Année politique Suisse 2000 : Allgemeine Chronik / Schweizerische Aussenpolitik
Europe: UE
Le Conseil fédéral a suivi avec intérêt
la conférence européenne intergouvernementale de Nice. A cette occasion, le président de la Confédération a été invité à s’exprimer en tant que représentant d’un pays «membre désigné de la conférence européenne», sans poids institutionnel. Au terme de la rencontre, Joseph Deiss s’est joint à Adolf Ogi pour apprécier les bonnes dispositions adoptées par l’UE vis-à-vis des petits pays dont les intérêts ont été pris en considération: le maintien de la règle de l’unanimité, en matière de fiscalité et de sécurité sociale notamment, a été soulevé. Déjà invitée à la
réunion interministérielle de Sochaux quelques semaines plus tôt, la Suisse, par la voix de Joseph Deiss, a rappelé que l’adhésion à l’UE était espérée par le Conseil fédéral pour la législature 2003-2007. Devant les représentants des Quinze et des douze pays candidats à l’UE, le chef du DFAE a vanté la bonne santé du fédéralisme helvétique et mis en exergue les principes de subsidiarité et de légitimité populaire, insistant à l’avance sur le maintien au niveau européen de la règle de l’unanimité pour les questions essentielles, condition sine qua non à l’entrée de la Suisse dans l’UE
[5].
Le canton du Jura avait déposé en 1995 une demande d’adhésion de la Suisse à l’UE («Négociations d’adhésion à l’Union européenne. Que le peuple décide!»). Refusée par le Conseil des Etats deux ans plus tard, c’était au tour de la Chambre basse de se prononcer sur cette initiative cantonale que Jean-Claude Rennwald (ps, JU) a voulu attacher par l’esprit au vote parlementaire sur l’initiative populaire «Oui à l’Europe». Le Conseil national ne l’a pas suivi, rejetant le texte par 105 voix contre 53
[6].
A noter aussi la nomination à Bruxelles du
nouvel ambassadeur helvétique auprès de l’UE. Le Tessinois Dante Martinelli, après dix-neuf ans passés au Bureau de l’Intégration à Berne, a succédé à Alexis Lautenberg à la tête de la Mission suisse
[7].
En début d’année, les paris étaient encore ouverts au sujet de
l’aboutissement de la procédure référendaire initiée par les Démocrates suisses et la Lega. Sans grande surprise cependant, les deux partis ont déposés à Berne les 50 000 signatures requises au référendum – 66 733 signatures reconnues valables, dont 23 000 déposées par les Démocrates et 9800 par la Lega –, soutenus dans leur tâche par diverses formations et organisations politiques proches des milieux de droite ainsi que quelques mouvements écologistes ou d’extrême gauche opposés aux perspectives économiques des accords. Absents de la campagne de récolte de signatures, l’UDC et l’ASIN ont fait montre d’un attentisme qui présageaient des débats internes énergiques que
la campagne en vue des votations allait motiver
[8]. La campagne a été rapidement relayée par le Conseil fédéral qui a tenu à afficher une position homogène en faveur des accords. En sa qualité de président, Adolf Ogi fut le premier à monter au front et cerner les grandes lignes d’argumentation du gouvernement, principalement pour fustiger les risques d’amalgame entre une ratification des bilatérales et une adhésion à l’UE
[9]. Cette prise de position a été suivie d’une offensive massive du Conseil fédéral, dont quatre de ses membres – Moritz Leuenberger, Ruth Dreifuss, Joseph Deiss et Pascal Couchepin – ont exposé au coude à coude les vues gouvernementales. Le nombre exceptionnel de ministres fut légitimé par l’importance de l’enjeu aux yeux du Conseil fédéral et par le fait que les accords touchaient quatre départements fédéraux
[10].
