Année politique Suisse 2003 : Chronique générale / Politique étrangère suisse
 
Principes directeurs
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Adhésion à l’Union Européenne
Le Conseil national n’a pas donné suite à une motion de l’Union démocratique du centre (déposée en mai 2003) demandant au Conseil fédéral de retirer définitivement la demande d’adhésion de la Suisse à l’Union européenne. Se référant au rejet massif de l’initiative populaire « Oui à l’Europe » en 2001, l’UDC estimait que le signal du peuple était clair. De plus, selon la motion, le gouvernement, en maintenant la demande, se compliquait la tâche dans les négociations en cours en faisant croire à l’autre partie que le pays voulait entrer dans L’UE. Dans sa réponse défavorable à ce texte, le gouvernement a rappelé que la demande d’adhésion, déposée en mai 1992, avait été gelée après le rejet de l’Espace Economique Européen. Le Conseil fédéral a également confirmé son intention d’évaluer, au cours de la prochaine législature, la pertinence de l’ouverture de négociations d’adhésion. Quant aux prétendus préjudices causés par cette demande lors des négociations, le gouvernement n’estimait pas en avoir subi. Il a conclu en affirmant que le retrait de cette demande n’apporterait rien et qu’il ne ferait que « créer un besoin inutile d’explications à l’étranger ». Au plénum, le démocrate du centre Caspar Bader (BL) a défendu la motion en condamnant le double jeu mené par le gouvernement : d’un côté, des négociations bilatérales, de l’autre la volonté d’adhérer. Après un débat relativement court, où seuls sont intervenus des élus socialistes et démocrates du centre, ainsi que la conseillère fédérale Micheline Calmy-Rey, la motion a été rejetée par 116 voix contre 61 (dont 47 udc, 10 prd et 2 pdc) [1].
La Conférence des gouvernements cantonaux a apporté son appui à la politique européenne du Conseil fédéral, à la mi-décembre, à l’occasion d’une rencontre avec la ministre des affaires étrangères. Les cantons ont, d’une part, approuvé le deuxième cycle de négociations bilatérales, et d’autre part, soutenu l’extension de l’accord sur la libre circulation des personnes aux nouveaux membres de l’UE. Ils ont également souligné l’importance du dialogue entre les différents niveaux institutionnels, afin de légitimer aussi largement que possible les décisions [2].
Un mois plus tôt, plus de septante personnes avaient lancé un manifeste pour l’ouverture de négociations d’adhésion en 2004. Aux côtés d’anciens conseillers fédéraux (René Felber, Ruth Dreifuss), se trouvaient des personnes issues des milieux artistiques, scientifiques ou encore économiques. Le texte fustigeait la « marginalisation rampante » de la Suisse. Cette initiatives était parrainée par le Nouveau Mouvement Européen Suisse (NOMES) [3].
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Neutralité
Dans la deuxième moitié du mois de janvier, le Conseil fédéral a communiqué sa position concernant la crise irakienne. Il a répété son attachement à l’exploitation de tous les moyens pacifiques avant d’envisager l’emploi de la force. Il a par ailleurs précisé qu’aucune résolution de l’ONU n’était pour l’heure suffisante pour justifier une intervention militaire contre l’Irak. Sans un nouveau texte, le gouvernement considérerait se trouver face à un cas de conflit armé entre Etats qui impliquerait l’application du droit de la neutralité. Dans la deuxième moitié du mois de février, le Conseil fédéral a rappelé sa position concernant la crise irakienne. Il a salué la décision du Conseil de sécurité des Nations-Unies de prolonger la mission des inspecteurs en désarmement et a réitéré son souhait que tous les moyens pacifiques soient exploités avant un éventuel emploi de la force. Il a ensuite rappelé que la résolution 1441 de l’ONU ne constituerait pas une base suffisante pour légitimer une attaque au regard du droit international. Si, en cas de déclenchement d’un conflit, aucune nouvelle résolution ne devait être adoptée, le Conseil fédéral a annoncé qu’il appliquerait le droit de la neutralité. Concrètement, cela impliquerait le refus d’accorder tout droit de transit ou de survol pour des transports militaires. Des exceptions pour des vols à des fins humanitaires pourraient cependant être envisagées. Même en cas de légitimation de l’intervention par le Conseil de sécurité, le gouvernement s’est réservé le doit d’accorder ces autorisations de survol au cas par cas. Une interdiction d’entrée sur le territoire helvétique a également été prononcée contre le président irakien Saddam Hussein et ses proches (famille ou dignitaires du régime). La politique de la Suisse en matière de survol de son territoire a été précisée quelques jours après l’annonce de la position du gouvernement. Le gouvernement se devait de détailler son point de vue dans la mesure où les Etats-Unis avaient adressé à la Suisse, ainsi qu’à d’autres pays, une demande de droit de survol illimité pour les mois à venir, et pour tout type d’engin. Comme on se trouvait à l’aube d’un conflit, sans toutefois qu’il ait commencé, le droit de la neutralité n’était pas encore applicable. Le Conseil fédéral a toutefois adopté une stratégie prudente. Il a décidé de refuser le survol du territoire à certaines catégories de vols dont les missions allaient à l’encontre du principe de neutralité (principalement les transports de troupes et de matériel). Les vols humanitaires et médicaux ont été acceptés, de même que les vols de reconnaissance et de surveillance [4].
