Année politique Suisse 1988 : Politique sociale / Santé, assistance sociale, sport
Politique de la santé
Même si experts, politiciens et médecins s'accordent à reconnaître l'urgence d'un changement d'orientation de la politique de la santé, il n'en demeure pas moins vrai qu'au niveau législatif la situation reste figée et que les dépenses poursuivent allègrement leur mouvement à la hausse et se répercutent irrémédiablement sur les cotisations des assurés. Avec le rejet de la révision de la loi sur l'assurance-maladie et maternité dont l'un des objectifs consistait justement à freiner les dépenses médico-pharmaceutiques et devant la valse hésitation politique, le dossier de la santé publique va sans en douter constituer un défi majeur pour le Conseil fédéral. A la recherche d'un modèle susceptible de répondre aux impératifs économiques et sociaux, le DFI avait chargé quatre experts d'élaborer des propositions concrètes allant dans le sens d'une refonte de la politique de la santé. Si ceux-ci ont émis, dans le rapport final, des avis parfois contradictoires, ils ont cependant été unanimes à reconnaître que le système actuel était dans l'impasse et qu'une réforme en profondeur s'imposait. Ils sont également tombés d'accord sur la nécessité de revaloriser le principe de la solidarité en instaurant notamment le libre passage d'une caisse à une autre, sur l'amélioration du sort des familles et des personnes à faible revenu et sur la suppression des subventions fédérales traditionnelles par arrosage au profit de subventions ciblées. Trois des quatre experts se sont prononcés en faveur d'une assurance de base obligatoire
[1].
Le développement des
soins à domicile (Spitex) a fait l'objet d'un rapport de la part de la Fédération suisse des services de soins infirmiers de santé publique (FSSP) qui l'a ensuite transmis, sous forme de pétition, à la Chancellerie fédérale. En privilégiant les soins à domicile et en ne recourant pas systématiquement à l'hospitalisation des malades chroniques on peut, selon la FSSP, contribuer à diminuer les coûts de la santé tout en permettant au patient de rester dans son environnement. Et celle-ci de poursuivre en relevant que, face au vieillissement de la population et au manque de place tant dans les hôpitaux que dans les homes, la solution des soins à domicile deviendra indispensable
[2].
Le Conseil national a rejeté le projet d'une loi fédérale dans le domaine de la
prévention des maladies. A l'origine du débat, une initiative parlementaire Carobbio (ps, TI) déposée en 1986 et visant à créer une base légale dans le domaine de la prévention pour améliorer le système suisse de la santé. Des campagnes de prévention du stress, des abus du tabac et de l'alcool, des médicaments et des drogues éviteraient de coûteuses hospitalisations et, partant, permettraient de lutter efficacement contre la hausse des coûts de la santé. Et son auteur de préciser qu'il juge indispensable de voir la Confédération assumer des tâches de coordination dans ce domaine. Si la gauche, les écologistes et une partie des indépendants se sont rangés derrière cet avis, les parlementaires de la droite ont vu dans ce projet une atteinte au fédéralisme, la santé étant du ressort des cantons
[3].
Les deux
initiatives populaires qui proposent une série de réformes dans le domaine de l'assurance-maladie s'attaquent davantage au financement des coûts qu'à leurs causes et n'apportent pas de véritables solutions pour contrecarrer l'accroissement des dépenses. Celle lancée par le Concordat des caisses-maladie propose, pour freiner la hausse des coûts, que la Confédération et les cantons fixent des normes en matière de tarifs et exigent que les cotisations des assurés à ressources modestes et des familles soient réduites. Ces exigences sont par ailleurs accompagnées d'une disposition transitoire qui oblige la Confédération à doubler ses subventions aux caisses. L'autre initiative pendante a été lancée par l'USS et le PSS et demande que l'assurance-maladie soit obligatoire et financée par une ponction en pourcent sur les salaires. Ces deux initiatives seront traitées de façon plus approfondie dans le chapitre I, 7c (Assurance-maladie et maternité)
[4].
