Année politique Suisse 1999 : Infrastructure, aménagement, environnement / Energie
Energie nucléaire
En octobre, les
deux
initiatives populaires antinucléaires «Moratoire-plus» et «Sortir du nucléaire»
ont abouti avec respectivement 119 28 et 117 916 signatures valables. «Moratoire-plus» demande la prolongation de dix ans du moratoire sur toute nouvelle installation atomique, ainsi qu’un référendum facultatif pour une exploitation au-delà de quarante ans. «Sortir du nucléaire» réclame l’arrêt des cinq centrales suisses dans les dix ans à venir et l’abandon du retraitement des déchets radioactifs
[39]. En novembre, le Conseil fédéral a reporté son projet de révision de la loi atomique pour le début 2000, en raison de l’aboutissement des deux initiatives. Le projet devrait constituer un contre-projet indirect aux deux initiatives
[40].
Le DETEC avait mandaté en 1998, sur requête de la Division principale de la sécurité des installations nucléaires (DSN), une équipe d’
experts internationaux de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) afin d’examiner le fonctionnement de la DSN. Cette requête faisait suite à l’affaire des wagons contaminés de 1998. L’ouverture du marché de l’électricité approchant, les exploitants des centrales nucléaires seront confrontés à la pression pour réduire les coûts. C’est pourquoi la DSN doit s’assurer qu’une économie sur les frais d’exploitation ne se fera en aucun cas au détriment de la sécurité des centrales. Fin janvier, les experts de l’AIEA ont remis au DETEC leurs conclusions. Dans leur rapport, ils attribuent des bons points à la DSN concernant ses compétences dans les domaines de l’analyse de sécurité des centrales, de la radioprotection et de la préparation aux situations d’urgence. Toutefois, ils estiment que les inspections de la DSN auprès des centrales ne sont pas assez systématiques ni assez formelles. Ils recommandent d’introduire un programme d’inspection systématique et exhaustif afin d’amplifier le contrôle de sécurité des exploitations. De plus, ils plaident pour une fixation plus claire des compétences, des droits et des devoirs des inspecteurs. Les experts demandent également d’
intensifier
la surveillance dans le domaine des transports de toute matière radioactive sans se limiter aux combustibles nucléaires. Ils proposent aussi un système de classification des déchets radioactifs. En outre, ils souhaitent
une plus grande indépendance de la DSN vis-à-vis des autorités compétentes pour l’utilisation et la promotion de l’énergie nucléaire. La DSN a décidé de suivre les recommandations des experts au moyen d’un programme d’action défini. Elle examinera notamment le projet d’une Agence nationale de sécurité en vue d’une plus grande indépendance
[41].
Le Conseil national a refusé, par 96 voix contre 67, de donner suite à une initiative parlementaire Rechsteiner (ps, BS) demandant la création d’un
organe de contrôle et de vérification des installations nucléaires, indépendant de l’industrie de l’énergie et des services de l’OFEN. Le nouvel organe, élu par les Chambres fédérales et financé par les exploitants des centrales nucléaires, devait surveiller la DSN et déceler d’éventuels manquements. Les députés ont estimé que l’indépendance de la DSN n’était pas entamée par sa subordination administrative à l’OFEN. En outre, l’existence de la Commission fédérale de la sécurité des installations nucléaires (CSA), organe consultatif du Conseil fédéral et du DETEC, externe à l’administration fédérale, a été jugée suffisante. La majorité de la Ceate a estimé que le nouvel organe proposé ne ferait qu’alourdir et compliquer le système et qu’il risquerait même d’entraver les travaux de la DSN et de la CSA
[42].
En juin, les grands partis bourgeois (PDC, PRD, UDC) du parlement
argovien ont présenté une
initiative du canton demandant le maintien d’une politique énergétique et d’une fiscalité compatibles avec l’énergie nucléaire. L’initiative demande à la Confédération de renoncer à limiter l’énergie nucléaire et de ne pas la discriminer par des taxes et des impôts. Dans une même optique, des parlementaires du
canton de Soleure ont sollicité par motion leur exécutif afin qu’il présente une initiative de leur canton, demandant aux Chambres fédérales de veiller à ce que les autorisations d’exploitations des centrales se conforment uniquement aux conditions techniques des centrales et à leur niveau de sécurité environnemental. Ils souhaitent que l’énergie nucléaire bénéficie des mêmes conditions que les autres agents énergétiques dans le cadre de l’ouverture du marché de l’électricité, et que la centrale de Gösgen (SO) ne soit pas fermée prématurément pour des motifs idéologiques. L’exécutif soleurois a approuvé l’essentiel des points de la motion, mais a jugé l’initiative inadaptée. Il a néanmoins assuré de défendre le point de vue du canton dans le cadre de la procédure de consultation concernant la loi sur l’énergie atomique
[43].
