Année politique Suisse 1980 : Eléments du système politique / Structures fédéralistes
Questions territoriales
Dans la question jurassienne, l'année 1980 a également été l'objet de quelques démêlés et incidents marquants. Ni le Rassemblement jurassien (RJ), qui lutte pour le rattachement au nouveau canton des trois districts bernois du Jura-Sud ni ses adversaires et contradicteurs n'ont pu obtenir des succès importants. De surcroît, ils n'ont pas été contraints de changer de stratégie. Malgré les différentes tensions, le canton du Jura a poursuivi sa collaboration avec le canton de Berne, afin de faciliter la transition. Durant l'année écoulée, ces deux cantons ont conclu douze arrangements définitifs, notamment en matière scolaire et hospitalière. Le gouvernement jurassien s'est toutefois montré insatisfait du degré d'avancement des pourparlers concernant la répartition de la fortune publique
[12].
Les organisations autonomistes ont poursuivi leur politique visant à transférer leurs activités et institutions dans la partie du Jura méridional. En choisissant comme nouveau président Bernard Mertenat, domicilié à Belprahon (BE), le RJ a donc déplacé son siège social dans le Jura bernois. Cependant, son secrétariat général a été maintenu à Delémont. De même, le mouvement de jeunesse du RJ, à savoir le groupe Bélier, qui avait déjà transféré son siège à Tavannes en 1979, vient de nommer un responsable habitant dans le Jura-Sud
[13]. Ce déplacement du centre de gravité vers le Sud ainsi que la persistance d'une ferme stratégie conflictuelle a abouti à certaines discordes au sein du RJ. Parce qu'ils n'ont pu s'imposer face à la politique implacable et sans compromis suivie par R. Béguelin, deux membres éminents du RJ — le conseiller national J. Wilhelm et le conseiller aux Etats R. Schaffter — ont porté leurs critiques devant l'opinion publique. R. Schaffter, vice-président du RJ, a ensuite démissionné de cette charge. Quant à J. Wilhelm, il a fait l'objet d'une enquête qui pourrait le conduire éventuellement à être exclu du mouvement
[14].
Les
affrontements violents qui éclatèrent entre séparatistes et pro-Bernois, le 16 mars à Cortébert, étonnèrent surtout ceux qui avaient cru que la création du canton du Jura avait relégué ad acta le conflit jurassien. Ce jour-là, célébré par les pro-Bernois comme l'anniversaire de leur décision de rester fidèles à la Berne cantonale, le RJ avait convoqué son assemblée des délégués dans cette localité du Jura-Sud. Cette provocation ne manqua pas de produire son effet. Bien que l'assemblée se soit déroulée dans un hôtel appartenant au Rassemblement, Force démocratique appela à une contre-manifestation. Sanglier, l'organisation de la jeunesse antiséparatiste, menaça même d'empêcher, au besoin par la force, la tenue de cette assemblée. Le président de la commune de Cortébert, appuyé par ses collègues du district de Courtelary tenta, sans succès, d'obtenir du gouvernement bernois qu'il interdise l'assemblée des délégués en ce lieu. Dans ce contexte, l'exécutif bernois constata que les activités du RJ, principalement implanté dans le canton du Jura, constituaient certes une atteinte à l'intégrité territoriale du canton de Berne, garantie pourtant par la Constitution, mais qu'il ne disposait pas de moyens juridiques suffisants pour s'y opposer. Le jour de l'assemblée, la plupart des délégués du RJ ne purent pénétrer dans le local, empêchés qu'ils étaient par les contre-manifestants, qui recoururent à maints égards à la violence. C'est grâce à un véritable nettoyage des lieux par le Bélier, équipé comme un groupe paramilitaire, que les délégués purent finalement atteindre l'hôtel et y tenir séance. Enfin la police bernoise intervint à son tour. Au terme de l'assemblée des délégués,elle protégea la sortie des membres du RJ contre de nouvelles attaques. Elle perquisitionna en plus dans l'hôtel et y confisqua du matériel de combat appartenant au groupe Bélier. Cette intervention tardive des forces de l'ordre ainsi que leur mansuétude envers les participants à la contre-manifestation pourtant interdite firent l'objet de critiques de la part de l'opinion publique suisse en général. De sévères reproches furent adressés aux autorités bernoises par le conseiller fédéral Furgler devant l'Assemblée fédérale où il disait en substance qu'il appartenait aux cantons de garantir la liberté d'opinion et de réunion à tous les citoyens, même lorsqu'il s'agit de minorités remuantes
[15].
