Année politique Suisse 1993 : Chronique générale / Politique étrangère suisse
Europe: EEE et UE
Dans son programme consécutif au rejet du traité de l'EEE, le Conseil fédéral a exposé les principaux axes de sa politique d'intégration européenne et les mesures de revitalisation de l'économie suisse. Le gouvernement entend mener son action selon trois axes: les
négociations bilatérales avec l'Union européenne,
la reprise de 27 modifications législatives du programme Eurolex, rebaptisé Swisslex, et le
programme de régénération de l'économie suisse qui concerne principalement les domaines du droit de la concurrence, du marché du travail, de la formation et de la recherche, du marché intérieur suisse et de l'accélération des procédures. Au, sujet de l'avenir des relations avec l'Union européenne, il a indiqué que la priorité allait aux négociations bilatérales mais que les autres options (participation à l'EEE ou adhésion à l'UE) restaient ouvertes afin d'éviter l'isolement de la Suisse
[4].
Après avoir pris connaissance des chapitres du message consacrés à faire le point de la situation sur la politique européenne et sur la régénération de l'économie suisse, les sénateurs ont approuvé sans opposition l'entrée en matière sur le programme consécutif au rejet de l'EEE. Au Conseil national, lors de la session parlementaire spéciale d'avril, les propositions du gouvernement se sont heurtées à une plus forte opposition qu'à la chambre haute. Toutefois, les propositions Blocher (udc, ZH) et du groupe des Démocrates suisses/Lega de renvoyer le programme au Conseil fédéral afin de le revoir ont été rejetées par une large majorité des députés. Les opposants au traité de l'EEE ont estimé que le Conseil fédéral ne tenait pas suffisamment compte de la volonté populaire exprimée lors du vote du 6 décembre et qu'il devait se contenter des négociations bilatérales avec l'Union européenne et renforcer son action pour la régénération de l'économie suisse. Lors des différentes sessions parlementaires, les Chambres ont approuvé sans opposition importante les modifications législatives contenues dans le programme Swisslex
[5].
Lors des sessions parlementaires,
plusieurs interventions sur le sujet de la politique européenne ont été traitées par les Chambres. Ces dernières ont rejeté à la quasi-unanimité les initiatives parlementaires jumelles Morniroli (Lega, TI) et Ruf (ds, BE) qui, reprenant le texte de l'initiative populaire des Démocrates suisses et de la Lega, demandaient que les négociations entamées avec l'UE en vue d'une adhésion soient. rompues et que l'ouverture de celles-ci soit soumise au vote du peuple et des cantons. Dans les deux Conseils, les commissions de politique extérieure ont estimé que la décision du Conseil fédéral de 1992 de transmettre une demande d'ouverture de négociation en vue d'une adhésion à l'UE était conforme à la Constitution
[6].
Lors de la session de septembre à Genève, le bureau des deux Chambres fédérales avait prévu de mettre à l'ordre du jour plusieurs interventions parlementaires traitant de l'avenir de la politique européenne du Conseil fédéral. Cependant, dans les deux Conseils, une motion d'ordre, déposée par M. Suter (prd, BE) au Conseil national et par E. Rüesch (prd, SG) au Conseil des Etats, demandant un
report du débat sur la politique européenne ont été approuvées par 90 voix contre 62 à la chambre basse et 24 contre 14 à la chambre haute. Pour le député radical bernois, pourtant partisan de l'EEE et d'une adhésion à l'Union européenne, l'ouverture d'un débat parlementaire sur cette question était prématurée et nécessitait une plus grande préparation pour aboutir à des résultats concrets. Il a également été souligné qu'un débat parlementaire risquait d'affaiblir la position du Conseil fédéral dans les négociations bilatérales avec l'Union européenne. Les auteurs des motions d'ordre ont proposé que les Chambres fédérales abordent la question de la politique européenne lorsque le Conseil fédéral aura publié son rapport sur la politique extérieure ou pris position sur l'initiative populaire «Pour notre avenir au coeur de l'Europe». Les députés socialistes et écologistes étaient favorables à l'ouverture d'un débat alors que les groupes radical et de l'UDC y étaient opposés, le PDC restant divisé sur la question. Les discussions autour du report du débat ont révélé les stratégies divergentes des partis sur la question de l'intégration européenne. La plupart des députés radicaux et de l'UDC voulaient accorder une priorité exclusive aux négociations bilatérales, alors que dans les rangs du PDC, du PS, des écologistes et des libéraux, une majorité envisageait plutôt d'organiser rapidement un deuxième vote sur la participation au traité de l'EEE, voire d'entamer dans les plus brefs délais des négociations en vue d'adhérer à l'UE
[7].
