Année politique Suisse 1971 : Chronique générale / Politique étrangère suisse
Bons offices
Le
maintien de la paix, « but suprême » de la politique étrangère suisse
[71], ne saurait être assuré par des moyens purement empiriques. Une étude scientifique des conflits s'impose. La création, dans ce but, d'un institut national, tel qu'il en existe déjà dans plusieurs pays, permettrait de remplir cette noble tâche, en même temps qu'elle représenterait un apport appréciable à la recherche futurologique
[72]. Deux enquêtes d'opinion auprès des candidats aux élections des Chambres fédérales ont montré l'accueil favorable que rencontrait cette idée
[73]. Partant d'un point de vue plus général, le Conseil suisse de la paix a préconisé la mise aù point par le Conseil fédéral d'une conception d'ensemble des moyens propres à sauvegarder la paix
[74]. Le gouvernement ne s'est pas encore prononcé sur cette demande. En revanche, il a signé le traité. sur l'interdiction de placer des armes nucléaires et d'autres armes de destruction massive sur le fond des mers et océans ainsi que dans leur sous-sol
[75]. Quant au traité de non-prolifération de ces mêmes armes nucléaires, la Suisse ne l'a pas encore ratifié. En 1969, la raison invoquée à l'apposition de la signature avait été le principe d'universalité, 91 Etats ayant précédé notre pays
[76].
Or en 1971, exposant le motif pour lequel il ne l'avait pas encore soumis à ratification, le Conseil fédéral a déclaré explicitement: «Ce traité n'a pas atteint le degré d'universalité qui nous paraît nécessaire»
[77]. La contradiction entre ces deux affirmations semble devoir s'expliquer, du moins en partie, par les oppositions au traité qui se sont manifestées en Suisse ces dernières années
[78]: elles auraient incité le gouvernement à fixer encore plus haut le degré requis d'universalité.
Aucun événement marquant n'est venu souligner le projet d'une Conférence européenne de sécurité. Toujours favorablement disposée, la Suisse pourra d'autant plus facilement mettre en évidence sa politique de paix que l'un des futurs et principaux participants à la conférence, l'Allemagne fédérale, a déclaré, par la voix du chancelier Willy Brandt, Prix Nobel de la paix 1971, que les neutres avaient à y jouer un rôle spécifique. Le DPF a travaillé dans ce sens à l'élaboration d'un projet de traité international d'arbitrage
[79].
Autre point de concertation dont le but est de servir la paix dans le monde, l'
Organisation des Nations Unies. En 1969, l'Assemblée fédérale avait décidé la présentation périodique, par le gouvernement, d'un rapport sur les relations de la Suisse avec la grande institution. Le premier de ces documents a été publié en 1971
[80]. Il décrit l'oeuvre et l'évolution de l'Organisation de 1969 à 1971, l'importance et la complexité des tâches mondiales qu'elle dirige ainsi que la multiplicité des liens qui unissent déjà notre pays à ses institutions spécialisées. L'entrée de la Chine populaire au palais de Manhattan a fait de 1971 une année capitale pour l'Organisation, en passe de devenir véritablement et prochainement universelle. Le Conseil fédéral saisit l'occasion pour signaler le danger d'isolement qui menace le pays
[81]. A la longue, l'absence de la Suisse serait même mal comprise de l'opinion mondiale qui voit par ailleurs notre pays collaborer si activement aux institutions techniques de l'Organisation. Il devient ainsi nécessaire, selon le Conseil fédéral, de clarifier cette situation ambigue. A cette fin, notre exécutif a déclaré son intention de créer, comme en 1918 et 1945, une commission consultative ad hoc ayant mandat d'étudier le problème de l'adhésion. Toutefois la décision finale ne devrait intervenir qu'une fois résolu le problème prioritaire de nos rapports avec la future Europe des Dix
[82].
L'attitude gouvernementale a provoqué une réaction négative des adversaires de l'adhésion à l'ONU, tandis qu'elle a réjoui ses partisans
[83]. Parmi ces derniers, l'Association suisse pour les Nations Unies a cependant assorti son approbation de la crainte que l'ordre de priorité établi ne soit préjudiciable au règlement définitif du problème. Elle a encore regretté que l'année 1970, qui a marqué le vingt-cinquième anniversaire de l'Organisation, n'ait pas été celle de l'entrée à Manhattan
[84]. Déception renforcée d'un côté par la déclaration de M. Graber selon laquelle une procédure d'adhésion ne serait pas introduite avant 1974-1975
[85], mais atténuée de l'autre par le fait que l'opinion publique helvétique — les enquêtes convergent sur ce point
[86] — semble évoluer dans un sens favorable à une présence à part entière de la Suisse à New York.
