Année politique Suisse 1974 : Allgemeine Chronik / Schweizerische Aussenpolitik
Missions traditionnelles
Si, comme on vient de le voir, la tendance au repliement sur soi influence assez directement la politique suisse de solidarité internationale, il en va un peu de même en ce qui concerne nos missions traditionnelles de paix, d'hospitalité et d'action humanitaire marquées en 1974 par certaines contestations ou difficultés pratiques d'application.
S'agissant de l'ceuvre de paix, il a déjà été fait mention des résistances à la ratification du Traité de non-prolifération nucléaire et à l'entrée de notre pays à l'ONU, ainsi que du sort incertain réservé au projet suisse à la CSCE. Ajoutons qu'aucun progrès n'a été enregistré dans la mise sur pied de l'Institut suisse pour l'étude des conflits. L'invasion armée de la République de Chypre par la Turquie à la suite d'un coup d'Etat appuyé par la Grèce a également été l'occasion de mesurer les limites d'une action pacifique de la Confédération. Plusieurs interventions parlementaires ont montré les préoccupations de ceux qui auraient souhaité un engagement plus prononcé de la Suisse, par exemple en dénonçant ouvertement la violation par les forces turques (vols, viols, meurtres, etc.) de la Convention européenne des droits de l'homme. Le Conseil fédéral a déclaré que, fidèle à une pratique constante, il était tenu à une certaine réserve, meilleure sauvegarde de sa disponibilité permanente envers les parties au conflit
[48]. Evoqué à la CSCE et au Conseil de l'Europe, le problème chypriote a d'ailleurs permis à nos délégations de rappeler l'attachement de la Suisse au règlement pacifique des différends. A Strasbourg, une initiative Leu (pdc, LU) en faveur de l'institution d'une cour d'arbitrage a été appuyée par une trentaine de députés
[49].
La réaffirmation et le développement du droit humanitaire dans les conflits armés a fait l'objet à Genève de la première session de la conférence prévue à cet effet. Placée sous le haut patronage du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), elle a réuni au départ 116 pays. Les invitations avaient été faites par la Suisse, dépositaire des Conventions de Genève. Le conseiller fédéral P. Graber, élu président de la conférence, a été en but à quelques difficultés, causées par la volonté de participation de divers mouvements de libération désireux de faire valoir aussi leur point de vue sur des questions les touchant directement. Aux critiques émises d'une préparation « politique » insuffisante de la conférence, le chef du DPF a répondu que la puissance invitante n'y était pour rien et qu'il fallait imputer les querelles de procédure dans lesquelles on faillit s'enliser, à un durcissement sur tous les fronts, même à l'ONU, des antagonismes internationaux. Sans donc échapper elle non plus à une certaine politisation et malgré un démarrage laborieux, la conférence a abattu un ouvrage considérable puisque pas moins de 330 propositions d'amendements aux deux projets de protocoles additionnels ont été finalement déposées. Pour la première fois ailleurs qu'à Genève, une conférence d'experts gouvernementaux, elle aussi organisée par le CICR, s'est en outre tenue à Emmen (LU) ; il y a été question des armes dites « de nature à causer des maux superflus » (napalm, balles dum-dum, bombes à bille, torpilles, laser, etc.)
[50].
Parmi les nombreux points géographiques d'intervention de l'aide humanitaire suisse, c'est surtout la vaste région africaine du Sahel et de l'Ethiopie qui ont retenu l'attention : le Corps suisse d'aide en cas de catastrophe y a fait ses premières armes. Un contingent d'environ 80 personnes et un abondant matériel ont été engagés pour plusieurs mois pour venir au secours des populations victimes de la sécheresse et de la faim. L'expérience, qui a suscité des critiques peut-être un peu faciles parfois, a permis de tirer des leçons sur les inconvénients du perfectionnisme helvétique ainsi que sur la nécessité d'assouplir et de simplifier la collaboration entre l'armée et le corps de volontaires. Signalons en outre l'action de l'Aide suisse au Vietnam (reconstruction du Nord) et celles de la Croix-Rouge et autres oeuvres d'entraide au Bangla-Desh, frappé par des calamités naturelles (inondations, sécheresse), et à Chypre, meurtri par la guerre
[51].
