Année politique Suisse 1998 : Infrastruktur und Lebensraum / Energie
Energie nucléaire
En début d'année, le DETEC a mis en place
un groupe de travail chargé de dégager un consensus sur la
gestion des déchets nucléaires en vue de la nouvelle loi sur l'énergie atomique. Le groupe de travail a réuni les exploitants des centrales, la CEDRA, les organisations écologistes et les différents offices fédéraux concernés. Sous la direction du Professeur d'éthique sociale Hans Ruh de l'Université de Zurich, le rapport final du groupe de travail a rendu ses conclusions au DETEC. Les parties en présence ont eu toutes les peines à trouver des propositions de compromis qui ont finalement été faites par le directeur du rapport lui-même. Le désaccord des participants a porté sur quatre éléments principaux. Premièrement, la question du maintien de la production nucléaire. Les exploitants souhaitaient que les centrales restent en service tant que la sécurité était assurée, les organisations écologistes réclamaient un référendum pour toute poursuite de l'activité au-delà de 30 ans. Hans Ruh a proposé une solution de compromis: le Conseil fédéral pourrait prolonger lui-même de 10 ans l'exploitation (en plus des 40 ans autorisés), au-delà, le référendum serait nécessaire. Deuxièmement, la question de l'entreposage des déchets faiblement et moyennement radioactifs. Les organisations écologistes exigeaient un dépôt de longue durée, contrôlé et récupérable, auquel on puisse avoir accès en tout temps. Les exploitants réclamaient un entreposage définitif et scellé. Concernant les déchets hautement radioactifs, les parties se sont mises d'accord pour l'élaboration d'un dépôt durable contrôlé et récupérable. Le troisième point sensible concerna le projet de dépôt de Wellenberg (NW) au sujet duquel le désaccord fut total. Hans Ruh a proposé que la CEDRA poursuive ses travaux et perce une galerie de sondage, et qu'en parallèle le Conseil fédéral étudie le concept d'un dépôt durable, contrôlé et récupérable. Par la suite, un bilan devra être établi sur la base d'une comparaison des deux projets. Dernier point de litige, le retraitement de combustibles nucléaires épuisés. Les milieux écologistes réclamaient son interdiction, les exploitants son encouragement. Le président Ruh a proposé de soumettre à autorisation l'exportation de ces déchets. Finalement, des accords de principe ont été trouvés: toute nouvelle construction de centrale sera soumise au référendum facultatif, un fonds pour l'élimination des déchets radioactifs provenant des installations nucléaires sera créé et la question de la responsabilité civile devra être réglée
[20].
En mars, le Comité «L'énergie sans le nucléaire», regroupant environ 40 organisations écologistes, le Parti socialiste et les Verts, a entamé la récolte de signatures pour deux initiatives antinucléaires:
«Moratoire-plus» et
«Sortir du nucléaire». La première initiative demande que la décision de prolonger l'exploitation d'une centrale nucléaire après quarante ans fasse l'objet d'un arrêté fédéral soumis au référendum et que cette prolongation ne dépasse en aucun cas dix ans. Elle réclame en outre l'arrêt de toute nouvelle installation nucléaire, de toute augmentation de puissance thermique et de l'utilisation de réacteurs pour la recherche et le développement pour une période de dix ans. La seconde initiative demande l'arrêt progressif des cinq centrales en fonction et la fin du retraitement des combustibles radioactifs
[21].
Les autorités suisses ont signé une charte dans le cadre d'un
accord international sur la sécurité nucléaire auprès du Secrétariat de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) à Vienne. Selon les autorités suisses, le pays remplirait totalement les conditions contenues dans l'accord qui réclame des centrales nucléaires civiles. L'accord ne mentionne néanmoins pas la question de la recherche dans le domaine des réacteurs, ni celle de l'entreposage ou du retraitement des déchets nucléaires
[22].
La Chambre du peuple a décidé de transformer en postulat une motion Teuscher (pe, BE) invitant le Conseil fédéral à réviser la législation en vigueur sur l'énergie atomique de façon à
empêcher l'exportation d'éléments combustibles nucléaires usés à l'étranger. La question sera développée dans le cadre de la révision totale de la loi sur l'énergie atomique, ainsi que dans le dialogue engagé au niveau national sur l'énergie, a assuré le conseiller fédéral Leuenberger
[23].