Le Conseil fédéral a présenté son message relatif au
projet de loi sur la pharmacopée. La promulgation de cette loi va permettre de créer une base juridique pour l'édiction et la mise à jour de la pharmacopée, éliminant ainsi les lacunes résultant du régime actuel. En effet, en l'absence d'une base légale fédérale lui conférant les compétences nécessaires, le Conseil fédéral a toujours légiféré dans ce domaine' en vertu d'ordonnances ou d'arrêtés pris avec l'assentiment des gouvernements cantonaux. Le projet de loi qui contient des dispositions concernant entre autres la fabrication, l'examen et l'utilisation des préparations médicamenteuses et des prescriptions destinées à en vérifier la composition, ne s'adresse pas au contrôle des médicaments et ne porte par conséquent pas atteinte à la répartition des tâches entre la Confédération et les cantons
[5].
Les directeurs cantonaux de la santé publique ont approuvé le nouveau
concordat intercantonal sur les médicaments. Les cantons pourront donc, sous réserve d'une ratification par le parlement ou le peuple, sauvegarder leurs prérogatives en matière de contrôle des médicaments. Dorénavant, les décisions de l'Office intercantonal de contrôle des médicaments (OICM) auront un effet obligatoire pour les cantons alors qu'auparavant elles n'avaient que valeur de recommandations. Le nouveau concordat interdit également aux membres du collège d'experts de l'OICM d'exercer des fonctions de conseiller au-près de l'industrie pharmaceutique. Une nouvelle disposition, fort contestée d'ailleurs par les pharmaciens, prévoit la vente de médicaments, qui ne sont pas soumis à ordonnance, hors des pharmacies
[6].
Tant la commission fédérale chargée d'étudier les problèmes du SIDA que l'Office fédéral de la santé publique (OFSP) ont catégoriquement rejeté l'idée d'un enregistrement des personnes séropositives aussi longtemps qu'aucun traitement contre la maladie n'aura été trouvé. Une telle mesure aurait pour effet de créer un fossé entre bien portants et malades
[7]. Pourtant les porteurs du virus se trouvent toujours plus fréquemment confrontés à des
discriminations tant dans le monde du travail que dans celui des assurances. Seule entreprise en Suisse à avoir décidé d'imposer à ses futurs collaborateurs, excepté les apprentis, le test de dépistage du SIDA, la compagnie d'assurance La Neuchâteloise s'était attirée l'es foudres de la presse et des autorités. Pour se justifier, elle a indiqué que cette mesure avait été prise par souci de cohérence envers la clientèle puisque les clauses des contrats d'assurances vie exigent un tel test à partir d'une certaine couverture. Mais face aux remous déclenchés par cette prise de position et pour ne pas influencer le débat mené actuellement par diverses associations sur l'attitude à adopter à l'égard des personnes séropositives, la direction est revenue sur sa décision et a jugé plus opportun de suspendre cette mesure. Le gouvernement s'était d'ailleurs opposé à l'introduction de tests obligatoires lors de l'engagement en soulignant que ceux-ci ne renseignent pas définitivement sur l'état de santé et apportent de nouveaux problèmes aux personnes atteintes par la maladie
[8].
La lutte contre le virus a aussi fait son entrée dans le monde du travail. En effet, plusieurs entreprises en Suisse alémanique ont informé leur personnel sur les modes de transmission de la maladie, tant dans une perspective de prévention que dans une volonté de s'attaquer aux préjugés qui circulent sur les personnes séropositives
[9].
Répondant à une question du conseiller national Braunschweig (ps, ZH), le Conseil fédéral a déclaré que les caisses-maladie reconnues sont obligées d'accepter les séro-positifs et n'ont pas le droit de faire figurer des réserves dans les contrats. En effet, le fait d'être porteur du virus n'est pas considéré comme une maladie au sens de la loi sur l'assurance-maladie et accidents. En revanche, il appartient à la jurisprudence de dire si une caisse-maladie peut refuser la conclusion d'une assurance complémentaire demandée par une personne séropositive
[10].
La demande du comité de la société des médecins bernois sollicitant l'autorisation de faire des
tests du SIDA sans l'accord préalable du patient a déclenché une vague de désapprobation. Celui-ci avait justifié sa requête en soulignant les lacunes dans les données épidémiologiques. Le gouvernement bernois a vivement réagi et a fustigé cette proposition en arguant de la protection des données. Quant au comité de la Fédération des médecins suisses, il a critiqué cette demande tant sur le plan professionnel qu'éthique et a rappelé l'inutilité de tests de masse pour dépister le SIDA
[11].
