Année politique Suisse 1990 : Infrastructure, aménagement, environnement / Protection de l'environnement
Politique de protection de l'environnement
Peu de temps après l'application d'une bonne partie de sa législation sur la protection de l'environnement, la Confédération a procédé à la révision d'un certain nombre de textes afin d'introduire des prescriptions plus sévères; cela lui permet de s'adapter à des situations nouvelles demandant des normes plus strictes et également de mettre la barre relativement haut au niveau international.
La politique fédérale peut cependant paraître quelque peu confuse pour certains, puisque le Conseil des Etats a transmis comme postulat la motion Weber (adi, ZH) demandant que le gouvernement mette au point une
stratégie écologique et énergétique fixant divers objectifs quantitatifs mesurables et contrôlables à atteindre afin d'assainir notablement l'environnement. F. Cotti a déclaré être en accord avec ce texte et a précisé que, dans de nombreux domaines, la politique de la Confédération en rejoignait les buts et les méthodes
[1]. Pour sa part, le Conseil national a adopté le postulat Martin (prd, VD) désirant, de la part du Conseil fédéral, l'élaboration d'un
rapport de synthèse sur la sauvegarde de l'environnement ainsi que la création d'une publication annuelle sur le même thème. Considérant que les mesures de protection de la nature sont disséminées dans un grand nombre de textes différents, le député estime qu'il est difficile d'avoir une vision d'ensemble permettant d'appréhender précisément l'importance des moyens à mettre en oeuvre
[2].
Comme lors des années précédentes, l'activité internationale fut riche et la Suisse y prit part activement
[3]
. F. Cotti a, en premier lieu, participé à la conférence informelle de Nairobi (Kenya), réunissant des ministres de l'environnement du Nord et du Sud sous la direction du PNUE (Programme des Nations Unies pour l'environnement). Cette rencontre visait à préparer
la Conférence de l'ONU sur l'environnement et le développpement qui aura lieu au Brésil en 1992. Celle-ci devrait rendre possible, pour la communauté internationale, un renforcement de l'action écologique.
Ses thèmes importants seront les changements climatiques, la protection de la couche d'ozone, l'application de la Convention de Bâle sur les mouvements transfrontières des déchets spéciaux ainsi que les mécanismes de financement des mesures de protection de l'environnement, avant tout en ce qui concerne les pays en voie de développement
[4]. Le chef du DFI se rendit encore à la
Conférence de la Commission économique pour l'Europe (CEE/ONU) à Bergen (Norvège) rassemblant les ministres de l'environnement de toute l'Europe ainsi que des Etats-Unis et du Canada. Il y fut principalement demandé de rechercher une croissance équilibrée entre les impératifs respectifs de l'économie et de l'écologie, ainsi que d'aider les pays de l'Est et du Tiers monde. Les résultats de cette réunion furent toutefois maigres, un certain nombre de pays, tels les Etats-Unis, freinant la mise en oeuvre de mesures concrètes
[5]
.
Dans le cadre des négociations entre la CE et l'AELE sur la création d'un EEE, la Confédération, par la voix de F. Cotti, a affirmé à de nombreuses reprises durant l'année qu'elle n'était pas prête à faire la moindre
concession dans le domaine de l'environnement. Sa législation étant en avance sur bon nombre de pays européens, elle n'envisàge aucunement de faire marche arrière pour trouver une harmonisation par le bas avec la CE et désire que des dérogations lui soient accordées
[6]. Cette attitude a rencontré la compréhension du commissaire de la CE pour l'environnement, Carlo Ripa di Meana, qui a assuré que la Suisse ne verra pas son «acquis environnemental" remis en question
[7]. Instituée sur l'initiative de la Suisse, la
rencontre entre les pays de I'AELE et du Liechtenstein à Genève, destinée à définir une stratégie commune pour l'avenir, a d'ailleurs permis aux sept ministres de l'environnement concernés de s'exprimer à ce sujet. Ils ont, à l'unanimité, affirmé ne pas vouloir renoncer à leurs normes de lutte contre la pollution, globalement plus sévères que celles de la Communauté. Ils ont également revendiqué la qualité de partenaires à part entière dans l'Agence européenne de l'environnement que la CE veut créer, et ont manifesté la volonté d'intensifier leur collaboration avec cette dernière
[8].
La troisième
réunion tripartite sur l'environnement entre la France, l'Italie et la Suisse a vu l'adoption de déclarations communes sur la circulation et l'élimination des déchets, ainsi que sur le projet de parc international du Mont-Blanc. Dans le premier cas, il fut décidé que chaque pays devait assurer lui-même l'élimination de ses déchets et que les mouvements transfrontières devaient être réduits le plus possible pour se limiter à ceux destinés à des installations de traitement spécialisées. Dans le second cas, un protocole fut élaboré sur la marche à suivre pour la création d'un tel parc, dans le but de protéger cette région alpine
[9].
