Année politique Suisse 2004 : Infrastructure, aménagement, environnement / Energie
Politique énergétique
Dans un rapport commun, les autorités de surveillance italienne et française ont conclu que la
Suisse était
responsable du black-out qui avait plongé l’Italie dans le noir le 28 septembre 2003. Selon elles, les gestionnaires du réseau suisse ont adopté des mesures inadéquates, suite à la coupure accidentelle de la ligne à haute tension du Lukmanier. Ces dernières ont conduit à la perte d’une autre ligne acheminant de l’électricité en Italie, celle du San Bernardino. Pour les autorités de surveillance italienne et française, l’attitude des responsables du réseau suisse n’a pas été conforme aux règles de l’Union européenne pour la coordination du transport de l’électricité. Elles plaident pour l’adoption par la Suisse des normes européennes
[1].
Toujours dans le cadre du black-out italien, l’Inspection fédérale des installations à courant fort (IFICF) a vérifié un millier de portées (longueurs de conducteur entre deux mâts). Dans son rapport d’enquête, elle constate que la distance au sol respecte partout les prescriptions légales minimales. Aucun cas de distance trop courte entre le conducteur et le sol n’a été observé. Au cours des douze mois écoulés depuis la panne, les exploitants du réseau suisse de transport du courant ont
mis en œuvre une partie des recommandations issues des enquêtes. Des capacités supplémentaires ont par exemple été créées avec le système de surveillance PSGuard pour l’échange d’informations en temps réel entre la Suisse et l’Italie. De même, le personnel d’exploitation a été formé en conséquence, les effectifs ont été augmentés, et des installations de mesures et de protection supplémentaires ont été mises en place. Répondant à une demande de l’UE, les sept plus grands distributeurs d’électricité en Suisse ont annoncé la création de la
société nationale autonome de gestion du transport de l’électricité Swissgrid au 1er janvier 2005. Celle-ci doit permettre de sécuriser le transport international de courant. Saisi du dossier, la Comco a bloqué le processus en décembre, afin de mener une enquête sur la concurrence. La Commission a conclu qu’une telle concentration de distributeurs pourrait « créer ou renforcer une position dominante sur le marché du transport de courant à haute tension dans certaines régions ». Le nord-ouest de la Suisse, Zurich, la Suisse orientale, ainsi que la région du lac de Zoug et du Gothard, sont concernés. La Comco jugeait que les petits distributeurs d’électricité pourraient être empêchés de choisir librement leur fournisseur. De plus, réunies au sein de Swissgrid, il y avait risque que les sociétés s’entendent sur les prix de distribution du courant
[2].
Après les avoir mises en consultation, le Conseil fédéral a approuvé l’essentiel des dispositions contenues dans la modification de l’ordonnance sur l’énergie (OEne). Celles-ci entreront en vigueur au 1er janvier 2005. A partir de 2006, les consommateurs trouveront sur leur facture d’électricité, outre leur consommation et le prix, la
nature (quotes-parts des agents énergétiques tels que l’hydraulique, le nucléaire…) et
l’origine (production nationale ou étrangère)
du courant utilisé. Malgré les critiques de la droite, le gouvernement a décidé d’introduire le marquage sans attendre la loi sur la libéralisation du marché de l’électricité. Par un accroissement de la transparence, les autorités veulent protéger et informer clairement les consommateurs, de même que compléter les efforts de marketing fournis en matière de « courant vert » par certains fournisseurs. Les consommateurs disposeront ainsi d’un outil de décision leur facilitant le choix d’un produit énergétique en particulier. La nouvelle ordonnance confère également un caractère officiel aux certificats d’origine délivrés en Suisse à l’électricité issue d’énergie renouvelables. Elle prévoit par ailleurs un nouveau mécanisme financier
[3] afin que le surcoût lié à la production d’énergie renouvelable soit désormais réparti de manière égale entre tous les consommateurs finaux
[4].
Les Entreprises électriques fribourgeoises ont fait machine arrière et ont retiré leur demande auprès des autorités fédérales visant à « abuser » de leur position dominante jusqu’à l’ouverture du marché de l’électricité
[5].