L'absence d'une base légale constitutionnelle relative à la fécondation artificielle chez l'être humain a conduit de nombreux cantons à se doter de lois et de règlements traitant de ce délicat sujet. Cette situation voit certains cantons adopter une législation restrictive et d'autres une législation plus libérale. Si celles-ci sont élaborées dans l'attente d'une base légale constitutionnelle et n'ont par conséquent qu'un caractère transitoire, il est cependant plus que probable qu'elles vont influencer l'élaboration d'une loi fédérale.
Les décisions arrêtées par le Grand Conseil saint-gallois en matière de fécondation artificielle ont conduit un groupe de médecins et de patients à déposer deux recours de droit public auprès du Tribunal fédéral. Les recourants ont estimé que le parlement cantonal, en interdisant l'insémination artificielle et la fécondation in vitro, contrevenait au partage des. compétences entre cantons et Confédération, la réglementation des techniques de reproduction humaine ne relevant, selon eux, non pas de la santé publique mais du droit civil et pénal. Ils ont encore ajouté que cette loi est contraire aux libertés individuelles. Les recourants ont partiellement obtenu gain de cause puisque le Tribunal fédéral a accordé l'effet suspensif en ce qui concerne la conservation des spermes autres que ceux du mari en traitement médical
[12].
Pour sa part, le parlement de Bâle-Ville a adopté en première lecture une loi extrêmement sévère interdisant toute fécondation en dehors du ventre de la mère
[13]. Suivant en cela d'autres exemples, la clinique gynécologique de la ville de Berne a décidé la fermeture de sa banque de spermes
[14]. Si certains cantons défendent des positions restrictives, d'autres, à l'instar de celui d'Argovie, se dotent de lois sur la santé plus libérales, autorisant l'insémination artificielle et la fécondation in vitro mais interdisant toute manipulation génétique. Avec l'élaboration de lois et règlements cantonaux relatifs à la fécondation artificielle se pose la question de savoir qui des cantons ou de la Confédération est habilité à légiférer et, partant, à édicter des normes pénales dans ce domaine
[15].
Le Conseil fédéral a chargé le DFJP d'élaborer un
contreprojet direct à l'initiative populaire lancée par le périodique Beobachter "
Contre l'application abusive des techniques de reproduction et de manipulation génétique à l'espèce humaine". Celle-ci vise d'une part à empêcher certaines méthodes de procréation artificielle telles la fécondation in vitro ou les mères porteuses et, d'autre part, à interdire les manipulations sur le matériel génétique humain et exige de la Confédération qu'elle édicte des prescriptions dans ces deux domaines afin d'éviter des législations cantonales disparates. En opposant un contreprojet, le Conseil fédéral a manifesté sa volonté de régler en détail ce domaine. En effet, il a reproché aux initiants d'avoir présenté un texte trop général et trop restrictif dans ses interdictions. Le gouvernement souhaite également étendre la loi aux manipulations génétiques sur les animaux et les plantes
[16]. Pour élaborer le futur message, le gouvernement s'inspirera des conclusions d'une commission d'experts (Commission Amstad) qu'il avait mandatée pour étudier les aspects sociaux, juridiques et éthiques des nouvelles méthodes de la médecine de la reproduction. Même si aucun langage commun n'a pu être trouvé, une majorité est toutefois tombée d'accord pour admettre, sous certaines réserves, la fécondation in vitro, les transferts d'embryons et le don de sperme destiné à l'insémination artificielle hétérologue. Par contre, elle a rejeté le recours aux mères porteuses et s'est prononcée pour l'interdiction de tous les procédés visant à sélectionner des embryons en fonction de leur sexe ou d'autres caractéristiques, contre les interventions sur le processus de formation des ovules ou des spermatozoïdes et l'expérimentation sur embryon. Elle a estime indispensable l'introduction d'une disposition constitutionnelle pour soumettre les techniques de procréation artificielle à des prescriptions légales afin d'éviter les abus. A peine rendues publiques, ces conclusions ont soulevé un vent de critiques, tant dans les milieux féministes qu'au sein des partisans du droit à la vie qui, tous deux, les jugent trop libérales
[17].
