Année politique Suisse 1995 : Infrastructure, aménagement, environnement / Energie
Energie nucléaire
La perspective d'une éventuelle pénurie de courant électrique après 2010 a contribué au durcissement du débat entre partisans et opposants à l'énergie nucléaire. Mettant notamment en exergue le manque potentiel d'électricité auquel pourrait être confrontée la Suisse d'ici une vingtaine d'années, l'Association suisse pour l'énergie atomique (ASPEA) a souhaité que l'option visant à construire de nouvelles centrales nucléaires demeure ouverte une fois le moratoire en la matière arrivé à échéance. C'est d'ailleurs dans l'optique de renforcer l'acceptabilité populaire vis-à-vis de cette source d'énergie que l'ASPEA a lancé, fin octobre, une large campagne en faveur de l'énergie nucléaire. Critiquant vivement cette démarche, la Fondation suisse de l'énergie (FSE) - qui s'est déclarée déçue de l'application du moratoire institué en 1990 - a, quant à elle, annoncé qu'une nouvelle initiative populaire prévoyant son extension après l'an 2000 était en préparation. Dévoilant à son tour son intention de lancer deux initiatives populaires contre le nucléaire dans un avenir proche, la Coalition antinucléaire nationale (CAN) a, par ailleurs, présenté en fin d'année un scénario dont l'objectif vise à se passer de l'électricité produite par les cinq centrales nucléaires suisses en l'espace de dix ans. Pour y parvenir, la CAN préconise notamment une rigoureuse discipline de consommation, le recours à des énergies alternatives ainsi que l'introduction d'une taxe d'incitation de 15 centimes par kWh.
Remis en fonction dans le courant de l'année 1994 et arrêté depuis lors à plusieurs reprises en raison de pannes d'importance mineure, le réacteur Superphénix de la centrale nucléaire de Creys-Malville (France) a été à l'origine d'une vive controverse entre opposants à l'exploitation du surgénérateur français et l'Office fédéral de l'énergie (OFEN). Chargé d'organiser une conférence contradictoire sur Superphénix - conformément à un postulat de la Commission de l'environnement, de l'aménagement du territoire et de l'énergie transmis en mars par le Conseil national - l'OFEN s'est en effet vu reprocher de favoriser les partisans de la centrale, tant dans le choix des thèmes abordés que dans celui des participants à la rencontre. Regroupés au sein du "Collectif pour l'arrêt de Superphénix", les opposants au surgénérateur ont particulièrement déploré que les communes impliquées dans les procédures judiciaires contre le redémarrage du réacteur aient été écartées des débats. Malgré ces nombreuses critiques que l'OFEN n'a pas manqué de rejeter énergiquement, la conférence s'est tenue, comme prévu, à Zurich à la fin du mois de mai. Elle s'est achevée sans pour autant que les partisans et les détracteurs de Superphénix ne parviennent à s'entendre, à l'image des positions contradictoires tenues, d'une part, par les autorités fédérales - favorables au redémarrage du surgénérateur - et, d'autre part, par le conseiller d'Etat genevois Claude Haegi (pl), pour qui l'attitude du Conseil fédéral sur cette question est davantage motivée par des considérations politiques que scientifiques. Estimant que l'OFEN s'était comporté comme le simple porte-parole des autorités françaises, le Collectif pour l'arrêt de Superphénix a souhaité que le fonctionnement de cet office soit soumis à la Commission de gestion du Conseil national.
Poursuivant leur évaluation des sources d'approvisionnement envisageables pour le siècle prochain - comme l'avait requis le Conseil fédéral en 1992 - les Forces motrices bernoises (FMB) ont publié
4 rapports partiels traitant des alternatives possibles à l'exploitation de l'énergie nucléaire sur le site de
Mühleberg (BE). Après une étude sur le recours éventuel à des installations de couplage chaleur-force, les FMB ont analysé dans quelle mesure les importations d'électricité permettraient de combler le manque d'énergie qui résultera du démantèlement de la centrale bernoise prévu en 2012. Si celles-ci ont été jugées aptes à pallier ce déficit de courant, les FMB ont néanmoins estimé que cette option aggraverait la dépendance énergétique du pays par rapport à l'étranger et conduirait de surcroît à exporter les diverses sources de pollution liées à la production de courant électrique. Dans leurs deux derniers rapports partiels, les Forces motrices bernoises sont arrivées à la conclusion que, d'une part, les économies d'énergie ne rendront pas superflu le remplacement de la centrale nucléaire de Mühleberg et que, d'autre part, l'exploitation de cette dernière pourrait se poursuivre bien au-delà de sa durée de vie de 40 ans initialement prévue dans des conditions fiables et sûres. Ce dernier rapport n'a pas manqué de susciter l'ire des milieux écologistes et du parti socialiste bernois qui a requis l'établissement d'une contre-expertise par une instance indépendante
[16].
