Année politique Suisse 1992 : Allgemeine Chronik / Landesverteidigung
 
Défense nationale et société
Située bien malgré elle entre les feux croisés de l'hostilité d'une partie de la population, des bouleversements mondiaux, du destin improbable des pays de l'Est et des difficultés budgétaires de la Confédération, l'armée suisse a semblé trouver un nouveau souffle dans le projet de réforme Armée 95. L'élargissement de ses tâches, conjugué à la réduction de son volume, devraient assouplir ce monolithe et l'adapter à son époque. Cependant, l'existence du délicat échafaudage que constitue ce programme est en sursis, et dépend du scrutin qui aura lieu en 1993 sur l'initiative contre l'achat d'un nouvel avion de combat. Un vote de défiance à l'égard de l'armée suisse de la part du souverain ferait perdre tout son sens à la réforme engagée. Surtout, il affaiblirait considérablement l'institution militaire; la victime serait ainsi offerte aux nouvelles initiatives que le GSsA entend lancer, afin de lui donner le coup de grâce d'ici la fin du siècle.
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Activité internationale
Le Conseiller fédéral K. Villiger a invité ses homologues autrichiens, finlandais et suédois pour réfléchir sur le rôle des pays neutres en Europe. Le problème était notamment d'examiner leur relation avec la CE et l'OTAN, ainsi que de discuter de leur participation à une «armée de paix» européenne. Les neutres sont ainsi unanimes pour désirer s'engager plus avant dans ce sens [1]. La problématique du rapprochement de la Suisse avec les autres pays d'Europe, notamment par le biais de la CSCE, a par ailleurs été défendue à de nombreuses reprises par le chef du DMF tout au long de l'année. Ce dernier a ainsi souvent insisté sur la nécessité pour la Suisse de participer aux efforts de sécurité en Europe. Il a cependant exclu toute idée d'alliance militaire, et a réaffirmé qu'il n'existait pas aujourd'hui d'alternative à la neutralité armée, même si celle-ci doit être redéfinie [2].
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Services de renseignements
Le groupe de travail chargé d'étudier la mise sur pied d'un service stratégique global de renseignements à l'étranger, institué par le Conseil fédéral consécutivement aux travaux de la CEP DMF, a remis son rapport final. Constatant le manque de coordination entre les divers organes de l'administration ainsi que la nécessité, vu l'évolution du monde, de dépasser le domaine des dangers militaires pour avoir des connaissances sur ceux liés aux problèmes économiques, techniques, écologiques et démographiques, il suggère la création d'un service national qui intègre les organes de renseignements des divers départements, et qui puisse procéder à une analyse exhaustive et coordonnée des informations reçues [3].
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Politique de sécurité
Dans son programme de législature, le Conseil fédéral a désigné la politique de sécurité comme l'un des sept thèmes les plus importants pour les années à venir, en donnant la priorité à la stabilité internationale et à la mise en place d'un système de défense européen. Il entend aller dans le sens des propositions faites dans son rapport 90 sur la politique de sécurité, notamment par le développement de relations économiques avec les pays de l'Est et du Tiers-monde, par la création d'un contingent de casques bleus, par un engagement accru en faveur des droits de l'homme, de la protection des minorités et de la sauve-garde de l'environnement, par une participation à la procédure de contrôle des armements et par un renforcement du contrôle des exportations de produits et de technologies militaires. Cela devrait se traduire par une plus grande participation à des organismes internationaux comme la CSCE. Sur le plan purement militaire, le centre de l'activité du gouvernement sera la mise en oeuvre de la réforme Armée 95, dont la réduction d'effectifs, la nouvelle doctrine d'engagement et l'acquisition du nouvel avion de combat F/A-18 constituent les points forts. Par ailleurs, la résolution du problème des objecteurs de conscience par la création d'un service civil sera également à l'ordre du jour [4].
Le DMF a octroyé à l'Institut des hautes études internationales et à l'EPFZ un budget de 3,6 millions de francs pour les années 1992-1995 afin de soutenir la recherche dans le domaine de la politique de sécurité, de la paix et de l'étude des conflits [5].
