Année politique Suisse 1980 : Politique sociale / Population et travail
Droit de travail
Le dossier controversé de la participation a rebondi. Une
commission du Conseil national s'est prononcée en effet en faveur d'une participation au seul niveau de l'exploitation
[41]. Dès lors, l'étude des initiatives parlementaires Morel (ps, FR) et Egli (pdc, LU) ainsi que de la solution de compromis conçue pourtant par la même commission du National a été ajournée
[42]. Bien que les commissaires n'aient pas encore formellement tranché, ils ont néanmoins ouvert la voie à une initiative parlementaire Biderbost (pdc, VS) déposée à la chambre populaire au printemps. Dans le cadre d'un projet de loi complètement rédigé, l'auteur propose une participation limitée au poste de travail et réservée uniquement aux travailleurs employés dans l'entreprise. Un droit de codécision pourrait cependant dans certains cas être exercé par une commission d'entreprise élue par les salariés
[43]. Une motion du conseiller national Wyss (prd, BS) pousse également dans cette voie
[44]. En appuyant cette initiative, le PDC, qui était jusqu'à présent le parti charnière dans cette affaire, a incontestablement fait un pas en arrière. Il a provisoirement abandonné l'idée d'introduire une cogestion, même restreinte, à l'échelle de l'entreprise, idée qu'il avait pourtant encore défendue à l'occasion de la procédure de consultation relative aux diverses propositions parlementaires
[45]. Cette dernière avait du reste vu la gauche modérée — socialistes et syndicats — adhérer au principe d'une participation relativement étendue des travailleurs et de leurs organisations à la marche de l'entreprise ; démocrates chrétiens et indépendants étant pour leur part plus favorables à des solutions de compromis. En revanche, radicaux, démocrates du centre et les associations patronales voulaient la limiter au poste de travail, alors que les libéraux repoussaient toute disposition législative en la matière
[46]. Face à ce durcissement des fronts et à une situation jugée bloquée, le PDC a donc estimé opportun de rejoindre momentanément les autres partis bourgeois et de plaider en faveur d'une participation moins ambitieuse, réservée aux seules exploitations
[47].
Plusieurs objets relatifs à la protection des travailleurs ont été débattus en 1980. C'est cependant le dossier consacré à la protection contre les licenciements qui a été le plus discuté. Dominée par le principe de la liberté contractuelle, la législation suisse n'oblige toujours pas l'employeur à motiver un licenciement. Il lui suffit de respecter certains délais et dispositions particulières portant essentiellement sur la maladie, les accidents, la grossesse ou le service militaire
[48]. Alors que des milieux syndicaux chrétiens avaient annoncé en 1979 déjà de lancer une initiative populaire, l'USS a dévoilé dès mars ses batteries. Dans une requête adressée au gouvernement, elle a invité ce dernier à ouvrir une procédure de révision des dispositions du Code des obligations (CO) concernant le contrat de travail. Ce mémoire a reçu un accueil plus que favorable de la part de nos autorités. Se fondant sur une motion Muheim (ps, LU), acceptée non sans opposition par le National sous forme de postulat, le Conseil fédéral s'est déclaré disposé «à faire ce qui est en son pouvoir pour trouver une solution équitable et raisonnable à un problème aussi important que difficile»
[49]. Dès octobre, c'est au tour de la Confédération des syndicats chrétiens (CSC) de lancer l'initiative projetée contre les licenciements injustifiés. Le texte repose sur les points suivants: 1) l'employeur, à la demande des travailleurs, devra motiver son licenciement par écrit ; 2) droit sera octroyé aux salariés de saisir la justice si le licenciement apparaît injustifié et enfin 3) une protection particulière sera prévue pour les cas soulevant des problèmes sociaux
[50]. Si sur le fond de la question les organisations syndicales sont pour l'essentiel d'accord quant au diagnostic — la législation suisse est particulièrement inadaptée et, à l'exception des résiliations immédiates des contrats, le licenciement n'a pas encore besoin d'être motivé par l'employeur — elles restent, en revanche, profondément divisées sur les moyens. L'USS est attachée à une modification du CO qui devrait aboutir au mieux à la création d'une commission d'experts chargée d'étudier la révision avant le processus traditionnel. Alors que pour les syndicats chrétiens, le recours au suffrage populaire s'impose dans la mesure où toutes les tentatives parlementaires ont jusqu'à présent échoué
[51]. Par ailleurs, le Conseil fédéral serait en principe favorable à une réglementation tendant à engager la responsabilité d'un patron lorsqu'un de ses anciens collaborateurs se trouve atteint d'une maladie consécutive à sa profession et se déclarant plusieurs années après la cessation de l'activité. C'est du moins ce qu'il a prétendu dans une réponse à une motion Crevoisier (psa, BE) et à un postulat Ziegler (ps, GE)
[52].