Le Conseil fédéral a estimé que le lancement de l’opération militaire contre l’Irak, dans la nuit du 19 au 20 mars, décidé sans l’autorisation explicite du Conseil de sécurité des Nation-Unies, constituait un cas d’application du droit de la neutralité. Comme on était confronté à un conflit armé entre Etats, la Suisse ne devait contribuer d’aucune manière ni aux opérations militaires, ni à l’effort de guerre. Le survol du territoire helvétique par des aéronefs participant au conflit à des fins militaires était dès lors interdit, de même que les vols de surveillance et de reconnaissance à ces mêmes fins. Les survols à objectifs humanitaires, notamment le transport des blessés, étaient autorisés. Les mesures prises en matière d’exportation de matériel de guerre, vers les pays participants à l’intervention, sont précisées au chapitre consacré à la défense nationale (partie I, 3, Armement). Dans son discours devant l’Assemblée fédérale, le président de la Confédération Pascal Couchepin a exprimé les regrets (« Le Conseil fédéral regrette… ») du collège gouvernemental quant à la transgression de la Charte des Nations-Unies par les Etats-Unis et les autres participants à cette guerre. Le terme de condamnation n’a pas été utilisé. Le conseiller fédéral a ainsi rappelé que le gouvernement irakien portait une lourde responsabilité dans le déclenchement des hostilités. Concernant le rôle du Conseil de sécurité des Nations-Unies, il a émis le souhait, au nom de la Suisse, qu’il puisse rétablir au plus vite son rôle prééminent en matière de paix et de sécurité internationale. Il a ainsi estimé qu’il n’y avait pas d’alternative au multilatéralisme. Suite à ce discours, les différents partis politiques ont eu l’occasion de s’exprimer sur le sujet. Les positions exposées reflétaient les différences classiques de sensibilité en matière de politique étrangère et de perception des Etats-Unis d’Amérique. De nombreuses manifestations contre le déclenchement de la guerre ont eu lieu dans toute la Suisse. A la fin du mois de mars, la Suisse n’a pas donné suite aux demandes du Département d’Etat américain d’expulser des diplomates irakiens en poste en Suisse et de fermer leurs représentations (à Berne et auprès des Nations-Unies à Genève). Les enquêtes menées par les autorités suisses n’avaient pas permis de confirmer la véracité des accusations formulées par les Américains [5].
Dans la première moitié du mois d’avril, le DFAE a rappelé sa position sur la situation en Irak. Il a réitéré son souhait de voir les combats cesser le plus vite possible, ainsi que son engagement en faveur du renforcement du rôle de l’ONU pour la restauration de la souveraineté de l’Irak. A la mi-avril, le Conseil fédéral a estimé, avant les Etats-Unis, que la guerre était terminée. La principale conséquence de cette décision était la levée des mesures prises dans le cadre de l’application du droit de la neutralité. Elles concernaient principalement l’interdiction de survol et transit du territoire suisse, ainsi que des limitations d’exportations de matériel de guerre. C’est principalement ce dernier point qui semble avoir précipité cette annonce. Une prolongation des restrictions aurait en effet pu remettre en question un contrat de vente de 32 avions de chasse « Tiger F5 », passé avec la marine américaine (voir infra, partie I, 3, Armement). Cette dernière version n’était toutefois pas celle donnée par le Conseil fédéral. Officiellement, il a fondé sa décision sur la réalité du terrain. Les forces armées irakiennes n’étant plus en mesure de combattre et d’opposer une résistance organisée, une annonce formelle de fin des hostilités semblait peu vraisemblable. Le PS a critiqué cette décision et dénoncé les préoccupations économiques l’ayant motivée. L’UDC a également fustigé le gouvernement en raison de la menace qu’il faisait peser sur la crédibilité de la neutralité suisse. Le PDC a manifesté un certain scepticisme et regretté que les autorités donnent l’impression de capituler face à une grande puissance. Seul le PRD a manifesté une certaine compréhension pour la décision. Le Conseil fédéral a également débloqué un crédit supplémentaire de 20 millions de francs pour les activités humanitaires (CICR, aide directe de la Suisse et contributions à des organisations humanitaires) sur place [6].