Des deux volets de la tradition d'hospitalité (pratique du droit d'asile ; accueil d'organisations internationales), c'est indéniablement le premier qui a fait le plus parler de lui, en bien comme en mal, quoique le second n'ait pas suscité que des commentaires positifs non plus. En effet, l'octroi de prêts additionnels, d'un montant de 56 millions de francs, à la Fondation des immeubles pour les organisations internationales (FIPOI), l'autorisation donnée à l'ouverture à Genève d'un bureau permanent du Conseil mondial de la paix (d'obédience communiste), ainsi que les facilités d'espionnage offertes à l'étranger par le truchement des organismes internationaux siégeant en Suisse ont provoqué, sur l'extrême-droite de l'échiquier politique principalement, certaines réactions d'hostilité
[52]. Quant à l'accueil de réfugiés politiques, notre pays jouit toujours, en dépit de la réapparition en force depuis quelques années d'un courant xénophobe, d'une solide réputation: 1132 demandes d'asile ont été déposées en 1974 ; 128 seulement avaient été rejetées à la fin de l'année. L'installation dans notre pays du célèbre écrivain russe A. Soljénitsyne, banni de l'Union soviétique, a encore contribué à asseoir la renommée suisse
[53]. Mais l'accueil presque triomphal qui lui a été réservé, ainsi que les obstacles mis par Berne à l'afflux massif de réfugiés de gauche en provenance du Chili, en particulier l'instauration du visa obligatoire, ont soulevé des critiques souvent très vives voire des remous et fait dire que notre hospitalité, et partant notre neutralité, étaient fortement inspirées de motivations idéologiques
[54]. En réponse aux nombreuses interventions parlementaires suscitées par l'affaire, le conseiller fédéral K. Furgler a déclaré que les autorités ne devaient pas se laisser forcer la main et qu'il convenait, sous peine de ne pouvoir honorer des engagements pris à la légère sous le coup de l'émotion, d'adapter l'octroi de l'asile à nos capacités d'accueil. Le Conseil national, conformément à sa demande, a encore rejeté la motion Ziegler (ps, GE) sur la redéfinition de notre politique d'asile dans les ambassades
[55].
[48] Cf. réponse à une petite question urgente Alder (adi, BL) : BO CN, 1974, p. 1569. Cf. aussi postulat Reich (mna, ZH) : Délib. Ass. féd., 1974, V, p. 35.
[49] CSCE : BO CN, 1974, p. 1569. Strasbourg : Europa, 41/1974, no 9/10, p. 8. Sur les bons offices en général, cf. K. W. Stamm, Die guten Dienste der Schweiz, Aktive Neutralitätspolitik zwischen Tradition, Diskussion und Integration, thèse Berne 1973.
[50] Déroulement de la conférence : cf. la presse à partir du 19.2.74. Critiques : cf. interpellation Schürch (prd, BE) et petite question Vincent (pdt, GE) : BO CN, 1974, p. 999 s. et 1089 s. Emmen : JdG, 222, 24.9.74 ; Vat., 927, 1.10.74. Parmi les ouvrages, citons J. Moreillon, Le CICR et la protection des détenus politiques, Lausanne 1974. Voir aussi Documenta, 1974, no 3, p. 10 s. ; APS, 1972, p. 46.
[51] Sahel et Ethiopie : cf. petites questions Rüttimann (pdc, AG) et Ziegler (ps, GE) avec réponses du CF, in BO CN, 1974, p. 1103 et 1954 ; JdG, 296, 19.12.74. Cf. Aussi Lib., 192, 9.5.74 ; NZ, 345, 4.11.74 ; BN, 267, 14.11.74. Vietnam : cf. petite question Fischer (prd, BE), in BO CN, 1974, p. 1948 ; Bund, 183, 8.8.74 ; JdG, 183, 8.8.74 ; Ldb, 180, 8.8.74. Bangla-Desh : JdG, 184, 9.8.74 ; TLM, 318, 14.11.74 ; petite question Broger (pdc, AI) et réponse du CF, in BO CE, 1974, p. 395. Chypre : JdG, 194, 21.8.74 ; 195, 22.8.74.
[52] FIPOI : FF, 1974, II, no 34, p. 441 ss. (message du CF) ; BO CN, 1974, p. 1743 ss. Le CN a ôté 2 millions de francs à la somme demandée par le CF. Conseil mondial : cf. interpellation Gut (prd, ZH) et réponse du CF, in BO CN, 1974, p. 1350 ss. Espionnage : cf. interpellation Oehen (an, BE) et réponse du CF, in BO CN, 1974, p. 1350 ss.
[53] Demandes : JdG, 25, 31.1.75. Soljénitsyne : cf. la presse depuis le 16.2.74.
[54] Cf. notamment la presse à partir des dates suivantes : 29.1, 24.2 et 18.10.74. Cf. aussi petite question Schmid (ps, SG) avec réponse du CF : BO CN, 1974, p. 1110. Le même reproche de partialité a été formulé lors de l'interdiction faite à deux exilés communistes espagnols de prendre la parole dans un meeting organisé à Genève. La mesure du CF aurait été prise à la suite de pressions exercées par Madrid (cf. supra, part. I, 1b).
[55] Intervention au parlement : cf. les 4 interpellations Breny (an, VD), Caruzzo (pdc, VS), Gerwig (ps, BS) et Sahlfeld (ps, SG), ainsi que les 5 petites questions Bretscher (udc, ZH), Schwarzenbach (mna, ZH), Villard (ps, BE), Vincent (pdt, GE) et Ziegler (ps, GE) : BO CN, 1974, p. 653 ss. Cf. aussi P. Braunschweig, J. Meyer, Chile-Flüchtlinge. Schweizer Aussenpolitik, Basel 1974. Motion Ziegler : BO CN, 1974, p. 665 ss. ; APS, 1973, p. 42.
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