Année politique Suisse 1971 : Economie / Agriculture
 
Politique agricole
Bien qu'elle ne représente plus qu'une portion minime du produit national brut (5-6 % en 1971) [1], l'agriculture reste une réalité fondamentale de la Suisse d'aujourd'hui. Tous les partis politiques s'accordent à le reconnaître, comme le montrent leurs programmes d'action publiés en cette année électorale [2]. Les développements plus ou moins abondants qui lui sont consacrés sont unanimes pour affirmer la nécessité de son maintien, sous certaines formes en tout cas. Diverses raisons sont invoquées à cela: approvisionnement du pays en temps de crise, pfotection de l'environnement, sauvegarde du patrimoine culturel, équilibre démographique, géographique, politique et moral du pays. Les moyens propres à réaliser cet objectif commun à l'ensemble des formations politiques divergent parfois sensiblement. Cela est vrai aussi bien de la forme à donner aux structures agraires que de la politique à suivre en matière de prix, de revenus ou d'importations de produits agricoles.
En ce qui concerne les structures, la plupart des partis semblent favorables au maintien de l'exploitation de type familial jouissant d'une unité rentable de production. Toutefois l'Alliance des indépendants ne se prononce pas explicitement sur ce caractère familial et insiste sur l'application des critères de productivité et de rentabilité qui doivent conférer à notre agriculture les caractères d'une industrialisation de plus en plus poussée et une capacité concurrentielle à ses produits. Il est ici intéressant de constater que l'extrême-droite et l'extrême-gauche, respectivement les républicains et les communistes, se rejoignent pour dénoncer certaines formes de capitalisme qu'elles jugent redoutables: la concentration de la propriété foncière et «l'esclavage» résultant de la toute-puissance des grosses entreprises.
Le Parti évangélique rejette également ce qu'il appelle un «féodalisme moderne ». Pour sa part, le PAB, formation vouée plus particulièrement à la défense des intérêts et idéaux de la paysannerie, combat les mesures étatiques qui visent sciemment à l'abandon de domaines agricoles, donc à la diminution de la population campagnarde. L'exode rural, effectivement très prononcé dans certaines parties du pays, doit être sinon stoppé du moins fortement ralenti: c'est l'avis des quatre partis gouvernementaux — les autres, les indépendants notamment, ne se prononcent pas sur ce point — qui proposent de soutenir l'agriculture de montagne et des préalpes par des mesures spécifiques, comme par exemple une politique générale de développement.
La politique actuelle des prix et des revenus agricoles suscite, de la part des partis, les prises de position les plus variées. La loi sur l'agriculture semble représenter ici le point de vue dominant des partis dits bourgeois. Toutefois le PAB, soulignant le rôle de plus en plus important dévolu aux paysans comme jardiniers du paysage, demande qu'il en soit davantage tenu compte dans leur revenu. Les radicaux formulent un postulat analogue en ce qui concerne l'agriculture de montagne. Les socialistes et les indépendants condamnent au contraire ouvertement la politique fédérale de subventionnement qui lèse, disent-ils, contribuables et consommateurs. Le PSS précise son point de vue en demandant de remplacer le système de la garantie des prix à l'écoulement des produits, qui ne profite selon lui qu'aux « gros paysans », par une garantie des revenus adaptés aux conditions des zones agricoles. Quant aux restrictions et tentatives de restrictions dont est l'objet l'importation des produits agricoles étrangers, il estime qu'elles nuisent aux relations commerciales de la Suisse. Les indépendants les trouvent également injustifiées; ils proposent une libéralisation du marché et appellent à la lutte contre les contingentements et contre les privilèges dont jouissent notamment les « barons du fromage ». Le PDC et le PAB postulent au contraire l'application de mesures efficaces contre les importations qu'ils qualifient de ruineuses.
A côté des points importants qui viennent d'être présentés et sur lesquels se sont prononcés la majorité des partis, d'autres ne figurent que dans un seul programme, lui conférant ainsi une certaine note d'originalité. En voici quelques exemples. Les radicaux parlent d'un plus large accès des paysans aux prestations des assurances sociales, les socialistes de la nécessité d'un nouveau droit foncier pour désendetter l'agriculture, les agrariens de la revalorisation de la profession paysanne, les évangéliques de la création d'un centre de recherche sur les méthodes de culture biologique, les communistes de l'organisation de l'agriculture sur une base coopérative.