Avec le recul, les incidents de Cortébert apparaissent, toutefois, peu symptomatiques de la situation dans le Jura bernois. Bien qu'opposées, les deux parties s'en tiennent, à l'heure actuelle, largement aux formes usuelles des antagonismes démocratiques. Preuve en est que les quelques dizaines de manifestations séparatistes organisées dans le Jura-Sud — dont quelques-unes avec présence massive de participants du canton du Jura — n'ont pas été troublées
[16]. De même, l'appel lancé par des notables jurassiens probernois de ne pas réélire certains instituteurs séparatistes n'a pratiquement pas été suivi, ce qui plaide en faveur de la thèse énoncée ci-dessus. Pour protéger ces instituteurs, il a fallu cependant que la Société des enseignants bernois intervienne énergiquement, en menaçant de mettre l'embargo sur les postes dont les titulaires risquaient d'être congédiés en raison de leurs opinions politiques
[17]. Bien que les affrontements soient un petit peu plus mesurés dans leurs formes, les positions n'ont pas varié pour l'essentiel. La création d'organisations économiques et culturelles propres au Jura bernois, en lieu et place des anciennes qui couvraient l'ensemble du Jura, signifie plutôt une prise de conscience accrue et un renforcement de la résistance des opposants au rattachement au canton du Jura
[18].
Les incidents et affrontements de Cortébert ont donné l'occasion aux deux parties d'exiger de la Confédération de nouvelles mesures spéciales. Le RJ, appuyé par le Parlement jurassien, a réclamé la constitution d'une commission fédérale pour veiller à la sauvegarde des droits démocratiques dans le Jura bernois. Dans l'autre camp, Force démocratique et le Grand Conseil bernois ont demandé la promulgation de lois d'exécution pour réprimer les atteintes à l'intégrité territoriale cantonale, pourtant garantie par la Constitution. Tout comme l'année dernière, le Conseil fédéral a estimé que la situation n'était pas suffisamment dramatique pour justifier de telles interventions
[19].
La question de procédure à adopter pour déterminer la future appartenance territoriale des communes de
Vellerat (BE) et d'Ederswiler (JU) apparaît comme un objet litigieux de nature symbolique. Lors des plébiscites, toutes deux s'étaient nettement prononcées contre le canton auquel l'une et l'autre appartiennent maintenant. Cependant, les modalités de la procédure de séparation ont empêché un changement de canton. Les habitants de Vellerat, vigoureusement soutenus par le RJ, ont exprimé, durant l'année écoulée, sous forme de démonstrations et de résolutions, leur voeu d'être rattachés au canton du Jura. Cependant, ni Berne ni Delémont ne sont entrées en matière sur une décision du Conseil communal de Vellerat, exprimant son sentiment d'appartenance au canton du Jura. Toujours est-il que le Parlement jurassien a accueilli des délégués de cette commune avec un statut d'observateurs
[20]. Le gouvernement bernois n'aurait en soi plus rien à objecter au transfert de Vellerat au canton du Jura, mais veut empêcher que ce changement ne constitue un précédent pour d'autres communes bernoises, qui auraient éventuellement à l'avenir des majorités séparatistes. Il veut donc considérer ce problème, de même que celui d'Ederswiler, comme des résidus des plébiscites de séparation et régler ces deux cas par un échange de ces communes entre les deux cantons. Dans le cadre des séances tripartites, un projet de contrat a déjà été soumis au gouvernement jurassien par l'exécutif bernois. A Delémont, l'exécutif jurassien décline fermement, en revanche, une négociation simultanée concernant ces deux communes et tient à régler préalablement le transfert de Vellerat. Certes, le gouvernement cantonal invoque des raisons d'ordre pratique pour réclamer un calendrier différent. Cependant, l'argumentation du RJ montre bien qu'à Delémont l'importance qu'on attache à cette affaire dépasse de loin le sort réservé à ces deux petites communes. En déclarant haut et ferme, à plusieurs reprises, qu'Ederswiler ne sera pas cédée au canton de Berne tant qu'une seule parcelle du Jura francophone restera sous la souveraineté bernoise, le RJ a été jusqu'à désavouer le gouvernement jurassien. Celui-ci, dans une déclaration du début de l'année 1980, s'était prononcé en faveur du droit à l'autodétermination pour cette seule et unique commune de langue allemande au sein du nouveau canton
[21].