S'agissant de la tradition suisse d'hospitalité, il ne sera pas question ici du problème dit de la surpopulation étrangère
[87], mais uniquement de l'accueil fait dans le pays aux institutions internationales et de celui réservé aux réfugiés politiques et aux étrangers venant chez nous pour s'exprimer publiquement. Sur le premier point, trois mesures sont à signaler. Un accord a été signé avec l'Union interparlementaire conférant à cette dernière un statut analogue à celui d'autres organisations internationales établies en Suisse
[88]. Par ailleurs, le Parlement a décidé à une très forte majorité, et malgré l'opposition de J. Schwarzenbach, d'octroyer un prêt jusqu'à concurrence de 86 millions de francs à la Fondation des immeubles pour les organisations internationales à Genève (
FIPOI)
[89]. Enfin le Conseil fédéral s'est proposé de contribuer aux frais administratifs d'une institution des Nations Unies, la Commission économique pour l'Europe
[90]. De passage à Berne, le secrétaire général U Thant a rendu visite à notre exécutif et a remercié le pays pour l'appui qu'il donne à l'Office des Nations Unies à Genève
[91].
En 1970, deux ressortissants brésiliens, opposants au régime de leur pays, et trois familles de réfugiés bulgares avaient été priés de quitter le sol national
[92]. Les vives et nombreuses critiques qu'avaient alors suscitées ces expulsions se sont poursuivies en 1971 du fait que les recours déposés contre les mesures fédérales ont été rejetés
[93]. D'autres demandes d'asile, parmi lesquelles celle de l'Américain Timothy Leary, apôtre de la drogue et adversaire de la guerre du Vietnam, ont été refusées
[94]. En outre, plusieurs interdictions d'entrée en Suisse ont été lancées contre des étrangers désirant y prononcer des conférences à caractère politique
[95]. Le permis d'entrée accordé à l'archevêque brésilien Camara à lui aussi soulevé des remous, l'orateur ayant émis un jugement négatif sur la neutralité suisse
[96]. Interdictions et autorisations ont fait parler de discrimination idéologique et mis en cause l'arrêté fédéral de 1948 sur le séjour et l'établissement des étrangers, ainsi que l'ordonnance d'exécution y relative. L'arrêté a même été déclaré anticonstitutionnel par un député qui a demandé sa suppression pure et simple
[97]. Une révision a été préconisée dans le sens d'une libéralisation, plus conforme aux institutions démocratiques et aux traditions d'accueil de la Suisse. Des démarches ont été entreprises dans ce sens. Un postulat Götsch (pss, ZH) a été adopté par le Conseil national, et le Conseil fédéral a décidé d'introduire une procédure de consultation en vue d'une révision éventuelle de l'ordonnance
[98]. A cette occasion, nos autorités ont fait remarquer que sur 760 interdictions d'entrée en Suisse actuellement en vigueur, 210 concernaient des personnes accusées ou suspectes d'espionnage, 200 des extrémistes de gauche et 350 des extrémistes de droite
[99]. Et pour montrer que l'hospitalité helvétique n'était pas un mythe, il a été relevé que 35.000 réfugiés résidaient aujourd'hui dans notre pays
[100].
[71] PDC, Programme d'action 71, p. 51, thèse 145.
[72] G. KOCHER, B. FRITSCH, Zukunftsforschung in der Schweiz, Bern 1970, p. 22. Sur le rapport Ganz, cf. infra, p. 149.
[73] Enquête de l'Union européenne de Suisse: 79 % de oui (Europa, 38/1971, no 11/12, p. 2). Selon l'enquête de la Déclaration de Berne, la très grande majorité des personnes ayant répondu à cette question se sont déclarées favorables (NZ, 481, 19.10.71).
[76] Cf. APS, 1969, p. 43; 1970, p. 47.
[80] FF, 1972, I, p. 1 ss. Le rapport est daté du 17.11.71.
[82] FF, 1972, I, p. 47 et 53.
[83] Réactions négatives: entre autres NBZ, 298, 22.12.71. Réactions positives: AZ, 270, 18.11.71; 299, 22.12.71; JdG, 269, 18.11.71; GdL, 298, 22.12.71.
[85] NZ, 590, 22.12.71; TdG, 298, 22.12.71.
[86] Enquête de l'Union européenne de Suisse: 71 % de oui en faveur de l'adhésion (Europa, 38/1971, no 11/12, p. 2). Une enquête de 1967 ne donnait que 54 % de oui (ibid.). Les enquêtes de TdG et de la Déclaration de Berne fournissent également une majorité de réponses positives (TdG, 239, 14.10.71; NZ, 481, 19.10.71). Se sont en outre prononcés explicitement en faveur de l'adhésion: l'Union libérale-démocratique suisse (JdG, 145, 25.6.71); les libéraux-socialistes (NZZ, 136, 23.3.71).