Au début du mois d’avril, la conseillère fédérale Micheline Calmy-Rey a dû renoncer à son projet de liste des victimes civiles du conflit en Irak, lancé deux jours plus tôt. Son département a annoncé que des obstacles d’ordre méthodologique, principalement liés au manque de fiabilité des sources d’information à disposition, ne permettaient pas de poursuivre ce projet. Le DFAE avait envisagé d’actualiser régulièrement cette liste afin de sensibiliser le public aux souffrances de la population civile irakienne dans les zones de conflit. Le département a annoncé son soutien à la mise sur pied d’un centre d’information consacré à la région du Moyen-Orient. Il sera chargé de réunir des informations aussi objectives que possible sur la situation des populations civiles, et de les mettre à la disposition des médias et des organisations humanitaires. L’objectif était de sensibiliser l’opinion publique au sort de la population civile. Son idée, émise dans un entretien paru dans la presse dominicale, n’avait pas été préalablement soumise à l’approbation du Conseil fédéral. Ce procédé n’a pas manqué de créer une certaine irritation au sein du collège gouvernemental. Son parti l’avait soutenue, tout en soulignant les difficultés de réalisation. L’UDC estimait qu’une telle liste n’était pas compatible avec la neutralité. Les radicaux et les démocrates-chrétiens ont également critiqué la démarche de la nouvelle ministre [7].
Le DFAE a annoncé, le 17 mars 2003, le départ du personnel suisse (deux personnes) du bureau de liaison de la Suisse à Bagdad. Les conditions de sécurité insuffisantes, conséquence directe de l’imminence du conflit, ont motivé cette décision. Le personnel a été évacué vers Amman (Jordanie). La reprise des activités de ce bureau a été annoncée au début du mois de mai, après la chute du régime irakien. Sa direction a été confiée à un diplomate spécialiste du monde arabe, auquel ont été associés un coordinateur pour l’aide humanitaire, deux autres collaborateurs suisses ainsi que du personnel local [8].
Début février, la nouvelle ministre des affaires étrangères a émis l’idée d’organiser une grande conférence humanitaire sur le thème de l’Irak pour la fin du mois. Il ne s’agissait pas d’une offre de médiation de la dernière chance. De plus, cette réunion ne devait pas se dérouler à un niveau ministériel, mais réunir des hauts fonctionnaires. Les conséquences humanitaires et les interventions possibles sur place, en cas de conflit armé, devaient y être discutées. Les pays invités à cette rencontre seraient ceux touchés, directement ou indirectement, par une éventuelle guerre : l’Irak et ses voisins, les Etats-Unis, la Grande–Bretagne et de nombreux membres de l’UE. Les organisations internationales concernées allaient aussi être conviée (HCR et autres agences de l’ONU, CICR…). La ministre des affaires étrangères a informé les parlementaires à l’occasion d’une séance commune des Commissions de politique extérieure des deux conseils. Elle n’avait informé ses collègues du gouvernement qu’après la conférence de presse consécutive à son audition par les commissions parlementaires. Au moment de l’annonce à la presse, aucun pays ou organisation concernés n’avaient été contactés. Cela n’a pas manqué de susciter le scepticisme de nombreux observateurs. Il lui a notamment été reproché de faire primer l’effet d’annonce sur l’efficacité diplomatique. Les méthodes utilisées par la conseillère fédérale pour donner une certaine visibilité à la politique étrangère suisse ont fait l’objet de nombreuses critiques. La DDC a été chargée de l’organisation de la conférence humanitaire. Les pays et les organisations concernés se sont déclarés intéressés sur le principe, tout en attendant une invitation officielle pour se prononcer définitivement. Ces invitations ont été envoyées quelques jours après l’annonce de l’organisation de cette réunion. Elles étaient adressées à une trentaine d’Etats (dont les membres permanents du Conseil de sécurité et les voisins de l’Irak) et aux grandes agences humanitaires. Les autorités suisses ont annoncé que l’Irak ne participerait finalement pas à cette réunion. Elles ont justifié cette absence par la