D'autre part, le Conseil national a transmis le postulat Segmüller (pdc, SG) invitant le Conseil fédéral à prévoir un crédit de programme permettant le financement de mesures de protection de l'environnement dans les pays en voie de développement
[10].
Dépasser la traditionnelle
contradiction entre les impératifs de l'économie et les exigences de l'écologie, considérer leur compatibilité comme un facteur de croissance, voir la protection de l'environnement en tant que potentiel de développement économique de par les nouvelles technologies qu'elle permet de créer et envisager un système de production de biens et de services respectueux de la nature comme étant le seul viable à moyen et long terme, telle est la thèse à laquelle un nombre toujours plus important de personnes appartenant au monde politique ou économique se railient. Que ce soit par J.-P. Delamuraz, l'UDC, divers industriels, certaines banques ou des organisations de protection de l'environnement, elle fut reprise et défendue tout au long de l'année. C'est d'ailleurs elle qui a présidé à l'élaboration de la révision de la loi sur la protection de l'environnement, qui voit l'introduction d'instruments de protection de l'environnement conformes au système économique
[11]. Le chef du DFEP a, de plus, lors de la Conférence du GATT se déroulant dans le cadre des négociations de l'Uruguay round, proposé que soient reconnus les liens d'interdépendance existant entre les politiques économiques et environnementales
[12] .
Ces idées se sont, d'autre part, matérialisées dans un projet pionnier de création, dans le canton de Lucerne, d'un parc de l'environnement nommé
"Lunova" (Zentrum für umweltorientierte Dienstleistungs- und Gewerbebetriebe). Ce centre doit viser à soutenir une production orientée écologiquement et comprend informations, cours, recherches et applications effectués dans le but de développer des technologies et des procédures de production respectueuses de l'environnement
[13]
.
Le projet
d'ordonnance sur la protection contre les risques majeurs, mis en consultation par le Conseil fédéral en 1989, a trouvé un écho largement positif, et l'Office fédéral de l'environnement, des forêts et du paysage (OFEFP) a pu en entamer la rédaction définitive. Ce texte, tirant son origine de la catastrophe chimique de Schweizerhalle (BL) en 1986, prévoit en particulier d'astreindre les entreprises manipulant des substances dangereuses à présenter à l'appréciation des autorités cantonales des plans sur les mesures prises pour la sécurité des populations et la prévention des accidents
[14].
La commission du Conseil national, tout comme le Conseil des Etats en 1989, n'a donné aucune suite à l'initiative du canton de Bâle-Campagne
"chimie et environnement". Les diverses mesures envisagées (taxes, produits de substitution, travaux de recherche, etc.) afin de diminuer les dangers de l'industrie chimique ont été considérées comme dépassées par les députés, l'administration fédérale ayant déjà entrepris d'en examiner la plupart. La commission a néanmoins décidé, comme le fit la petite chambre, de présenter cette initiative sous forme de postulat. Une minorité proposera toutefois de l'accepter dans sa forme initiale
[15].
Le Conseil national rejeta également l'initiative parlementaire du groupe AdI/PEP proposant une
loi fédérale concernant les mesures préventives dans l'industrie chimique (ou loi sur l'industrie chimique). Ce texte avait pour but de réduire les risques que constituent la production et le stockage en stipulant qu'ils devaient se faire de manière à ne pas pouvoir contaminer les eaux et les sols et à limiter au maximum la pollution de l'air. Il visait encore, entre autres, à réglementer rigoureusement la responsabilité des entreprises par l'application stricte du principe de causalité. La grande chambre a estimé qu'il était préférable que de telles règles de sécurité concernent toutes les activités mettant en danger l'environnement et non seulement l'industrie chimique. Considérant que le gouvernement s'était déjà lancé dans l'élaboration de telles dispositions, les députés ont jugé cette initiative sans objet
[16] .
Par ailleurs, la motion Ledergerber (ps, ZH), transmise comme postulat par le Conseil national, a exigé que, au vu des graves accidents pouvant survenir durant la fabrication ou le transport de produits chimiques, une
banque de données sur les substances dangereuses soit créée à la Centrale nationale d'alarme, qui puisse être consultable par les autorités, instances ou organisations concernées
[17]
.
L'ordonnance sur la centrale
nationale d'alarme, mise en consultation en 1989, est entrée en vigueur le 3 décembre. Elle doit organiser les activités, principalement informatives, de cet organe pour les cas où se produiraient des accidents chimiques et nucléaires ou des ruptures de barrages
[18]
.
