Année politique Suisse 1994 : Economie / Agriculture
 
Politique agricole
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GATT et organisation mondiale du commerce (OMC)
Suite à l'aboutissement de l'Uruguay round en 1993, le gouvernement a mis en consultation les accords du GATT en mai, en particulier son volet agricole. Dans l'ensemble, la plupart des cantons, partis et organisations (paysannes en particulier) ont estimé que ces accords étaient acceptables, voire souhaitables. Relevons que l'UDC a lié son acceptation à la prise en compte des besoins de l'agriculture, tandis que le PSS a regretté que le protectionnisme reste de mise dans le domaine agricole. L'Union suisse des paysans (USP) a mis comme condition à son approbation que les fonds résultant des diminutions de subventions imposées par le GATT soient transférés aux paysans pour réduire les pertes de revenu et financer des améliorations structurelles [1].
L'USP a néanmoins tenu à marquer son soutien aux accords issus de l'Uruguay Round en tenant une conférence de presse commune avec le Vorort. Ce dernier a déclaré que l'industrie entendait soutenir une agriculture performante tandis que l'USP s'est dite convaincue des répercussions positives du GATT sur l'économie suisse, ce qui devrait permettre de dégager des fonds pour aider les agriculteurs. La position de l'USP a ainsi réduit toute possibilité de lancer un référendum. Le GATT devant cependant occasionner des pertes de revenus aux paysans suisses, l'USP a déclaré que les paiements directs devaient être augmentés en conséquence et a notamment proposé un accroissement de l'aide de l'Etat par le biais d'un pour-cent de TVA et d'une part de la taxe sur le CO2 [2].
Une frange de la paysannerie s'est toutefois inquiétée plus fortement des conséquences des accords du GATT. Ainsi, une "Nouvelle coordination des paysans de Suisse" a été créée en Suisse orientale regroupant environ 300 sympathisants. Associée à l'"Innerschweizer Bauernbund", elle a demandé dans une résolution ainsi que dans une lettre au Conseil fédéral des garanties constitutionnelles pour les paiements directs et le renoncement à toute nouvelle réduction de prix. Si cela n'était pas réalisé, elle a menacé de référendum les accords du GATT. Ainsi, face à l'USP qui s'est rapprochée du Vorort et le VKMB qui s'est engagé dans la recherche d'une production agricole plus proche de l'économie de marché, cette coordination est apparue comme la seule force paysanne organisée à s'opposer encore aux accords issus de l'Uruguay Round [3].
Pour sa part, le Conseil fédéral a publié un rapport sur les conséquences du GATT qui présente notamment la situation à venir de l'agriculture helvétique. Durant la période de mise en oeuvre des mesures prévues par l'accord, l'agriculture devra s'adapter, notamment par une baisse des soutiens internes et à l'exportation. L'économie laitière sera particulièrement concernée. Cela devrait conduire à une diminution de recettes pour les paysans de 1,3 à 1,5 milliard de francs. Ils pourraient néanmoins faire quelques économies grâce à des baisses de prix de certains moyens de production. Par ailleurs, si le produit des droits de douane reculera, les dépenses de mise en valeur diminueront significativement. Au total, cela devrait conduire à une participation accrue de la Confédération de 600 millions à 800 millions de francs pour maintenir le revenu paysan à son niveau de 1993 [4].
Le gouvernement a ensuite présenté son message relatif à l'approbation des accords du GATT/OMC et aux modifications du droit fédéral qu'ils impliquent. Concernant l'agriculture, l'accord du GATT comprend trois points principaux qui doivent être réalisés dans les six ans à venir. Premièrement, les protections aux frontières ne sont autorisées que sous forme de droits de douane qui doivent être réduits de 15% au moins. Deuxièmement, les soutiens à la production doivent diminuer de 20%. Troisièmement, les subventions aux exportations doivent être réduites de 36%, et les quantités exportées subventionnées de 21%. Ces dispositions représentent d'importants changements pour la Suisse. Cependant, celle-ci a déjà entamé un certain nombre de réformes profondes; ces dernières, présentées dans le 7ème rapport sur l'agriculture, doivent permettre de mettre en oeuvre sans trop de heurts les accords du GATT. Leur outil majeur consiste en l'extension des paiements directs non liés à la production. Les accords du GATT nécessitaient néanmoins la modification de plusieurs textes légaux (loi sur l'agriculture, loi sur l'alcool, loi sur les blés, arrêté sur le sucre, arrêté sur le statut du lait, arrêté sur l'économie laitière ainsi que loi sur les marchandises à prix protégés et la caisse de compensation des prix des oeufs et des produits à base d'oeufs). La principale de ces révisions concernait l'article 23 de la loi sur l'agriculture. C'est dans ce cadre qu'est réalisé le principe de la tarification des protections douanières, excluant de fait toute limitation quantitative. Ce principe représente la seule restriction conforme aux accords du GATT permettant, dans une certaine mesure, de protéger l'agriculture suisse face aux importations. Au reste, une clause de sauvegarde est prévue qui rend possible une élévation temporaire des droits de douane lorsque les prix à l'importation baissent fortement [5].