A l'abri des passions et même des excès, la procédure destinée à sceller l'avenir et le sort du Laufonnais va de l'avant. Durant l'année écoulée,
deux scrutins ont permis de choisir le canton avec lequel le projet de traité de rattachement doit être négocié. Entre le transfert à ce canton et le maintien au sein du canton de Berne, les Laufonnais auront bientôt à choisir
[22]. Le PDC, parti le mieux implanté, recommandait aux citoyens le rattachement à l'un des deux Bâle comme étant la solution la meilleure. Les partisans de la fidélité à Berne préconisaient entre autres, pour des raisons tactiques, le transfert à Soleure
[23]. Lors du premier tour de scrutin, on fut surpris de voir Bâle-Ville succomber avec 16% seulement des voix. Ce vote porta également un coup sérieux aux aspirations de ce demi-canton urbain quant à sa réunification avec Bâle-Campagne. Lors du deuxième tour, Bâle-Campagne l'emporta nettement sur Soleure. Seules deux communes ont voté en majorité pour ce canton
[24]. Le canton de Berne, qui ne s'est pas immiscé dans la campagne précédant la votation populaire, devra s'engager activement à l'avenir pour tenter de maintenir le Laufonnais au sein de la communauté cantonale. C'est ce qu'a exigé le Grand Conseil dans une motion qu'il a adoptée, malgré l'opposition du PDC
[25].
La question jurassienne et tous les phénomènes qui l'accompagnent ont fait naître et mûrir la conviction qu'il pourrait être utile à l'avenir de faire
régler par le droit fédéral la proçédure relative aux modifications territoriales des cantons. En édictant des règles sanctionnées par la Confédération, on pourrait ainsi résoudre, de façon démocratique et dans la légalité, des conflits entre gouvernements cantonaux et mouvements séparatistes. On éviterait ainsi, comme ce fut le cas dans la question jurassienne, que des cantons soient juges et parties dans leurs propres affaires. Dans sa réponse aux initiatives respectives des cantons de Berne et Neuchâtel, le Conseil fédéral s'était déclaré favorable à cette idée, mais n'avait pas considéré sa réalisation comme particulièrement urgente. Il avait donc proposé de rechercher une solution à l'occasion de la révision totale de la Constitution fédérale. Pourtant, sous l'impulsion de représentants des cantons de Berne et du Jura qui, pour une fois, sont tombés d'accord à ce sujet, le parlement s'est prononcé en faveur d'un rythme plus soutenu. En effet, si la révision totale de la Constitution devait traîner en longueur, le problème des modifications territoriales ferait alors l'objet d'une révision partielle. Cependant, aucun délai n'a été imparti au Conseil fédéral. Les Chambres n'ont pas encore discuté du contenu de cet article constitutionnel souhaité
[26].
Une revendication ancienne des demi-cantons en général et de Bâle-Ville en particulier concerne leur promotion au rang de canton à part entière. Ce faisant, il s'agit uniquement de leur accorder un second siège au Conseil des Etats et compter leur voix de canton pour pleine et entière lors de votations populaires. Etant donné que tous les six demi-cantons sont en Suisse alémanique, la réforme proposée entraînerait une modification des rapports de force entre les groupes linguistiques. Le danger de déséquilibre qui pourrait en résulter pour l'Etat fédéral a été estimé si sérieux, lors de la consultation effectuée par le DFJP que, parmi les cantons à part entière, seuls Lucerne, Schwyz et Uri se sont prononcés en faveur d'une révision. Pour Berne et Soleure, il serait envisageable de limiter cette révision aux seuls deux Bâle. La consultation a révélé, de surcroît, que d'autres propositions en vue de restructurer le Conseil des Etats n'avaient guère de chance d'aboutir. Ainsi, l'affaiblissement de l'influence des plus petits cantons qui, pour la plupart, sont conservateurs, grâce à l'attribution d'un troisième siège à la chambre haute aux seize cantons les plus peuplés, n'a récolté que l'approbation de Berne et de Zurich, ainsi que celle des partis de gauche et de l'Alliance des indépendants
[27].
