Année politique Suisse 1998 : Chronique générale / Défense nationale
 
Défense nationale et société
Les journées de l’armée 1998 se sont déroulées dans la région de Frauenfeld au mois de juin. Quelques 130 000 personnes sont venues assister à cette manifestation. Depuis 1991, les forces militaires suisses ne s’étaient plus présentées officiellement à la population. Plusieurs associations de gauche (GSsA, Femmes pour la paix) se sont opposées à cet important étalage de moyens. Au Conseil national, le groupe écologiste s’en est fait le porte-parole et a déposé une interpellation dont l’interrogation principale était de savoir s’il ne serait pas plus opportun d’affecter les quelques trois millions prévus pour les Journées de l’armée 1998 à des mesures en faveur de la promotion de la paix, de la résolution non-violente des conflits et de la promotion de la démocratie [1].
Le Conseil national a transmis un postulat Günter (ps, BE) qui invite le Conseil fédéral à étudier comment le DDPS pourrait participer au programme de soins thérapeutiques pour les victimes de la torture mis sur pieds par la Croix-Rouge suisse et à rendre un rapport à ce sujet. L’auteur argue que par rapport aux nouvelles missions de l’armée, les autorités ont intérêt à acquérir des connaissances concrètes dans le domaine du comportement des civils et des militaires confrontés à des expériences traumatisantes [2].
Le Conseil des Etats a transmis une recommandation Loretan (prd, AG) qui invite le Conseil fédéral à modifier l’ordonnance sur la protection contre le bruit. Ainsi, les installations de tir devant être assainies contre les nuisances sonores bénéficieront du même régime que les routes et les installations ferroviaires, soit d’une prolongation de cinq ans (jusqu’en 2007) du délai de réalisation des aménagements. Par ailleurs, la Confédération devra assainir contre le bruit des centaines de logement voisins des aérodromes militaires, ceci afin de répondre aux prescriptions en vigueur [3].
Une motion Jaquet (pdt, VD) a invité le Conseil fédéral à entreprendre une révision de la loi fédérale sur l’approvisionnement économique du pays, afin notamment de diminuer les coûts de stockage qui se répercutent sur les consommateurs. Dans sa réponse, le gouvernement a déclaré que les risques de conflit armé menaçaient effectivement de moins en moins la sécurité d’approvisionnement du pays, mais que ce dernier reste malgré tout assez vulnérable. S’il n’est actuellement plus envisagé une interruption durable et étendue de l’approvisionnement, des manques sectoriels et plus fréquents sont plausibles. En 1999, le gouvernement présentera un rapport en cours d’élaboration qui déterminera la politique pour les années 2000 à 2004 en la matière. Les résultats provisoires montrent que les réserves obligatoires occasionnent des coûts de moins en moins élevés (203 millions en 1997) qui devraient s’abaisser jusqu’à 150 millions de francs. Le Conseil fédéral a encore communiqué qu’il avait de toute façon l’intention de réviser la loi sur l’approvisionnement. Suite à l’abrogation de l’article céréalier inclus dans la «politique agricole 2002», il doit en effet régler le problème du stockage obligatoire de blé panifiable. Transformée en postulat, la motion a été transmise au Conseil fédéral [4].
Répondant à une interpellation de la Commission de la politique de sécurité (CPS) du Conseil des Etats, le conseiller fédéral Pascal Couchepin a apporté plusieurs éclaircissements sur la participation de l’armée à l’Expo 01. Ainsi, l’armée sera engagée pour des tâches de maintien de l’ordre et de la sécurité, mais à titre subsidiaire, soit en complément des moyens fournis par les polices cantonales. Elle aura notamment à fournir des prestations d’aide à la police de circulation, d’exploitation de postes sanitaires, de mise à disposition d’une compagnie de sauvetage et éventuellement du montage et démontage d’un camping de jeunes. Le coût net des ces prestations spécifiquement dues à l’exposition nationale est estimé à quelques 15 ou 20 millions de francs. Quant à la présence de l’armée au sein de l’exposition, elle se fera à travers le thème de la sécurité dans l’ouverture, thème déterminé par les organisateurs de l’exposition. Comme les autres institutions (notamment l’église), l’armée n’aura pas de liberté totale de présentation. La discussion sur une interpellation traitant du même sujet déposée par la CPS du Conseil national et à laquelle le Conseil fédéral a répondu par écrit a été renvoyée [5].
Selon le rapport annuel du chef du recrutement, 28 845 conscrits ont été déclarés aptes au service militaire en 1998 sur les 33 013 examinés, soit un taux d’inaptitude de 13.7%. Par ailleurs, 130 jeunes femmes ont rejoint volontairement les rangs de l’armée. Le nombre de nouveaux conscrits intéressés au service civil de remplacement à diminué (369 au lieu de 454 en 1997) et 287 soldats ont demandé d’accomplir leur service militaire sans arme. Avec 232 000 militaires qui ont effectué 6,7 millions de jours de service en 1997, cela représente 4% (287 000 jours) de moins qu’en 1996 [6].
