Avec le projet de fusion des deux Bâles – refusé en votation le 28 septembre 2014 – ou entre Vaud et Genève – également refusé en votation en 2002 – l'idée d'un canton unique en Suisse centrale regroupant Lucerne, Uri, Schwyz, Zug, Obwald et Nidwald, ou encore les tensions territoriales liées à la Question jurassienne, les débats autour des frontières cantonales ne manquent pas. Pourtant, depuis la création du canton du Jura en 1979, aucun changement majeur n'a eu lieu. Les événements de l'année 2020 ont cependant remis la question sur le devant de la scène. Aux désaccords apparus durant la gestion de la crise du Covid-19 – notamment entre romands et suisses-allemands – se sont ajoutées des divisions entre cantons de plaines et de montagnes avec la votation de la loi sur la chasse. Les cantons ruraux ont fait échouer l'initiative pour des multinationales responsables, largement plébiscitée dans les milieux urbains, mais qui n'a pas passé l'écueil de la majorité des cantons.
La cohésion nationale et le fonctionnement du système fédéraliste sont-ils encore garantis avec les cantons sous leur forme actuelle? Partant de cette question, les journalistes de la Wochenzeitung (WOZ) ont imaginé six possibilités de réformer les frontières cantonales. Leurs propositions, souvent plus fantaisistes que réalistes, comportent notamment celle d'une Suisse séparée en sept grandes régions, telles qu'elles existent déjà pour les statistiques comparatives au niveau européen. Ce concept a par ailleurs déjà été évoqué dans la sphère politique à la fin des années 90. Autre idée, celle de séparer la Suisse entre cantons urbains et ruraux. En plus de Genève et Bâle-Ville, d'autres villes-cantons verraient ainsi le jour, à savoir Berne, Zürich, Lausanne, Lucerne et Saint-Gall. Parallèlement, le reste du territoire serait divisé en sept cantons campagnards, qui constitueraient ainsi un contrepoids aux villes. Reste à savoir si cela n'aggraverait pas le fossé ville-campagne observé à plusieurs reprises ces dernières années. Plus originale encore, la création de cantons-partenaires est envisagée par la WOZ, avec l'objectif d'unir des cantons plutôt opposés. La Genève internationale fusionnerait ainsi avec la conservatrice Appenzell Rhodes-Intérieures, alors que le riche canton de Zoug se joindrait au Jura industriel. Schaffhouse, tout au nord, s'unirait au Tessin, canton le plus au sud, tandis que Neuchâtel et ses impôts élevés aurait pour partenaire le «paradis fiscal» schwytzois.

Bien qu'il reste utopiste, cet article de la WOZ reflète un débat de fond, évoqué à de maintes reprises dans la presse ces derniers mois. Portés par la répartition contestée des tâches entre les cantons et la Confédération durant la crise du Covid-19, les articles sur le fédéralisme ont foisonné dans les médias. Dans une tribune publiée par le Temps et la NZZ, Christophe Schaltegger – professeur d'économie politique à l'université de Lucerne – Mark Schelker – professeur d'économie publique à l'université de Fribourg – et Yannick Schmutz – doctorant en économie publique à l'université de Fribourg – soulevaient certains problèmes du fédéralisme mis en évidence ces derniers mois. Selon eux, les compétences et les responsabilités incombant à la Confédération et aux cantons ne sont pas assez clairement définies. La collecte et le traitement des données, le traçage des contacts et l'achat des vaccins sont des exemples de tâches qui nécessitent d'être centralisées, permettant ainsi des économies d'échelle. De plus, leur gestion n'est pas dépendante de spécificités régionales. Au contraire, les aspects à prendre en compte pour des fermetures d'écoles, de restaurants ou d'infrastructures touristiques varient entre les cantons, raisons pour laquelle ces compétences doivent rester entre leurs mains. Cela permettrait aux responsables cantonaux de prendre les mesures au bon moment, selon la situation épidémiologique dans leur région, et faciliterait l'adhésion de la population auxdites mesures. Les auteurs saluent également les effets d'apprentissage provoqués par les diverses réglementations cantonales: celles qui prouvent leur efficacité sont adoptées par d'autres cantons, les autres sont abandonnées. Cependant, cette claire répartition des tâches doit s'accompagner d'un principe de responsabilité renforcé. Ils soulignent que «ceux qui sont dotés de compétences doivent en assumer le risque, ainsi que la responsabilité financière et politique», afin d'éviter que les responsables décisionnels à différents niveaux puissent «se refiler la patate chaude des décisions désagréables».
Dans le Temps également, l'historien Olivier Meuwly prend la défense du fédéralisme, qui n'est selon lui pas le coupable de tous les maux. Au contraire, les systèmes plus centralisés n'ont pas mieux performé pendant la crise, souligne-t-il en prenant la France pour exemple. S'il concède que tout n'est pas parfait, il met néanmoins en avant l'importance pour les gouvernements cantonaux de disposer de vraies compétences, garantissant «l'autonomie cantonale» et permettant une «proximité» avec la population. Olivier Meuwly conclut en notant que «le fédéralisme, malgré ses imperfections, reste le meilleur obstacle à la tyrannie de la majorité sans stimuler celle des minorités».
La cohésion nationale souffre-t-elle des diverses tensions survenues ces derniers mois ? Interrogée par le Temps, la conseillère aux États Lisa Mazzone (verts, GE) regrettait le manque d'unité entre les cantons, qui n'ont pas su parler d'une seule voix, soulignant le manque de compréhension des alémaniques pour les romands, auxquels il a notamment été reproché de ne pas savoir «se tenir» à l'automne 2020, lorsque le nombre de cas était généralement plus élevé du côté francophone de la Sarine. Si le manque de solidarité et de compréhension pour les autres a selon elle été flagrant, son collègue Hans Stöckli (ps, BE) se montre lui plus nuancé. À son avis, si divisions il y a eu, cela a bien plus eu lieu entre cantons ou politicien.ne.s qu'au niveau de la population. La cohésion nationale se serait même renforcée durant la crise, et particulièrement durant la première vague. S'il est évidemment compliqué de mesurer la cohésion nationale, les journalistes du Temps insistent également sur le fait que beaucoup de Suisses et Suissesses n'ont pas pu se rendre à l'étranger pour leurs vacances et en ont ainsi profiter pour découvrir différents coins du pays. Peut-être un indice d'un renforcement des liens entre les régions qui composent la Suisse fédérale.

Redessiner les cantons