Année politique Suisse 1972 : Eléments du système politique / Structures fédéralistes
 
Rapports entre la Confédération et les cantons et entre les cantons
Trois tendances principales se dessinèrent lors de la discussion sur une nouvelle conception des rapports entre la Confédération et les cantons. La première visait à conserver aux cantons la plus large indépendance possible. Mais, en raison de nombreuses imbrications, cela ne paraissait réalisable qu'au prix d'accords passés entre les cantons sous forme de concordats régionaux voire nationaux. Pour favoriser une telle évolution et surmonter les obstacles du particularisme, la Confédération devait faciliter la signature de concordats, en imposer même dans certaines conditions l'adhésion à tous les cantons, et pour certains domaines, tels la politique universitaire, l'aménagement du territoire ou la construction des routes nationales, déléguer ses compétences à des institutions intercantonales [4]. La deuxième tendance faisait abstraction des accords intercantonaux et visait à sauvegarder l'autonomie cantonale en distribuant en trois groupes les tâches de l'Etat : pour des secteurs tels que la défense nationale, l'assurance sociale, les routes nationales ou les universités, elle réservait toute compétence à la Confédération ; la compétence exclusive des cantons devait s'exercer en particulier dans les domaines suivants : hôpitaux, police, école primaire ; et pour les grandes tâches nouvelles telles que l'aménagement du territoire et la protection de l'environnement, elle préconisait une compétence commune qui laisserait aux cantons la responsabilité de l'exécution ; en outre, elle postulait une répartition plus simple des ressources financières (en gros, les impôts indirects pour la Confédération, les impôts directs pour les cantons) ainsi qu'une harmonisation de la fiscalité à réaliser par la Confédération [5]. Enfin, la troisième tendance renonçait à une répartition bien définie des tâches et réclamait une compétence générale de la Confédération ainsi qu'une étroite collaboration de la Confédération et des cantons dans tous les domaines, ceci en obligeant la Confédération de fournir à chaque partenaire les moyens financiers nécessaires [6].
La première tendance fut approuvée principalement par les représentants de la Suisse latine ; les deux autres par les représentants de la Suisse alémanique surtout. Ce furent essentiellement certains milieux radicaux qui défendirent le fédéralisme défini dans la première variante, tandis que ce furent divers représentants du PDC qui montrèrent le moins de réticences à sanctionner la collaboration de la Confédération et des cantons dans un nombre important de domaines [7]. Lors de certaines démarches parlementaires, le Conseil fédéral fit comprendre sa préférence pour les deux dernières tendances : il avait d'ailleurs déjà lancé l'idée d'un domaine commun à la Confédération et aux cantons dans les nouveaux articles constitutionnels sur l'enseignement [8].
Des essais furent tentés de développer la collaboration régionale par-delà les frontières cantonales, surtout dans le nord-ouest de la Suisse. Le peuple de Bâle-Campagne ayant approuvé en 1971 l'initiative de collaboration intercantonale, les gouvernements des deux, Bâle s'accordèrent sur un texte constitutionnel commun aux termes duquel les deux cantons étaient tenus à coopérer au niveau des autorités et dans le cadre de la région ; la collaboration entre Bâle et Liestal y était mise en évidence. Ce serait ainsi la première fois que l'idée de coopération figurerait dans la constitution d'un canton. Les cantons d'Argovie et de Soleure ont laissé entendre qu'ils avaient l'intention de prendre des dispositions semblables quand l'occasion leur en serait donnée par la révision totale de la Constitution [9]. Au Grand Conseil bernois, un représentant du Laufonnais demanda l'institutionnalisation de la collaboration avec les cantons du nord-ouest de la Suisse, afin que son district puisse participer davantage au développement de la région bâloise [10]. Tandis que l'on concevait la collaboration régionale en premier lieu sur le plan administratif, des voix s'élevèrent à nouveau dans l'ouest de la Suisse pour demander une collaboration des cantons romands dans le but de renforcer leur influence politique [11].
Comme on assistait à la formation de nouvelles unités territoriales, par suite de travaux dans l'aménagement du territoire, on s'est demandé s'il n'y avait pas lieu de remplacer les cantons aux frontières fixées par la tradition, par des zones nouvelles fondées sur des intérêts économiques [12]. Cette tendance à un regroupement ne s'est pas fait sentir seulement dans les questions intercantonales, mais encore à l'intérieur même des cantons ; à cet effet le gouvernement bernois fut le premier, dans le contexte de la question jurassienne, à proposer une régionalisation de l'ensemble du canton [13]. Dans d'autres cantons encore on envisagea, pour remplacer les associations de communes, la création de corporations régionales de droit public [14]. Un journal projeta même une Suisse structurée en cinq paliers (Confédération - région intercantonale - canton - région intercommunale - commune) : mais il rendait le lecteur attentif aux complications juridiques et administratives inhérentes à un tel système [15].
