Année politique Suisse 1976 : Politique sociale / Population et travail
 
Conventions collectives de travail
Dans trois secteurs importants du marché du travail, la revision ou le renouvellement des conventions collectives de travail (CCT) a posé quelques problèmes. L'année précédente, les arts graphiques avaient connu des négociations difficiles qui s'étaient conclues par la reconduction de l'ancienne CCT, légèrement modifiée [24]. Dès fin janvier, la Fédération suisse des typographes (FST) s'est plainte des nombreuses violations du contrat collectif faites par plusieurs entreprises membres de la Société suisse des maîtres imprimeurs (SSMI). Le ton des négociations était ainsi donné. Elles allaient se dérouler sur plusieurs fronts : suppléments de renchérissement, protection contre le chômage, préparation du renouvellement, prévu à fin avril 1977, de la CCT. Un premier raidissement fut perceptible début mai, lors de la manifestation de protestation convoquée par la FST et la Fédération suisse des ouvriers relieurs et cartonniers, à Olten ; les orateurs y dénoncèrent l'extrême rigueur patronale, refusant toute réduction du salaire réel et préconisant l'introduction de la semaine de 40 heures. Un accord sur le renchérissement allait cependant être trouvé à mi-mai. La votation générale des membres de la FST montra qu'une forte opposition existait, proposant de rejeter cet accord, moins favorable que l'ancien système. Une majorité acceptante se dégagea toutefois (52,3 %) [25]. Fin octobre, on apprenait que le Syndicat suisse des arts graphiques, de tendance chrétienne, résiliait la CCT, réclamant une réduction progressive du temps de travail. Il était suivi quelques jours plus tard par la FST, qui revendiquait pour sa part l'introduction de la semaine de 40 heures sans diminution de salaire et l'intégration dans la convention du personnel auxiliaire. A mi-décembre, les discussions pour le renouvellement s'engageaient, la SSMI ayant présenté un contre-plan, qui provoqua immédiatement de nouvelles inquiétudes syndicales [26].
Dans le bâtiment, les tractations furent plus complexes et un peu moins tendues. La situation y est particulière, des conventions différentes régissant le premier oeuvre (maçonnerie et génie civil), le second oeuvre et les industries annexes ; d'autre part, certaines de ces conventions sont nationales, d'autres cantonales [27]. On comprend donc que les négociations soient longues et connaissent une série de rebondissements. Cependant, la tendance est généralement indiquée par les négociations de la CCT du premier oeuvre, dont les résultats influencent souvent les autres négociations. Dès le début de janvier, la Fédération des ouvriers du bois et du bâtiment (FOBB), afin de faire pression sur la Société suisse des entrepreneurs (SSE), demandait dans une lettre à la police fédérale des étrangers de bloquer l'entrée des saisonniers en Suisse. Par la même occasion, elle présenta une liste de revendications, dont les plus importantes sont la compensation du renchérissement, le maintien du 13e mois de salaire, la contribution patronale à la caisse de chômage [28]. A fin février, vu l'impasse des négociations, la FOBB convoqua une conférence nationale professionnelle qui appuya ce catalogue de revendications. Le blocage de la situation était alors identique dans la menuiserie et la gypseriepeinture. Une entente se fera pourtant à mi-mai, sur un avenant à la CCT, qui garantit le maintien des droits acquis et la participation patronale à la caisse de chômage. Concernant la compensation du renchérissement, les parties contractantes, soit la SSE, d'une part, la FOBB, la Fédération chrétienne des travailleurs de la construction et l'Association suisse des syndicats évangéliques, d'autre part, se sont mis d'accord sur le principe d'une augmentation de salaire unique dès janvier 1977, qui devrait compenser le renchérissement intervenu ces deux dernières années [29]. Restait à en négocier l'importance. Durant le mois d'octobre, l'accord se fit sur une augmentation de 50 centimes à l'heure. Ce qui permettait dès lors l'établissement final d'une nouvelle convention, intégrant des prestations telles que le 13e mois et certains suppléments salariaux, qui ne feront plus partie des négociations annuelles conventionnelles. Cette convention, qui contient une clause de dénonciation, a une validité de cinq ans, période durant laquelle seront négociées des questions telles que la participation dans l'entreprise et le 2e pilier. La durée horaire du travail hebdomadaire n'a pas été modifiée [30]. Auparavant, lors d'une Conférence professionnelle nationale de la FOBB, la CCT avait été acceptée non sans que quelques critiques ne se soient exprimées ; une tactique plus dure, à l'image des sections de Neuchâtel et de Vaud, qui recoururent soit à la grève soit à la manifestation de rues, a été souhaitée [31]. Cet accord entraîna la ratification de conventions cantonales, cependant que l'unité ne parvenait pas à se faire dans la menuiserie et la gypserie-peinture [32].
