Année politique Suisse 1981 : Chronique générale / Politique étrangère suisse
Relations multilatérales
Dans le domaine des relations multilatérales, la Suisse est généralement absente des grands centres de décision. Elle accorde dès lors une grande importance aux organisations internationales auxquelles elle appartient. En attendant son hypothétique entrée dans l'ONU, le Conseil de l'Europe constitue à ce jour la seule véritable tribune à laquelle elle soit pleinement associée. Après s'être mis au service des premiers pas vers l'unification européenne, celui-ci a complètement sombré, concurrencé qu'il a été par le Parlement européen. Travaillant dans l'ombre au cours des années septante, l'«organisation des 21» semble vouloir à nouveau jouer un rôle prépondérant. L'oeuvre de relance est à mettre au crédit des «neutres» et en particulier de la Suisse. Notre diplomatie a du reste assuré la présidence du Conseil de mai à novembre 1981. Elle a été à l'origine de deux rapports, l'un portant sur la torture et l'autre sur la situation des 15 millions de travailleurs migrants résidant en Europe
[20]. Même si de nouvelles ambitions se font jour, elles restent malgré tout timides, se situant davantage au niveau des intentions que des applications. Certaines personnalités se sont à nouveau inquiétées du retard pris dans la ratification des conventions déjà signées et ont prié le gouvernement de s'y attaquer avec plus d'empressement
[21]. Ce dernier a néanmoins soumis aux Chambres fédérales trois textes au cours de l'année. Le premier concerne la coopération entre régions frontalières. Il vise à encourager les collectivités régionales ou locales, situées de part et d'autres des frontières nationales, à coopérer dans des domaines aussi variés que l'environnement, les infrastructures, les transports ou le développement économique. Le second institue une procédure européenne de règlement des différends. Il prévoit la création d'un tribunal chargé de garantir l'immunité des Etats. Ce tribunal en voie de formation sera composé de membres de la Cour européenne des droits de l'homme. Enfin, le dernier projet est relatif à l'adhésion de la Confédération à l'Organisation européenne pour des recherches astronomiques dans l'hémisphère austral (ESO) qui est devenue le principal pilier de la recherche dans ce domaine en Europe
[22].
Notre pays aurait également pu jouer un rôle en vue dans le document final qui devait corroborer la seconde phase des travaux de la CSCE, si la situation internationale ne s'était pas constamment dégradée. Commencés en novembre 1980, les travaux qui auraient dû se clore en mars 1981 ont continuellement été interrompus. La réactivation de la politique américaine et surtout la crise polonaise ont complètement bouleversé le calendrier initial. Et pourtant, les pays neutres et non alignés n'ont pas ménagé leurs efforts pour sortir les discussions de l'impasse dans laquelle elles s'étaient enlisées dans le courant de l'été. Un texte prévoyant un accord sur des mesures de confiance militaire et de respect des droits de l'homme allait être déposé, lorsque survint le coup d'Etat militaire de Varsovie. Dans un premier temps, les ministres des Affaires étrangères ont refusé de se rendre à Madrid. Puis, une fois le débat sur la Pologne instauré, il est vite apparu, à la délégation helvétique en particulier, qu'il était politiquement, voire moralement impossible de signer un texte qui évoque les droits de l'homme alors que ceux-ci venaient d'être piétinés. La Conférence de Madrid a donc été à nouveau ajournée jusqu'en février 1982. Le document sur lequel les parties s'étaient entendues prévoyait entre autres la création d'un groupe d'experts chargés d'exercer durant une certainé période un contrôle sur le respect ou non des droits de l'homme dans les Etats membres. Il englobait les propositions suisses en matière de règlement pacifique des différends et de l'amélioration de l'information. Enfin, il posait des jalons pour une future conférence sur le désarmement en élargissant les principes de l'Acte final d'Helsinki
[23].