Début mai, la Direction française de la sécurité des installations nucléaires (DSIN) admettait publiquement avoir mesuré un
taux de radioactivité anormal sur des wagons suisses. Ceux-ci transportaient des déchets provenant de centrales nucléaires suisses, destinés au retraitement à l'usine de La Hague. Par la suite, la Société nationale de chemins de fer française a révélé des taux de contamination radioactive de 300 à 400 fois supérieurs aux normes de sécurité dans des wagons provenant de Suisse et d'Allemagne. Elle a décidé de stopper tout transport de déchets nucléaires. Suite à ces révélations, l'Office fédéral de l'énergie a décidé de suspendre toute autorisation pour le transport d'éléments combustibles irradiés tant que l'on ne connaîtrait pas les causes exactes de contamination. Bien que ces taux élevés n'aient à aucun moment mis en danger la santé physique de personnes, l'affaire a fortement secoué l'opinion publique et eu de nombreux échos auprès des médias. Le directeur de la DSN (Division de sécurité des installations nucléaires) suisse a assuré que les wagons étaient tous contrôlés avant leur départ et qu'ils n'étaient pas contaminés, il a supposé que la contamination s'était produite en cours de transport. Les centrales suisses ont supposé que l'eau qui recouvre les déchets lors de leur chargement avait pu contaminer les conteneurs. Le conseiller fédéral Moritz Leuenberger a ordonné une enquête interne à la DSN sur le fait, relaté par les médias, que des collaborateurs n'auraient pas informé le directeur des taux de contamination trop élevés. Il a également ordonné une enquête sur le rôle de la DSIN lors du transport de déchets nucléaires en France. Le chef du DETEC a annoncé un renforcement de l'indépendance de la DSN. L'organisme sera détaché du contrôle direct de l'administration et intégré dans une future «Agence nationale de sécurité». Les producteurs suisses d'énergie nucléaire ont reconnu les dysfonctionnements et ont assuré pour l'avenir leur coopération avec les autorités dans la refonte du système de surveillance des transports. Les organisations antinucléaires ont réaffirmé leurs positions qui ont trouvé dans cette affaire un appui certain. Les choses se sont encore envenimées suite au dépôt d'une plainte d'antinucléaires français et anglais auprès du Ministère public de la Confédération contre les autorités nucléaires suisses dans leur ensemble. La plainte visait les dirigeants des quatre centrales nucléaires en cause, la DSN et les fonctionnaires de l'Office fédéral de l'énergie. L'enquête menée par les centrales nucléaires a révélé que, ces dernières années, 26 cas de conteneurs destinés à l'étranger avaient atteint des taux de radiation trop élevés, cinq cas avaient dépassé les valeurs limites, selon l'Association suisse pour l'énergie atomique
[24].
Le Conseil national a transformé
en postulat
une motion Stump (ps, AG) ayant trait au scandale des fuites radioactives. Le motionnaire a demandé une interdiction de tout transport de déchets nucléaires à retraiter, l'arrêt immédiat de tout retraitement, la suspension des contrats en cours, la réorganisation totale des autorités de surveillance et la création d'une
autorité de contrôle et de vérification indépendante des autorités délivrant les autorisations. Le Conseil fédéral a répété qu'aucune autorisation ne serait délivrée avant une clarification des causes de la contamination et avant la mise en place de mesures adéquates afin de supprimer tout risque. L'exécutif a rappelé que la question du retraitement des déchets radioactifs sera abordée prioritairement lors de la révision de la loi sur l'énergie atomique, un abandon du retraitement est envisagé ainsi qu'un stockage définitif des déchets. Il a rappelé que le DETEC avait déjà entrepris la mise en place d'une agence nationale de sécurité avant les événements en question. Cette agence regroupera les organes fédéraux de surveillance et sera indépendante des autorités délivrant les autorisations. Une interpellation urgente Plattner (ps, BS) a également été formulée à ce sujet au Conseil des Etats
[25].
L'affaire a continué à faire des vagues au Conseil National avec une initiative parlementaire des Verts réclamant la mise en place d'une
commission d'enquête parlementaire indépendante chargée d'examiner les transports de déchets nucléaires en Suisse et les procédures de concession, ainsi que de surveiller les centrales nucléaires suisses. L'initiative a été rejetée par les parlementaires qui ont estimé que les éclaircissements de la commission de gestion, ainsi que les mesures du chef du DETEC, seraient aptes à éclaircir la situation
[26].