Parmi les
acteurs engagés pour un «oui» aux votations, le Vorort a joué son rôle de porte-parole d’une économie helvétique très majoritairement favorable aux bilatérales, dont l’investissement vis-à-vis de la votation fut évalué à plus de 10 millions de francs
[11]. Autres organisations favorables: l’Union suisse des arts et métiers (USAM), l’Union patronale suisse, l’Union suisse des paysans, l’USS, la FTMH, la Confédération des syndicats chrétiens, les associations de banquiers et des assureurs, l’Association transports et environnement. Soutien inhabituel qui démontre l’amplitude des débats, l’Université de Neuchâtel s’est officiellement engagée pour les bilatérales en raison du système d’échange qui les accompagne. Dans le rang des partis politiques: le PDC, le PS, le PRD, le Parti libéral, le Parti chrétien-social et l’UDC sont allés dans le sens du Conseil fédéral. Le débat au sein de cette dernière fut particulièrement houleux et a vu Christoph Blocher légèrement vaciller à la tribune du congrès réuni sur la question des bilatérales. Par 297 voix contre 201, les délégués UDC ont donné un mot d’ordre favorable aux accords, alors que leur leader médiatique n’avait pu afficher une position claire et cohérente sur la question (à relever que, le même jour, les délégués du Parti de la liberté eurent moins d’atermoiements pour recommander un «non» massif)
[12]. Ainsi, plus de la moitié des sections cantonales de l’UDC se sont opposées à la décision du parti national. Second camouflet pour Christoph Blocher, la position de l’ASIN dont il est le président a été largement débattue par ses propres adhérents réunis en congrès, furieux qu’une recommandation de vote vis-à-vis de la votation ne fut même pas à l’ordre du jour. Au final, l’ASIN a, contre l’avis de Blocher, décidé de voter un mot d’ordre. Ce dernier a débouché sur un «non» très majoritaire
[13].
Le 21 mai, la votation s’est soldé par un net plébiscite des bilatérales, par
67,2% de «oui» contre 32,8% de «non». Fait nouveau depuis le refus de l’adhésion à l’EEE en 1992, le fossé entre les deux principales régions linguistiques s’est notablement rétréci: les bilatérales ont été acceptées aussi bien en Suisse alémanique qu’en Romandie. Seul avec Schwytz, le Tessin a refusé les accords avec 57% de «non». Vaud a été le canton où l’on a le plus massivement voté en faveur des accords (80,3%). Avec une
participation de 48,3% – en dessus de la moyenne, mais très loin des 79% de la votation de l’EEE –, le vote s’est cristallisé autour du «sentiment européen» des électeurs: l’analyse VOX fait apparaître que, si 93% des partisans de l’ouverture vers l’UE ont plébiscité les bilatérales, seulement 13% des isolationnistes ont introduit un «oui» dans les urnes. Les jeunes se sont moins mobilisés que les personnes âgées entre 50 et 69 ans, avec un petit 28% de participation chez les 18-29 ans. Au niveau partisan enfin, 93% des sympathisants du PS ont accepté les bilatérales, 83% des radicaux, 69% des démocrates-chrétiens. Par contre, les partisans UDC ont rejeté par 76% les accords
[14].
«Accords bilatéraux entre la Suisse et l’Union Européenne»
Votation du 21 mai 2000
Participation: 48,3%
Oui: 1 497 093 (67,2%) / 24 cantons
Non: 730 980 (32,8%) / 2 cantons
Mots d'ordre:
– Oui: PRD, PDC, UDC (14*), PS, PL, PEP, PES (1*), PdT; economiesuisse, USAM, USP, USS, FSE.
– Non: PdL (ex-PA), Lega, DS, UDF, KVP; ASIN.
