Avec la publication en octobre 2020 d'une enquête du journal Le Temps sur des affaires de harcèlement à la RTS, c'est une crise de grande ampleur qui s'est déclarée dans l'entreprise de service public. De nombreux cas de harcèlement et de sexisme ont été révélés au grand jour, brisant ainsi la «culture du silence» qui régnait dans l'entreprise. Elle s'est retrouvée sous le feu des critiques et a dû se livrer à une grande introspection qui a notamment mené au départ de plusieurs cadres. Les enquêtes externes mandatées pour faire la lumière sur la situation ont révélées leurs résultats en avril et en juillet 2021, permettant ainsi à la direction de la RTS d'annoncer une série de mesures pour éviter que ces agissements ne se reproduisent à l'avenir.
Le 31 octobre 2020, le journal romand Le Temps publiait un article révélant des affaires de harcèlement sexuel à la RTS. Plusieurs cadres étaient mis en cause, en particulier Darius Rochebin. L'ancien présentateur du journal télévisé, qui avait quitté la télévision romande pour rejoindre la chaîne française LCI au cours de l'été, était notamment accusé d'attouchements et de propos à caractère sexuel dans le cadre de son travail. Selon les témoignages, il tenait également des faux comptes sur les réseaux sociaux, qu'il utilisait pour tenter de séduire des jeunes hommes intéressés par le milieu journalistique. Deux autres cadres travaillant encore pour la RTS étaient également visés par des accusations de mobbing. La réaction de la direction, qui assurait avoir toujours traité «avec diligence et fermeté» les cas portés à sa connaissance, déclenchait un déferlement de réactions outrées. Une pétition était signée par plus de 700 employé.e.s – plus du tiers du personnel de la SSR en Suisse romande – pour dénoncer le climat malsain qui régnait à la RTS, et des manifestations avaient lieu devant le siège de l'entreprise à Genève.
Afin d'établir les faits quant aux événements relatés dans le Temps, trois procédures étaient ouvertes. La première, confiée à un bureau d'avocats spécialisé dans le droit du travail, avait pour but d'analyser les dysfonctionnements liés directement aux trois personnes mentionnées dans l'article. Les deux cadres encore actifs à la RTS étaient par ailleurs suspendus le temps de l'enquête. Pour recueillir les témoignages concernant toutes formes de harcèlement, qu'ils concernent ou non les trois personnalités mises en causes, un «Collectif de défense» composé d'avocats voyait le jour. La deuxième procédure devait permettre d'établir la chaîne de responsabilité dans le traitement de ces affaires et le rôle qu'avait joué, ou non, la direction de la RTS. L'ancienne présidente du tribunal cantonal vaudois Muriel Epard et l'ancien président de la cour des comptes du canton de Genève Stanislas Zuin étaient chargés de cette enquête. L'implication de l'actuel directeur de la SSR Gilles Marchand était particulièrement scrutée, lui qui était à la tête de la RTS de 2001 à 2017, c'est-à-dire durant la période à laquelle ont eu lieu la majorité des faits. La troisième et dernière procédure visait à réviser les outils mis à disposition par la RTS pour prévenir les actes de harcèlement sexuel et permettre aux éventuelles victimes d'en faire part. Il revenait à la révision interne de la SSR de déterminer si ces outils étaient «suffisamment connus», s'ils étaient «utilisés» et s'il fallait «en créer des nouveaux». Parallèlement à cela, Gilles Marchand devait donner des explications à la commission des transports et des télécommunications du Conseil national (CTT-CN) le 9 novembre 2020.
Les résultats de ces enquêtes devaient initialement être présentés au mois de février 2021. Cependant, leur annonce était repoussée devant l'ampleur des déclarations recueillies par le «Collectif de défense». En effet, plus de 230 personnes avaient déposé des témoignages, dont 43 qui concernaient directement les trois personnes visées par l'enquête. Le rapport intermédiaire publié en avril ne prenait ainsi que ces derniers en compte. L'un des deux cadres cités dans l'article du Temps devait quitter l'entreprise alors que l'autre écopait d'une sanction, leur responsabilité dans les accusations de harcèlement ayant été confirmée par l'enquête. Cela précipitait également le départ de deux des plus hauts cadres de la RTS. Le directeur de l'actualité Bernard Rappaz, qui s'était déjà mis en retrait à partir de la révélation du scandale, ne souhaitait pas reprendre son poste. Le rapport avait révélé des «insuffisances managériales», mais pas de manquement significatif de sa part. Le directeur des ressources humaines Steve Bonvin quittait lui aussi son poste, restant toutefois dans l'entreprise. Aucune charge n'était par contre retenue contre Darius Rochebin, la RTS indiquant que «les experts n’avaient pas constaté d’actes qualifiés de harcèlement sexuel ou psychologique au sens de l’article 328 du Code des obligations suisse» et «qu’aucun des faits rapportés n’a été qualifié d’infraction pénale». L'existence des faux profils était cependant confirmée. La SSR en avait d'ailleurs connaissance, et des mesures avaient été prises en 2017 pour éviter un «dégât d’image» peu avant la votation sur l'initiative No-Billag. Darius Rochebin avait à l'époque été remis à l'ordre par le directeur de la RTS Pascal Crittin au sujet «des règles professionnelles concernant la présence sur les réseaux sociaux», précisait la porte-parole de la SSR en réponse au journal Le Temps.
