Année politique Suisse 1998 : Infrastructure, aménagement, environnement / Energie
Politique énergétique
Les différents projets pour taxer les énergies non renouvelables ont largement alimenté le débat énergétique durant l'année sous revue. Les projets ont pris corps au Conseil national (projet d'arrêté fédéral concernant une taxe incitative), au Conseil des Etats avec le contre-projet de la Commission de l'environnement, de l'aménagement du territoire et de l'énergie (Ceate) et encore dans le cadre de différentes initiatives populaires en suspends. Toutefois, si les débats en cours n'ont pas trouvé de réponse commune, une taxe sur l'énergie semble se profiler inexorablement dans le paysage politique suisse. Le débat s'y rapportant aux Chambres a sans nul doute constitué l'un des enjeux principaux de la politique énergétique suisse durant l'année 1998.
Lors de la session d'été, le Conseil national a abordé les divergences avec le Conseil des Etats dans la loi sur l'énergie. Suivant la majorité de sa Ceate, le National a supprimé l'obligation d'installer un décompte individuel de chauffage dans les bâtiments anciens ainsi que la demande d'octroi de concession pour les chauffages électriques fixes, estimant que cette dernière mesure devait rester de la compétence des cantons. Une proposition de minorité, demandant la création d'un fonds pour promouvoir les petites centrales hydroélectriques, fut rejetée. Une faible majorité de la Ceate (13 voix contre 12) a proposé de retirer le projet de taxe écologique de la loi, mais de le traiter sous la forme d'un arrêté fédéral séparé.
Au
Conseil des
Etats, les députés ont procédé à l'élimination des dernières divergences concernant la loi sur l'énergie. La Ceate s'est ralliée au National pour trois divergences sur quatre. L'ultime désaccord concernait le décompte individuel des coûts de chauffage pour les bâtiments anciens. La majorité de la Ceate proposa d'installer le décompte individuel de chauffage également dans les bâtiments existants, mais d'en dispenser les bâtiments disposant de bonnes caractéristiques énergétiques. Les députés n'ont pas suivi cette proposition, ils se sont ralliés au National par 25 voix contre 12. Dans le vote final, la
loi sur l'énergie a été approuvée à l’unanimité au Conseil des Etats et par 148 voix contre 7 au Conseil national. A la grande Chambre, les écologistes se sont abstenus, estimant que la loi ne satisfaisait pas à des besoins énergétiques durables
[1].
Au Conseil national, l'entrée en matière sur l'arrêté
fédéral séparé relatif à une taxe écologique sur l'énergie fut l'objet de débats nourris. Les partisans de la taxe l'ont soutenu en tant que contre-projet indirect aux trois initiatives populaires énergétiques en cours («pour l'introduction d'un centime solaire», «encourager les économies d'énergie et freiner le gaspillage», «pour garantir l'AVS – taxer l'énergie et non le travail!»). La constitutionnalité de la taxe et la procédure adoptée (l'arrêté ne sera soumis à une procédure de consultation qu'après son acceptation par la grande Chambre) ont été vivement controversées. La taxe a été jugée constitutionnelle par l'expert juridique Tobias Jaag pour autant qu'elle remplisse des buts écologiques, qu'elle soit incitative et qu'elle ne soit pas utilisée pour indemniser des investissements non amortissables (INA) ou pour diminuer les charges salariales. Une proposition Leuba (pl, VD) réclama le renvoi de l'arrêté en commission avec mandat de procéder à une consultation des cantons et milieux intéressés avant de décider, ainsi que d'obtenir l'avis du Conseil fédéral sur le projet d'arrêté. Elle fut rejetée in extremis par 93 voix contre 87. La majorité de la Ceate a soutenu la taxe écologique, estimant que la libéralisation du marché de l'électricité dans l'Union européenne nécessitait des mesures d'accompagnement. L'entrée en matière sur l'arrêté a été finalement acceptée par 105 voix contre 72. La taxe a été soutenue par les socialistes et les Verts, une majorité démo-chrétienne, une minorité radicale et par les représentants des cantons de montagne. Le député Lötscher (pdc, LU) demanda l'entrée en vigueur simultanée de la taxe et de la loi sur l’énergie et de prolonger en attendant l'arrêté fédéral de 1990. Soutenue par les écologistes et les socialistes, la proposition a toutefois été rejetée par 83 voix contre 69. Les députés ont suivi les recommandations de Moritz Leuenberger qui demanda de séparer les deux objets afin d'éviter qu'un référendum contre l'arrêté sur la taxe ne retarde l'entrée en vigueur de la loi. Le risque serait de ne jamais voir la loi entrer en vigueur et de prolonger indéfiniment l'arrêté de 1990.