L'extraordinaire essor du travail temporaire de ces dernières années a fortement inquiété les milieux syndicaux et les juristes de l'OFIAMT, chargés de réviser
la loi sur le service de l'emploi. Les personnes employées par l'intermédiaire d'entreprises de travail intérimaire ou de bureaux de placement ne jouissent pas en effet d'une protection juridique suffisante
[53]. Cette location des salariés par un tiers, qui prélève un bénéfice au passage, avait été dénoncée en 1979 déjà dans une motion déposée par le conseiller national Zehnder (ps, AG)
[54]. Tout en reconnaissant le bien-fondé. de ces propos, le gouvernement a préféré transformer cette motion en postulat, ne sachant pas encore si ces . problèmes seront réglés par le biais de la loi fédérale sur le placement ou dans le cadre du CO
[55]. D'autre part, le groupe de travail, créé en automne 1979 à l'initiative de l'Alliance des sociétés féminines suisses, a présenté une étude sur le travail à temps partiel et le travail auxiliaire. Assorti de nombreuses suggestions et recommandations, ce rapport révèle que 10% des personnes actives en Suisse n'exercent pas une activité lucrative à temps complet. La grande majorité sont des femmes mariées (74%). Viennent ensuite des hommes et des femmes célibataires, divorcés ou veufs (26%)
[56]. Enfin le Conseil des Etats a adopté sans modifications majeures le projet de révision de la loi fédérale de 1940 sur le travail à domicile (LTD). Ce nouveau texte vise avant tout à adapter les rapports entre employeurs et travailleurs aux réalités socio-économiques et juridiques actuelles. La principale innovation concerne les salaires, puisque l'égalité entre les travailleurs à domicile et ceux qui sont occupés dans l'entreprise devrait être plus ou moins garantie. Deux éléments ne figurent pas dans ce projet. Premièrement, l'assujettissement aux assurances sociales, qui sera réglé par la suite lors de la révision de lois spéciales. Deuxièmement, le fait que le secteur des services soit exclu du champ d'application de la loi. Un amendement Lieberherr (ps, ZH), visant à l'élargir à certaines activités commerciales et techniques, a été rejeté
[57].
[41] Presse du 20.11.80 ; Vr. 230, 24.11.80. Cf. également USS (communiqué), 38, 26.11.80 où I'USS déplore la décision de la commission du CN,
[42] Ces divers projets souhaitent associer, à des degrés divers, les travailleurs à la gestion de l'entreprise et nécessitent la rédaction d'un nouvel article constitutionnel. Cf. APS, 1976, p. 124; 1978, p. 120 s.
[43] Délib. Ass. féd., 1980, I, p. 18 ; presse du 28.3.80.
[44] Délib. Ass. féd., 1980, I, p. 65; NZZ (sda), 70, 24.3.80; SAZ, 17, 24.4.80.
[45] Il s'agit essentiellement des initiatives Morel et Egli ainsi que la solution de compromis de la commission du CN, Cf. APS, 1979, p. 136.