En fin d'année, les autorités suisses ont rédigé, avec les autorités allemandes, françaises et britanniques, un
rapport international afin d'éviter toute contamination lors de transports de déchets nucléaires. Dorénavant, les centrales devront contrôler plus sévèrement leurs transports. La communication réciproque entre les différents pays devra être améliorée et une banque de données internationale sur les transports de déchets nucléaires sera mise en place. Le représentant de la DSN a déclaré que les centrales nucléaires suisses n'étaient toujours pas en mesure d'assurer le respect des limites autorisées. Ainsi, les centrales ne pouvant pas déterminer précisément les causes de contamination, tout transport est resté interdit. Les CFF ont déclaré pour leur part qu'ils étaient prêts à reprendre les transports dès que la DSN le leur autoriserait. La DSN et les CFF ont décidé qu'un expert en protection des radiations accompagnerait désormais chaque transport et que des contrôles médicaux seraient effectués deux fois par année pour le personnel des CFF en contact avec les wagons
[27].
La Coopérative pour l'entreposage des déchets radioactifs (CEDRA), ayant terminé les mesures sismiques dans la région argovienne du Mettauertal, s'est concentrée sur la région du
Weinland dans le canton de Zurich. Cette région est l'un des sites possibles en vue d'un dépôt final pour
déchets hautement radioactifs prévu pour l'an 2045. Les forages d'essai ont suscité la colère des associations antinucléaires «Bedenken» et «Igel» qui ont manifesté sur les lieux et déposé une initiative cantonale dans le canton de Zurich intitulée «Pour la codécision en matière d'entrepôts nucléaires». Cette initiative réclame une modification de la Constitution cantonale et des lois s'y rapportant, afin de soumettre à l'approbation populaire la question de l'entreposage de déchets nucléaires. En outre, le recours, déposé en 1997 par «Bedenken» et 27 particuliers contre l'autorisation de construire une installation de forage octroyée par la commune de Benken (ZH), a été débouté en deuxième instance par le tribunal administratif cantonal
[28].
Les expertises des deux groupes de travail mis sur pied par la Confédération à la demande du gouvernement nidwaldien ont conclu que le projet de dépôt final
de déchets faiblement et moyennement radioactifs au Wellenberg (NW) méritait d'être poursuivi. Le groupe technique a estimé que le projet répondait à un niveau de sécurité élevé, malgré un risque de séisme supérieur à la moyenne dans la région. Il a conclu à la nécessité de creuser une galerie de sondage afin de mieux connaître les entrailles de la montagne. Cette étape est indispensable au DETEC pour décider de la poursuite ou de l'abandon du projet. S'il devait être poursuivi, les Nidwaldiens seraient appelés aux urnes une nouvelle fois. En cas de refus réitéré, le site du Wellenberg ne pourrait plus entrer en ligne de compte pour un dépôt final. La seconde étude a insisté sur les intérêts de la région à accepter le dépôt final. Sa construction engendrerait un chiffre d'affaires annuel de 23 millions de francs pendant quarante ans et entraînerait la création directe ou indirecte de 130 emplois. Néanmoins, le dépôt pourrait nuire au tourisme dans la région, mais les conséquences n'ont pas été quantifiées. En outre, le projet d'un dépôt final de déchets radioactifs international a été relancé par la participation de la CEDRA à des recherches préliminaires en vue de la création d'un dépôt multinational en Australie. Des spécialistes des Etats-Unis, du Canada, de la Grande-Bretagne et de la Suisse se sont associés à ce projet intitulé Pangea. La CEDRA a précisé que cette participation n'aura pas de conséquences sur la recherche d'un site de dépôt final en Suisse
[29].
En octobre, le Conseil fédéral a présenté, après une réunion à huit clos, les
objectifs énergétiques fédéraux futurs. Dans ce contexte, le conseiller fédéral Moritz Leuenberger a soutenu une fermeture des centrales nucléaires suisses dans un délai encore inconnu. La déclaration du conseiller fédéral a eu un retentissement certain auprès des médias qui ont unanimement parlé d'un
retrait planifié du nucléaire. Le chef du DETEC a tenu à rectifier la donne, précisant qu'il n'avait jamais parlé de retrait du nucléaire, mais de démantèlement progressif des centrales nucléaires. Au Conseil national cette affaire a fait l'objet de deux interpellations de représentants de l'UDC et du PRD qui n'ont pas hésité à parler de désinformation de la part du gouvernement. Le débat sur le nucléaire fut de la sorte relancé au sein du plénum. D'autre part, lors de cette réunion d'octobre, le gouvernement a décidé que les installations existantes pourraient continuer à fonctionner à pleine puissance. Il a en effet donné son autorisation au réacteur de
Leibstadt (AG) d'
augmenter
sa
capacité de production de 15%. Sur une même lancée, il a
prolongé la concession de la centrale de
Mühleberg (BE) jusqu'en 2012. Le Conseil fédéral a aussi déclaré qu'il souhaitait renoncer à l'indemnisation des INA dans le cas des centrales nucléaires. Moritz Leuenberger et Pascal Couchepin se sont engagés à discuter avec les différents acteurs concernés (centrales, cantons, communes et organisations écologistes) afin de rédiger au plus vite la nouvelle loi sur l'énergie atomique. Cette dernière devrait fixer la date de fermeture des réacteurs et soumettre toute nouvelle construction au référendum facultatif. Le représentant des centraliers suisses, Peter Hälen, ne s'est pas déclaré inquiet de l'annonce du gouvernement, car le Conseil fédéral a laissé ouvert le délai d'abandon du nucléaire. Le camp écologiste s'est déclaré insatisfait, déplorant les concessions accordées aux centrales de Leibstadt et de Mühleberg. Le WWF et Greenpeace ont d'ailleurs déclaré qu'ils poursuivraient leurs efforts de récolte de signatures pour les deux initiatives populaires en cours: «Sortir du nucléaire» et «Moratoire plus». Suite à la décision du Conseil fédéral de donner l'autorisation à la centrale de Leibstadt d'augmenter sa puissance, des activistes de Greenpeace ont bloqué, durant une nuit du mois de mars, 32 transports de déchets nucléaires destinés au retraitement
[30].
