Année politique Suisse 1999 : Chronique générale / Défense nationale
 
Activité internationale
Après avoir essuyé deux refus des ses pairs concernant la participation de la Suisse à une force multinationale armée de maintien de la paix au Kosovo et à la construction d’infrastructures humanitaires (notamment camp de réfugiés) à la frontière de la province, le Conseiller fédéral Adolf Ogi a présenté un projet de révision partielle de la loi sur l’armée et l’administration fédérale donnant notamment au gouvernement la compétence de décider de l’armement des troupes envoyées à l’étranger. Le point central de cette révision consiste à supprimer à l’article 66 la mention « Le Conseil fédéral peut autoriser certaines personnes à faire usage de leurs armes pour assurer leur propre protection » et à la remplacer par « Le Conseil fédéral décide dans chaque cas de l’armement et des autres mesures nécessaires à la protection des personnes et des troupes envoyées ainsi qu’à l’exécution de la mission ». Les deux autres modifications projetées par cette révision sont la création de deux articles : l’un relatif aux conventions sur l’instruction à l’étranger ou avec des troupes étrangères et l’autre sur le statut des militaires suisses à l’étranger et des militaires étrangers en Suisse [21].
L’Association pour une Suisse indépendante et neutre (ASIN) a déclaré qu’elle combattrait de toutes ses forces le contenu de cette révision et qu’elle lancerait un référendum contre toute tentative d’envoyer des soldats suisses armés à l’étranger. De même, le noyau dur du comité contre les casques bleus de 1994 a annoncé s’être reconstitué en comité « Oui à la neutralité » pour empêcher l’armement des soldats suisses à l’étranger, qu’il considère comme un pas de plus vers l’adhésion à l’OTAN. Un collectif de gauche (notamment GssA, groupe parlementaire des Verts, Parti suisse du travail, femmes pour la paix et jeunes socialistes) s’est prononcé pour une participation de la Suisse à des actions internationales qui soit effectuée sous une forme civile et non pas militaire et surtout pas sous l’égide de l’OTAN. Le GssA a même décidé de lancer un référendum si le parlement acceptait de réviser cette loi [22].
A l’issue de la procédure de consultation, le PDC et le PRD se sont déclarés favorables à une mise à disposition rapide de soldats armés à l’étranger, alors que le PS et l’UDC ont dénoncé précisément cette précipitation, tout comme la Société suisse des officiers. L’UDC a notamment considéré qu’il fallait attendre l’approbation de RAPOLSEC 2000 avant de rédiger un projet et le PS a averti qu’il n’accepterait qu’un armement strictement réservé à l’autodéfense. Un sondage effectué auprès de 800 personnes a mis en évidence que les Suisses étaient plutôt favorables (55,7%) à un armement des soldats helvétiques à l’étranger et qu’ils soutenaient massivement cette éventualité concernant la SWISSCOY (72%) [23].
Anticipant sur cette révision partielle de la loi fédérale sur l’armée, le Conseil des Etats a transmis un postulat de sa commission de la politique de sécurité concernant la présence de troupes suisses à l’étranger. En l’occurrence, la chambre des cantons a demandé au gouvernement de mentionner dans la nouvelle loi que seules des personnes dûment formées à cet effet puissent être engagées à l’étranger, que l’inscription à ces missions soit basé sur le volontariat et que le Conseil fédéral détermine dans chaque cas l’étendue des mesures nécessaires à la protection des personnes et des troupes engagées. Par ailleurs, l’annonce de la participation en l’an 2000 de l’armée à la Muba (foire de Bâle) a suscité une levée de boucliers à l’UDC et au GssA. Ces derniers ont considéré comme un acte de propagande cette opération de séduction qui devrait se dérouler entre les deux sessions parlementaires où sera discutée la révision partielle de la loi militaire et lors de la campagne pour l’initiative sur la réduction de moitié des dépenses militaires. Le DDPS s’est défendu en affirmant que cette exposition ne servirait qu’à présenter les grandes lignes de la future « Armée XXI » et que le coût largement contesté de cette opération (5 millions) n’était qu’un plafond [24].