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Budget militaire 1993
Le Conseil national s'est attaché à réaliser quelques substantielles économies lors de l'examen du budget militaire 1993. Il a ainsi décidé d'amputer ce dernier d'une somme de 150 millions de francs (dont 97 concernent l'armement). De la sorte, le budget total a atteint 5,9 milliards de francs, c'est-à-dire 330 millions de moins qu'en 1992 et 10% de moins en valeur nominale que celui de 1991. La gauche avait demandé une réduction de 250 millions, faisant remarquer que, depuis 1987, le DMF avait pu adapter son budget au renchérissement sans avoir de nouvelles tâches à assumer, et en conservant intacts ses effectifs en personnel. Les écologistes, pour leur part, désiraient une diminution de 480 millions. La Chambre a cependant largement rejeté ces propositions, tout comme celles de l'UDC qui demandait qu'aucune coupe ne soit pratiquée, et de W. Frey (udc, ZH) proposant que l'on se limite à 100 millions de francs. De son côté, la protection civile n'a pas échappé aux réductions budgétaires puisque le Conseil national a supprimé 30 millions de francs sur un total de 147, alors que les socialistes en demandaient 50 [6].
Dans le cadre du programme d'assainissement des finances fédérales, O. Stich a annoncé que le DMF devra supprimer, d'ici à 1995, 800 emplois dans les secteurs de la maintenance et de l'administration (Armée 95 demandant un encadrement réduit, étant donné la baisse future des effectifs) [7]. Cette mesure ira de concert avec un blocage des dépenses (diminution de 15% en termes réels) et une baisse des investissements. Selon le DMF, cette réduction du nombre de postes, vu son ampleur, sera difficile à mettre en oeuvre sans licenciements. Notons qu'à cela s'ajoute environ un millier de suppressions d'emplois dans les usines d'armement (notamment dues à un usage accru des simulateurs). En outre, il est prévu que, après 1995, 1200 postes soient encore éliminés en raison de la situation financière de la Confédération et de la réforme Armée 95 [8].
Face à cette situation, les syndicats FTMH et SSP ont demandé un arrêté fédéral urgent afin que la Confédération consacre plus de 200 millions de francs pour garantir la reconversion de tous les emplois, privés ou publics, menacés de disparition [9].
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Politique de paix
Lancée en 1991 par le parti socialiste et soutenue par le Groupement pour une Suisse sans armée (GSsA), l'initiative populaire «pour moins de dépenses militaires et davantage de politique de paix» a été déposée munie de 105 680 signatures valables. Ce texte propose la diminution progressive du budget du DMF jusqu'à ce que celui-ci atteigne la moitié de son montant actuel, et que les sommes ainsi libérées soient affectées à la promotion de la paix ainsi qu'aux affaires sociales [10].
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Affaire Jeanmaire
Sur le point de demander une troisième révision de son procès, le brigadier Jeanmaire, condamné pour espionnage en 1977, est décédé en début d'année. L'affaire n'est néanmoins pas close, son fils ayant décidé de poursuivre cette procédure [11].
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Armée et environnement
Après l'émoi créé par la découverte de masques à gaz dans le lac d'Alpnach (OW), K. Villiger a ordonné une enquête sur les déchets militaires déposés dans les eaux ou le sol suisses. Selon le DMF, bien qu'aujourd'hui le recyclage soit la règle en matière d'armement et de munitions, l'armée s'est néanmoins débarrassée pendant des décennies – de la fin de la seconde guerre mondiale jusqu'en 1965 – de son matériel sans grandes considérations pour l'environnement. L'enquête a révélé que le lac de Thoune était le plus touché; 3000 tonnes de munitions y ont été immergées. Il est apparu que, d'un point de vue écologique, il valait mieux laisser là ces objets plutôt que remuer les fonds des lacs. D'autre part, les risques d'accidents ou de pollution grave semblent très minimes [12]. Concernant les déchets de surface, le DMF entend recenser tous les endroits susceptibles d'avoir servi de décharges pour les inscrire au cadastre; une partie d'entre eux devront être assainis.