La
Commission européenne des droits de l'homme a jugé recevable le recours déposé en 1993 par une dizaine de particuliers contre l'autorisation d'exploitation de la centrale de
Mühleberg qui fut prolongée en 1992 par le Conseil fédéral. Les recourants avaient motivé leur action en invoquant le fait que - contrairement à la réglementation de la CEDH sur les décisions concernant la protection de l'existence ou de la santé humaine - la législation nucléaire suisse ne prévoit aucune possibilité de s'opposer aux autorisations d'exploitation délivrées par le gouvernement devant un tribunal indépendant
[17].
Reprenant la même argumentation, plusieurs organisations antinucléaires et de protection de l'environnement - dont Greenpeace - ont décidé d'introduire un recours semblable contre l'autorisation d'exploitation de 10 ans accordée en 1994 par le Conseil fédéral à la centrale de
Beznau II à Würenlingen (AG). Dix associations de défense de l'environnement ont par ailleurs demandé au Conseil fédéral qu'un recours de droit administratif contre l'autorisation d'exploitation des centrales nucléaires soit introduit dans le cadre de la révision de la loi sur l'énergie atomique. Elles ont parallèlement requis la révocation des concessions accordées aux centrales de Mühleberg et Beznau II pour fin 1995, requête sur laquelle le Conseil fédéral s'est toutefois refusé d'entrer en matière
[18].
Le Tribunal fédéral ayant reconnu en 1994 que la Confédération se devait d'accorder un
dédommagement équitable aux promoteurs de la
centrale de Graben (BE), les parties ont entamé dès le début de l'année des négociations afin de fixer le montant de l'indemnité. Au vu de ces faits, les Chambres fédérales ont dès lors décidé de ne pas donner suite à l'initiative du canton de Soleure qui invitait les autorités fédérales à entrer en tractations avec la société Graben SA en vue de l'abandon du projet. Après qu'un accord portant sur une indemnisation de 225 millions de francs eut échoué au mois de juillet en raison du refus de la délégation parlementaire des finances d'autoriser de son propre chef le versement de cette somme en procédure d'urgence, la Confédération et les promoteurs de la centrale non construite se sont entendus, début 1996, sur un dédommagement d'un montant de 227 millions de francs
[19].
Vingt-six ans après l'accident qui provoquait l'arrêt définitif de la
centrale nucléaire
expérimentale de Lucens (VD), le chantier destiné à reconvertir ce site en dépôt et abri de biens culturels a été officiellement ouvert au mois de novembre. Les travaux devraient se poursuivre jusqu'en 1997
[20].
La Chambre du peuple a transmis un postulat de sa Commission de l'environnement, de l'aménagement du territoire et de l'énergie invitant le Conseil fédéral à accorder à la Division principale de la
sécurité des installations nucléaires (DSN) les dix postes de travail jugés nécessaires à l'accomplissement efficient de son activité de contrôle. Il est stipulé que les dépenses afférentes seront imputées aux exploitants des installations concernées
[21].
La question relative à l'entreposage des déchets faiblement et moyennement radioactifs sur le site du
Wellenberg (NW) a constitué le principal enjeu de la politique énergétique suisse durant l'année sous revue. Déposée en 1994 par la Société coopérative pour la gestion des déchets nucléaires au Wellenberg (GNW), la demande d'autorisation générale pour la réalisation d'un dépôt final de 150 000 m3 a reçu, au mois de janvier, l'approbation du Conseil d'Etat nidwaldien. La prise de position favorable du gouvernement cantonal - fondée sur un rapport élaboré en 1994 par un groupe de travail qui avait conclu que le site du Wellenberg était approprié à l'établissement d'un tel dépôt - a néanmoins été assortie de plusieurs recommandations et réserves en matière de sécurité de l'installation. Les autorités nidwaldiennes se sont parallèlement prononcées en faveur de l'octroi de deux concessions, l'une concernant l'utilisation du sous-sol cantonal et l'autre l'exploitation même du dépôt pour une durée de 50 ans. Après que la Division pour la sécurité des installations nucléaires eut, à son tour, conclu à la pertinence du choix du site du Wellenberg, le Conseil fédéral a approuvé fin avril l'adaptation du plan directeur cantonal en vue de l'implantation du dépôt final
[22].