Alors que la presse alémanique spéculait déjà sur le départ de Gilles Marchand et ses possibles successeur.e.s, celui-ci était confirmé dans ses fonctions par le conseil d'administration de la SSR. Selon le rapport, l'ancien directeur de la RTS avait bel et bien commis une «erreur», qui n'a cependant pas été qualifiée de «grave». Après avoir présenté ses excuses pour avoir «pris des décisions erronées concernant un collaborateur accusé de mobbing» en 2014, il a reçu le soutien du président du conseil d'administration de la SSR Jean-Michel Cina, pour qui Gilles Marchand est «la personne appropriée pour relever les futurs défis de la SSR.» Pascal Crittin restait lui à la tête de la RTS. Dans l'attente du rapport final, la conseillère fédérale Simonetta Sommaruga a néanmoins rappelé que l'affaire n'était pas encore réglée, qualifiant d'«inacceptables» les cas de harcèlement et rappelant que la RTS doit tenir «un rôle de modèle» en tant qu'entreprise de service public.
Le rapport final n'était pas rendu public pour garder anonyme les noms des personnes s'y étant exprimées. Son contenu était cependant dévoilé dans la presse début juillet 2021. Il en ressortait que de «nombreuses situations d’atteinte à la personnalité» avaient eu lieu dans le passé à la télévision romande. Selon le Temps, les avocats du «Collectif de défense» ont relevé «du sexisme, des promotions liées aux amitiés personnelles et même parfois du racisme» au sein de la RTS. Si ces affaires ne sont pas récentes, cela a néanmoins conduit à l'ouverture de deux nouvelles enquêtes à l'encontre de collaborateurs qui occupent aujourd'hui encore un poste à la RTS. Ces deux personnes, qui seront suspendues le temps de l'enquête, n'ont pas encore eu la possibilité de livrer leur version des faits quant aux soupçons de harcèlement qui les entourent. Le rapport du «Collectif de défense» a encore relevé d'autres manquements, commis par des collaborateurs et collaboratrices qui ne travaillent aujourd'hui plus à la RTS, ainsi qu'une ambiance de travail malsaine dans certains secteurs. Cela confirmait que les premiers cas mentionnés dans l'article du Temps n'étaient pas isolés. N'ayant d'autre choix qu'une réaction forte pour redorer son blason, la direction de la RTS a décrété la «tolérance zéro», promettant de mettre en vigueur un train de mesures pour protéger son personnel. En plus d'«une charte pour l’intégrité et la lutte contre les discriminations» rédigée avec le personnel et qui concernera les 6000 collaborateurs et collaboratrices de la SSR, les cadres devront suivre chaque année des formations sur ces thèmes. Les collaborateurs et collaboratrices auront également la possibilité de s'adresser à des personnes de confiance au sein de l'entreprise ou à des médiateurs et médiatrices externes en cas de problèmes de harcèlement, de sexisme, ou autre.
Convaincu que «la SSR sortira de cette crise plus forte que jamais pour mieux remplir son mandat de service public», Gilles Marchand reste néanmoins sous pression, d'autres affaires ayant également égratigné son image dernièrement.
Alors que l'UDC a prévu de lancer deux initiatives s'attaquant au service public, la SSR risque de continuer d'affronter des vents contraires prochainement. À commencer par la situation à la télévision tessinoise: en effet, une quarantaine de témoignages déposés auprès du «Collectif de défense» concernaient la RSI, qui ne semble donc pas épargnée par les affaires de harcèlement.

Affaires de harcèlement à la SSR
Dossier: Belästigungsvorwürfe bei den Medien