation plus contraignante que celle de l’UE relativement à l’obligation d’équiper les machines et les appareils agricoles et forestiers d’un
filtre à particules
[7].
Le Conseil national a adopté un postulat Graf (pe, BL) chargeant le Conseil fédéral de soumettre un rapport relatif à la
condition des femmes dans l’agriculture. La postulante demande ainsi d’établir des données statistiques spécifiques concernant notamment le nombre d’exploitations gérées par des femmes, la part du revenu imposable des familles issue des activités agricoles des femmes, la manière de comptabiliser le travail non rémunéré des femmes dans les exploitations et la proportion de propriétaires foncières. Elle considère effectivement que le travail des femmes dans le monde agricole n’est pas reconnu et que les paysannes sont socialement, économiquement et juridiquement désavantagées. La thématique relative à la condition de la femme est abordée dans la partie I, 7d (Frauen und Gleichstellungspolitik)
[8].
Au début de l’année sous revue, Bernard Lehmann a été nommé
directeur de l’Office fédéral de l’agriculture (OFAG). Ancien collaborateur de l’Union Suisse des paysans, ingénieur agronome et chercheur à l’Institut d’économie rurale de l’EPFZ, il n’est affilié à aucun parti. Dès son entrée en fonction, il s’est montré favorable à une agriculture plus écologique, à laquelle selon lui les OGM peuvent contribuer, tout en misant sur la qualité pour la consommation nationale et pour l’exportation
[9].
L’USAM a dénoncé ce qu’elle considère comme une
concurrence déloyale des exploitations agricoles ayant diversifié leur activité notamment dans les secteurs de l’artisanat et de l’hôtellerie. L’organisation faitière estime que les exploitations paysannes bénéficient de tels avantages et soutiens que les PME ne peuvent pas concurrencer leurs offres
[10].
En fin d’année, l’OFAG a publié son
rapport agricole 2011 visant à informer sur la situation de l’agriculture et son évolution lors des vingt dernières années. Ainsi en 2010, il constate une baisse significative du revenu paysan (8,5%) et une augmentation du revenu non agricole (+0,4%) par rapport à 2009. Le revenu agricole moyen s’établit ainsi à 55 182 francs par unité de travail annuel de la famille (2009 : 60 305 francs). En ce qui concerne la balance commerciale, le volume des importations est resté stable (11,5 milliards de francs) tandis que celui des exportations a augmenté (7,8 milliards de francs, + 4%). Les exportations agricoles suisses concernent principalement des produits transformés dont la matière première n’est pas forcément produite en Suisse. L’UE est restée le partenaire commercial agricole principal représentant 62% des exportations helvétiques et 77% de ses importations. Au niveau budgétaire, la part de financement public pour l’agriculture en 2010 a diminué à 6,2% des dépenses totales de la Confédération (-1,3%), atteignant ainsi 3,7 milliards de francs. Le nombre d’exploitations a continué sa réduction de 1,8% par an atteignant en 2010 un total de 59 065 unités. En outre, en 2009 le taux d’autosuffisance brut a atteint 63,3% (+2%) et celui net 56% (+1,2%). Finalement, l’OFAG y présente une stratégie « Climat pour l’agriculture » visant à réduire les gaz à effet de serre d’un tiers dans l’agriculture et de deux tiers dans le domaine de l’alimentation d’ici 2050 tout en augmentant la production et les prestations d’intérêts publics
[11].
Le DFE a mis en consultation un projet visant à développer la
politique agricole pour les années 2014 à 2017 et répondant à plusieurs objets adoptés par le parlement les années précédentes. Les députés ont notamment chargé le Conseil fédéral de développer les paiements directs de manière ciblée ainsi que de proposer une enveloppe financière. De manière générale, le projet vise à mieux orienter les contributions sur les objectifs constitutionnels de la politique agricole, notamment écologiques, à transférer légèrement les contributions de la production animale à la production végétale et à atteindre un auto-approvisionnement atteignant 60%. Face aux 2,8 milliards de francs actuels, le nouveau système prévoit de consacrer 13,67 milliards pour la politique 2014-2017. Il ne comporte plus que sept catégories de contribution, soit les surfaces cultivées, la sécurité de l’approvisionnement, la biodiversité, la préservation du paysage, les modes de production respectueux de l’environnement, l’utilisation des ressources naturelles et l’adaptation des exploitants à cette nouvelle politique. La station de recherche Agroscope a estimé que cette nouvelle répartition permettrait une augmentation de 13% du revenu agricole et de 5% de la production de denrées alimentaires à travers une production fourragère indigène favorisée aux dépens de celle importée. Elle considère encore que la production de gros bétail baisserait de 8% suite à l’arrêt des subventions pour les animaux et que la production de lait augmenterait pour se stabiliser à 3,6 millions de tonnes dès 2013. L’USP a estimé que le projet ne prend pas assez en considération l’agriculture productrice et craint un transfert allant jusqu’à 40% des paiements directs vers des tâches non productrices. L’organisation a ainsi exigé des mesures correctives afin d’améliorer les conditions économiques des paysans, notamment une augmentation des paiements directs destinés à l’auto-approvisionnement, une diminution de l’importance donnée aux critères d’adaptation et la reconduction des subventions à la production animale (voir infra : Politique des revenus). Pro Natura a critiqué l’importance trop grande donnée à l’auto-approvisionnement et à la production intensive par rapport aux préoccupations environnementales. Ils mettent ainsi en comparaison les montants des paiements directs du projet, 2,8 milliards de francs, avec les 550 millions dédiés aux objectifs environnementaux. Toutefois, l’association estime que le projet du gouvernement va modestement dans le bon sens et affirme qu’il est possible d’allier production, biodiversité et protection de l’environnement. Economiesuisse a désapprouvé une politique qui ne s’oriente pas suffisamment vers l’économie de marché et juge que le soutien de la Confédération doit cibler les seules tâches constitutionnelles en faveur de l’environnement et de l’entretien du paysage. L’organisation estime qu’en réalité l’autosuffisance alimentaire est un mythe et ne dépasse pas les 20%, elle soutient donc un accord de libre-échange agricole
[12].