[46] Presse du 18.7.80; CdT, 170, 24.7.80; RFS, 30, 29.7.80 (résultats). Voir également NZZ, 124, 31.5.80 et TA, 153, 4.7.80 (les différentes variantes proposées); VO, 30, 1.8.80 (position du PST): J. Favre, La démocratie à double voie; Autogestion ou participation?, Genève 1980; A. Sonderegger, Mitbestimmung als Gewerkschaftsforderung, Die wirtschaftspolitische Rolle der Schweizer Gewerkschaften am Beispiel der Mitbestimmung, Diessenhofen 1980; P. T. Isler, Mitbestimmung und Unternehmungsrecht, Zürich 1980.
[47] Plusieurs quotidiens romands du 20.11.80 ont sévèrement critiqué ce «volte-face» du PDC. Cf. également USS, 40, 10.12.80 (F. Morel); BZ, 301, 23.12.80; Vr, 254, 29.12.80.
[48] Cf. Association des juristes démocrates de Suisse. La protection des travailleurs contre les licenciements, Genève 1979; Association des juristes progressistes de Genève, Le droit du licenciement dans plusieurs pays, Genève 1980; Lib., 148, 27.3.80; TA, 73, 27.3.80; VO, 13, 4.4.80; Domaine public, 541, 17.4.80; 571, 11.12.80.
[49] Requéte de l'USS : Revue syndicale suisse. 72/1980. p. 73 ss. ; USS (communiqué), 11, 19.3.80 ; 25, 13.8.80. Motion Muheim : BO CN, 1980, p. 443 ss. ; presse du 3.6.80; TW, 131, 7.6.80 ; RFS, 24, 10.6.80 ; 24 Heures, 139, 17.6.80 ; VO, 24, 20.6.80. Une motion Leuenberger (ps, ZH) sur le problème des employés congédiés avait déjà été acceptée au CN sous forme de postulat au printemps (BO CN, 1980, p. 114 ss.; TA, 56, 7.3.80). Cf. APS, 1979. p. 134.
[50] FF, 1980, II, p. 430 s.; presse du 4.10.80.
[51] Suisse, 132, 11.5.80; presse du 12.5.80 et 13.5.80; Domaine public, 545, 14.5.80; VO, 19, 16.5.80; JdG, 122, 28.5.80; Ww, 42, 15.10.80; USS, 35. 5.11.80; BaZ, 266, 12.11.80.
[52] Délib. Ass. féd., 1980, II, p. 40 s. (motion Crevoisier) ; Délib. Ass. féd., 1980, II, p. 66 (postulat Ziegler); BaZ (sda), 205, 2.9.80; Suisse, 247, 3.9.80.
[53] 75 à 80% du marché sont entre les mains de 17 entreprises regroupées au sein de la Fédération suisse du travail intérimaire. Les temporaires seraient aujourd'hui au nombre de 200 000 à 300 000 (VO, 10, 14.3.80; BaZ, 63, 14.3.80; Vr, 192, 1.10.80; 24 Heures, 255, 2.11.80; TA, 298, 22.12.80).
[54] USS, 2, 16.1.80; Vr, 16, 24.1.80. Ce problème préoccupe également les députés genevois, qui ont demandé au Conseil d'Etat de faire usage du droit d'initiative confédéré pour demander aux Chambres d'adopter une loi réglant les rapports entre ces entreprises intérimaires et leurs partenaires (Suisse, 315, 10.1 1.80).
[55] BO CN, 1980, p. 1482 ss. ; USS, 41, 17.12.80.
[57] Message: FF, II, 1980, p. 282 ss.; cf. presse du 20.5.80; NZZ, 157, 9.7.80. Débats du CE: BO CE, 1980, p. 522 ss.; presse du 3.10.80. Cf. TW, 229, 30.9.80; Vr, 193, 3.10.80 ainsi que APS, 1979. p. 134.
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