Le Conseil national a rejeté par 77 voix contre 24 une motion du groupe libéral visant à engager l’armée pour s’occuper de camps de réfugiés à l’étranger. Reconnaissant une certaine pertinence à la motion, le chef du DDPS avait toutefois recommandé aux députés de la rejeter en raison de problèmes liés notamment à l’armement des Suisses à l’étranger, à la nécessité d’un mandat multilatéral et à la préférence accordée aux organisations civiles [25].
La Suisse a exprimé le souhait que Genève obtienne le siège de l’autorité de contrôle des armes biologiques. Le secrétaire d’Etat Jakob Kellenberger a argumenté que la Suisse offrait les meilleures conditions pour l’hébergement de cette institution avec notamment les qualités de la Genève internationale ou encore du laboratoire AC de Spiez (BE). Cette initiative de la Suisse, premier pays à se porter officiellement candidat, a été saluée par les Nations Unies [26].
En tant que première chambre, le Conseil national s’est prononcé à l’unanimité pour la ratification du Traité d’interdiction complète des essais nucléaires (TICE) signé par la Suisse en 1996. Le TICE fixe l’obligation de pas effectuer d’explosion expérimentale pour les 44 Etats à capacité nucléaire (dont la Suisse fait partie en raison de la présence sur son sol de réacteurs civils). Le Conseil des Etats a lui fait preuve de davantage de scepticisme (26 voix contre 7 lors du vote sur l’ensemble) à la suite d’une proposition de renvoi en commission du démocrate-chrétien Carlo Schmid (AI). Ce dernier contestait notamment l’applicabilité du texte. En votation finale, le Conseil national a été unanime alors qu’une seule voix s’est opposée au Conseil des Etats. Conclu pour lutter contre la prolifération des armes nucléaires et leur perfectionnement à des fins militaires, le TICE entrera en vigueur lorsque la totalité des 44 Etats l’auront ratifié [27].
Adolf Ogi a effectué une visite d’un jour à Madrid où il a rencontré son homologue espagnol. Lors de cette visite, les deux pays ont décidé d’étendre leur coopération bilatérale au domaine militaire. La Suisse devrait notamment acheter 1200 camions fabriqués en Espagne pour 400 millions de francs [28].
Le traité d’Ottawa interdisant les mines antipersonnelles est entré en vigueur au mois de mars. Ce texte a été signé par 132 pays et déjà ratifié par 65, dont la Suisse. Il prohibe l’emploi, le stockage, la production et le transfert de ces armes. Le Conseil national a transmis un postulat Meyer (ps, BL) invitant le Conseil fédéral à examiner une mise en service accélérée et l’élargissement des activités du nouveau Centre international de déminage humanitaire (CIDH). Cosigné par 45 députés, ce texte insiste sur la nécessité de ne pas soutenir uniquement le travail des Nations Unies dans le domaine du déminage humanitaire, mais également de favoriser l’application rapide de la Convention d’Ottawa et de participer au travail concret sur le terrain. Dès le début de l’année 2000, le président du CICR, Cornelio Sommaruga, remplacera l’ancien Conseiller fédéral René Felber à la tête du CIDH [29].
Plusieurs exercices impliquant une ou plusieurs armées étrangères se sont déroulés lors de la période sous revue. Notamment, 1100 soldats de l’armée suisse et 400 de l’armée française se sont livrés à un exercice « Léman 99 » de simulation de catastrophe dans le région genevoise. Les forces aériennes suisses, françaises et autrichiennes ont également collaboré pendant cinq jours dans le cadre d’un exercice intitulé « Amadeus 99 » visant à surveiller en commun l’espace aérien et 71 soldats de char ont effectué un cours de répétition en Suède. Un exercice d’état-major helvético-autrichien (Rheintal 99) a également mobilisé 500 militaires en Suisse orientale et six avions de chasse F-16 hollandais sont venus durant une semaine s’entraîner en Suisse avec les F/A-18 . L’ASIN a protesté contre cette augmentation des activités de la Suisse avec l’étranger [30].