Le gouvernement français a confirmé en début d'année l'abandon du surgénérateur Superphénix de
Creys-Malville. Son démantèlement sera long, en raison du retrait du combustible usé et de la vidange du sodium liquide servant au refroidissement
[31].
L'
expertise, demandée par Moritz Leuenberger en 1997 à un consultant allemand afin de s'assurer que les fissures révélées dans le manteau du réacteur de
Mühleberg (BE) ne présentaient pas de danger pour la sécurité de l'installation, a donné ses résultats en début de l'année sous revue. Les experts allemands sont parvenus aux mêmes conclusions que la DSN. Les fissures apparues dans le manteau du réacteur ne mettraient pas en péril la sécurité de la centrale puisqu'elles n'empêcheraient en aucun cas l'arrêt du réacteur ni son refroidissement si une panne éventuelle se produisait. Concernant la demande des forces motrices bernoises (FMB) d'une exploitation illimitée de Mühleberg adressée au Conseil fédéral en 1996, le canton de Berne devait faire part au gouvernement de sa position. Le Conseil d'Etat bernois a donné un avis favorable aux autorités fédérales. Il a refusé l'arrêt de la centrale nucléaire pour 2002 et proposé une prolongation du délai d'autorisation d'exploitation. Le Conseil fédéral décida par la suite de prolonger la concession de la centrale jusqu'en 2012. Le combat des antinucléaires bernois ne s'est pas arrêté pour autant. Il fut relancé par la création d'une association «Berne sans atome» qui a entamé la récolte de signatures pour une initiative populaire cantonale réclamant la fermeture de Mühleberg
(BE) dès 2002. Le texte, s'il était accepté, demanderait une modification de la Constitution bernoise. Il obligerait le canton, qui détient 69% des parts de la centrale, de décider l'arrêt rapide et définitif de l'installation et de renoncer à toute autre centrale sur le canton. Le comité est constitué d'organisations écologistes, du PS et des Verts
[32].
[20] Presse du 24.10.98.20
[21]
FF, 1998, p. 1222 ss.;
NZZ, 24.4.98. Cf. également
APS 1997, p. 171.21
[23]
BO CN,
1998, p. 739 s.23
[24] Presse des 7.5, 8.5, 15.5, 19.5, 30.5 et 4.6.98;
24 Heures, 9.6.98;
LT, 24.6.98;
NZZ, 2.9.98.24
[25]
BO CN, 1998, p. 2191 s.;
BO CE, 1998, p. 713 ss.25
[26]
BO CN, 1998, p. 2769 ss.26
[27]
WoZ, 3.12.98;
NZZ, 4.12.98.27
[28]
TA, 21.1.98;
SN, 20.6.98;
NZZ, 27.8.98;
NLZ, 9.9.98. Voir également
APS 1997, p. 173 s.28
[29] Presse du 18.9.98;
LT, 14.12.98. Cf. aussi
APS 1997, p. 173 s.29
[30]
AZ, 27.6 et 23.10.98;
WoZ, 9.7.98; presse des 23.10 et 24.10.98. Pour les deux initiatives, voir supra. Voir également
APS 1997, p. 170 s.30
[32] Expertise: presse du 20.2.98;
NZZ, 21.2.98. Exploitation:
NZZ, 19.3.98; presse du 24.10.98;
Bund, 6.11.98.32
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