* Recommandations différentes des partis cantonaux
Fort de l’appui important du peuple suisse,
Pascal Couchepin a rencontré à Bruxelles cinq commissaires européens, dont le président Romano Prodi. Le chef du Département de l’économie a bataillé pour une ratification rapide des accords bilatéraux – bien que le Parlement européen ait voté son avis favorable, chaque parlement national doit encore les ratifier. A la fin de l’année sous revue, seule l’Autriche avait signé les accords (le vote avait aussi eu lieu aux parlements italiens et portugais, mais les décisions n’avaient pas encore été transmises à Bruxelles). Pascal Couchepin, outre le souci de l’adhésion à l’UE à long terme, a aussi discuté les possibilités d’un
nouveau cycle de relations bilatérales, principalement dans les domaines laissés en suspens lors des dernières discussions en date. Dossiers concernés en priorité: l’information, les médias, la fraude douanière et fiscale, la coopération en matière de justice et de sécurité intérieure. Pour cette dernière, le Conseil fédéral a d’ores et déjà réaffirmé le caractère non négociable du secret bancaire
[15]. Le gouvernement s’est par contre montré très intéressé par le dossier concernant la collaboration policière défini dans l’accord de Schengen. Les nouveaux instruments de contrôle mis sur pied par l’UE afin de pallier au déficit de contrôle aux frontières obligent la Suisse à s’adapter, a rappelé le gouvernement au sortir d’une séance spéciale. Le chapitre des fraudes douanières avait déjà, plus tôt dans l’année, motivé les foudres de l’UE à l’encontre des autorités helvétiques, sermonnées pour le peu d’efficacité de leur lutte contre la contrebande. La Commission de Bruxelles a stigmatisé la prétendue impunité dont jouissent les fraudeurs en Suisse et a placé l’adoption des standards de l’UE à ce sujet au cœur des futures négociations
[16].
La législature 2003-2007 devrait voir l’ouverture des négociations concernant l’adhésion de la Suisse à l’UE, selon le Conseil fédéral. Celui-ci, par la voix de Joseph Deiss, a annoncé à maintes reprises qu’il examinerait rapidement les conséquences d’une entrée dans l’Union, dans des domaines comme le fédéralisme, les droits populaires, les impôts – avec une TVA qui passerait à 15% –, la politique économique et monétaire. La perspective d’une ouverture des négociations a traversé l’entièreté des interventions du gouvernement en matière de politique étrangère au cours de l’année sous revue.
Plus concrètement, l’année fut rythmée au pas de
l’initiative populaire «Oui à l’Europe» que les chambres fédérales ont empoigné dans un débat haut en couleurs. Premier jalon au calendrier,
le
Conseil
fédéral a rejeté le texte de l’initiative et a proposé au parlement un contre-projet indirect, non soumis au referendum facultatif et principalement caractérisé par la confirmation du gouvernement de se donner comme but l’intégration de la Suisse à l’UE, ceci sans qu’un délai soit fixé, ainsi que par une totale autonomie du gouvernement quant à l’éventuel dégel de sa demande d’adhésion déposée en 1992 – comme prévu par la Constitution
[17]. Suite à l’annonce du contre-projet fédéral, les initiants l’ont jugé trop laxiste et ont refusé de retirer leur texte, fixant des modalités et des délais très précis. Soumise au Conseil national en session estivale, l’initiative a déchaîné les passions et entraîné de nombreux remous au sein même des partis. Le jour du vote, 70 orateurs se sont succédés à la tribune, durant plus de neuf heures de débat. Par 113 voix contre 61, les parlementaires ont rejeté l’initiative populaire avant de s’échauder autour des nombreux contre-projets présentés par les partis. L’acceptation d’une alternative jouait un rôle fondamental de l’avis des pro-européens, désireux, à défaut de voir l’initiative acceptée par le peuple, de lancer un débat de fond sur l’urgence de renouer avec une demande d’adhésion. Finalement, le contre-projet enfanté dans le douleur par le PDC a été retenu de justesse par 99 voix contre 84. Le texte du PDC, un peu plus contraignant que celui du Conseil fédéral, exhortait ce dernier à préparer les négociations et à soumettre un rapport sur les conséquences institutionnelles, économiques, monétaires, sociales et environnementales d’une adhésion suisse. Toujours selon le contre-projet, le gouvernement aurait aussi l’obligation de préparer les réformes nécessaires, gardant toute discrétion quant au choix du moment adéquat pour une réactivation des discussions avec l’UE. La Chambre des cantons a rejeté l’initiative (par 33 voix contre 9) et son contre-projet démocrate-chrétien (par 29 contre 16). La majorité était d’avis que la Confédération ne devait pas se focaliser sur l’unique voie d’une adhésion à l’UE, mais laisser aussi le chemin libre pour d’autres formes de collaboration. A la Chambre du peuple comme au Conseil des Etats, le contre-projet a pu compter sur l’appui des socialistes, des Verts, des libéraux, d’une majorité du PDC et d’une minorité des radicaux. Le refus alémanique fut très net à la Chambre des cantons: un seul sénateur germanophone s’est engagé en faveur du contre-projet
[18].
