Année politique Suisse 1975 : Politique sociale / Groupes sociaux
Situation de la femme
La situation de la femme fut au centre des débats qui animèrent le
quatrième Congrès féminin suisse en janvier à Berne. Regroupant plus de quatre-vingts associations féminines, cette contribution nationale à l'Année internationale de la femme, placée sous le patronage du Conseil fédéral, se déroula sur le thème de « la collaboration dans l'égalité ». En résumé des conférences, débats et travaux de groupe, sept résolutions furent adoptées. Parmi elles, retenons le lancement d'une initiative constitutionnelle garantissant une quadruple égalité — sociale, familiale, salariale et professionnelle — entre l'homme et la femme. Cette décision, victoire des partis de gauche selon le conseiller aux Etats Lise Girardin (prd, GE), ne fit pas l'unanimité, un tiers environ des participantes s'y opposant. Proposée par l'Union suisse pour la décriminalisation de l'avortement (USPDA), la résolution soutenant la solution dite des délais en matière d'interruption de grossesse entraîna le désaveu de deux membres du comité de patronage, députées démocrates-chrétiennes au Conseil national, et de la présidente de la Ligue suisse des femmes catholiques. D'autres critiques, souvent spectaculaires, portant sur l'aspect élitaire et conservateur du congrès, furent émises par les mouvements féministes suisses et principalement par le Mouvement de libération de la femme. Ces divers groupes organisèrent, dans la banlieue bernoise, un anti-congrès traitant avant tout de l'avortement, de la sexualité et du travail de la femme
[14].
Début mars et conséquemment à la résolution adoptée par le congrès, un comité d'initiative, supra-confessionnel et hors parti, se formait afin de lancer
l'initiative constitutionnelle pour l'égalité de traitement entre l'homme et la femme. Elle obtiendra le soutien de l'Alliance des sociétés féminines, alors que l'Association suisse pour les droits de la femme laissait la liberté de vote à ses membres. Selon Jacqueline Berenstein-Wavre, vice-présidente du comité d'initiative, 40 000 signatures avaient été récoltées fin décembre
[15]. L'annonce, par le conseiller fédéral Furgler, de la création prochaine d'une commission fédérale pour les affaires féminines constitue une première réponse au congrès de Berne. L'ouverture des cours prémilitaires aux jeunes filles provient plutôt du manque d'effectifs du service de la Croix-Rouge
[16].
Préalablement à son quarante-troisième congrès, l'Union syndicale suisse organisa en novembre, à Bâle, son premier congrès féminin, consacré au problème de la femme au travail. Il se termina par le vote d'une résolution contenant un ensemble de revendications pour l'amélioration de la situation économique, sociale, familiale et professionnelle de la femme. La décision fut prise de soutenir l'initiative pour l'égalité de traitement entre l'homme et la femme ainsi que celle de la solution des délais, à propos de l'interruption de grossesse
[17].
Le débat parlementaire sur l'initiative populaire en faveur de la
décriminalisation de l'avortement a été particulièrement ardu et fourni
[18]. En janvier, on apprenait que la commission du Conseil national s'était prononcée à une voix de majorité en faveur de la
solution des délais, rejetant à l'unanimité l'initiative populaire
[19]. La chambre ne suivit pas complètement sa commission ; car si le rejet de l'initiative ne fit pas problème, il en alla tout autrement pour les quatre solutions restant en lice. En effet, aux projets du Conseil fédéral (solution des indications, avec indication sociale) et à celui de la majorité de la commission (solution des délais) s'ajoutaient une proposition de la minorité de la commission (solution des indications, sans indication sociale) et une proposition Bonnard (lib., VD) laissant aux cantons le soin de choisir entre les trois possibilités
[20]. La position intransigeante et monolithique du groupe démocrate-chrétien, soutenant la minorité de la commission, fut déterminante pour l'issue des débats. Effectivement, lors des votes finals, la proposition de la minorité fut repoussée au profit de celle du gouvernement ; dès lors, par la voix de son président, le groupe du PDC expliqua qu'il se refusait à soutenir l'un ou l'autre des projets restants. En conséquence, s'abstenant au moment du choix entre les deux solutions, il s'opposait avec succès, lors du vote d'ensemble, à la solution des délais, défendue par les communistes et la majorité des indépendants et des socialistes. Ainsi, bien que tous les orateurs en aient reconnu l'iniquité, la situation actuelle subsistait, les quatre projets ayant été successivement rejetés
[21].