A la publication par les partis politiques de leurs objectifs agricoles à court terme est venue s'ajouter en 1971 une étude scientifique sur les perspectives plus lointaines de développement du secteur primaire de notre économie [3]. Les tendances qu'elle dessine s'inscrivent dans un contexte où les données économiques générales sont sensées, par hypothèse, ne pas devoir subir de modifications fondamentales par rapport à l'évolution actuelle. Ce principe posé, l'étude aborde les divers aspects de l'agriculture suisse de demain. Le nombre des exploitations diminuera (de 40 à 50 % en moins jusqu'en l'an 2000), de même que la population paysanne, tandis que la surface moyenne des domaines s'accroîtra (8 hectares en 1955, 13 en 1969, 20 en l'an 2000). La spécialisation sera plus poussée et le besoin en capitaux augmentera fortement. La part du revenu consacré aux investissements deviendra aussi plus importante, ce qui nécessitera un plus large appui financier de la part des pouvoirs publics. Par rapport à la période actuelle, l'accroissement annuel moyen du revenu global réel des exploitants se ralentira: la progression, qui était de 2,6 % entre 1955 et 1970, passera à 1,6 % entre 1970 et l'an 2000. La production continuera d'augmenter, malgré le recul des surfaces cultivables. Quant à la consommation, elle diminuera pour certains produits (blé, riz, pomme-de-terre, graisse animale, lait frais) et augmentera pour d'autres (viande, poisson, fruits exotiques, vin, graisse et huile végétales, lait conditionné, fromage). Elle restera stable pour d'autres produits importants (légumes, fruits du pays, oeufs, beurre, sucre).
Les problèmes soulevés par les structures agricoles et évoqués dans l'étude précédente ainsi que dans les programmes des partis politiques ont encore fait l'objet, au niveau fédéral, de nombreuses démarches et décisions. Elles ont trait à des aspects juridiques, économiques et sociaux de ces structures. Le Conseil fédéral a proposé une revision du droit civil rural en ce qui touche notamment les baux' à ferme. Le Conseil des Etats en a délibéré à sa session d'été. Il a adopté le projet gouvernemental en rejetant de justesse, par 17 voix contre 16, une proposition Guisan (lib., VD) visant à conférer aux cantons, et non à la Confédération, le droit de désigner l'autorité appelée à juger dans les cas de prolongation de bail. La Chambre des cantons a en outre adopté un postulat Amstad (pdc, NW) demandant d'incorporer l'ensemble du droit civil rural dans le code civil suisse et le code des obligations [4]. Les deux Chambres ont approuvé un projet du Conseil fédéral relatif à la prolongation et au développement de l'octroi des crédits d'investissements dans l'agriculture. Il est prévu d'y engager 800 à 850 millions de francs jusqu'à fin 1980 [5]. Au National, un postulat Locher (pab, BE), recouvert de 47 signatures représentant entre autres les quatre partis gouvernementaux, a été adopté: il concerne la création d'un fonds de solidarité en faveur des améliorations-financières et la réfection des bâtiments agricoles. Au National encore, une motion Teuscher (pab, VD) a été déposée demandant une modification du projet de loi sur l'aménagement du territoire pour permettre d'indemniser les terres attribuées à la zone agricole. Enfin trois conseillers nationaux ont présenté des postulats relatifs au statut social de la paysannerie. Le Saint-Gallois Hagmann (pdc) demande une amélioration du régime des allocations familiales aux travailleurs agricoles et aux petits paysans, le Thurgovien Bommer (pdc) un affermissement de la situation de la paysanne, le Vaudois Junod (rad.) la mise sur pied d'une « charte sociale agricole suisse » qui, non seulement introduirait des nouveautés sur le plan de la prévoyance — comme le versement anticipé dans certains cas de la rente AVS — mais encore coordonnerait les mesures fédérales actuelles applicables à la population rurale [6].
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Revenu
S'agissant dé leur revenu, les agriculteurs ont à nouveau manifesté une certaine mauvaise humeur. La progression continue du renchérissement a permis à certains de leurs défenseurs de faire valoir l'idée d'une indexation systématique, alors qu'elle a incité l'Union suisse des paysans (USP) à réclamer, en début d'année, un relèvement général de 8 % des prix payés aux producteurs. Dans une pétition au Conseil fédéral, le PAB a présenté la même demande. En avril, le gouvernement a partiellement satisfait ces deux dernières revendications en augmentant les prix de base d'environ 6 % en moyenne. Le lait a passé de 58 à 62 centimes le litre; les autres hausses ont porté sur les prix de la viande, des céréales, du colza et de la betterave à sucre. En outre, le contingent laitier a été fixé à 26 millions de quintaux (25,75 auparavant). Ces ajustements ont permis en principe d'augmenter le revenu paysan de 130 millions de francs, dont 50 millions supportés par la Confédération, le reste par les consommateurs qui ont dû payer quatre à cinq centimes plus cher le litre de lait [7]. L'USP a accueilli plutôt avec faveur les améliorations consenties, l'Union centrale des producteurs de lait — qui avait demandé une augmentation de cinq centimes sur le lait — avec réserve, l'Union des producteurs suisses avec mécontentement. Organisation dissidente, cette dernière a menacé de recourir à certains procédés spectaculaires pour faire triompher leurs revendications. A la fin de l'année elle a demandé, par la bouche de l'un de ses représentants, une augmentation de dix centimes sur le prix de base du lait [8].