[87] Cf. infra, p. 124 ss.
[88] RO, 1971, p. 1602 s.; GdL, 226, 29.9.71; NZZ, 453, 29.9.71.
[89] Message du CF: FF, 1971, I, p. 441 ss. CN: Bull. stén. CN, 1971, III, p. 947 s.; IV, p. 1299. CE: Bull. stén. CE, 1971, IV, p. 598. Arrêté fédéral: FF, 1971, II, p. 944 s. Commentaires: NZZ, 96, 27.2.71; NZ, 96, 28.2.71; JdG, 145, 25.6.71; TA, 145, 25.6.71.
[90] Message du CF: FF, 1971, II, p. 1417 s.
[91] JdG, 96, 27.4.71; NZ, 189, 27.4.71; NZZ, 192, 27.4.71.
[92] Cf. APS, 1970, p. 49.
[93] Recours de la section genevoise de la Ligue suisse des droits de l'homme contre deux Brésiliens: JdG, 54, 6./7.3.71; TLM, 65, 6.3.71. Interpellation Schütz (pss, ZH): Délib. Ass. féd., 1971, I/II, p. 58; TdG, 64, 18.3.71. Lettre ouverte aux Chambres et rejet par celles-ci: Délib. Ass. féd., 1971, I/II, p. 62. Dans le cas des Bulgares, deux recours ont été présentés; les deux ont été rejetés: GdL, 65, 19.3.71; NZZ, 131, 19.3.71; AZ, 186, 12.8.71; TdG, 186, 12.8.71. Petite question Ziegler (pss, GE): Délib. Ass. féd., 1971, I/II, p. 62.
[94] Leary a fait encore l'objet d'une demande d'extradition de la part des Etats-Unis; elle a été repoussée par Berne. Sur l'ensemble de l'affaire, cf. GdL, 152, 3./4.7.71; 169, 17./18.7.71; 183, 9.8.71; 304, 30.12.71; NZZ, 304, 4.7.71; 329, 19.7.71; 364, 8.8.71; 365, 9.8.71. Les écrivains du groupe d'Olten ont demandé au DFJP d'accorder l'asile à Leary: GdL, 176, 31.7./1.8.71. Autres demandes d'asile: A. Herget, apprenti autrichien (GdL, 232, 6.10.71; NZ, 461, 7.10.71); W. Rahman, diplomate pakistanais (JdG, 256, 3.11.71; Lb, 256, 3.11.71).
[95] La première en date a touché E. Mandel, économiste belge de tendance trotzkiste: GdL, 151, 2.7.71; 157, 9.7.71; NZZ, 302, 2.7.71; 305, 5.7.71; 314. 9.7.71. Protestations de la Ligue marxiste révolutionnaire ainsi que de douze conseillers nationaux socialistes contre l'interdiction d'entrée: GdL, 153, 5.7.71. Tw, 168, 22.7.71; AZ, 168, 22.7.71. Deux recours contre cette interdiction ont été présentés et rejetés: Bund, 158, 11.7.71; NZZ. 337, 23.7.71. Deux autres interdictions d'entrée ont frappé le communiste vietnamien Huynh Cong Tam (NZZ, 523, 9.11.71) et l'écrivain iranien Nirumand (NZZ. 552, 26.11.71; NZ, 553, 30.11.71). Cf. dans ce dernier cas la petite question Hubacher (pss, BS) et l'interpellation Villard (pss, BE): NZ, 568, 9.12.71; Délib. Ass. féd., 1971, V, p. 58; TdG, 281, 2.12.71.
[96] TLM, 199, 18.7.71; AZ, 165, 19.7.71; GdL, 165, 19.7.71; NZN, 165, 19.7.71;167, 21.7.71; NZZ, 333, 21.7.71; 336, 22.7.71; TdG, 167, 21.7.71; Lb, 167, 22.7.71; NZ, 330, 22.7.71.
[97] Motion Ziegler (pss, GE): Délib. Ass. féd., 1971, V, p. 43.
[98] Bull. stén. CN, 1971, p. 72 ss. et 404 ss.; NZ, 125, 18.3.71; TdG, 64, 18.3.71; NZZ, 438, 21.9.71. Se sont exprimés en faveur de la révision: L'Alliance des indépendants du canton de Zurich (NZZ, 344, 27.7.71); le Conseil suisse de la paix (TA, 245, 20.10.71). En outre, le Grand Conseil du canton du Tessin s'est déclaré en faveur de la présentation d'une initiative d'Etat auprès des Chambres fédérales: NZZ, 488, 20.10.71.
[99] GdL, 185, 11.8.71; NZZ, 370, 11.8.71.
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