Par ailleurs, le Conseil national a transmis un postulat Caccia (pdc, TI) qui prie le Conseil fédéral de mandater un institut indépendant de l'administration fédérale pour établir une
étude scientifique sur les conséquences, avant tout sur les plans économique et technologique, du vote négatif du 6 décembre 1992. Le gouvernement a annoncé qu'une analyse systématique des discriminations rencontrées par les entreprises suisses à la suite du rejet de l'EEE allait être effectuée. La chambre basse a également accepté une motion Gross (ps, ZH) qui demande au Conseil fédéral d'élaborer un rapport sur les différentes options et positions concernant l'évolution institutionnelle future de l'UE en tenant compte de l'attachement du peuple suisse à la démocratie directe et au fédéralisme
[8].
Une motion Rechsteiner (ps, SG), qui charge le Conseil fédéral, lors des négociations futures d'adhésion de la Suisse à l'UE, de partir du principe que la Suisse ne doit pas participer à des alliances militaires, a été transmise comme postulat par la chambre basse
[9].
Six mois après son lancement,
l'initiative populaire du «Comité né le 7 décembre», intitulée «
Pour notre avenir au coeur de l'Europe», a abouti. Les initiants, comportant une forte proportion de Romands, se sont efforcés de récolter des signatures à travers l'ensemble du pays; un peu plus de 40% d'entre elles provenaient de Suisse alémanique
[10].
En Suisse alémanique, a vu le jour
l'Association pour une Suisse ouverte (APSO). Placée sous la présidence de l'ancien conseiller aux Etats Paul Bürgi (prd, SG), elle a pour but de rassembler les forces favorables à une plus grande ouverture politique et économique de la Suisse. Des personnalités de tous les horizons politiques font partie de l'association; plusieurs parlementaires, dont Ch. Friderici (pl, VD), R. Simmen (pdc, SO), et T. Onken (ps, TG) ainsi que l'ancien conseiller fédéral R. Friedrich, en sont membres. Les représentants de l'association se sont déclarés favorables à un nouvel élan pour une participation de la Suisse à l'EEE, mais n'ont toutefois pas apporté leur soutien à l'initiative populaire du «Comité né le 7 décembre». Un mois après sa présentation publique, l'organisation comptait déjà près de 1000 membres
[11].
Un nouveau mouvement politique, «
Renouveau Suisse-Europe», a été fondé en Suisse romande. S'opposant aux tendances nationalistes et xénophobes, il poursuit trois objectifs: adhésion de la Suisse à l'Union européenne avant l'an 2000, stimulation des réformes intérieures et défense des équilibres socio-économiques. Cette nouvelle organisation a annoncé qu'il envisageait de présenter une liste de candidats pour le Conseil national lors des prochaines élections fédérales
[12].
Plusieurs Grands Conseils romands (JU, GE, FR notamment) ont adopté une résolution demandant au Conseil fédéral de
maintenir sa demande d'ouverture de négociations en vue d'une adhésion à l'Union européenne
[13]. Sur les revendications des cantons romands et les interventions parlementaires concernant le renforcement de l'influence des cantons dans la définition de la politique étrangère, ainsi que l'élargissement des possibilités des cantons pour mener une politique de coopération transfrontalière plus active, voir supra part. I, 1d (Beziehungen zwischen Bund und Kantonen).
Suite au rejet par la Suisse du traité de l'EEE,
les pays de l'AELE et de l'UE ont dû renégocier un protocole additionnel au traité. Fin mars, les 18 pays concernés ont signé ce texte qui prescrit notamment que les contributions de la Suisse prévues pour le fonds de cohésion de l'EEE soient compensées par les autres pays de l'AELE. Le parlement européen et les pays signataires ont ratifié la nouvelle version du traité de l'EEE; toutefois, suite à quelques retards dans les procédures de ratification dans certains pays de l'UE, l'entrée en vigueur du traité, initialement prévue le Zef juillet, a dû être reportée au lei janvier 1994
[14].
Dans son message sur le programme consécutif au rejet du traité de l’EEE, le Conseil fédéral a indiqué qu'il donnait dans l'immédiat la priorité aux négociations bilatérales avec l'UE afin de conclure des accords sectoriels sur les dossiers intéressant la Suisse.