Le Conseil des Etats a approuvé l'essentiel du projet du gouvernement. Sur proposition de sa commission, il a cependant voulu donner quelques garanties financières aux paysans. Ces derniers demandaient que leur soit versée, sous forme de paiements directs, l'intégralité des subventions désormais interdites par le GATT. Sans aller aussi loin, la petite chambre a introduit une garantie minimale pendant la période transitoire de six ans de mise en oeuvre des accords. Les paiements directs devraient ainsi être augmentés de 90 millions de francs par année jusqu'en l'an 2000. Par ailleurs, dans l'arrêté sur le sucre, les sénateurs ont supprimé la limite supérieure de production de 850 000 tonnes afin que des diminutions de prix puissent être compensées par des augmentations de quantité [6].
Le Conseil national a facilement adopté le projet du Conseil fédéral, de même que les modifications apportées par le Conseil des Etats. Les socialistes ont ainsi vainement essayé de profiter du débat pour tenter d'accélérer la réforme de la politique agricole par une proposition de renvoi. La Chambre a néanmoins modifié le système d'attribution des contingents; les députés ont accepté une proposition Loeb (prd, BE) exigeant d'utiliser toutes les procédures permettant de tenir compte de la concurrence et des prestations économiques dans ce domaine. En effet, les contingents, qui doivent être désormais tarifés, étaient jusque-là en partie attribués au plus ancien droit acquis, ce qui créait des "importateurs de salon" bénéficiant de rentes de situation. Toute possibilité de ce genre a été supprimée et les seuls critères subsistant doivent être conformes à l'économie de marché. Le Conseil des Etats a par la suite approuvé la décision du Conseil national [7].
La grande chambre a également transmis comme postulat la motion Wanner (prd, SO) demandant que la politique agricole suisse soit adaptée aux accords du GATT. Le motionnaire a notamment proposé à cet effet que les lois et mesures conformes à ces accords ne souffrent pas de réductions budgétaires, mais soient au contraire maintenues et développées [8].
Comme garantie donnée au monde agricole, ce conseil a encore accepté un postulat de sa commission de l'économie et des redevances demandant que, pour atténuer les conséquences négatives du GATT, les ressources libérées par la diminution des droits de douane et le soutien aux exportations soient converties en paiements directs [9].
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Négociations bilatérales avec l'UE
La Commission de l'UE a recommandé au Conseil des ministres de conclure avec la Suisse un accord dans le domaine de l'accès au marché des produits agricoles et a, pour ce faire, proposé un projet de mandat de négociation qui accompagne cinq autres mandats sectoriels. Un meilleur accès au marché suisse des produits de l'UE constitue en effet une condition importante pour l'aboutissement de nombreuses demandes suisses de négociations. Le projet de la Commission prévoit d'élargir le contenu de l'accord EEE et consiste essentiellement en la réduction ou la suppression mutuelle de droits de douane et d'autres obstacles à l'importation sur une soixantaine de produits (viande, fruits, légumes, fromages, vins, etc.). Après adoption par le Conseil des ministres des projets de la Commission, les négociations ont été entamées à la mi-décembre [10].
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Mise en oeuvre de la nouvelle politique agricole
Le chef du DFEP avait mis sur pied en 1992 trois commissions extra-parlementaires avec pour mandat de concrétiser les nouvelles orientations figurant dans le 7ème rapport sur l'agriculture. Celles-ci ont rendu leurs conclusions sur les thèmes abordés, soit la production animale, la production végétale et l'économie agricole. En général, l'objectif à atteindre est l'accroissement de la capacité concurrentielle et la dérégulation du secteur agricole avec un retrait de l'Etat partout où cela est possible. Ce processus devrait être associé à une meilleure prise en compte de la protection de l'environnement. Ainsi, la commission pour la production végétale a proposé de créer des surfaces de compensation, ainsi que de soutenir les productions intégrée et biologique et la détention contrôlée d'animaux en plein air. Dans le secteur de la production animale, il a été suggéré une forte déréglementation dans le domaine de l'élevage. En ce qui concerne les revenus, le principe du salaire paritaire devrait, selon les commissaires, prendre en compte des critères écologiques et d'efficience [11].