Lors d’une session extraordinaire consacrée aux négociations bilatérales avec l’UE (bilatérales III), le Conseil national a adopté respectivement par 101 voix contre 73, 106 voix contre 63 et 104 voix contre 63 des motions Joder (udc, BE), Darbellay (pdc, VS) et Favre (plr, VD) chargeant le Conseil fédéral d’interrompre les négociations avec l’UE relatives à
l’accord de libre-échange
du secteur agroalimentaire. Par ailleurs, la motion Favre vise à exclure la production de cigarettes des négociations avec l’UE concernant la santé publique. Les motionnaires estiment que l’ouverture des marchés aurait des répercussions désastreuses pour les revenus des milliers d’exploitations agricoles et considèrent que la stratégie de qualité défendue par le Conseil fédéral n’est pas suffisante pour répondre à ce type de défi. Le Conseil fédéral s’est opposé à ces motions arguant qu’un libre-échange ouvre de nouveaux marchés aux entreprises suisses, notamment au secteur agroalimentaire, et que les négociations relatives au secteur agricole sont liées aux négociations d’autres domaines pour lesquels il souhaite obtenir des avantages (sécurité alimentaire, sécurité des produits et santé publique). Une partie des démocrates-chrétiens ainsi qu’une très grande majorité des radicaux-libéraux et des socialistes se sont opposés à ces motions
[13].
En fin d’année, le Conseil national a adopté un postulat Leutenegger Oberholzer (ps, BL) chargeant le Conseil fédéral d’établir un rapport sur les conséquences économiques de la conclusion d’un accord de
libre-échange agricole avec l’UE, notamment en ce qui concerne les impacts pour les consommateurs, pour l’emploi et pour l’industrie helvétique
[14].
Le Conseil des Etats a adopté la proposition de modification de la motion Zemp (pdc, AG) acceptée par le Conseil national l’année précédente visant à mettre la
loi sur l’aménagement du territoire (LAT) au service d’une agriculture productive. Ainsi, les sénateurs ont chargé le gouvernement d’intégrer l’article 104 de la Constitution relatif à l’agriculture dans la LAT et de simplifier la réglementation concernant l’aménagement du territoire afin de faciliter la construction de bâtiments agricoles en dehors des zones à bâtir
[15].
Le Conseil des Etats a soutenu la motion Bourgeois (plr, FR) adoptée par le Conseil national l’année précédente visant à compléter la loi sur l’aménagement du territoire (LAT) avec des
directives claires protégeant les terres cultivables. Il a toutefois rejeté le point relatif au fait de conditionner le versement des crédits du fonds d’infrastructure à l’application de ces directives
[16].
Le Conseil des Etats s’est rallié à la décision du Conseil national de l’année passée en adoptant une motion modifiée du député Hassler (pbd, GR) visant à protéger les
terres cultivables et à garantir les surfaces d’assolement
[17].
[2] Mo. 09.3060 :
BO CN, 2011, p. 387 ;
BO CE, 2011, p. 1014.
[3] Mo. 10.3260 :
BO CN, 2011, p. 1263.
[4] Mo. 10.3626 :
BO CE, 2011, p. 501 ss; voir
APS 2010, p. 141.
[5] Mo. 10.3767 :
BO CN, 2011, p. 783 s.;
Lib., 31.5.11 (économie); voir
APS 2010, p. 139.
[6] Mo. 09.3461 :
BO CN, 2011, p. 245.
[7] Mo. 10.3405 :
BO CE, 2011, p. 904 s.; voir
APS 2010, p. 134.
[8] Po. 11.3537 :
BO CN, 2011, p. 1844.
[9]
LT, 21.4.11;
NZZ, 1.11.11.
[11] OFAG,
Rapport agricole 2011, 31.10.;
Blick et
QJ, 1.11.11.
[12]
FF, 2011, p. 2753 ; presse du 24.3 et du 29.6.11;
Lib., 26.3.11;
SoS, 3.6.11;
24h, 24.6.11;
TA, 25.6.11.
[13] Mo. 10.3473 (Joder), 10.3818 (Darbellay) et 11.3464 (Favre) :
BO CN, 2011, p. 1019 ss. (Bilatérales III), 1041 (Joder), 1042 (Darbellay), 1047 (Favre). Voir
APS 2010, p. 135 (libre-échange) et 141 (Cassis de Dijon). Une motion Favre (10.3195) relative aux négociations sur le tabac est traitée dans la partie I, 7b (Produits engendrant la dépendance).
[14] Po. 11.3896 :
BO CN, 2011, p. 2266.
[15] Mo. 10.3086:
BO CE, 2011, p. 432.; voir
APS 2010, p. 136 s.
[16] Mo. 10.3659 :
BO CE, 2011, p. 432 s; voir
APS 2010, p. 136.
[17] Mo. 10.3489 :
BO CE, 2011, p. 432; voir
APS 2010, p. 136.
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