[12] TLM, 353, 19.2.80; Bund, 10, 14.1.80 Cf. aussi APS, 1979, p. 30 ss.
[13] RJ: TLM, 48. 17.2.80. Bélier: NZZ, 64, 17.3.80; 269, 18.11.80.
[14] Suisse, 71, 11.3.80; Ww, 11, 12.3.80; BaZ, 48, 26.3.80.
[15] TLM, 57. 26.2.80: 69. 9.3.80; presse du 17 et 18 mars 1980. CN Furgler: BO CN, 1980, p. 422, ss. Cf. également BO CN, 1980. p. 317 ss. A la suite des événements, le RJ déposa plainte contre une bonne centaine de manifestants ainsi que contre les deux conseillers d'Etat Bauder et Martignoni (TLM, 180, 26.6.80; NZZ, 213, 13.9.80).
[16] Cf. Suisse, 63, 3.3.80; 287, 13.10.80; 252, 8.9.80; TLM, 151, 30.5.80; 176, 24.6.80.
[17] Selon Unité Jurassienne il n'y avait que deux cas de non-réélection en raison de conviction séparatiste. Pour l'un d'eux, à Sornetan, le boycott de la Société des enseignants bernois a obligé le village à fermer son école (TA, 140, 19.6.80; 161, 14.7.80; TLM, 245, 1.9.80).
[18] Bund, 69, 22.3.80; LNN, 208. 8.9.80. Cf. aussi APS, 1979, p. 33. Cette stratégie trouva en 1980 sa suite par la création d'un office de tourisme pour le Jura bernois, ayant pour but de remplacer l'ancienne organisation Pro Jura dans le Jura méridional.
[19] Revendications du RJ: TLM, 82. 22.3.80; Jura libre, 1484, 1.5.80; Suisse. 259. 15.9.80. Garanties territoriales: Bund, 213, 11.9.80 ; BaZ, 291, 11.12.80; Dé/ib. Ass. féd., 1980, III, p. 32 (motion Aubry). Cf. aussi APS, 1979, p. 32 s. et BZ, 192, 18.8.80.
[20] BaZ, 27, 1.2.80. Résolution du Conseil communal : TLM, 245, 1.9.80; 248, 4.9.80; 249, 5.9.80; 24 Heures, 290, 13.12.80. Pour manifester son soutien, le Ri avait organisé une marche sur Vellerat et le Bélier occupa pendant quelques jours la maison communale (24 Heures, 144. 13.6.80; TLM, 257, 13.9.80).
[21] TLM, 58, 27.2.80. Gouvernement bernois: TLM, 193, 11.7.80; 24 Heures, 290, 13.12.80; NZZ, 291. 13.12.80. Gouvernement jurassien: TLM, 174, 22.6.80; 181, 29.6.80; 189, 7.7.80; 347. 13.12.80. Rassemblement jurassien: Jura libre, 1483, 24.4.80; 1496, 28.8.80; LNN. 109, 10.5.80; TLM, 357, 23.12.80.
[22] BaZ, 231, 2.10.80; APS, 1979. p. 33 s. et 1978. p. 31 s.
[24] Premier plébiscite: 51% des votants s'étaient prononcés en faveur de Bâle-Campagne, 33% en faveur de Soleure et seulement 16% en faveur de Bâle-Ville. Le taux de participation s'élevait à 75% (cf. la presse du 14.1.80). Les chiffres pour le deuxième plébiscite: 64% en faveur de Bâle-Campagne, 35% en faveur de Soleure. Taux de participation de 78% (cf. la presse du 17.3.80). Pour Bâle-Ville, cf, Ww, 3, 16.1.80 et APS, 1978, p. 32.
[25] Bund, 213, 11.9.80; 261, 6.11.80. Voir également SZ, 294, 15.12.80.
[26] BO CE, 1980, p. 55 ss.; BO CN, 1980, p. 791 ss.; TLM, 71. 12.3.80. Cf. aussi APS, 1979, p. 34 .
[27] LNN, 75, 29.3.80; 76, 31.3.80; 24 Heures, 212, 11.9.80. Voir aussi E. Grisel, «La question des demi-cantons», in Revue du droit suisse, 99/1980, II, p. 47 ss.
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