nature technique de la conférence (échanges d’informations, coordination international) et la nécessité de ne pas lui donner un contour politique et ainsi la transformer en plate-forme contre la guerre. La ministre des affaires étrangères avait cependant explicitement mentionné l’Irak comme invité potentiel. De nombreux observateurs ont fait état de pressions exercées par certains pays, dont les Etats-Unis, pour empêcher la participation de l’Irak. Les Etats-Unis ont annoncé leur absence de la conférence et leur intention de collaborer avant tout au niveau de l’ONU. La première conférence a eu lieu, à huis clos, à la mi-février. Au terme de la rencontre, le directeur de la DDC, Walter Fust, a estimé que les objectifs avaient été atteints. Les Etats-Unis ont été le seul pays à avoir décliné l’invitation. Ce sont ainsi environ 150 experts, 21 agences humanitaires et 29 gouvernements qui ont participé à cette rencontre humanitaire sur l’Irak. La conseillère fédérale n’avait assisté qu’à l’ouverture des débats pour ensuite s’éclipser, estimant qu’il était essentiel de ne pas donner de contour politique à la réunion. Au-delà de la satisfaction officielle d’usage, les commentateurs ont estimé qu’il était difficile d’en tirer un bilan précis et que peu de résultats concrets avaient été présenté lors de la conférence de presse finale. De plus, un pays comme la France a d’emblée annoncé sa présence comme observateur, ne voulant ainsi pas donner l’impression de ne plus croire à une autre issue que la guerre. Quelques intervenants ont également déploré le fait d’avoir été invités en dernière minute. Les échanges se sont déroulés à relativement bas niveau, dans la mesure ou un seul ministre (le ministre jordanien du plan) a participé aux discussions. Au final, cette première réunion a plus permis des échanges d’opinion que la prise de décisions concrètes. Aucun des acteurs n’avait l’intention de multiplier les mécanismes de coordination. Outre l’accélération de la construction d’un camp de réfugiés en Jordanie, la rencontre a permis la création de groupes de travail. Une deuxième réunion humanitaire, en présence des Américains, s’est tenue au début du mois d’avril. Le thème central a été la création de corridors permettant aux organisations internationales d’avoir accès aux victimes du conflit irakien. Ni la ministre des affaires étrangère, ni le directeur de la DDC n’ont assisté à cette deuxième réunion. Elle a principalement servi de plate-forme de dialogue mais aucune décision n’y a été prise [9].
C’est suite à l’approbation de la Résolution 1483, par le Conseil de sécurité des Nations-Unies, que la plupart des mesures d’embargo appliquées depuis 1990 ont été levées. Il s’agit des interdictions de commerce, de transferts de fonds à destination de l’Irak et de restrictions au niveau du trafic aérien. L’interdiction des livraisons de biens d’armement n’a pas été levée et de nouvelles dispositions ont été introduites en matière de commerce des biens culturels [10].
 
[1] BO CN, 2003, p. 2027 ss. Voir également APS 1992, p. 62 ss. (dépôt de la demande) et 2001, p. 53 s. (initiative « Oui à l’Europe »).
[2] Presse du 12.12.03.
[3] Presse du 26.11.03.
[4] BO CN, 2003, p. 531 ss. (déclaration du CF et des parlementaires concernant la crise en Irak); communiqués de presse du DFAE des 22.1 et 19.2.03 (positions du CF); presse des 20 et 22.2.03.
[5] Communiqués de presse du DFAE et du DFE du 20.3.04; presse des 20, 21, 22.3.03; presse du 27.3.03 (refus d’expulser les diplomates irakiens). Pour les manifestations, voir supra, parti I, 1b (Politische Manifestationen).
[6] Communiqué de presse du 10.4.03; presse du 17.4.03.
[7] Communiqué de presse du DFAE du 1.4.03 (abandon du projet de liste); presse des 1 et 2.04.03.
[8] Communiqué de presse du DFAE du 17.3.03 (fermeture du bureau de liaison) et 5.5.03 (reprise des activités); presse du 6.5.03.
[9] Presse du 4, 5, 7, 8, et 17.2.03; LT, 24.3.03 (annonce de l’organisation d’une rencontre de suivi); LT, 11.2.03 (désistement du commissaire européen); LT, 24.3, 26.3, 28.3, 29.3.03 et presse du 3.4.03 (deuxième réunion humanitaire); LT, 11.4.03.
[10] Communiqué de presse du DFE du 30.5.03.