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OTAN, PPP et CPEA
En réponse à une demande de l’OTAN (Organisation du Traité de l’Atlantique Nord), la Suisse a pris la décision de participer à une troupe de maintien de la paix au Kosovo en envoyant sur place 160 militaires au maximum (gardes-fortifications, instructeurs et miliciens volontaires) dès le mois de septembre. Les participants ont reçu une formation de trois semaines avant d’être envoyés sur place. La majorité des soldats suisses ne pouvant légalement pas être armés (cf. supra), c’est un bataillon autrichien, lui-même incorporé dans la brigade allemande chargée de contrôler le secteur sud-ouest du Kosovo, qui a été chargé de leur sécurité. Prévu jusqu’à la fin de l’année 2000, cet engagement de la Swiss Company (SWISSCOY) consiste notamment en des tâches de transport, de génie, de remise en état de réseaux d’eau potable et de la mise en place et de la direction d’un centre de soins. Le Conseil fédéral a en outre déclaré que contrairement aux pays de l’OTAN engagés dans la Kosovo Force (KFOR) qui ont pour tâche l’imposition de la paix, la Suisse se refusera – tout comme les Autrichiens – à prendre part à des actions d’imposition de la paix en contradiction avec la neutralité. En plus de cette mesure, le gouvernement a décidé d’une part d’augmenter son aide humanitaire et d’autre part, de mettre à disposition 10 millions et 70 personnes (dont sept policiers non-armés) pour la mise en place d’institutions démocratiques et judiciaires et pour le déminage, ceci en collaboration avec l’ONU, l’OSCE et le Centre de déminage humanitaire de Genève. Pour la première fois, quatre policiers suisses professionnels armés ont été envoyés à l’étranger. Attachés à la Brigade sud multinationale au Kosovo, ils ont été incorporés dans une compagnie de gendarmes allemands, tout en restant sous le commandement de la SWISSCOY. Adolf Ogi s’est rendu au mois de novembre sur place et s’est dit impressionné par le travail accompli par la compagnie suisse [31].
Alors que le conflit battait son plein au Kosovo, le Conseil fédéral avait déjà décidé d’envoyer en Albanie trois hélicoptères de l’armée « Super Puma » pour des missions d’évacuation de réfugiés et de transport de matériel humanitaire. Une quarantaine de militaires, dont des gardes-fortifications armés, ont accompagné les trois appareils pour assurer leur maintenance et la logistique. Baptisée « Alba », cette mission a été accomplie dans le cadre des activités du PPP (Partenariat pour la paix). Adolf Ogi s’est rendu en avril en Albanie pour se rendre compte de la situation sur place. En complément des trois hélicoptères, un avion de transport a été loué à l’armée espagnole afin de pouvoir acheminer vivres et matériel à Tirana. Bien qu’au début de l’été le Conseil fédéral a annoncé qu’il prolongeait cette opération jusqu’à la fin janvier 2000, les trois hélicoptères ont finalement été rapatriés en Suisse au mois d’août, le centre de gravité de l’aide internationale s’étant déplacé vers le Kosovo. Au total, l’opération « Alba » a duré 116 jours durant lesquels 5194 personnes ont été évacuées des camps de réfugiés, alors que 878 tonnes de matériel y ont été acheminées. Par ailleurs, la Suisse a décidé de prolonger son aide au déminage de la Bosnie jusqu’à la fin du mois de mai 2000. Six gardes-fortifications effectuent cette tâche sous mandat du Haut-Commissariat de l’ONU pour les réfugiés et de l’Union européenne [32].