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Initiatives populaires et article constitutionnel
La commission du Conseil national a traité le projet de nouvel article constitutionnel qui lui avait été renvoyé en 1993. Elle a repris la proposition de la Chambre d'assurer le financement de l'agriculture et a ainsi prévu d'inscrire dans l'article l'utilisation à cette fin de moyens appropriés provenant du domaine de l'agriculture et des ressources fédérales en général. Il n'a pas été précisé d'où serait tiré cet argent et les commissaires ont notamment renoncé à une solution faisant appel à la TVA [12].
En plénum, la Chambre s'est ralliée à sa commission pour ce qui concerne le financement des paiements directs. Elle a cependant refusé d'accepter la proposition de majorité qui entendait lier l'octroi de tout paiement direct à un minimum d'exigences écologiques. De même, elle a rejeté des propositions de minorité rose-verte d'introduire des taxes incitatives et de faire dépendre tout paiement direct d'une conversion aux modes de production biologiques. Un front bourgeois, emmené par J.-N. Philipona (prd, FR) et soutenu par J.-P. Delamuraz, a fait barrage aux arguments favorables à une écologisation des paiements directs en assurant que cela conduirait à promouvoir une agriculture trop chère, donc peu rentable, qui serait condamnée à terme. Par ailleurs, le Conseil national a suivi la décision de la petite chambre de 1993 de rejeter l'initiative de l'USP "pour une agriculture paysanne compétitive et respectueuse de l'environnement". Pour sa part, le Conseil des Etats a facilement accepté le projet d'article constitutionnel de la grande chambre [13].
Suite aux débats parlementaires, l'USP a retiré son initiative  [14].
Par ailleurs, R. Engler (pdc, AI) a retiré son initiative parlementaire sur l'encouragement d'une agriculture dynamique. Ce texte demandait autant une libéralisation de ce secteur qu'une compensation des désavantages apportés par la concurrence, ainsi que plusieurs autres mesures telles qu'un encouragement du perfectionnement professionnel ou une meilleure politique d'investissements [15].
Le VKMB a déposé son initiative populaire lancée en 1993 "pour des produits alimentaires bon marché et des exploitations écologiques" munie de plus de 110 000 signatures. Le but de ce texte est de concilier les exigences d'une production respectueuse de l'environnement avec les règles du marché. Il propose essentiellement de simplifier la législation agricole et de réserver les paiement directs aux petites exploitations mettant en oeuvre des modes de production en accord avec la nature [16].
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Contributions de solidarité
Le référendum lancé en 1993 par le VKMB, appuyé par Denner, contre la modification de la loi sur l'agriculture imposant des contributions de solidarité a abouti en début d'année avec plus de 53 000 signatures [17].
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Agriculture biologique
Le distributeur Coop a lancé un appel pour que les producteurs se convertissent à l'agriculture biologique. Ayant constaté le succès des produits alimentaires issus de cultures douces, il bute sur le faible nombre d'agriculteurs pratiquant ce type de production, ce qui pourrait le conduire à se fournir à l'étranger, particulièrement en Autriche [18].
Pour leur part, les agriculteurs biologiques suisses ont exigé, dans une résolution, un meilleur soutien de leur type de production. Ils font remarquer que leurs produits sont toujours plus demandés par les consommateurs, mais que les instances politiques continuent à favoriser la production classique [19].
Les 22 organisations paysannes, écologistes, économiques et de protection des consommateurs formant le comité d'initiative "paysans et consommateurs" ont présenté leurs vues sur l'avenir de la politique agricole suisse. Elles ont demandé notamment que les paysans soient contraints de travailler en respectant l'environnement et les animaux, que des taxes d'incitation sur les engrais et les produits phytosanitaires soient instaurées ainsi qu'une déclaration obligatoire sur les méthodes de production et de traitement des denrées alimentaires. Cela signifie entre autres que les paysans peu respectueux de l'environnement devraient être privés de subventions fédérales [20].
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Organisations agricoles
La Fenaco, née de la fusion de six fédérations agricoles, s'est formellement créée. Son assemblée constitutive a élu comme président Th. Schmid, agriculteur schwytzois, contre le conseiller national U. Maurer (udc, ZH) qui en sera le vice-président [21].
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Protection des marques
Le Conseil fédéral a mis en consultation un projet de révision partielle des lois sur la protection des marques et sur l'agriculture ainsi que de l'arrêté sur l'agriculture afin de protéger les indications de provenance suisse sur les produits agricoles. En effet, l'absence de bases légales empêche de défendre les droits d'un produit du terroir marqué par sa spécificité géographique. C'est l'introduction d'un tel système par l'UE qui a poussé le gouvernement à agir dans ce sens et à en reprendre les principes. Cela devrait permettre à la Suisse de participer au système de protection des marques européen par le biais d'un accord bilatéral [22].