Dans l'examen de détails de
l'arrêté, les députés ont maintenu à
0,6 centime par kilowattheure la taxe prélevée sur la consommation finale de toute énergie non renouvelable. La taxe sera restituée dans les cas où les agents fossiles seront exportés ou utilisés à des fins autres qu'énergétiques, lorsque l'électricité sera produite au moyen d'agents renouvelables, lorsqu'elle sera exportée, ainsi que lorsqu'elle servira à alimenter des équipements à pompage-turbinage. La taxe sera exonérée ou remboursée lorsque l'énergie sera destinée à des réseaux de chauffage à distance. Un quart au moins du produit, en moyenne quinquennale, sera utilisé à l'encouragement des énergies renouvelables, à l'assainissement énergétique et au maintien et renouvellement des centrales hydrauliques. Le Conseil fédéral devra instituer un fonds avec les recettes de la taxe incitative. La Confédération pourra mettre à disposition d'organisations privées, cautionnant des projets de financement de tiers, des contributions à fonds perdu comme capital social ou comme caution. La taxe sera introduite progressivement par l'exécutif, en l'espace de six ans, son effet incitatif sera vérifié régulièrement. L'arrêté a été limité à 25 ans au plus à compter de son entrée en vigueur, pour autant que l'approvisionnement du pays en énergie renouvelable locale soit assuré au moins à 50% et que le pourcentage d'énergie utilisable soit supérieur aux pertes d'énergie. Le vote sur l'ensemble de l'arrêté a retenu l'approbation de 98 députés contre 59. Ce projet d'arrêté fédéral sur la taxe a été ensuite mis en procédure de consultation avant d'être transmis au Conseil des Etats
[2].
Le
Conseil national a donc mis en
consultation son projet d'arrêté fédéral relatif à la taxe écologique sur l'énergie dès la fin juillet. Dans un même temps,
la Ceate du Conseil des Etats a proposé un nouveau projet de taxe énergétique incitative servant de contre-projet aux initiatives populaires «Encourager les économies d'énergie et freiner le gaspillage» (initiative énergie et environnement) et «Pour l'introduction d'un centime solaire» (initiative solaire), toutes deux rejetées par le Conseil fédéral sans contre-projet. La commission du Conseil des Etats, contrairement au Conseil national, a estimé qu'une
modification de la Constitution était indispensable. Elle a mandaté l'Office fédéral de l'énergie pour ouvrir une double procédure de consultation. Le premier volet consiste en un nouvel article constitutionnel instaurant une taxe énergétique sur les agents non renouvelables. Les recettes ont été estimées à 2,5 milliards de francs par année, 2,2 milliards seraient utilisés pour réduire les cotisations sociales prélevées sur les salaires, notamment pour l'AVS et l'AI. Cette proposition fait office de
contre-projet à l'initiative populaire énergie et environnement et pourrait servir de fondement pour la réforme fiscale écologique envisagée par Kaspar Villiger. Le second volet,
contre-projet à l'initiative solaire, consiste en un second article constitutionnel transitoire. Il stipule que pendant dix ans, 300 millions du produit de la taxe seront destinés à la promotion de l'énergie solaire et de la biomasse, à l'entretien des centrales hydrauliques et aux économies d'énergie. Les représentants de la Ceate ont déclaré que leur projet était fiscalement neutre. Il n'augmentera pas la charge fiscale globale de l'Etat puisqu'il réduira les ponctions salariales et qu'il encouragera de manière acceptable les énergies renouvelables. Le taux de la taxe devrait faire augmenter les prix des agents énergétiques non renouvelables de 10 à 15%
[3].