En janvier, le Conseil fédéral a publié des chiffres concernant la mise hors service des centrales nucléaires suisses:
la sortie du nucléaire devrait coûter 16,2 milliards de francs pour la démolition des centrales et l’entreposage définitif de leur combustible radioactif usé. Le stockage des déchets a été estimé à 13,7 milliards de francs. Le Conseil fédéral a précisé qu’en ce qui concerne la démolition des bâtiments, le fonds spécial prévu à cet effet se montait alors à 688 millions de francs. Pour le traitement des déchets radioactifs, les centraliers disposaient alors de réserves s’élevant à 6,25 milliards de francs. L’exécutif n’a toutefois pas exclu l’éventualité que des sociétés exploitantes ne soient pas en mesure d’assumer les coûts de désaffectation dans toute leur ampleur. Dans ce cas, certaines compagnies pourraient mettre à contribution leurs installations non nucléaires
[44].
En mars, un
recours administratif a été déposé par le Comité d’action de la Suisse du Nord-Ouest contre les centrales atomiques et par la Fondation suisse de l’énergie
contre le Conseil fédéral pour n’avoir pas encore contraint les exploitants de centrales nucléaires à financer l’élimination de leurs déchets nucléaires. Le recours hiérarchique a été déposé auprès des commissions de gestion des Chambres fédérales. Selon les plaignants, les coûts pour l’élimination des déchets, jusqu’alors non financés, menacent d’être à la charge du contribuable. Les recourants réclament à l’exécutif d’ordonner la mise en place d’un fonds d’élimination des déchets. L’OFE a jugé le recours inutile, l’exécutif ayant prévu de mettre en consultation une ordonnance sur le sujet dans le courant du mois de mai, une nouvelle loi sur l’énergie atomique prendra ensuite le relais
[45].
Par la suite, le Conseil fédéral a effectivement ouvert une
procédure de consultation relative à une ordonnance sur le fonds pour la gestion des déchets radioactifs provenant des installations nucléaires. L’ordonnance prévoit que le fonds couvre tous les coûts d’évacuation des déchets survenant après l’arrêt définitif d’une centrale nucléaire. Les exploitants devront verser chaque année des contributions afin que les montants nécessaires soient réunis après 40 années de fonctionnement. Les besoins du fonds ont été estimés à 13,7 milliards de francs et devront être assurés annuellement par les exploitants des centrales. En outre,
l’exécutif a renoncé au retraitement des assemblages combustibles usés. Toutefois, les contrats de droit privés déjà engagés pourront être honorés: les transports d’éléments radioactifs usés vers l’étranger ont donc pu reprendre dans la seconde partie de l’année. Selon les autorités de sécurité, la fréquence et l’ampleur des dépassements des valeurs limites pourront à l’avenir être significativement réduites
[46].
Le
Parti socialiste a vivement réagi à l’avant-projet de l’exécutif, qualifiant d’insuffisante l’ordonnance sur le fonds pour l’élimination des déchets nucléaires. Il a exigé que les exploitants des centrales prennent en charge, en l’espace d’une année, les milliards que coûte l’élimination des déchets. Le fonds devrait couvrir également les frais engendrés par les déchets durant l’exploitation et lors d’une désaffectation prématurée. Comme base de calcul, il faudrait partir d’une durée de vie des centrales de trente ans. Le PS a également demandé que les exploitants prennent en charge de manière solidaire les coûts
[47].
Suite à la décision du gouvernement de reprendre le transport d’éléments radioactifs usés vers l’étranger, l’OFEN a délivré une
autorisation pour le transport de quatre
convois d’éléments irradiés de la centrale nucléaire de Gösgen (SO) à destination de la Hague (F). Ce fut la première autorisation depuis l’interdiction des convois en mai 1998, suite à l’affaire des wagons contaminés. Les mesures de protection du personnel ont été renforcées pour les opérations de chargement et de déchargement des combustibles irradiés. Les wagons seront désormais surveillés et contrôlés en permanence par des spécialistes, et tout incident devra être déclaré. A Gösgen, les transports ont effectivement repris à la fin août. Des activistes de Greenpeace ont tenté d’empêcher, sans succès, l’entrée en Suisse du wagon passant par la gare de Bâle. Le 1er septembre, une partie des éléments irradiés de Gösgen a quitté la centrale par le rail à destination de La Hague, suite à la libération par la police soleuroise de la voie ferrée à laquelle s’étaient enchaînés des militants de Greenpeace. Par la suite, d’autres transports d’assemblages combustibles épuisés sont partis de centrales suisses. L’organisation environnementale
Greenpeace a déposé un
recours administratif contre le conseiller fédéral Leuenberger, jugeant illégale la procédure d’autorisation de concession suisse délivrée pour ces transports vers l’étranger
[48].
Greenpeace a en outre publié des documents montrant que l’industrie nucléaire suisse souhaitait envoyer des
déchets hautement radioactifs en vue de leur entreposage et de leur retraitement vers la Russie. Cette information émanerait d’un entretien de 1998 entre des représentants du ministère russe de l’énergie atomique et des exploitants de centrales suisses (NOK et EGL), avec l’intermédiaire d’une firme allemande. Greenpeace a demandé que le Conseil fédéral s’engage formellement à exclure toute collaboration avec la Russie dans ce domaine. Au nom des exploitants des centrales, les NOK ont expliqué qu’il s’agissait d’une déclaration d’intention, et non d’un contrat, traitant de l’éventualité d’un dépôt final international pour déchets hautement radioactifs en Russie
[49].