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Programme de recherche
Le rapport de synthèse du programme du Fonds national de recherche scientifique no 28 concernant la situation de la politique agricole helvétique dans le nouveau contexte international a été publié. Ses conclusions essentielles suggèrent que les structures agricoles de la Suisse soient continuellement adaptées aux développements internationaux induits par le GATT et l'intégration européenne. Pour que les buts de cette politique (approvisionnement du pays, maintien d'une agriculture paysanne et protection de la nature) soient atteints, le soutien de l'Etat à ce processus d'adaptation se révèle indispensable, notamment par le biais de paiements directs [23].
 
[1] Presse du 26.8.94. Voir aussi FF, 1994, IV, p. 1083 ss. Cf. également supra, part. I, 2 (Organisations internationales).1
[2] BZ et NQ, 14.4.94. Voir aussi LNN, 11.5.94. L'USAM s'est également dite prête à soutenir les paysans pour qu'ils bénéficient de compensations suffisantes: NQ, 24.8.94. L'exigence d'une augmentation conséquente des paiements directs a aussi fait l'objet d'une lettre de l'USP à J.-P. Delamuraz: JdG, 5.1.94; NZZ, 6.1.94.2
[3] Presse du 26.1.94; LZ et LNN, 7.3.94; WoZ, 16, 22.4.94.3
[4] Presse du 6.7.94.4
[5] FF, 1994, IV, en particulier p. 142 ss. et 1073 ss.; FF, 1994, V, p. 1093 ss. et 1122 ss.; presse du 24.9.94. Voir aussi APS 1989, p. 105, 1990, p. 112 s., 1991, p. 128 ss., 1992, p. 121 s. et 1993, p. 115.5
[6] BO CE, 1994, p. 1129 ss. et 1356 ss.; presse des 1.12 et 2.12.94.6
[7] BO CN, 1994, p. 2149 ss., 2356 s., 2244 ss. et 2532 ss.; BO CE, 1994, p. 1276 ss.; NZZ, 26.10, 13.12 et 14.12.94; presse des 9.12 et 15.12.94. Soulignons que les modifications apportées par le CN ont répondu aux exigences d'une motion Loeb (prd, BE) transmise précédemment par la même Chambre comme postulat et qui exigeait que soient supprimées les restrictions quantitatives à l'importation et que la répartition des contingents tarifaires respecte la libre concurrence: BO CN, 1994, p. 1890.7
[8] BO CN, 1994, p. 1307 s.8
[9] BO CN, 1994, p. 1300 ss.; presse du 20.9.94.9
[10] Presse des 23.7, 12.10, 28.10, 1.11, 19.11, 22.11, 25.11, 12.12 et 13.12.94; Bund, 27.7.94; LZ, 25.7 et 26.7.94; JdG, 10.8.94; 24 Heures et NQ, 9.9.94; NQ, 28.10.94. Voir aussi APS 1993, p. 65 ainsi que supra, part. I, 2 (Europe).10
[11] Presse du 16.9.94.11
[12] Presse du 17.8.94.12
[13] BO CN, 1994, p. 1279 ss. et 1968 s.; BO CE, 1994, p. 880 s. et 1075; FF, 1994, III, p. 1777 ss.; presse du 20.9.94. Voir aussi APS 1990, p. 115, 1992, p. 126 et 1993, p. 117 s. La décision sur le financement des paiements directs a permis au CN de ne pas donner suite à l'initiative parlementaire Rychen (udc, BE).13
[14] FF, 1994, V, p. 789; presse du 18.11.94.14
[15] BO CN, 1994, p. 1302 ss.15
[16] FF, 1995, I, p. 396 s.; presse des 14.4 et 18.6.94. Voir aussi APS 1993, p. 118.16
[17] FF, 1994, I, p. 1376 s.; BZ, 20.1.94; Bund, 21.1.94; presse des 25.1 et 7.3.94. Voir aussi APS 1992, p. 127 et 1993, p. 118 s.17
[18] Presse du 4.5.94.18
[19] Presse du 24.11.94.19
[20] Presse du 14.9.94.20
[21] Presse des 23.2 et 24.2.94. Voir aussi APS 1993, p. 119.21
[22] BO CN, 1994, p. 1887 s.; JdG, 23.6.94; NZZ, 24.6.94.22
[23] NZZ, 10.8.94. Voir aussi JdG, 11.11.94.23