Tout comme en Autriche, les avions de l’OTAN se sont vu refuser le survol de la Suisse pour des raisons de neutralité. La Confédération a motivé son attitude par le fait que l’Alliance ne disposait pas d’un mandat de l’ONU pour bombarder la Yougoslavie [33].
Le Conseil fédéral a approuvé le troisième programme de partenariat individuel pour 1999 et 2000. Le gouvernement veut porter l’accent sur le contrôle démocratique des forces armées, le droit international humanitaire et l’instruction en matière de politique de sécurité. Pour 1999, le coût de cette participation au PPP est de 5,8 millions de francs, soit 70% de plus qu’en 1998. La Suisse doit participer à environ 200 activités organisées par l’OTAN et les Etats partenaires (exercices, séminaires, cours). Une motion de Ulrich Schlüer (udc, ZH) proposant la désignation d’une délégation parlementaire permanente auprès du Partenariat pour la paix (PPP) a été rejetée par 86 voix contre 5 par le Conseil national. Dans sa prise de position écrite, le bureau a argumenté que la Suisse ne faisant pas partie de l’OTAN, il n’était pas question d’une participation parlementaire plus active avec cette organisation, contrairement à ce qui se pratique avec l’OSCE ou le Conseil de l’Europe [34].
Le Groupe de la planification étudie l’introduction de la langue anglaise dans l’armée suisse. Afin de pouvoir communiquer plus facilement avec les armées étrangères dans le cadre du PPP, des cours d’anglais devraient effectivement être dispensés dès 2003 au plus tard. Cette mesure serait accompagnée d’un alignement des procédures de commandement helvétiques sur celles de l’OTAN. Dans cette optique, quelques centaines d’officiers suisses devraient être envoyés à l’étranger pour se former [35].
 
[21] FF, 2000, p. 433 ss.; LT, 30.1.99.21
[22] 24h et LT, 2.2.99 (comité „Oui à la neutralité“); LT, 24.3 (collectif de gauche), 1.4 (refus du CF) et 10.5.99 (ASIN); presse du 22.11.99 (GSsA / référendum).22
[23] Presse du 28.10.99; presse du 2.11.99 et Lib., 9.12.99 (sondage).23
[24] BO CE, 1999, p. 844 s.; LT, 20.12.99.24
[25] BO CN, 1999, p. 2469.25
[26] NZZ, 20.1.99.26
[27] FF, 1999, p. 607 ss., BO CN, 1999, p. 2 ss. et 1398. BO CE, 1999, p. 369 ss. et 596.27
[28] 24h, 13.3.99.28
[29] BO CN, 1999, p. 508 s (Meyer); TG, 2.3 (Ottawa) et 21.12.99 (Sommaruga). Adolf Ogi a inauguré en octobre les nouveaux locaux du Centre de politique de sécurité (CPS) et du centre international de déminage humanitaire (CIDH).29
[30] TG, 1.7.99 et presse du 2.7.99 (Léman 99); TG, 23.10.99 (Amadeus 99); TA, 2.11.99 (Suède et ASIN); 24h, 13.11.99 (Rheintal 99); NZZ, 23.11.99 (F-16).30
[31] Presse du 5.6.99 (demande de l’OTAN); LT, 16.6.99 et presse du 24.6.99 (décision du CF); presse du 8.7 et 17.9.99; TG, 30.10 (policiers armés) et 30.11.99 (Ogi).31
[32] Presse du 7.4.99; 24h, 21.4.99 et Lib., 22.4.99 (visite de Ogi); LT, 24.6.99 (prolongation); 24h, 14.7.99 (fin des opérations); NLZ, 1.10.99 (bilan); LT, 16.11.99 (Bosnie).32
[33] 24h, 8.4.99.33
[34] BO CN, 1999, p. 200 s.; 24h, 25.3.99.34
[35] LT, 15.3.99.35