Pour répondre de façon mieux adaptée aux exigences de la protection de l'environnement, le DMF a été le premier département à édicter une ordonnance interne concernant l'exécution dans l'administration militaire et dans l'armée de la législation sur la protection de l'environnement et le traitement des marchandises dangereuses. Ce texte, entré en vigueur le ler juillet, s'applique à tous les agents du DMF et tous les militaires. Son but majeur est de régler le problème de la gestion des déchets militaires et des produits dangereux. Une des principales mesures prescrites consiste en l'introduction d'une feuille de données pour l'utilisation des produits dangereux qui doit contenir les informations propres à garantir une manipulation respectueuse de l'environnement. L'application de cette ordonnance doit être assurée par une organisation spéciale au sein du DMF et des experts présents dans chaque unité de ce département [13].
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Suppression de l'armée
Le Groupe pour une Suisse sans armée (GSsA) a fêté ses dix ans d'existence. Fondé en 1982 par une centaine de personnes, l'association compte aujourd'hui 30 000 membres. Depuis l'étonnant résultat obtenu par l'initiative «pour une Suisse sans armée» (un tiers de votants l'ont approuvée), le GSsA a montré encore une fois en 1992 qu'il bénéficiait d'un soutien populaire important grâce à son initiative contre le F/A-18, dont la récolte de signatures connut un succès fulgurant [14]. Par ailleurs, à la fin du mois de novembre, lors de son assemblée générale, le GSsA a exprimé l'intention de lancer, après la votation sur l'achat du F/A-18, une ou plusieurs nouvelles initiatives. Leur teneur, outre un objectif abolitionniste avoué, devrait venir s'inscrire dans le contexte européen et viser notamment à empêcher la Suisse de participer à un système de défense à ce niveau [15].
 
[1] JdG, 11.5.92; presse du 5.10.92.
[2] Voir, par exemple, presse du 29.6.92; BZ, 27.10.92; NZZ, 29.10.92; JdG, 14.12.92. Alors qu'en 1992, l'UEO (Union de l'Europe occidentale) a mis en place un embryon de défense européenne, le chef de l'état-major général s'est prononcé pour un rapprochement avec cette organisation: NQ, 20.6.92.
[3] NQ, 4.9. et 8.9.92. Voir aussi APS 1991, p. 98.
[4] FF, 1992, Ill, p. I ss.
[5] Presse du 27.2.92.
[6] BO CN, 1992, p. 2339 ss.; presse du 3.12.92.
[7] Ces postes profiteront aux autres départements.
[8] Presse du 25.1., 23.5. et 7.11.92 ainsi que L'Hebdo, 48, 26.1 1.92. Voir aussi APS 1991, p. 101. Les cantons les plus touchés seront ceux de Berne et d'Uri. Par ailleurs, le CF a donné son feu vert pour une privatisation partielle de la fabrique fédérale de munitions d'Altdorf (UR). De plus, une reconversion de cette usine a été entamée; dès 1993, elle devra s'occuper du recyclage des anciens wagons de chemins de fer: presse du 2.7. et 14.7.92.
[9] Presse du 6.5.92.
[10] FF, 1993, I, p. 78 ss.; presse du 25.9.92. Cf. APS 1991, p. 99.
[11] Presse du 30.1.92; Suisse, 31.1.92. Voir aussi APS 1990, p. 87 et 1991, p. 100. En 1991, la CEP DMF avait exigé la publication des chefs d'accusation et du jugement ainsi que la levée du secret militaire sur l'ensemble des dossiers de la procédure.
[12] Outre des munitions, certains lacs recèlent notamment des carcasses d'avion (Neuchâtel), des parties de missiles (Brienz) ou des plaques photographiques (Greifensee).
[13] Blick, 21.2.92; presse des 22.2. et 24.6.92; LM et Express, 25.3.92; SGT, 25.6. et 26.6.92; NZZ, 29.8.92. Le plan directeur Armée 95 accorde également une grande importance à la protection de l'environnement. Non seulement cette réforme prévoit une plus grande attention de l'armée pour les nuisances qu'elle occasionne, mais il est prévu qu'elle puisse intervenir en cas de catastrophe. Dans le cadre de ses activité, l'armée devrait atteindre un meilleur respect des prescriptions environnementales par le biais d'une utilisation accrue de simulateurs, une réduction de sa consommation d'énergie et de ses émissions de bruit, ainsi que par une gestion rationnelle des places d'armes et de tir.
[14] Presse des 12.9. et 14.9.92. Voir aussi APS 1989, p. 82 ss. Pour le F/A-18, voir infra, Armement. '
[15] NQ, 29.10.92; presse du 30.10.92.