Mise sous pression par le Conseil national (voir infra) et chargée par le Conseil fédéral de l’organisation du secteur de l’électricité (OSEL), la commission d’experts Schaer a remis son projet de loi au mois de juin. A peine remanié, mais intégrant les principales conclusions des causes du black-out en Italie en 2003, le DETEC l’a mis en consultation au mois de juillet auprès des divers acteurs concernés. Malgré l’absence de consensus sur le rythme de l’ouverture, le Conseil fédéral a adopté en décembre le message relatif à la modification de la
loi sur les installations électriques (LIE) et à la loi fédérale sur l’approvisionnement en électricité (LApEI). La révision de la LIE crée une solution transitoire permettant de réglementer rapidement les échanges transfrontaliers d’électricité, afin de garantir l’approvisionnement et le rôle de plaque tournante de la Suisse en Europe. Répondant aux attentes européennes, les nouvelles dispositions légales sont conformes aux prescriptions en vigueur dans l’UE depuis le 1er juillet 2004. Elles prévoient un gestionnaire indépendant du réseau de transport (voir supra), une commission de l’électricité qui fera office d’autorité de régulation ainsi que l’accès au réseau de transport et la gestion des problèmes de congestion. Cette proposition a été très bien accueillie lors de la consultation. Parallèlement, le Conseil fédéral souhaite négocier avec l’UE une convention reconnaissant l’eurocompatibilité des dispositions juridiques suisses
[6].
La sécurité de l’approvisionnement et le service public ont été mis au centre de la LApEI. Les cantons et les fournisseurs devront garantir l’accès au réseau. Tenant compte du résultat de la votation sur la loi sur le marché de l’électricité, les autorités fédérales ont proposé un rythme de libéralisation plus lent, impliquant une
ouverture en deux étapes. Dans un premier temps – et en correction du projet mis en consultation
[7] –, tous les consommateurs industriels et les entreprises pourront choisir librement leur fournisseur dès 2007. La seconde étape interviendra en 2012, après l’entrée en vigueur de la LApEI et fera l’objet d’un arrêté de l’Assemblée fédérale sujet au référendum facultatif. Les ménages pourront dès lors également choisir librement leurs fournisseurs ; soit ils conservent leurs fournisseurs habituels, qui devront garantir l’approvisionnement, soit ils optent librement pour un autre fournisseur. Lors de la consultation, l’ouverture du marché proposée par les autorités fédérales avait fait l’unanimité contre lui. Pour le PS et les syndicats, l’ouverture était trop rapide et allait dans le sens d’une libéralisation totale. A l’opposé, le PRD et le PDC plaidaient pour une libéralisation la plus rapide possible. Les démocrates chrétiens proposaient en outre de renoncer au référendum facultatif pour la seconde étape. L’UDC, l’USAM et economiesuisse exigeaient une ouverture du marché d’ici à 2007 pour tous les clients commerciaux
[8].
Dans le message sur la LIE et la LApEI, le Conseil fédéral propose également de fixer des objectifs en vue de maintenir la production d’électricité à partir de l’énergie hydraulique et d’accroître la production à partir
d’autres énergies renouvelables. Ces objectifs doivent être essentiellement atteints par des mesures librement consenties par l’industrie. Le Conseil fédéral en prévoit d’autres au cas où les objectifs ne sont pas atteints à moyen terme, notamment l’introduction de quotas et une augmentation de la rétribution du courant injecté en vue de promouvoir les énergies renouvelables
[9].
Au cours des mois de février et mars, les travaux des experts de l’OSEL se sont faits prendre à parti par la Commission de l’électricité du Conseil national, qui les jugeait insatisfaisants et trop lents. Suivant le point de vue de sa commission, le Conseil national a accepté une initiative parlementaire Speck (udc, AG) et une motion Schweiger (prd, ZG). Le premier texte demandait à ce que les dispositions de la loi sur le marché de l’électricité (LME) non contestées soient reprises dans une nouvelle loi. Le second texte exigeait quant à lui que les autorités fédérales mettent les bouchées doubles pour rédiger la nouvelle loi. L’adoption de ces objets n’a toutefois pas
entraîné la création d’une sous-commission par la Commission de l’énergie pour l’élaboration d’une nouvelle LME. En effet, avec le mandat qui avait été confié par le Conseil fédéral au groupe d’experts Schaer, elle était jugée superflue. Néanmoins, dans son message, le Conseil fédéral a tenu compte des points cités plus hauts, ainsi que ceux d’une sous-commission instituée par la Commission de l’environnement, de l’aménagement du territoire et de l’énergie du Conseil national, qui avait élaboré ses propres valeurs de référence en vue d’un projet de loi
[10].
Le Conseil fédéral a approuvé la modification de l’ordonnance sur l’énergie (OEne). Cette dernière introduit au 1er janvier 2005 de
nouvelles classes d’efficacité (A+ et A++) en relation avec « l’étiquette énergie » des réfrigérateurs, congélateurs et autres appareils électriques combinés. Les classes se basent sur une adaptation du droit européen correspondant. Elles permettront de distinguer les meilleurs appareils. Le calcul de la consommation normale des appareils réfrigérants étiquetés sera également adapté
[11].