Préoccupée des conséquences qu'entraînait le renchérissement des produits agricoles, la Fédération suisse des consommateurs a proposé d'adapter leurs prix à ceux du Marché commun et de compenser les pertes des agriculteurs suisses par des subventions directes. Pour étudier ce dernier point, le DFEP a institué une commission d'experts. Quant au premier, il soulève le délicat problème de l'institution éventuelle d'un « volet agricole» entre la Suisse et la CEE. S'il est vrai que les objectifs de la politique agricole sont identiques de part et d'autre, les conditions existantes demeurent fort différentes, non seulement pour ce qui est des structures de coût et de production, mais aussi et surtout en ce qui concerne le système de revenu. L'application pure et simple des prix en vigueur dans la CEE réduirait le revenu net des agriculteurs suisses de 50 % en moyenne. De plus, déclare le Conseil fédéral, elle abaisserait le degré déjà fort bas d'auto-approvisionnement du pays. Toutefois le Conseil fédéral pense que des arrangements sont possibles qui répondraient aux « nécessités d'une solution globale équilibrée et fondée sur la réciprocité » [9]. Des échanges de vues et d'informations ont eu lieu à ce sujet dans le cadre des pourparlers exploratoires de Bruxelles. Une étude, commandée par la CEE, a même été faite à l'Université de Kiel (RFA) sur l'agriculture et la politique agricole suisses [10].
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Pollution alimentaire
Parmi les autres problèmes généraux de notre agriculture nationale, celui de la pollution alimentaire devient de jour en jour plus préoccupant. Non que le degré de pollution soit plus élevé chez nous que dans les autres pays industrialisés, mais avant tout, semble-t-il, du fait que la sensibilité du consommateur aux nuisances s'est accrue et que les exigences du rendement poussent à l'utilisation par trop massive des engrais de synthèse, des herbicides, germicides et pesticides de tout genre. L'emploi des pesticides répond aussi au besoin, plus ou moins légitime certes mais réel du consommateur, de se voir présenter des produits de belle apparence extérieure. Quant aux antibiotiques, ils sont également polluants, mais les nécessités de l'hygiène ne peuvent que difficilement en éviter la présence, dans la viande et le lait notamment. Au nombre des nouvelles mesures prises en 1971 pour protéger la santé publique, citons une ordonnance fédérale qui prescrit aux cantons l'entretien d'un service d'inspection et de consultation laitière. Par ailleurs le Conseil fédéral, répondant en avril à une petite question Schmid (ind., ZH), a annoncé que la vente du DDT pour le traitement des plantes serait définitivement interdite avant la fin de l'année. D'autres démarches parlementaires ont été introduites. La motion Schalcher (dém., ZH), déposée en 1970 et demandant la création d'une station d'essais de culture biologique, a été adoptée comme postulat par le Conseil national [11].
 
[1] Rapport de la Commission de recherches économiques, 212, supplément de La Vie économique, 44/1971, décembre, p. 4.
[2] Les indications bibliographiques sur ces programmes figurent dans la troisième partie du présent volume, p. 177 s., dans les notes 15 ss.
[3] Arbeitsgruppe Perspektivstudien (F. Kneschaurek), Entwicklungsperspektiven der schweiz. Volkswirtschaft bis zum Jahre 2000, III A: Entwicklungsperspektiven der schweiz. Landwirtschaft, St. Gallen 1971.
[4] Droit civil rural: message complémentaire du CF, in FF, 1971, I, p. 753 ss. CE: Bull. stén. CE, 1971, p. 393 ss. et 434 ss. Postulat Amstad: ibid., p. 448 s.
[5] Message du CF: FF, 1911, I, p. 97 ss. CE: Bull. stén. CE, 1971, p. 415 ss. et 663. CN: Bull. stén. CN, 1971, p. 1004 ss. et 1395. Loi: FF, 1971, II, p. 927 ss.
[6] Postulat Locher: Bull. stén. CN, 1971, p. 1018 s. Motion Teuscher: Délib. Ass. féd., 1971, III, p. 41 s. Postulat Hagmann: Délib. Ass. féd., 1971, V, p. 31. Postulat Bommer (adopté): Bull. stén. CN, 1971, p. 971 ss. Postulat Junod (adopté): ibid., p. 1374 ss.
[7] Indexation: petite question Clerc (lib., NE) au CE et réponse du CF (NEZ, 159, 12.7.71); congrès du PAI vaudois: NZZ. 89, 23.2.71. USP: NZZ. 30. 20.1.71. PAB: NZZ, 114, 10.3.71. Augmentation de 6 %: JdG, 92, 22.4.71; NZZ, 183, 22.4.71. Cf. infra, p. 183.
[8] USP: NZZ, 184, 22.4.71. Union centrale des producteurs de lait: NZZ, 37, 24.1.71; 184, 22.4.71. Union des producteurs suisses: NZZ, 187, 24.4.71; 599, 23.12.71; GdL, 95, 26.4.71; Tw, 96, 27.4.71.
[9] Fédération suisse des consommateurs: NZZ, 84, 20.2.71. DFEP: NZZ, 127, 17.3.71. Volet agricole (avec citation): FF, 1971, I, p. 68.
[10] Compte rendu, in NZZ, 393, 25.8.71. Négociations avec la CEE: cf. supra, p. 49.
[11] Ordonnance: RO, 1971, p. 1593 ss. DDT: NZZ, 185, 23.4.71; RO, 1972, p. 482 ss. Motion Schalcher: Bull. stén. CN, 1971, p. 1578; APS, 1970, p. 91 s. Voir aussi supra, p. 90.