Un projet de révision partielle de la LPE, entrée en vigueur en 1985, a été mis en consultation. Selon le gouvernement, l'évolution de la société en général et de certains secteurs en particulier nécessite un certain nombre de modifications. Celles-ci concernent principalement trois éléments, et sont conçues sous forme d'instruments compatibles avec l'économie de marché. En premier lieu, il s'agit de l'amélioration de la capacité de
traitement des déchets afin que la Suisse devienne plus autonome en la matière. Le Conseil fédéral prévoit de valoriser au mieux les déchets en réduisant les nuisances que cela peut impliquer, mais également de diminuer la quantité de substances polluantes lors du processus même de production. Il est envisagé de prélever des taxes d'élimination anticipées sur certains produits particulièrement nuisibles (piles, tubes fluorescents, etc.) afin de couvrir les frais de traitement. En second lieu, le gouvernement désire introduire des taxes
d'incitation destinées à majorer le prix des produits les plus polluants, afin de décourager leur emploi. Seraient notamment touchés les huiles de chauffage, les engrais, les produits phytosanitaires ou les hydrocarbures organiques volatiles (solvants). Enfin, le Conseil fédéral veut réglementer le domaine des
organismes vivants utilisés dans la technologie génétique, ceux-ci pouvant quelquefois endommager l'environnement (maladies des plantes, par exemple). Ce contrôle devrait toutefois se faire de manière à ne pas entraver la recherche. Par ailleurs, il est également prévu de soutenir le développement des technologies environnementales permettant la réduction des atteintes à l'environnement par le moyen de subventions à la recherche scientifique
[19]
.
La plupart des cantons, ainsi que les socialistes, les écologistes et les organisations de protection de l'environnement et des consommateurs ont
approuvé le principe des taxes incitatives. Le PS et le PE désireraient même son extension, notamment sous forme d'écobonus en ce qui concerne les émissions de CO
2. Les partis bourgeois, pour leur part, ne remettent pas fondamentalement en cause leur existence, mais en désireraient une application plus restrictive. Par contre, les mesures envisagées en faveur du traitement des déchets semblent avoir rencontré un accueil presque unanimement positif. En ce qui concerne les organismes liés à la technologie génétique, la plupart des partis, à l'exception du PRD, paraît trouver la révision incomplète, voire totalement insuffisante. Les socialistes, les écologistes et les organisations de protection de l'environnement demandent une limitation drastique de ce genre de manipulations, quand ce n'est pas l'élaboration d'une loi particulière pour ce seul domaine, voire une interdiction pure et simple
[20]
.
Le Conseil fédéral a mis en consultation les
modifications complémentaires de l'ordonnance sur les substances dangereuses pour l'environnement (Osubst) concernant la réduction des émissions de CFC (chlorofluorocarbones), responsables de la destruction de la couche d'ozone stratosphérique. Il avait déjà prévu, en 1989, l'interdiction des bombes aérosols contenant de tels gaz. Cette fois-ci, les mesures envisagées devraient toucher les mousses synthétiques, les installations de réfrigération, les climatiseurs,. les extincteurs et certains produits de nettoyage.
L'interdiction des CFC pour ces produits devrait se faire de façon échelonnée, afin de disposer de méthodes de substitution opérationnelles (par exemple, bombes aérosols dès 1991, solvants dès 1993, réfrigérateurs dès 1994, etc.). Cela devrait permettre de passer d'une consommation annuelle de CFC de 8000 tonnes en 1986 à 2000 en 1991 et à quelques centaines en 1995, le but ultime étant d'arriver à une éradication totale de ces gaz d'ici l'an 2000. Cela mettrait la Suisse largement en avance par rapport à ce qui est prévu par le protocole de Montréal de 1987 (réduction de 50% des émissions de CFC d'ici l'an 2000)
[21]. Cette modification de l'Osubst semble avoir rencontré un écho positif, notamment de la part de plusieurs cantons
[22]. Elle a, par ailleurs, été précédée par une pétition lancée par de nombreuses organisations de l'environnement qui demandait l'interdiction immédiate de tous les CFC
[23].
La LPE prévoyant un
droit de recours pour les organisations de protection de l'environnement contre des décisions concernant des installations soumises à 1'EIE, le Conseil fédéral avait mis en consultation, en 1989, une ordonnance dressant la liste de celles pouvant en bénéficier. Dans sa mouture définitive, l'ordonnance comprend les fondations Helvetia Nostra et Franz Weber qui n'avaient, tout d'abord, pas été prises en considération, ainsi que la Fondation suisse pour l'énergie. Ainsi complétée, elle est entrée en vigueur le ler août
[24].