Dans l'horlogerie, la surprise a été provoquée par la décision de la Fédération chrétienne des ouvriers sur métaux (FCOM) de ne pas renouveler la convention collective [33]. Au-delà des divergences (participation dans l'entreprise et accord de renchérissement), la FCOM cherche ainsi à sortir de l'impasse dans laquelle la place sa situation de partenaire minoritaire, dont le catalogue de revendications devait, lors des négociations, constamment céder le pas à celui de la FTMH, qui regroupe cinq fois plus de membres [34]. Mentionnons pour terminer que d'autres conventions ont été signées, en particulier dans le textile, l'hôtellerie et les banques. Le Conseil fédéral, pour sa part, a, durant la période du ler juillet 1975 au 30 juin 1976, rendu quatre décisions d'extension du champ d'application de CCT et en a approuvé sept autres, prises par des cantons [35].
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Conflits du travail
La statistique des conflits du travail indique une nette croissance de ceux-ci ; on en a dénombré 26 (1975: 8), dont 19 (6) ont entraîné un arrêt de travail de plus d'un jour ; ces dix-neuf cas ont concerné 492 (6) entreprises et 2395 (323) travailleurs, provoquant la perte de 19 586 (1773) journées de travail. Cinq ont eu lieu dans la construction, quatre dans l'industrie des métaux et machines, trois dans l'horlogerie. A l'origine de sept de ces conflits se trouvent des raisons de salaires, alors que six ont été causés par des licenciements et quatre par la conclusion d'un nouveau contrat collectif de travail: La majeure partie de ces conflits se sont déroulés en Suisse romande et ont été souvent accompagnés de manifestations, d'occupations, voire de piquets de grève [36].
La lutte la plus longue a eu pour cadre le canton de Genève, où une quarantaine de travailleurs occupèrent une entreprise menacée de faillite durant plus de quatre mois ; elle se termina par le rachat de l'exploitation avec maintien de tous les postes de travail et de tous les avantages acquis [37]. Dans le canton de Neuchâtel s'est déroulé le conflit le plus important et le plus connu, la grève de 4 semaines du millier de travailleurs de l'entreprise Dubied, qui entraîna la perte de 15 000 journées de travail environ. Elle a été déclenchée le 9 août après qu'un tribunal arbitral ait approuvé la décision de la direction de l'entreprise de ne verser que 25 % du 13e salaire [38]. La décision des travailleurs plaça la FTMH dans une position difficile : ne voulant pas répéter l'erreur d'appréciation commise lors d'un précédent conflit dans la région lausannoise, qui avait largement profité à sa concurrente la FCOM, elle s'engagea dès le début à soutenir les grévistes ; cependant, la convention collective, signée par la FTMH, interdit le recours à de telles mesures [39]. Dès lors, on lui reprocha, du côté patronal, une certaine duplicité, puisqu'elle défendait à la fois les grévistes et la convention [40]. Du côté des travailleurs, surtout sur la fin du conflit, une certaine méfiance s'installa vis-à-vis de la centrale syndicale qui, convention oblige, ne put utiliser son fonds de grève pour les soutenir matériellement. On fit alors appel à la solidarité ouvrière et syndicale [41]. Vu l'importance régionale de l'entreprise et la dureté des négociations, l'intervention médiatrice du Conseil d'Etat neuchâtelois fut requise ; le Conseil fédéral, pour sa part, exprima son inquiétude [42]. Le découragement aidant, les travailleurs acceptèrent, début septembre, la proposition gouvernementale de versement d'un million de francs, prélevé sur la fondation en faveur du personnel [43]. L'ambiguïté subsiste toutefois sur les modalités de paiement, qui sont diversement interprétées par les parties en cause [44].