Dans un message publié en hiver,
le Conseil fédéral propose que la Suisse adhère en tant que membre à part entière à l'ONU. Le projet d'adhésion marque l'aboutissement d'un long processus puisque, sans compter notre participation aux différentes institutions spécialisées de cet organisme, pas moins de trois rapports gouvernementaux et la nomination d'une commission consultative d'experts auront vu le jour au cours de ces dix dernières années
[24]. Un premier volet règle la procédure d'adhésion. A ce propos, un chapitre entier est consacré à la neutralité et au problème des sanctions établies par la charte. Selon ce projet, la Confédération ne participera à aucune des éventuelles mesures militaires décrétées à l'encontre d'une nation. D'ailleurs, aucun Etat ne peut être contraint à s'y associer automatiquement. Une déclaration d'entrée solennelle réaffirmera le maintien de la neutralité permanente et armée de notre pays. En revanche, pour ce qui est des sanctions d'ordre économique par exemple, elles seront appréciées non pas sous l'angle du «droit de neutralité», mais sous celui de la «politique de neutralité». La Suisse ne saurait en effet se soustraire à des mesures appliquées par la totalité des Etats membres et, dans le cas inverse, elle pourra toujours invoquer sa neutralité et s'en distancer. Ainsi définie cette politique de neutralité ne saurait entraîner nécessairement une attitude d'abstention systématique. La Suisse n'hésitera pas à prendre clairement position en se fondant sur un certain nombre de critères objectifs, tels que l'application du droit international ou le respect des droits de l'homme. Un second volet prévoit l'engagement de quelque trente nouveaux fonctionnaires et précise que le coût de l'opération ne devrait pas dépasser 19 millions de francs par année. Ce montant est du reste inférieur aux dépenses consenties à certains organismes spécialisés de l'ONU
[25].
Le projet est donc libellé, les rôles distribués et le dossier va pouvoir entrer dans sa phase parlementaire, puis recevoir l'aval du peuple et des cantons. Sur ce plan tout reste à faire, d'autant plus qu'un sondage réalisé en octobre a mis en évidence le caractère pour le moins versatile de nos concitoyens à l'égard de cette institution. 37% des personnes interrogées se prononceraient contre, 33% pour et 30% seraient encore indécises. Avec respectivement 37 % de oui et 26% de non, les Romands seraient plutôt favorables à l'adhésion, alors que les Alémaniques, avec 40% de non et 32% de oui, plutôt réfractaires
[26]. Les résultats de ce sondage ne permettent évidemment pas de prédire l'issue du scrutin, que d'aucuns voudraient renvoyer à la prochaine législature
[27]. Ils reflètent néanmoins les clivages existant au sein du monde politique entre ceux qui poussent à un engagement immédiat, ceux qui, au contraire, y sont résolument hostiles et enfin ceux qui, tout en étant partisans, craignent un refus populaire dont les conséquences pourraient être plus néfastes qu'une simple abstention. Un comité d'opposition s'est constitué en fin d'année, présidée par un certain nombre de personnalités politiques
[28]. Cela dit et avant même la publication du message, le gouvernement avait insisté sur ses arguments majeurs en faveur de l'adhésion. La Suisse ne saurait rester plus longtemps à l'écart d'une organisation qui regroupe la presque totalité des Etats et qui tend à devenir le «centre de la coopération mondiale». Elle prolonge les efforts consentis pour la défense de nos intérêts dans les tribunes internationales qui nous étaient jusqu'à présent accessibles. Enfin, elle devrait nous permettre d'y débattre des sujets auxquels la Confédération a toujours été attachés, comme l'aide humanitaire ou la défense des droits de l'homme
[29]. C'est donc, a souligné un observateur de la politique nationale, «un exercice démocratique de psychologie» à l'échelon du pays qui va s'ouvrir et au terme duquel, quoi qu'il advienne, «l'image de la Suisse ne sera plus tout à fait la même»
[30].
Par ailleurs, le parlement a approuvé sans opposition majeure les deux protocoles additionnels aux Conventions de Genève de 1949 sur la protection des victimes en temps de guerre. Le premier protocole se rapporte aux conflits internationaux. Il élargit les mesures dè protection à de nouveaux types de conflits, tels que les luttes pour l'autodétermination ou les combats de libération. Le second s'intéresse davantage aux victimes des conflits armés internes
[31]. Enfin, en matière de désarmement, le Conseil national a ratifié la convention visant à limiter l'emploi de certaines armes stratégiques particulièrement traumatisantes pour la population civile
[32].