En mai, la Coopérative pour l’entreposage des déchets radioactifs (CEDRA) a terminé ses sondages exploratoires en vue de l’aménagement d’un éventuel
dépôt final pour déchets hautement radioactifs à
Benken (ZH). Les résultats du forage ont confirmé les prévisions géologiques relatives aux différentes couches rocheuses, a indiqué la CEDRA. Les sondages ont permis de constater que la couche d’argile à opalinum, très faiblement perméable et d’une épaisseur de plus de 100 mètres, ne comportait pratiquement pas de failles
[50].
Concernant le
dépôt intermédiaire central pour déchets radioactifs de
Würenlingen (AG), l’exécutif argovien a donné un avis favorable à la demande d’autorisation d’exploiter les installations de conditionnement et d’incinération du futur dépôt. La décision du Conseil d’Etat argovien s’est appuyée sur les examens et l’avis des experts de la Division principale de la sécurité des installations nucléaires (DSN) et de la Commission fédérale de la sécurité des installations nucléaires (CSA). Ces dernières ont conclu qu’une exploitation sûre des installations de conditionnement et d’incinération était possible si les recommandations et les charges retenues dans leurs rapports étaient exécutées. Les requêtes de la commune de Würenlingen, demandant de renforcer le contrôle lors de l’emballage et de la livraison des déchets radioactifs, n’ont pas été prises en compte par l’exécutif argovien
[51].
L’
initiative
cantonale «Berne sans atome» a abouti avec 15 390 signatures valables. Soutenue par l’alliance rose-verte et les organisations antinucléaires du canton, elle réclame la fermeture définitive de la centrale nucléaire de Mühleberg (BE) d’ici à fin 2002. L’association «Berne sans atome», à l’origine de l’initiative, combat ainsi la décision du Conseil fédéral de 1998, de prolonger la concession de la centrale jusqu’en 2012. En décembre, le gouvernement bernois s’est prononcé contre cette initiative pour des motifs écologiques et de politique énergétique. D’une part, la production de Mühleberg représente 40 % de la consommation des clients des Forces motrices bernoises (FMB); d’autre part seule une faible quantité pourrait être remplacée par des énergies renouvelables d’ici à 2002. Le gouvernement a jugé inquiétant économiquement l’arrêt prématuré de la centrale, car une grosse part de l’énergie devrait être importée. En outre, les FMB seraient lésées sur le marché de l’électricité international: elles manqueraient de réserves pour environ 250 millions de francs
[52].
Le Conseil fédéral a transmis son
message concernant la
Convention commune sur la sûreté de la gestion du combustible usé et sur la sûreté de la gestion des déchets radioactifs. Cette Convention a été signée par la Suisse en 1997. Elle prolonge celle de 1994 qui visait à consolider la sécurité des centrales nucléaires civiles, mais qui excluait les déchets radioactifs. La nouvelle Convention a été élaborée sous l’égide de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) et fixe, cette fois-ci, des principes et des normes de sûreté dans la gestion des déchets radioactifs. Elle fournit également des directives s’y rapportant. Son champ d’application s’étend au combustible usé, aux déchets radioactifs et aux sources radioactives scellées retirées du service, aux mouvements transfrontières de combustible usé et de déchets radioactifs, ainsi qu’au rejet planifié et contrôlé de substances radioactives liquides et gazeuses des installations nucléaires dans l’environnement. La Suisse dispose d’ores et déjà de l’essentiel des réglementations juridiques et des structures administratives requises; seuls quelques points isolés, non encore réglés par la loi, devront être pris en compte lors de la refonte de la loi sur l’énergie nucléaire
[53].
Le parlement a adopté la Convention au cours de l’année sans discussion et à l’unanimité
[54].
[39]
FF 1999, p. 8144 ss. et 8148 ss. Voir aussi
APS 1998, p. 172. 39
[40]
LT, 28.10.99. Voir également
APS 1998, p. 174 s. 40
[41] Presse du 26.2.99. Voir également
APS 1998, p. 172 ss. 41
[42]
BO CN, 1999, p. 455 ss 42
[43]
AZ, 4.6.99;
SZ, 13.11.99. 43
[45] Presse du 30.3.99. 45
[46] Presse du 8.6.99. Voir également
APS 1998, p. 172 ss. 46
[48] Presse des 19.8, 2.9 et 14.10.99; DETEC,
communiqués de presse des 13.8 et 21.10.99;
TA, 13.12.99. 48
[49] Presse du 13.1.99. 49
[50]
LT, 6.5.99. Voir également
APS 1998, p. 174. 50
[51] DETEC,
communiqué de presse du 20.9.99;
AZ, 7.12.99. Voir également
APS 1997, p. 174. 51
[52]
NZZ, 25.6.99;
BZ, 22.12.99. Voir également,
APS 1998, p. 175. 52
[53]
FF,
1999, p. 4056 ss. Voir également,
APS 1996, p. 169. 53
[54]
BO CE, 1999, p. 949;
BO CN, 1999, p. 2502. 54
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