Lors des
procédures de consultation, le PDC, le PS et les Verts se sont déclarés favorables aux deux projets qui permettront d'accompagner l'ouverture du marché de l'électricité. Le PS a souhaité que l'article constitutionnel, en tant que base pour une réforme fiscale écologique, soit traité de manière indépendante de l'arrêté du National. Les Libéraux ont refusé clairement le projet de la Chambre du peuple. Ils se sont par contre exprimés favorablement sur le premier volet du projet de la Ceate (taxe sur les énergies non renouvelables pour réduire les cotisations sociales), mais ont rejeté le second (article constitutionnel transitoire encourageant les énergies renouvelables). Le PRD a rejeté le projet du Conseil national, mais il a soutenu celui de la Ceate. L'UDC a refusé strictement toute taxe sur l'énergie, il a été très critique sur les deux projets. Le Vorort a renvoyé catégoriquement le projet du National à l'instar de celui de la Ceate avec toutefois un bémol, puisqu'il a accepté les discussions au sujet d'un projet de réforme fiscale écologique. L'Union des centrales suisses d'électricité (UCS) s'est opposée aux deux projets. Finalement, la Fondation Suisse de l'Energie a soutenu le projet du National et encouragé à long terme l'élaboration d'une réforme fiscale écologique
[4].
Le
Conseil fédéral, dans sa séance extraordinaire d'octobre, a pris diverses options relatives à la
future politique énergétique fédérale. Le gouvernement s'est déclaré pour la première fois ouvertement favorable à l'introduction d'une taxe énergétique incitative et à l'élaboration d'une réforme fiscale écologique. Il s'est ainsi rapproché de la solution concoctée par la Ceate du Conseil des Etats, précisant sa stratégie à propos de la
réforme fiscale écologique. Le gouvernement a estimé, à l'instar du Conseil des Etats, que l'introduction d'une taxe sur l'énergie nécessitait la mise en place d'une base constitutionnelle. La réforme fiscale écologique devrait se faire, selon l'exécutif, en deux étapes. La première étape consisterait à introduire une taxe d'incitation ancrée dans un article constitutionnel, dès 2001 ou 2002. L'idée est d'imposer davantage les énergies non renouvelables, de favoriser les énergies renouvelables et de soutenir les centrales hydroélectriques. La deuxième étape du processus devrait remplacer cette taxe d'incitation par un véritable impôt écologique et fiscalement neutre. Il serait introduit à la fin de l'échéance du régime financier actuel (fin 2006) et devrait poursuivre un double but: améliorer l'environnement et favoriser l'emploi. Il devrait frapper les mêmes agents énergétiques que la taxe d'incitation. Mais plus élevé, il permettrait d'abaisser les charges salariales et de renforcer ainsi la compétitivité économique de la Suisse. Une estimation provisoire permet de tabler sur des recettes se situant entre 2 et 3 milliards par an, de quoi alléger les cotisations sociales de 1% (à parts égales pour les employés et les employeurs). Le gouvernement a formé un
groupe de travail qui devra plancher sur plusieurs questions: l'indemnisation des INA, l'exemption de la taxe pour l'énergie hydraulique qui pourrait représenter une distorsion de concurrence et donc une violation aux accords de l'OMC, et enfin l'éventuelle suppression de la redevance hydraulique payée par les producteurs aux communes qui possèdent des barrages. La stratégie ainsi présentée par le Conseil fédéral a fait office de réponse aux différentes propositions étudiées par le parlement. Les cantons de montagne ont d'ailleurs réagi vivement à l'idée de supprimer les redevances hydrauliques qui représentent pour eux des recettes très importantes
[5].