[20] Rapport sur la torture de J. Meier (pdc, LU) : Suisse, 27, 27.1.81; BaZ, 23, 28.1.81; JdG, 30, 6.2.81. Rapport sur les travailleurs immigrés de R. Müller (ps, BE): NZZ, 23, 29.1.81 ; 31, 7.2.81 ; 24 Heures, 26, 2.2.81. Voir aussi BO CE, 1981, p. 295 ss. ; BO CN, 1981, p. 748 ss. (rapport de la délégation suisse auprès du Conseil de l'Europe); JdG, 109, 110, 111, 12.5.-14.5.81 (dossier); 24 Heures, 114, 18.5.81 (P. Aubert) ainsi que Europa, 48/1981, no 4/5, p. 23; no 10/11, p. 6 ss.
[21] Critiques du groupe socialiste: SP-Information, 89, 9.1.81 et interpellation du CN J.-C. Crevoisier (psa, BE) qui s'est inquiété du retard pris dans le domaine de la politique suisse des droits de l'homme (BO CN, 1981, p. 1341 s.). Cf. également le dossier sur les droits de l'homme de Tout Va Bien, 97, 20.2.81 et APS, 1980, p. 41s.
[22] Convention-cadre européenne sur la coopération transfrontalière: FF, 1981, II, p. 801 ss.; BO CE, 1981, p. 483 ; BO CN, 1981, p. 985 s. Immunité des Etats: FF, 1981, II, p. 937 ss. et III, p. 1091 s. ; BO CE, 1981, p. 482 s. et 549; BO CN, 1981, p. 985 s. et 1779. ESO: FF, 1981, I, p. 85 ss.; III, p. 223; BO CE, 1981, p. 344 ss. et 434; BO CN, 1981, p. 592 s. et 1391.
[23] 24 Heures, 84, 10.4.81; 298, 23.12.81; TLM, 203, 22.7.81; 353, 19.12.81; BaZ, 300, 23.12.81. Voir également APS, 1980, p. 445.
[24] Rapports gouvernementaux: cf. APS, 1969, p. 40; 1971, p. 55 s.; 1977, p. 40 s. Commission d'experts: voir APS, 1975, p. 48 s.
[25] FF, 1982, I, p. 505 ss.; presse du 22.12.81.
[26] Ww, 44, 28.10.81. Un sondage identique, réalisé en octobre 1980, avait donné les résultats suivants: 39 % de non, 32 % de oui et 29 % d'indécis. Le clivage Suisse romande, Suisse alémanique était aussi clairement apparu avec respectivement 35% de oui, 33% de non et 40% de non, 33% de oui (Ww, 1, 7.1.81; Suisse, 8, 8.1.81).
[27] Cf. à cet égard la déclaration faite par les quatre partis gouvernementaux: NZZ, 271, 21.11.81.
[28] Composition de ce comité d'opposition : le CE H. Reymond (pl. VD) et les députés du CN C. Blocher (udc, ZH), O. Fischer (prd, BE), J. Iten (pdc, NW), H. Schalcher (pep, ZH) (Suisse, 356, 22.12.81). Par ailleurs, les propos équivoques tenus par le CF F. Honegger devant les Suisses de l'étranger réunis à Soleure, illustrent bien les divergences qui subsistent encore au sein de l'administration fédérale (SGT, 196, 24.8.81; 201, 29.8.81). Cf. également L'Hebdo, 42, 16.10.81; Suisse, 355, 21.12.81 (partisans et adversaires).
[29] P. Aubert : 24 Heures, 43, 21.2.81. R. Probst: NZZ, 272, 23.11.81; 24 Heures, 281, 3.12.81. Voir aussi l'avis de l'ancien secrétaire d'Etat au DFAE, A. Weitnauer: NZZ, 110, 14.5.81.
[30] Cf. l'éditorial de J.-S. Eggly, «ONU: la voile est mise», in JdG, 298, 22.12.81.
[31] Par ailleurs, ces protocoles développent encore de manière considérable les règles sur la conduite des hostilités adoptées à La Haye en 1907 et qui n'ont jamais été retouchées depuis lors. Ils améliorent en outre la protection des blessés et celle du personnel sanitaire. Seuls 17 Etats les ont jusqu'à présent ratifiés (FF, 1981, I, p. 973 ss. ; III, p. 224 s.; BO CE, 1981, p. 370 ss. et p. 434; BO CN, 1981, p. 592 ss. et p.1391).
[32] FF, 1981, III, p 273 ss.; BO CN, 1981, p. 1449 ss.
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