 
[24] Cf. APS, 1975, p. 129.
[25] AZ, 20, 26.1.76 ; Le Gutenberg, 5, 29.1.76 ; 19, 6.5.76 ; 20, 13.5.76 ; 22, 27.5.76 ; 26, 24.6.76 ; 27, 1.7.76.
[26] Syndicats des arts graphiques : JdG (ats), 251, 27.10.76. FST : Le Gutenberg, 45, 4.11.76. SSMI : JdG (ats), 298, 21.12.76.
[27] Présentation des différentes conventions : FOBB/L'ouvrier sur bois et du bâtiment, 25, 14.6.76 ; 41, 11.10.76.
[28] JdG (ats), 6, 9.1.76 ; 33, 11.2.76.
[29] TLM, 33, 2.2.76 ; 60, 29.2.76 ; FOBB..., 10, 8.3.76 ; 46, 15.11.76 ; TG, 269, 17.11.76.
[30] FOBB..., 47, 22.11.76.
[31] FOBB..., 27, 5.7.76 ; 29, 19.7.76.
[32] NZZ (sda), 274, 22.11.76 ; 303, 27.12.76.
[33] 24 heures (ats), 296, 18.12.76. Cf. également infra, part. III b (Associations da travailleurs).
[34] 24 heures, 289, 10.12.76 ; 296, 18.12.76. Le recours de la FTMH concernant la compensation de renchérissement a été rejeté par le Tribunal arbitral (JdG, 236, 9.10.76). Cf. APS, 1975, p. 129.
[35] Textile : NZZ (sda), 277, 25.11.76. Hôtellerie : NZZ (sda), 283, 2.12.76. Banques : JdG (ats), 248, 23.12.76. Décisions d'extension du CF : La Vie économique, 49/1976, p. 426 s. Sur ce sujet, voir H. Hausheer, « Die Allgemeinverbindlicherklärung von Kollektivverträgen als gesetzgeberisches Gestaltungsmittel », in Société suisse des juristes, Rapports et communications, 110/1976, p. 225 ss.
[36] La Vie économique, 50/1977, p. 61 ; Lib., 76, 31.12.76.
[37] TG, 130, 7.6.76 ; 158, 9.7.76 ; 164, 16.7.76 ; 177, 1.8.76 ; 220, 21.9.76.
[38] TLM, 223, 10.8.76 ; VO, 182, 10.8.76 ; 24 heures, 186, 11.8.76.
[39] Conflit lausannois : TLM, 69, 9.3.76 ; 24 heures, 57, 9.3.76 ; 58, 10.3.76 ; TA, 59, 11.3.76.
[40] JdG, 186, 11.8.76 ; 188, 13.8.76 ; TG, 186, 11.8.76, 206, 3.9.76. Critiques patronales : SAZ, 71/1976, p. 639 s.
[41] 24 heures, 206, 3.9.76 ; 207, 4.9.76 ; TLM, 248, 4.9.76 ; VO, 205, 6.9.76. Cf. également SMUV-Zeitung, 32, 18.8.76 ; 34, 25.8.76 ; 35, 1.9.76 ; 36, 8.9.76 ; 38, 22.9.76.
[42] Cf. LNN, 204, 2.9.76 ; NZZ, 205, 2.9.76 ; TA, 204, 2.9.76.
[43] VO, 203, 3.9.76 ; TLM, 247, 3.9.76.
[44] JdG (ats), 286, 7.12.76 ; TLM, 342, 7.12.76. La direction ayant décidé unilatéralement de verser la moitié seulement de cette somme en 1976, le Conseil d'Etat neuchâtelois publia une critique et la commission d'entreprise démissionna (24 heures, 287, 8.12.76 ; TA, 288, 9.12.76).