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Communes
La question de la structure juridique et celle des effets politiques qu'entraînent les associations de communes furent examinées par plusieurs organisations dans le cadre des problèmes de l'autonomie communale : la Société suisse des juristes et l'Union des villes suisses consacrèrent leurs assemblées annuelles à l'étude de ces questions. A cette occasion, elles publièrent de grandes enquêtes scientifiques [16]. Ces études émirent des réserves à l'égard de la création de nouvelles entités intermédiaires, et cela par souci de sauvegarder non seulement l'autonomie communale, mais aussi, pour certains de ces travaux, celle des cantons. Les auteurs attirèrent l'attention sur la sauvegarde du droit de participation du citoyen à la gestion de tels ensembles, ainsi que sur les possibilités de remembrement de grandes communes en unités plus opérationnelles. Des juristes aussi bien que des parlementaires exigèrent en outre que l'on inscrive l'autonomie communale dans le droit fédéral ; mais cette revendication fut à son tour contestée sous prétexte qu'elle portait atteinte à la souveraineté cantonale [17]. Il faut mettre à l'actif des démarches entreprises par les communes, la fondation, en septembre 1971, par l'Association des communes suisses, d'une Centrale d'émission d'emprunts, institution dont l'activité a été couronnée de succès [18].
 
[4] Motion Chevallaz (prd, VD), adoptée comme postulat par le CN (BO CN, 1972, p. 306 ss.). Cf. NZZ, 374, 13.8.72 et APS, 1970, p. 25, ainsi que Rémy Jéquier, « Le canton dans la Confédération : Etat ou ressort administratif ? », in Verwaltungs-Praxis, 26/1972, p. 307 ss. qui préconise une relance du fédéralisme à l'exclusion de toute contrainte du pouvoir central.
[5] Motion Binder (pdc, AG), adoptée par le CN (BO CN, 1972, p. 1676 ss.). Cf. aussi Bund, 150, 29.6.72 et APS, 1971, p. 24.
[6] Cf. les professeurs Th. Fleiner in Bund, 148, 27.6.'72 et Y. Hangartner in NZZ, 589, 17.12.72.
[7] La motion Chevallaz fut soutenue par 44 députés dont 24 Romands et Tessinois et 22 radicaux, la motion Binder par 39 députés dont 37 Alémaniques et 25 démo-chrétiens ; les professeurs Fleiner et Hangartner sont proches du PDC.
[8] Réponses aux motions Chevallaz et Binder : BO CN, 1972, p. 308 et 1679 s. Cf. infra, p. 128.
[9] BN, 221, 17.6.72. Cf. BN, 198, 20.5.72 ainsi que APS, 1971, p. 25 et supra, p. 10 s.
[10] TLM, 61, 1.3.72 ; NZ, 101, 2.3.72.
[11] Cf. exposé de P. Chaudet, ancien CF, devant la Chambre vaudoise du commerce et do l'industrie (GdL, 92, 20.4.72 ; Bund, 94, 23.4.72). Cf. en outre Bund, 109, 10.5.72 et APS, 1966, p. 18 ; 1971, p. 28.
[12] Leo Schürmann, « Regionen anstelle von Kantonen ? », in Schweizer Monatshefte, 52/1972-73, p. 95 ss. ; AZ, 17, 21.1.72 ; TA, 42, 19.2.72.
[13] Cf. infra, p. 28 s.
[14] Zurich : Formation de commissions d'experts (NZZ, 565, 3.12.72 ; TA, 300, 23.12.72) ; cf. aussi les institutions envisagées pour la question des transports publics de la région de Zurich, infra, p. 91 s. Lucerne : Motion au Grand Conseil (Vat., 248, 24.10.72 ; TA, 26.10.72).
[15] TA, 24, 29.1.72.
[16] Société suisse des juristes (SSJ) : Jacques Meylan, « Problèmes actuels de l'autonomie communale », in SSJ, Rapports et connnunications, 106/1972, fasc. 1, p. 1 ss. ; Riccardo Jagmetti, « Die Stellung der Gemeinden », ibid., fasc. 2, p. 221 ss. ; cf. NZ, 352, 12.9.72 ; NZZ, 426, 12.9.72 ; Union des villes suisses : Jean Meylan, Martial Gottraux, Philippe Dahinden, Communes suisses et autonomie communale, Lausanne 1972 (publié avec le concours de l'Association des communes suisses) ; cf. GdL, 247, 21/22.10.72 ; NZZ, 494, 23.10.72. Cf. en outre Thomas Guggenheim, « Von der Gemeindeautonomie zur Regionalpolitik », in Neutralität, 10/1972, p. 18 ss.
[17] Cf. intervention favorable du professeur P. Saladin au sein de la Société suisse des juristes (NZZ, 426, 12.9.72) ainsi que motion Binder (pdc, AG) au CN (BO CN, 1972, p. 1676 ss.) ; la réponse du CF Furgler fut négative.
[18] JdG, 72, 25/26.3.72 ; NZZ (ats), 239, 25.5.72.