Le premier centre de sports de l’armée a été inauguré à Andermatt par Adolf Ogi. Orienté d’abord vers les sports d’hiver, ce centre sera destiné aux sportifs militaires, mais également aux sociétés sportives civiles [7].
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Activité internationale
L’un des objectifs 1998 du Conseil fédéral en matière de politique de sécurité a été la consolidation de la participation de la Suisse au Partenariat pour la paix (PPP) de l’OTAN. Le gouvernement a d’ailleurs donné son feu vert pour une participation au PPP jusqu’en l’an 2000 au moins. Limitée de par la neutralité, la coopération y est toutefois effective en matière de formation sur le plan international, de droit international humanitaire, de contrôle des armements, de contrôle démocratique des forces armées, d’aide en cas de catastrophe et d’amélioration des données relatives à la politique de sécurité dans le cadre du PPP. La Suisse a ainsi accueilli à Interlaken un séminaire sur l’aide humanitaire auquel ont participé le PPP et le bureau pour la coordination des affaires humanitaires de l’ONU. Dans l’optique de contribuer activement au maintien de la paix, de la sécurité et de la stabilité en Europe, le Conseil fédéral a également défini comme objectif d’utiliser le forum de consultation du Conseil de Partenariat Euro-Atlantique (CPEA) ou la Suisse jouit d’un statut équivalent aux 16 membres de l’OTAN. Au début de l’année, la Confédération a notamment ouvert une mission diplomatique auprès de l’alliance Atlantique, ceci par l’intermédiaire de son ambassade en Belgique. Toutefois, Adolf Ogi a précisé que l’adhésion à l’OTAN n’était pour lui pas d’actualité, ceci tant que l’Autriche resterait en dehors de l’Alliance atlantique [8].
Au début de l’année, le Conseil fédéral a soumis un message aux chambres concernant la ratification de la Convention du 18 septembre 1997 sur l’interdiction de l’emploi, du stockage, de la production et du transfert des mines antipersonnel et sur leur destruction, signée par la Suisse à Ottawa le 3 décembre 1997. On peut signaler qu’à l’instar d’autres moyens et petits Etats, la Suisse a eu un rôle particulièrement actif dans ce dossier. Quant aux dernières mines antipersonnel que possédaient l’armée suisse, elles ont été détruites un jour avant la signature de la Convention. Dans le même message, le Conseil fédéral a proposé une modification de la loi révisée sur le matériel de guerre et une autre de la loi sur l’armée, rendues nécessaires par la signature. La première visait à adapter la définition des mines antipersonnel à celle du texte de la convention et la seconde à fournir une base légale au Conseil fédéral pour pouvoir mettre sur pieds le Centre international de Genève pour le déminage humanitaire. Le parlement a accepté la ratification sans opposition ainsi que les deux modifications législatives y relatives. C’est l’ancien conseiller fédéral René Felber qui a été nommé à la présidence du conseil de fondation du centre de déminage. Cinq millions et demi de francs fournis d’ici à 2001 par le DDPS financeront cet organisme qui a été inauguré en janvier 1999 [9].
Le Conseil des Etats a transmis un postulat Rochat (pl, VD) qui prie le Conseil fédéral d’étudier la possibilité d’une collaboration avec la Russie concernant la destruction de ses importants stocks d’armes chimiques. Le conseiller fédéral Adolf Ogi a néanmoins rappelé que si la Suisse avait des compétences certaines en matière de destruction des armes chimiques, cette technologie était connue et que la Fédération de Russie était avant tout intéressée à un soutien financier [10].
Concernant l’armement des troupes suisses engagées à l’étranger, le Conseil des Etats a transmis un postulat Seiler (udc, SH) qui prie le Conseil fédéral d’examiner la possibilité de confier des armes aux personnes participant à des opérations de maintien de la paix, ceci afin d’assurer leur propre protection. Au Conseil national, une motion allant dans le même sens a été déposée par la démocrate-chrétienne Ruth Grossenbacher (SO), mais la discussion y a été renvoyée. A plusieurs reprises, le chef du DDPS Adolf Ogi s’est prononcé publiquement pour une telles mesure, estimant qu’il en allait de la dignité de la Confédération de ne pas faire protéger les soldats suisses engagés en dehors du territoire par des troupes étrangères [11].