En mai, le Conseil fédéral a transmis aux Chambres son message relatif à l'
initiative
populaire des Verts «
Pour garantir l'AVS – taxer l'énergie et non le travail!», déposée en 1996. Il a approuvé l'idée d'imposer davantage l'énergie à moyen et à long terme, mais a estimé l'initiative inacceptable du point de vue de la politique budgétaire. Le gouvernement a jugé inopportun d'abaisser l'âge de la retraite en taxant l'énergie, car cela entraînerait une augmentation des coûts des assurances sociales, ce qui aggraverait leurs problèmes de financement. Néanmoins, il a estimé que les effets économiques d'une taxe sur l'énergie introduite progressivement seraient supportables pour l'économie. A long terme, il a même supposé que l'initiative populaire aurait une influence positive sur la croissance économique et sur l'emploi. Toutefois, le constat global restant négatif, le Conseil fédéral a proposé de rejeter l'initiative populaire sans contre-projet
[6].
Au cours de la session spéciale du mois d'avril, le
Conseil des Etats a entamé les délibérations concernant le projet de loi sur une réduction des émissions de CO2. La petite Chambre est entrée en matière sans opposition. La principale pierre d'achoppement fut l'attribution de la
compétence pour l'introduction de la taxe. Reconnaissant que le parlement ne pouvait pas garantir la rapidité nécessaire de la mise en application de la loi, ni un accord entre les deux chambres, le Conseil des Etats a suivi la majorité de sa commission en donnant sa préférence au
Conseil fédéral. Il a aussi ajouté au projet de loi, un article demandant au gouvernement de s'engager à présenter aux Chambres fédérales en temps opportun des projets pour la période après 2010. Le Conseil fédéral ne fixera la hauteur et la date d’entrée en vigueur de la taxe que suite à une procédure de consultation. Il prendra en considération les prix des combustibles fossiles des Etats voisins, a assuré le conseiller fédéral Leuenberger. Finalement, la loi a été approuvée à l'unanimité
[7].
Au
Conseil national, une fraction de l'UDC a recommandé le renvoi du projet de loi au Conseil fédéral afin que ce dernier établisse toutes les répercussions d'une taxe énergétique sur l'économie suisse. Les députés ont toutefois suivi la majorité de la Ceate en acceptant l'entrée en matière par 113 voix contre 50. La majorité de la Ceate a souhaité étendre le champ d'application de la loi sur le C02 aux émissions de CH4 (méthane) et de N20 (protoxyde d'azote). Les parlementaires n'ont pas suivi cette proposition, ils ont préféré se rallier au Conseil des Etats. Moritz Leuenberger a précisé que la taxation des émissions de méthane et de protoxyde d'azote serait traitée dans le cadre de la loi sur l'agriculture. Une proposition, réclamant une diminution des émissions de C02 de 20% au minimum, fut rejetée. Enfin, la question de la
compétence pour l'introduction de la taxe fut le point central des débats. La majorité de la commission était d'avis de la donner au
parlement. Les socialistes et les écologistes ont combattu cette proposition, donnant leur préférence au Conseil fédéral. L'UDC souhaitait accorder la compétence au parlement et proposa d'y ajouter le référendum facultatif. Finalement, les députés ont décidé, par 95 voix contre 75, que la compétence irait à l'Assemblée fédérale, mais ils ont renoncé au référendum facultatif. Deux propositions furent rejetées par le plénum: l'une souhaitait ajouter à la taxe les énergies non renouvelables, l'autre demandait que la taxe soit utilisée pour diminuer les charges salariales. Dans la votation finale, le Conseil national a approuvé la nouvelle loi sur la réduction des émissions de C02 par 61 voix contre 29, avec 48 abstentions
[8].
Saisi à nouveau du projet, le
Conseil des Etats n'a pas voulu céder sur la compétence de l'introduction de la taxe. Considérée comme une tâche avant tout exécutive, la compétence de l'introduction d'une taxe sur le CO2 a été maintenue au Conseil fédéral, par 22 voix contre 14
[9].