Suite au refus des Etats, le Conseil national a rapporté à la session suivante le dossier européen, alors que les promoteurs de l’initiative «Oui à l’Europe» annonçaient qu’ils ne retireraient pas leur texte au cas où les Chambres ne parviendraient pas à s’entendre sur un contre-projet acceptable
[19]. Au cours de la pause estivale, la commission de politique extérieure du Conseil national a confirmé son attachement au texte du contre-projet parlementaire, par 15 voix contre 8
[20]. A la session d’automne, la Chambre du peuple a maintenu son soutien au contre-projet, par 97 voix contre 83, selon la même découpe partisane qu’à la session précédente. Après que la commission de politique extérieure du Conseil des Etats eut à nouveau refusé le texte par 8 voix contre 5,
la Chambre des cantons a définitivement enterré le contre-projet, à une majorité de 26 voix contre 15 [21]. Les initiants ont annoncé leur volonté de présenter malgré tout leur initiative au peuple, regrettant que le refus d’un contre-projet ne leur permettait pas de la retirer
[22].
Face au maintien de l’initiative «Oui à l’Europe» par ses promoteurs, le Conseil fédéral a inscrit au 4 mars 2001 la votation populaire. A ce sujet, l’Union syndicale suisse et le Comité des syndicats chrétiens se sont prononcés en faveur du oui en toute fin de l’année
[23].
[5]
LT, 12.12.00 (Nice);
24h, 24.11.00 (Sochaux).5
[6]
BO CN, 2000, p. 590; voir
APS 1997, p. 73.6
[8]
24h, 25.1 et 4.4.00;
LT, 17.2.00 (signatures); voir
APS 1999, p. 85 ss.8
[12]
Bund, 1.4 (Vorort) et 17.4.00 (UDC);
24h, 7.4.00 (liste des partisans);
LT, 3.5.00 (Uni Neuchâtel);
Lib., 17.4.00 (PdL).12
[13]
BaZ et
24h, 15.5.00.13
[14]
FF, 2000, p. 3538 s.; presse du 22.5.00; H. Hirter / W. Linder,
VOX no 70, Analyses des votations fédérales du 21 mai 2000, Berne 2001.14
[16]
24h, 22.5.00 (Couchepin à Bruxelles);
LT, 22.3 et 31.8 (fraude et contrebande), 17.11.00 (nouvelles négociations).16
[17]
FF, 2000, p. 3322 ss.17
[18]
BO CN, 2000, p. 538 ss.;
BO CE, 2000, p. 327 ss. et 358 ss.; presse du 8.6 et 16.6.00.18
[21]
BO CN, 2000, p. 920 ss.;
BO CE, 2000, p. 623 ss.21
[23]
FF, 2000, p. 5384;
TG, 19.12.00 (CSC);
LT, 22.12.00 (USS).23
Copyright 2014 by Année politique suisse