Soixante-cinq cadets de l’armée russe ont participé en compagnie de recrues suisses à la marche commémorative du 200e anniversaire de la traversée des Alpes par le Maréchal russe Alexandre Souvorov. Cette visite des cadets de l’Académie Souvorov a été organisée lors d’une visite officielle d’Adolf Ogi en Russie au printemps. En 1799, 21 000 soldats russes avaient tenté de chasser les troupes françaises du territoire helvétique. Six mille d’entre eux avaient perdu la vie et l’armée russe s’était finalement retirée à travers les Alpes affamée et épuisée [12].
Sept officiers de l’armée suisse ont été envoyés au Kosovo pour le compte de l’OSCE. Ils officieront comme experts au sein de la Kosovo Verification Mission (KVM). Par ailleurs, quelques 190 Suisses ont été engagés en 1998 à l’étranger pour le maintien de la paix. Nonante d’entre eux effectuent un service non armé en tant que bérets bleus ou jaunes sous la bannière de l’OSCE ou de l’ONU [13].
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Suppression de l’armée
Deux initiatives populaires ont été lancées simultanément par le GSsA le 17 mars. La première intitulée «Pour une politique de sécurité crédible et une Suisse sans armée» demande l’abolition de toute force armée après un délai transitoire de dix ans. La seconde, «La solidarité crée la sécurité: pour un service civil volontaire pour la paix», vise à instaurer un service basé sur le volontariat qui aurait pour mission de contribuer à la réduction et à la prévention des situations de violence, à l’intérieur et à l’extérieur du pays [14].
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Affaire Nyffenegger
L’affaire Nyffenegger a connu un premier épilogue. L’ensemble de la procédure pénale, militaire et administrative qui avait commencé en janvier 1996 s’est achevée en juillet 1998. Le colonel à la retraite Friedrich Nyffenegger a été convoqué devant la justice dans le cadre de trois affaires différentes: l’exposition de matériel didactique Didacta en 1988, la commémoration de la mobilisation générale de 1939 (opération Diamant) en 1989 et la transposition d’un aide-mémoire pour officiers sur CD-Rom. Le procès militaire s’est déroulé en décembre à Aarau devant le tribunal de division 10B. Le colonel y était accusé de violation du secret militaire et des prescriptions sur la protection d’informations confidentielles. Il lui était reproché notamment de ne pas avoir effectué les contrôles nécessaires, ni pris les mesures de sécurité requises lors du développement, de la distribution et de la destruction de cédéroms secrets et confidentiels destinés aux officiers supérieurs. L’auditeur de l’armée a requis deux ans et demi de réclusion contre le colonel pour violation intentionnelle de secrets militaires et non-respect de prescriptions militaires. La défense, considérant l’engagement de l’accusé, a plaidé deux mois de prison avec sursis. Le tribunal a finalement condamné Friedrich Nyffenegger à 15 mois de prison avec sursis. Il a estimé que sa faute n’était pas particulièrement grave, mais que le colonel avait accepté le risque que des tiers puissent avoir accès aux données sensibles contenues dans le cédérom, en particulier les plans de la mobilisation et des fortifications. Deux des quatre autres coaccusés ont été acquittés et deux ont été condamnés à des peines de un et deux mois de prison avec sursis. La Cour pénale fédérale jugera à son tour le colonel et d’autres coaccusés en 1999 pour corruption et divers délits contre le patrimoine [15].
 
[1] BO CN, 1998, p. 425 et 785 ss.; LT, 15.6.98; TG, 11.6.98.1
[2] BO CN, 1998, p. 747 s.2
[3] BO CE, 1998, p. 479 ss; 24 Heures, 23.2.98.3
[4] BO CN, 1998, p. 2837 s.4
[5] BO CE, 1998, p. 899 ss.; BO CN, 1998, p. 2280 s. Cf. supra, part. I, 1a (Grundsatzfragen).5
[6] Recrutement 1998, information aux médias, Berne 1998; NZZ, 23.2.98.6
[7] 24 Heures, 1.7.98.7
[8] FF, 1998, p. 171; 24 Heures, 3.2.98; NZZ, 6.4.98 (séminaire); AZ, 6.7.98 (an 2000); NLZ, 15.9.98 (Ogi).8
[9] FF, 1998, p. 537 ss.; BO CN, 1998, p. 370 ss. et 808; BO CE, 1998, p. 194 ss. et 462; FF, 1998, p. 1158 s.; NZZ, 27.1.98 (Felber). Cf. également APS 1997, p. 80. s.9
[10] BO CE, 1998, p. 361 s.10
[11] BO CN, 1998, p. 2181 s.; BO CE, 1998, p. 1057 ss.; BaZ, 15.9.98.11
[12] 24 Heures, 15.9.98.12
[13] 24 Heures, 2.12.98; Lib., 28.12.98.13
[14] FF, 1998, p. 1007 ss.; APS 1997, p. 98.14
[15] LT, 30.7.98; presse du 7.12 au 18.12.98. Voir également APS 1997, p. 99 s. et 1996, p. 95 s.15