Au Conseil National, les députés ont transformé en
postulat une motion de leur Ceate invitant le gouvernement à stabiliser
la consommation d'agents énergétiques fossiles d'ici à l'an 2000, puis de la réduire de quelque 20% au cours des dix années suivantes. Le Conseil fédéral a assuré que la politique énergétique actuelle sera poursuivie et consolidée à l'aide des lois sur l'énergie et sur le CO2 et du programme qui prolongera «Energie 2000» après le tournant du siècle. Néanmoins, l'exécutif estima que les réductions d'agents fossiles ne pourraient pas atteindre les 20% au cours des dix années suivantes
[10]. Le Conseil national a également transmis un
postulat Vallender (prd, AR) invitant le Conseil fédéral à faire en sorte que les violations
des engagements pris dans le cadre du protocole de Kyoto du 10 décembre 1997, dans le domaine de la lutte contre les émissions de C02, fassent l'objet d'une procédure d'arbitrage internationale et que les pays en faute soient sanctionnés
[11].
Le canton de
Bâle-Ville a été le premier canton à introduire dans sa législation une
taxe incitative sur le prix de l'électricité. En effet, le Grand Conseil a approuvé avec une forte majorité une nouvelle loi sur l'énergie contenant cette innovation. Concrètement, comme le prix de l'électricité est amené à baisser, les autorités ont décidé d'utiliser cette baisse pour mettre en place une taxe incitative. La facture des consommateurs restera la même et la différence entre le tarif et le prix payé constituera la taxe incitative. Cette dernière sera intégralement redistribuée l'année suivante aux consommateurs en tant que bonus. Pour les entreprises, ce bonus permettra d'abaisser les charges salariales. Cette nouvelle loi constitue un contre-projet à l'initiative populaire cantonale «Canton énergie 2000», déposée en 1992, réclamant une taxe incitative sur l'électricité. Le comité du nord-ouest de la Suisse contre l'énergie nucléaire a déclaré qu'il retirait son initiative suite à l'acceptation de cette nouvelle loi sur l'énergie
[12].
Sous la pression de l'ouverture du marché de l'électricité dans l'Union européenne prévue pour 1999, la Suisse s'apprête elle aussi à libéraliser ce secteur jusqu'ici en situation monopolistique. Le Conseil fédéral a
mis en consultation en début d'année un avant-projet de loi sur le marché de l'électricité. Ce dernier consiste en une loi cadre qui s'appuie sur les principes de coopération et de subsidiarité. Il propose un accès réglementé au réseau sur la base d'un accord et formule les principes régissant la gestion du réseau, la compatibilité et la sécurité de l'approvisionnement. La
libéralisation se fera
par étapes sur neuf années. A l'entrée en vigueur de la loi, seuls les gros consommateurs auront accès au libre marché. Cette première étape concernera 114 entreprises suisses consommant plus de 20 gigawattheures annuellement. Elle permettra de libéraliser 21% de l'ensemble du marché. Après trois ans, la part s'élèvera à 33%, puis à 60% après six ans et enfin à la totalité au bout de neuf ans. Parallèlement, les petites usines de distribution devront vendre un courant issu du marché libre à hauteur de 10% pour les trois premières années, de 20% pour les trois suivantes, puis de 50% et atteindre les 100% après neuf ans. Selon l'Union des centrales suisses d'électricité (UCS), les investissements non amortissables (INA) s'élèveraient à 4,8 milliards de francs si l'ouverture se faisait totalement en 1999. Ce montant diminuerait avec une libéralisation progressive pour atteindre entre 700 millions et 1,8 milliard de francs. Les consommateurs devront payer cette somme; le projet de loi autorise en effet les fournisseurs à augmenter temporairement (10 ans au maximum) leurs tarifs afin de rembourser ces investissements. Cela consistera en une hausse du kwh de 0,18 à 0,45 centime, selon l'Office fédéral de l'énergie. Le produit de cette augmentation sera réuni dans un fonds privé qui servira à indemniser les INA ainsi qu'à maintenir ou rénover des centrales hydrauliques. Les centrales nucléaires n'ont pas été exclues de l'indemnisation des INA. Le projet demande d'encourager au moyen d'un fonds de soutien les énergies renouvelables. Les distributeurs d'électricité devront en acquérir une part minimale. Le projet recommande également la création d'une seule société suisse de réseau qui sera issue du rapprochement entre les six grandes compagnies nationales. Une commission d'arbitrage est aussi prévue. Quant aux 900 sociétés de distribution au détail, elles devront se concentrer
[13].