La commission fédérale de l'économie hydraulique, organe consultatif présidé par le conseiller national A. Rychen (udc, BE), a vivement protesté contre les
conditions d'application de l'ordonnance sur les EIE, estimant qu'elles donnaient lieu à des abus trop importants. Selon elle, les exigences relatives aux EIE sont souvent beaucoup trop étendues ou trop détaillées et des personnes incompétentes sont amenées à donner leur avis. Cette situation aboutirait à un immobilisme total en matière de projets hydrauliques, les EIE étant devenues avant tout un instrument de blocage
[25].
[1] BO CE, 1990, p. 1059 s.; NZZ, 13.12.90.
[2] BO CN, 1990, p. 2431.
[3] Pour les autres rencontres internationales, cf. infra, politique internationale de protection de l'air, économie et écologie, protection des eaux et protection des zones humides.
[4] NZZ, 24.1. et 10.4.90; Bund, 31.1.90. Pour la Convention de Bâle, cf. APS 1989, p. 179 s.
[5] NZZ, 15.5. et 17.5.90.
[6] TW, 20.1., 22.1. et 20.3.90; NZZ, 22.1. et 24.3.90; CdT, 19.2.90; BaZ, 14.7. et 26.9.90. Voir aussi Umweltschutz in der Schweiz (Bulletin de l’OFEFP), 1990, n° 1 (cité plus loin uniquement sous Bulletin de l'OFEFP).
[7] NZZ, 13.2.90; TW, 13.10.90. Par ailleurs, la presse a rendu compte d'une étude de la Commission de la CE prévoyant de graves conséquences écologiques – dont les coûts sociaux se compteraient en centaines de milliards de francs – provoquées par la création du marché unique européen dans le cas où de sérieuses mesures ne seraient pas prises: BZ, 10.3.90; WoZ, 10, 9.3.90. Voir aussi DP, 1012, 18.10.90.
[8] NZZ, 6.4.90; presse du 7.4.90; BaZ, 9.4.90. Rencontre CE-AELE où furent traités des thèmes tels que les changements climatiques, les transports ou les négociations sur l'EEE: NZZ, 6.11.90.
[9] JdG et NZZ, 15.10.90.
[10] BO CN, 1990, p. 2429.
[11] Delamuraz: 24 Heures, 5.5.90. UDC: SGT, 8.1.90. Banques: SGT, 23.4.90. Industriels: TW, 9.5. et 5.7.90; LNN et TA, 25.6.90; Vie économique, 63/1990, 4, p. 6 s. Société suisse pour la protection de l'environnement: JdG, 3.11.90. Voir aussi NZZ, 11.1.90; SHZ, 2.8.90; BaZ, 2.10. et 11.8.90; Ww, 30.8.90; TA, 5.11.90; LNN, 10.12.90; SGU-Bulletin, 1990, no 4, p. 3 ss. ainsi que APS 1989, p. 171. Révision de la loi sur la protection de l'environnement: cf. infra, Législation sur la protection de l'environnement.
[13] BZ, 19.1.90; NZZ, 22.1.90.
[14] Rapp.gest. 1990, p. 104. Voir aussi APS 1989, p. 171 s. Sur les accidents chimiques, voir NZZ, 6.2.90 et LNN, 22.3.90.
[15] NZZ et BaZ, 23.2.90. Voir aussi APS 1989, p. 172.
[16] BO CN, 1990, p. 1649 ss.
[17] BO CN, 1990, p. 1896 s.; BaZ, 14.6.90.
[18] JdG, 4.12.90. Voir aussi APS 1989, p. 172.
[19] BaZ, 19.1.90; BZ, 24.1.90 (engrais); presse du 17.5.90; NZZ, 20.10.90.
[20] TW, 19.10.90; Bund, 22.10. et 18.12.90; BZ, 23.10.90; NZZ, 1.11., 10.11. et 27.11.90; SGT, 2.11. et 6.12.90; NF, 14.11.90; LNN et BaZ, 17.12.90. Voir aussi infra, part. I, 7b (Gentechnologie).
[21] NZZ, 19.4. et 16.5.90; presse du 16.6.90.
[22] TW, 31.8.90; NZZ, 20.9.90; SZ, 27.9.90; Vat., 6.10.90, SGT, 12.10.90.
[23] Presse du 6.2.90; JdG et NZZ, 21.6.90 ainsi que VO, 6, 8.2.90.
[24] JdG et Vat., 28.6.90. Voir aussi APS 1989, p. 173.
[25] Presse du 10.1.90; TA, 11.1.90; Bund, 12.1.90; NZZ, 13.1.90.
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