C'est au terme d'une campagne extrêmement vive que
la population du canton de Nidwald - appelée à se prononcer à titre consultatif sur la prise de position de leur gouvernement et, par ailleurs, sur l'octroi des deux concessions - a décidé de désapprouver les deux objets qui lui étaient soumis avec respectivement 51,9% et 52,5% des voix lors de la votation du 25 juin. Premier vote cantonal à se dérouler dans le secret de l'isoloir et non lors d'une Landsgemeinde, la participation a atteint 72,3%. Les partisans du projet - les autorités cantonales et communales ainsi que les partis bourgeois - avaient motivé leur position en invoquant entre autres la nécessité de trouver une solution à un problème d'importance nationale. Du côté des opposants, le parti socialiste, le mouvement Nidwald démocratique, plusieurs organisations écologistes nationales et les communes avoisinantes de Dallenwil et d'Engelberg (OW) avaient notamment argué que le site du Wellenberg avait davantage été retenu pour des motifs politiques que scientifiques
[23].
Au lendemain de ce scrutin, le président de la CEDRA a annoncé la suspension provisoire du projet d'entreposage de déchets radioactifs au Wellenberg tout en soulignant que, selon lui, le site nidwaldien demeurait néanmoins adéquat tant des points de vue technique que géologique. La perspective de nouvelles mesures exploratoires sur le territoire communal nidwaldien n'a ainsi pas été exclue. Quoi qu'il en soit, le gouvernement cantonal a déclaré ne plus vouloir donner suite à ce projet, laissant dès lors l'initiative aux autorités fédérales. Jugeant, quant à elle, que le non nidwaldien sanctionnait l'ensemble de la politique nucléaire suisse, la Fondation suisse de l'énergie (FSE) a exigé une réduction massive des déchets radioactifs
[24].
C'est notamment dans l'optique de respecter la volonté populaire exprimée lors du vote nidwaldien que le chef du DFTCE s'est prononcé, en septembre, en faveur de l'annulation du volet relatif à la
simplification des procédures d'autorisation pour la construction de dépôts pour déchets radioactifs contenu dans le projet de révision partielle de la loi sur l'énergie atomique. Rappelant néanmoins que le problème de l'entreposage de ce type de déchets restait entier, Adolf Ogi a déclaré que la totalité des options en la matière devait demeurer ouverte: réactualisation des sites d'Ollon (VD), d'Oberbauenstock (UR) et du Misox (GR), entreposage à la surface, exportation des déchets vers l'étranger. Déjà à l'origine du gel, en 1994, de la discussion relative à la simplification des procédures d'autorisation prévue dans le projet de révision partielle de la législation sur l'énergie atomique, et conformément au souhait du chef du DFTCE, la Commission de l'environnement, de l'aménagement du territoire et de l'énergie du Conseil des Etats a décidé, fin octobre, de ne pas entrer en matière sur cet objet. Elle a été suivie en cela par les députés de la petite Chambre lors de la session parlementaire d'hiver. Une simplification des procédures d'autorisation devrait néanmoins intervenir dans le cadre de la révision totale de la loi sur l'énergie atomique dont devrait traiter le parlement d'ici quelques années
[25].
Tout comme la Chambre haute en 1994, le Conseil national a accepté à une forte majorité l'essentiel des mesures concernant la
non-prolifération des armes nucléaires contenues dans le projet de révision partielle de la loi sur l'énergie atomique. L'entrée en vigueur de celle-ci a été fixée au 1er décembre par le Conseil fédéral qui a par ailleurs adapté l'ordonnance atomique aux prescriptions internationales plus strictes sur le contrôle des marchandises nucléaires
[26].
Suite à l'octroi par les Chambres fédérales en 1994 de l'autorisation générale relative au dépôt intermédiaire central pour déchets radioactifs de Würenlingen (AG), les autorités de la commune argovienne ont décidé d'attribuer l'autorisation de construire à la société promotrice Zwilag AG. Près de 500 oppositions au projet, venant principalement d'Allemagne, ont néanmoins déjà été déposées.