Lors d'une
première réunion du comité mixte de l'accord de libre-échange de 1972 en février, il est ressorti que, parmi les nombreuses propositions (16) de négociations bilatérales de la Suisse, les dossiers directement liés à l'accord de 1972 (règles d'origine et produits agricoles transformés) revêtaient un intérêt commun pour la Suisse et l'Union. Un groupe d'experts a ainsi été institué afin d'examiner ces problèmes. Au sujet des dossiers moins directement liés à l'accord de libre-échange (entraves techniques aux échanges, marchés publics, propriété intellectuelle, questions vétérinaires et phytosanitaires, responsabilité du fait produit) la commission européenne s'est montrée beaucoup plus réservée. Enfin, concernant les domaines hors accord de libre-échange, comme par exemple les transports et la participation aux programmes de recherche de l'UE, la commission s'est contentée de prendre note des souhaits de la Suisse
[15].
Fin juin, les conseillers fédéraux F. Cotti et J.P. Delamuraz se sont rendus à Bruxelles, à l'invitation de la commission européenne, pour rencontrer plusieurs de ses membres, dont son président J. Delors, afin de faire le point sur les relations entre la Suisse et l'Union européenne. Sur la base des propositions de négociation de la Confédération,
la commission européenne, dont les relations avec la Suisse étaient loin de constituer une priorité,
a élaboré un rapport sur les relations futures avec la Suisse à l'intention du Conseil des ministres. Dans ce document, qui souligne que les accords bilatéraux devaient se baser sur l'avantage mutuel et la réciprocité, les commissaires européens préconisaient dans une première étape d'ouvrir des négociations bilatérales que sur deux dossiers: transports routier et aérien et libre circulation des personnes. Afin de ne pas risquer le rejet par le peuple suisse d'un des accords bilatéraux, la commission de Bruxelles a exigé que ceux-ci soient juridiquement liés. Les négociateurs suisses ont réagi de façon très critique aux propositions de la commission; ils ont notamment estimé que le lien établi par la commission entre les transports et la libre circulation des personnes était incompréhensible et injustifié notamment parce que l'ouverture de négociations sur les transports était déjà prévue dans l'accord sur le transit conclu en 1992
[16].
Sous l'impulsion de la présidence belge, le
Conseil des ministres des affaires étrangères a modifié le cadre des négociations avec la Suisse dans le sens d'un assouplissement et d'un élargissement des propositions de négociation. Les ministres des affaires étrangères des douze se sont montrés divisés sur la stratégie à suivre lors des négociations avec la Suisse; les pays du Sud de l'Europe (Espagne, Italie et Portugal), dont les ressortissants sont nombreux à travailler en Suisse, soutenaient une ligne dure, alors que les pays du Nord de l'Europe, moins intéressés à des concessions de la Suisse dans le domaine de la libre circulation des travailleurs, étaient plus modérés. Le Conseil des ministres a ainsi adopté un cadre de négociation à l'intention de la commission européenne comprenant cinq dossiers; outre les transports et la libre circulation des personnes, trois nouveaux domaines prioritaires furent retenus: la participation de la Suisse aux programmes de recherche de l'UE, l'accès au marché des produits agricoles et la question des règles d'origine, ce dernier dossier devant être réglé dans le cadre du comité mixte Suisse-UE de l'accord de libre-échange de 1972. Par ailleurs, les ministres des douze se sont déclarés prêts à entamer ultérieurement des négociations dans les domaines évoqués par la Suisse comme les obstacles techniques aux échanges et l'accès aux marchés publics. Bien qu'ayant renoncé à établir un lien juridique entre les différents dossiers, le Conseil des ministres, afin de se prémunir d'un rejet par le peuple suisse d'un accord conclu, a averti qu'il ratifierait ces accords après que la Suisse l'aura fait. Le Conseil fédéral a accueilli avec soulagement la décision du Conseil des ministres. Les négociations entre la Suisse et l'Union européenne devraient formellement débuter en 1994
[17].
En fin d'année, un accord a pu être trouvé entre les négociateurs suisses et européens au sein du comité mixte de l'accord de libre-échange de 1972 sur la question des
règles d'origine; à quelques nuances près, la Suisse pourra ainsi bénéficier du même régime que les autres pays de l'EEE. Ce premier succès de la «voie bilatérale» revêtait une grande importance pour l'industrie d'exportation qui écoule près des deux tiers de ses produits vers les pays de l'EEE
[18].
Avec l'entrée en vigueur du traité de l'Union européenne, la
Communauté européenne a été rebaptisée Union européenne; ce changement symbolise l'approfondissement des relations entre les Etats membres
[19].