L'avant-projet de loi s'est heurté en
procédure de consultation à d'âpres résistances, même si la majorité des acteurs concernés ont reconnu la nécessité de la libéralisation. L'encouragement des énergies renouvelables et la compensation des INA – deux pièces majeures du dossier – ont fait l'objet de
critiques acerbes. Il en a été de même pour la création d'une société suisse unique pour l'exploitation du réseau. Concernant la priorité donnée aux énergies renouvelables, le Vorort, l'USAM, l'UCS, Migros, l'Union des villes suisses, plusieurs partis (PRD, PL, UDC) et la commission de la concurrence s'y sont opposés. Parmi les partisans d'un encouragement aux énergies renouvelables, le PS et le PDC ont souhaité maintenir la compétitivité des centrales hydroélectriques avec l'aide d'une taxe sur les énergies non renouvelables. Les cantons de montagne ont réclamé haut et fort cette taxe pour accompagner l'ouverture du marché de l'électricité. Ils ont demandé que la moitié des recettes de la taxe soit affectée à l'encouragement des énergies renouvelables. Concernant l'indemnisation des INA, le Vorort a exprimé son désaccord, estimant que les consommateurs n'avaient pas à payer pour les mauvais investissements des centrales. L'USAM, l'Union suisse des paysans et la commission de la concurrence s'y sont opposés. Les milieux écologistes et le PS se sont opposés à toute indemnisation des INA pour les centrales nucléaires. Concernant la création d'une société suisse unique pour l'exploitation du réseau, la gauche est d'accord, le Vorort, l'UCS, l'UDC et le PRD sont contre. L'UCS a proposé un bureau de coordination pour les lignes du réseau et réclamé un rythme d'ouverture plus lent. La commission de la concurrence, qui a vivement critiqué tout le projet, a néanmoins soutenu ce dernier point
[14].
Les
producteurs d'électricité suisses ont entamé leur restructuration en vue de la prochaine libéralisation du secteur. Ainsi, les Entreprises électriques fribourgeoises (EEF) se sont alliées avec le quatrième producteur européen, le munichois Bayernwerk. Cette alliance permettra aux EEF de maîtriser les deux tiers du courant qu'elles vendront, contre un tiers auparavant. Cette démarche n'a pas plu au grossiste romand EOS (Energie Ouest Suisse) qui s'estimait le fournisseur exclusif des EEF jusqu'en 2008. De même, sept grandes centrales d'électricité de villes suisses ont décidé de s'unir afin d'offrir des prestations en énergie communes pour leurs clients transrégionaux. Elles ont ainsi formé une communauté d'intérêts de services énergétiques réunissant des centrales électriques des villes de Zurich, Berne, Winterthur, Lucerne, St.Gall, Schaffhouse et Bâle. Genève et Lausanne sont dans le groupe de travail, mais n'ont pas encore pris leur décision pour adhérer à la communauté
[15].
Sept grosses sociétés de distribution ont annoncé qu'elles ne poursuivraient plus le projet de société unique, mais plutôt celui d'une entreprise de coordination technique du réseau de haute tension
[16].