Les opposants aux mesures préparatoires que la CEDRA projette d'effectuer dans les communes de Benken (ZH), Leuggern (AG) et Böttstein (AG) en vue de l'établissement d'un dépôt final pour déchets hautement radioactifs de longue durée ont poursuivi leur action. Ainsi, 24 oppositions contre les demandes de sondages étaient déjà déposées en février. Les opposants - des particuliers, sept organisations et trois communes allemandes - ont en effet estimé que les sites retenus sont défavorables en raison de la nature des roches et des flux d'eaux souterraines. Une étude menée par la Commission pour l'élimination des déchets radioactifs (KNE) a partiellement confirmé cette évaluation, puisque les experts mandatés par la DSN ont jugé que les conditions tectoniques et hydrologiques des terrains des deux communes argoviennes ne convenaient pas à l'entreposage de déchets hautement radioactifs, contrairement au territoire de Benken. Si les experts de la Confédération ont dès lors donné leur accord à la CEDRA pour qu'elle effectue ses forages exploratoires sur la commune zurichoise, ils l'ont en revanche chargée d'examiner la possibilité de trouver de meilleures bases en Argovie.
Après que l'initiative populaire visant à interdire le
transport de substances radioactives sur le territoire de Bâle-campagne eut été déclarée irrecevable par le parlement bâlois en 1994, puis par le tribunal administratif cantonal en mars de l'année sous revue, les initiants ont déclaré leur intention de porter leur cause devant le Tribunal fédéral. A cet égard, il est à relever que la Haute cour n'a pas reconnu le droit aux habitants de la commune de Muttenz (BL) de s'opposer au transport par rail de déchets nucléaires sur le territoire de leur commune. Les juges de Lausanne ont en effet refusé d'assimiler les riverains de voie de communication à ceux d'installations fixes (centrales nucléaires, par exemple) auxquels un droit de recours est reconnu en raison des nuisances et dangers particuliers qu'ils subissent par rapport au reste de la population
[29].
Suite à une expertise mandatée par Energie Ouest-Suisse (EOS) concluant que l'enterrement de la ligne à haute tension entre
Galmiz et
Verbois engendrerait des coûts 30 à 40 fois supérieurs par rapport à l'infrastructure aérienne prévue, le DFTCE a décidé de rejeter en juillet les recours déposés par le WWF, la commune de Begnins (VD) et quelques particuliers. Les opposants au projet d'EOS ont alors décidé de recourir auprès du Conseil fédéral en affirmant qu'une nouvelle technologie permettrait d'enterrer l'infrastructure à un coût nettement moins élevé que celui avancé par la société promotrice
[30].
[16]
Bund, 21.1 et 10.8.95; presse des 16.6, 13.7 et 9.8.95. Cf. également
APS 1994, p. 140 s.16
[17] Presse du 23.11.95. Voir également
APS 1994, p. 141.17
[18] Presse des 10.6, 4.8, 23.11 et 19.12.95. Cf. aussi
APS 1994, p. 141.18
[19]
BO CN, 1995, p. 1825;
BO CE, 1995, p. 1209 s.; presse des 26.6, 21.9 et 14.12.95 et 18.1.1996;
NZZ, 5.7.95;
LNN, 7.7.95. Voir aussi
APS 1994, p. 141.19
[20]
24 Heures, 24.11.95.20
[21]
BO CN, 1995, p. 1613.21
[22] Presse des 18.1 (gouvernement de NW), 13.4 (DSN) et 27.4.95 (CF);
LNN, 10.6.95.22
[23] Presse des 8.6 et 26.6.95;
Bund, 2.6.95;
LNN, 10.6.95;
LZ, 14.6.95;
24 Heures, 16.6.95;
JdG, 19.6.95. Pour le vote cantonal vaudois sur cet objet, voir aussi infra, part. II, 4a.23
[24] Presse des 27.6, 1.9 et 30.11.95;
NZZ, 28.7.95. Par ailleurs, le parlement nidwaldien n'est pas entré en matière sur une pétition du PS cantonal qui requérait le dépôt, à l'échelon fédéral, d'une initiative demandant que la discussion relative à l'entreposage final des déchets radioactifs ne soit relancée qu'une fois la production d'énergie nucléaire stoppée:
LNN, 16.6 et 28.9.95.24
[25]
BO CE, 1995, p. 1208 s.;
LNN, 11.9.95; presse du 12.9.95;
NZZ, 20.10.95 (Ceate). Cf. également
APS 1994, p. 141 ss.25
[26]
BO CN, 1995, p. 274 s.;
FF, 1995, I, p. 700 ss.; presse du 16.11.95. Cf. également
APS 1994, p. 141 s.26
[29]
BaZ, 28.3 et 30.3.95 (initiative populaire); presse du 20.5.95 (arrêt du TF). Voir aussi
APS 1994, p. 143.29
[30]
24 Heures, 13.9.95. Cf. également
APS 1993, p. 149 s.30
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