La
consommation finale d’électricité s’est élevée à
56,2 milliards de kWh en 2004, soit une hausse de 1,1 milliard de kWh (+1,9%) par rapport à l’année précédente. Ce chiffre constitue un nouveau record. Alors que durant le troisième trimestre, la consommation finale a augmenté de 1,3%, elle a progressé entre 1,9% et 2,2% durant les autres trimestres. Selon l’OFEN, la forte consommation d’électricité est due à l’évolution conjoncturelle et à la croissance démographique. L’OFEN note en outre que 2004 était une année bissextile, le jour supplémentaire entraînant une croissance de la consommation d’électricité de 0,3%. En revanche, le nombre des degrés-jours de chauffage a connu un recul de 0,5% par rapport à 2003. La production d’électricité des centrales suisses a reculé de 2,7%, passant à 63,5 milliards de kWh. Les centrales hydrauliques, qui ont connu des conditions d’exploitation moyennes, ont produit 3,6% d’électricité de moins qu’en 2003. Les centrales au fil de l’eau (+4,2%) ont compensé partiellement la baisse de production des installations à accumulation (-9,4%). La disponibilité élevée des cinq centrales nucléaires suisses, utilisées à 90,2% de leurs capacités, a permis d’atteindre une production de 25,4 milliards de kWh. Globalement, l’apport à la production d’électricité a été de 55,3% pour les centrales hydroélectriques, de 40,0% pour les centrales nucléaires et de 4,7% pour les centrales thermiques conventionnelles et les autres installations. En 2004, la production nationale a excédé les besoins (consommation nationale) pendant six mois. Avec des importations de 37,7 milliards de kWh et des exportations de 38,4 milliards de kWh,
l’excédent des exportations a été de
0,7 milliard de kWh. Aux premier et quatrième trimestres 2004, il a fallu importer 3,0 milliards de kWh net. Aux deuxième et troisième trimestres, l’excédent d’exportations s’est établi à 3,7 milliards de kWh. Pour la première fois depuis l’année hydrologique 1971/1972 (du 1.10 au 30.9 de l’année suivante), l’année hydrologique 2003/2004 a connu un excédent des importations
[12].
[1] Presse du 24.4.04; voir
APS 2003, p. 146 s. Pour la réaction de la Suisse, voir infra, Ouverture du marché.
[2]
24h, 1.5.04;
LT, 5.5.04 (Swissgrid);
presse du 24.9 (PSGuard) et 24.12.04 (Comco); DETEC,
communiqué de presse, 23.9.04 (IFICF et capacités).
[3] La loi sur l’énergie impose aux entreprises d’approvisionnement en électricité (EAE) de reprendre aux producteurs indépendants l’électricité produite à partir des énergies renouvelables. Les EAE subissent ainsi un surcoût correspondant à la différence entre le prix de reprise garanti (soit en moyenne 15 centimes par kilowattheure) et le prix pratiqué sur le marché. Jusqu’à présent, les consommateurs finaux en Suisse assument une part de ce surcoût qui s’élève en moyenne à 0,05 centime par kilowattheure. Dans les régions où la quantité d’électricité injectée par les producteurs indépendants (surtout de petites centrales hydrauliques) est particulièrement importante, le système en vigueur met les EAE et les consommateurs finaux plus fortement à contribution qu’ailleurs.
[4] Presse du 17.6 (consultation) et 11.11.04 (modification); DETEC,
communiqué de presse, 16.6 et 10.11.04.
[5]
Lib., 18.2.04; voir
APS 2003, p. 148 s.
[6]
FF, 2005, p. 1493 ss.; presse du 30.1 (experts) et 6.7.04 (mise en consultation);
LT, 2.6.04 (travail des experts); DETEC,
communiqué de presse, 29.1, 5.7 et 3.12.04; voir également
APS 2003, p. 147 ss.
[7] Le projet mis en consultation en juin prévoyait d’ouvrir la première étape uniquement aux consommateurs industriels et aux entreprises consommant plus de 100 000 kWh par année.
[8]
FF, 2005, p. 1493 ss.; presse du 1.10.04 (acteurs consultés).
[9]
FF, 2005, p. 1493 ss.
[10]
BO CN, 2004, p. 445 ss. et 462 ss.;
LT, 25.2 et 10.5.04;
Express, 19.3.04;
CdT, 20.3.04; DETEC,
communiqué de presse, 3.12.04.
[11]
Lib., 11.11.04; DETEC,
communiqué de presse, 16.6 et 10.11.04.
[12] OFEN,
communiqué de presse, 14.4.05; pour les chiffres de 2003 voir
APS
2003, p. 149 s.
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