Après le Conseil des Etats, le Conseil national a à son tour décidé de donner suite à l'initiative du canton de Saint-Gall sur la fécondation artificielle chez l'être humain invitant la Confédération à traiter la question au plus vite
[18]. Toujours en vue
d'élaborer une législation fédérale dans ce domaine, la chambre du peuple a adopté une motion Zwygart (pep, BE) sous la forme d'un postulat invitant le Conseil fédéral à créer les bases légales permettant de prendre des mesures relatives aux manipulations génétiques
[19]. Même si tous les partis politiques sont unanimes à réclamer une législation fédérale, le débat qui va s'engager entre partisans d'une restriction et défenseurs d'une attitude plus libérale sera animé tant les positions sont tranchées. Les organisations féminines, qui sont très attentives à l'évolution de la procréation assistée et de la technologie génétique, ont déjà entrepris un travail d'information et de réflexion sur ces pratiques. Une nouvelle association de femmes, Nogerete (Nationale Organisation gegen Gen- und Reproduktionstechnologien) se propose de surveiller de près le développement des nouvelles techniques de reproduction et de traitement génétique ainsi que de concevoir une position féministe face aux abus éventuels. Si elle ne rejette pas en bloc la recherche, elle souhaite cependant l'interdiction de tout procédé permettant de donner la vie en dehors du corps de la mère. L'un des arguments des opposants aux méthodes d'aide à la fécondation est l'existence d'embryons qui pourraient servir pour des expériences génétiques. A l'instar des partis politiques, les avis sont très partagés. Si certaines dénoncent avecvigueur les nouvelles techniques de reproduction qu'elles assimilent à une nouvelle exploitation de la femme, d'autres y sont au contraire favorables car elles permettent de combattre la frustration de la stérilité
[20].
[1] Presse du 14.10.88. Cf. aussi pour les coûts de la santé APS 1987, p. 191 s.
[2] JdG et NZZ, 26.2.88; cf. aussi Ww, 23.6.88.
[3] BO CN, 1988, p. 1446 ss.
[4] Cf. infra, part. I, 7c (Assurance-maladie et maternité) et APS 1987, p. 201.
[5] FF, 1988, II, p. 905 ss.
[6] Presse du 20.5.88. Cf. aussi APS 1987, p. 192.
[7] Suisse, 7.8.88; BaZ, 8.8.88. Cf. NZZ, 23.4.88 et DP, 20.10.88.
[8] 24 Heures, 13.8.88; presse du 31.8.88. Gouvernement: 24 Heures et BaZ, 24.3.88. A fin 1988, l'OFSP avait recensé 702 cas de personnes atteintes du SIDA, dont 355 étaient décédées à la suite de la maladie (Rapp. gest. 1988, p. 101 s.).
[9] SIDA et droit du travail: NZZ, 25.1.88; TA, 8.9.88.
[10] BaZ, 6.4.88; JdG et NZZ, 7.4.88.
[11] BZ et Suisse, 16.12.88.
[12] SGT, 15.1., 9.2. et 22.2.88; presse du 24.2.88; Recours au TF: presse du 1.6. et 24.6.88.
[13] BaZ, 29.1., 7.3., 24.3., 2.4., 28.5., 28.6. et 7.10.88; NZZ, 28.6.88.
[15] AG: AT, 15.2., 16.2., 19.2. et 23.2.88; presse du 7.3.88. Partage des compétences: NZZ, 20.1.88; Bund, 8.2.88; BaZ, 28.3.88.
[16] Presse du 27.10.88. Cf. aussi APS 1987, p. 192.
[17] Presse du 9.11.88. Généralités sur la procréation artificielle: SGT, 20.2.88; SZ, 7.3.88; vat., 6.4.88; Ww, 5.5., 12.5., 26.5. et 2.6.88.
[18] BO CN, 1988, p. 1374 ss. Cf. aussi APS 1987, p. 192.
[19] BO CN, 1988, p. 425 ss.
[20] Femmes Suisses, Juin-juillet/octobre 1988, p. 16 et 14; BaZ et LNN, 5.9.88; Emanzipation, 14/1988, Nr. 8. Cf. aussi L'Hebdo, 8.12.88.
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