Après 6 ans à la tête de la délégation helvétique auprès de l'Union européenne, Benedikt de Tscharner s'est retiré; il a été nommé ambassadeur de la Suisse auprès de la CSCE et de l'ONU à Vienne. Alexei Lautenberg a été désigné pour lui succéder à Bruxelles
[20].
Les Chambres fédérales ont approuvé un crédit supplémentaire de 1,3 millions de francs en faveur de l'Office suisse d'expansion commerciale (OSEC), destiné à assurer le financement de la participation suisse au réseau Euro Info Centres (EIC) de l'Union européenne. Ce centre a pour but d'informer les petites et moyennes entreprises sur les règles et les programmes communautaires ainsi que sur les différents aspects du marché unique
[21].
[4] FF, 1993, I, p. 757 ss.; DP, 7.1.93; presse des 21.1 et 26.2.93; SDES, Doc., 2.3.93.
[5] BO CE, 1993, p. 139 ss. et 190 ss.; BO CN, 1993, p. 679 ss. Pour une présentation des adaptations législatives et des débats parlementaires sur les différents sujets concernés, voir les chapitres correspondants de la chronique.
[6] BO CE, 1993, p. 248 ss.; BO CN, 1993, p. 723 ss.
[7] BO CN, 1993, p. 1626 s.; BO CE, 1993, p. 679 ss. Au sujet des différentes interventions parlementaires voir, Délib. Ass. féd., 1993, IV, p. 55 (Interpellation urgente du groupe socialiste), p. 112 (Motion Rebeaud (pe, GE)), p. 144 (Interpellation urgente Jagmetti (prd, ZH)) et p. 145 (Interpellation urgente Onken (ps, TG)); presse du 22.9 au 29.9.93. J.F. Roth (pdc, JU) a déposé une motion, cosignée par sept sénateurs, demandant au CF d'ouvrir des négociations avec l'UE en vue de l'adhésion de la Suisse: Délib. Ass. féd., 1993, IV, p. 148; par ailleurs, trois initiatives parlementaires – Haller (ps, BE), Suter (prd, BE) et Ledergerber (ps, ZH) – sur le sujet de la politique européenne ont été déposées (Délib. Ass. féd., 1993, IV, p. 36 s.).
[8] BO CN, 1993, p. 1398 s. (Caccia) et p. 2531 (Gross); cf. aussi Hebdo, 25.3.93 (émigration des entreprises suisses depuis le 6.12.92).
[10] FF, 1994, II, p. 141 ss.; Ww, 21.1.93; presse des 3.2, 24.3, 28.7 et 4.9.93; WoZ, 25.6.93; voir également APS 1992, p. 73 et BO CN, 1993, p. 1788 s.
[11] NZZ et BaZ, 14.8.93; Bund, 23.8.93; NQ, 24.8.93; presse du 13.10.93; JdG, 9.11.93.
[12] Presse du 1.12.93; NQ, 9.12.93.
[14] Presse des 13.1, 18.3, 23.6, 24.6 et 14.12.93; JdG, 25.2, 21.6, 1.7 et 18.9.93; NZZ, 18.9 et 23.10.93.
[15] FF, 1993, I, p. 767 ss. (programme consécutif au rejet de l'EEE); presse du 1.2 au 6.2.93.
[16] Presse des 8.6, 26.6, 28.6, 29.6, 13.8, 15.9, 16.9, 22.9 et 30.9.93; NQ, 2.7 et 21.9.93; NZZ, 24.8 et 17.9.93; JdG, 28.9.93; DP, 30.9 et 7.10.93.
[17] BZ, 16.10.93; presse des 4.11, 9.11, 10.11, 11.11 et 19.11.93; NZZ, 6.I 1, 27.11 et 1.12.93; 24 Heures, 8.11.93; NQ, 23.11.93; voir également CH-EURO Intégration, sept.-oct. 1993; Rapp. gest. 1993, p. 249; FF, 1994, I, p. 692 ss. (rapport du CF sur la politique économique extérieure); pour les négociations bilatérales sur les transports, voir infra, part. I, 6b (Politique des transports) et sur la recherche, voir infra, part. I, 8a (Recherche).
[18] JdG, 17.12.93; presse du 18.12.93.
[20] LZ, 16.9.93; presse du 18.9.93; NZZ, 5.10.93; BZ, 12.10.93; Suisse, 6.11.93; AT, 16.11.93; SHZ, 9.12.93 (interview d'A. Lautenberg).
[21] FF, 1993, Il, p. 507 ss.; BO CE, 1993, p. 597 s.; BO CN, 1993, p. 1628 ss.
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