La prise de position de la
commission du Conseil des Etats, qui se prononça en majorité pour la solution la plus restrictive (minorité de la commission du Conseil national), laissait peu d'espoir aux promoteurs de l'initiative pour la décriminalisation de l'avortement. Ceux-là organisèrent le 4 juin une réunion des partis et associations favorables à la solution des délais afin d'étudier la possibilité de lancer une nouvelle initiative constitutionnelle. La décision, sans surprise, de la chambre des cantons de se rallier, en l'adoucissant un peu, au projet défendu par sa commission ouvrait la voie du lancement de cette deuxième initiative
[22]. Ce qui fut fait dès fin juin, avec l'appui d'un comité de soutien présidé par le conseiller national Gautier (lib., GE). Lors de l'examen du projet du Conseil des Etats, la commission de la chambre du peuple réitérait son vote de janvier, tout en proposant une motion en faveur de l'amélioration de la situation personnelle économique et juridique de la personne enceinte et de la mère d'un nouveau-né
[23]. Début octobre, le Conseil national réexaminait les différents projets et se décidait en faveur de la proposition de la chambre des cantons en y ajoutant l'indication sociale ainsi que le lui avait demandé le radical soleurois Eng ; sans opposition, il adoptait la motion de sa commission. C'est donc un texte finalement assez proche de celui de l'exécutif qui fut transmis au Conseil des Etats
[24].
[14] Textes officiels, conférences et résolutions du congrès in La Suisse et l'Année internationale de la femme. Rapport du Congrès, Zürich 1975. Critique radicale : 24 Heures, 15, 20.1.75. Protestations catholiques : Ostschw., 18, 23.1.75 ; Vat., 18, 23.1.75. Communiqué de l'USPDA : VO, 20, 25.1.75. Pour le déroulement du congrès et de l'anti-congrès, voir la presse du 17 au 19.1.75.
[15] Comité d'initiative : TG (ats), 57, 10.3.75. Alliance : 24 Heures (ats), 119, 26.5.75. Association suisse pour les droits de la femme : 24 Heures (ats), 125, 2.6.75. Signatures : JdG, 301, 27.12.75.
[16] Commission fédérale : BO CE, 1975, p. 771. Cours prémilitaires : NZZ (sda), 286, 9.12.75 ; TG, 287, 9.12.75.
[17] NZ, 362, 20.11.75 ; gk, 38, 24.11.75. Cf. également gk, 5, 6.2.75 ; Gewerkschaftliche Rundschau, 67/1975, p. 65 ss. ; Revue syndicale, 67/1975, p. 173 ss.
[18] Initiative et projet du CF : APS, 1974, p. 127. Cf. également le dossier présenté par Les Cahiers protestants, avril 1975, no 2.
[19] NZZ, 11, 15.1.75 ; TLM, 15, 15.1.75 ; Lib., 12, 16.1.75.
[20] L'initiative fut rejetée par 141 voix contre 2, celles des socialistes Ziegler (GE) et Villard (BE) : BO CN, 1975, p. 277 et TLM, 65, 6.3.75. Proposition de la minorité : BO CN, 1975, p. 213 ss. Proposition Bonnard : BO CN, 1975, p. 232 s.
[21] Positions des groupes parlementaires : TLM, 64, 5.3.75 ; 24 Heures, 53, 5.3.75.
[22] JdG, 99, 30.4.75 ; NZZ, 99, 30.4.75 ; Comité d'initiative : NZ, 140, 6.5.75 ; 24 Heures, 105, 7/8.5.75 ; TG, 105, 7/8.5.75 ; TA, 127, 5.6.75 ; NZ, 173, 6.6.75. Conseil des Etats : BO CE, 1975, p. 383 ss. et 404 ss.
[23] Lancement de l'initiative : TG, 145, 25.6.75 ; JdG, 145, 25.6.75. Elle sera déposée le 22 janvier 1976 avec plus de 67 000 signatures, son dépôt provoquant le retrait de la première initiative : FF. 1976, 1, no 10, p. 847.
[24] BO CN, 1975, p. 1431 ss.
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