Les milieux de l'électricité, les organisations de protection de l'environnement ainsi que les pouvoirs publics se sont
mis d'accord sur la construction et l'extension de trois lignes à haute tension. Cet accord a été conclu dans le cadre d'un groupe de résolution des conflits des lignes de transports mis en place par la Confédération en 1993 dans le cadre du programme d'action d'Energie 2000. L'objectif était de désamorcer les conflits entre les représentants des milieux écologistes et ceux de la branche, et d'activer les procédures d'approbation des nouvelles constructions de lignes. La planification de ce groupe prévoit 68 projets d'extension dont 20 constructions de nouveaux tronçons. D'ores et déjà, trois projets ont été acceptés: l'extension des lignes de Mörel-Ulrichen-All'Aqua et de Massaboden-Ritom reliant Valais et Tessin et une troisième ligne Rapperswil-Gossau (SG). La planification sera évaluée dans le cadre d'une procédure de consultation, elle devra ensuite être approuvée par le Conseil fédéral
[17]. La discussion relative à une motion Semadeni (ps, GR) a été renvoyée à une date ultérieure par le Conseil national. La motion chargeait le Conseil fédéral de réviser la législation sur les lignes à courant fort, de manière à ce que les personnes concernées puissent être
indemnisées de façon appropriée selon le principe de causalité, grâce à l'internalisation des coûts. L'objet sera combattu ultérieurement par le député Steiner (prd, SO)
[18].
En 1998, la consommation globale d'énergie en Suisse a
augmenté de 2,7% par rapport à l'année précédente. Les facteurs explicatifs de cette hausse sont essentiellement la reprise économique et les basses températures de l'année sous revue. Les énergies renouvelables, force hydraulique comprise, ont couvert 15,1% des besoins. La demande a crû le plus fortement dans le secteur des combustibles: la consommation de mazout a ainsi progressé de 3,6%, celle du bois de 2,5% et celle du gaz de 3,3%. Les énergies renouvelables spéciales, comme le biogaz ou les énergies solaire et éolienne, ont passé de 0,6 à 0,7%
[19].
[1]
BO CN, 1998, p. 1119 ss. et 1640;
BO CE, 1998, p. 686 ss. et 840;
FF, 1998, p. 3165 ss. Cf. aussi
APS 1997, p. 167 s.1
[2]
BO CN, 1998, p. 1119 ss. et 1166 ss.2
[3]
FF, 1998, p. 3320; presse du 8.7.98.3
[4]
NZZ, 12.9 et 13.10.98.4
[5] Presse des 24.10 et 29.10.98;
LT, 30.10.98. Le CN a supporté la démarche du CF en transmettant un postulat Rechsteiner (ps, BS) l'invitant à examiner comment la Suisse pourrait introduire une taxe énergétique et contribuer à l'encouragement des énergies renouvelables tout en respectant les dispositions de l'OMC. Il lui a demandé en outre d'examiner la prise en compte des effets externes de la production et de la consommation d'énergie, de déterminer comment les règles de certification pourraient contribuer en Suisse et ailleurs à promouvoir les énergies renouvelables et à encourager le commerce international (
BO CN, 1998, p. 2201).5
[6]
FF, 1998, p. 3637 ss. Voir également
APS 1996, p. 256.6
[7]
BO CE, 1998, p. 468 ss. Voir aussi
APS 1997, p. 168.7
[8]
BO CN, 1998, p. 1725 ss.8
[9]
BO CE, 1998, p. 1380 ss.9
[10]
BO CN, 1998, p. 740 s.10
[11]
BO CN, 1998, p. 2203.11
[12]
NZZ, 10.9.98;
BaZ, 3.10.98.12
[13] Presse du 21.2.98.13
[14]
Bund, 16.2.98;
NZZ et
LT, 25.4.98;
NZZ, 29.4 et 14.7.98;
TA, 12.5 et 18.5.98;
Lib., 15.5.98; presse du 17.9.98.
Cf. aussi
APS
1997, p. 165.14
[15]
Lib., 1.7.98;
NZZ, 7.8.98.15
[16]
NZZ, 3.12 et 5.12.98.16
[17]
NZZ et
TA, 11.8.98.17
[18]
BO CN, 1998, p. 2840 s.18
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