Année politique Suisse 2004 : Infrastructure, aménagement, environnement / Energie
Energie nucléaire
Le représentant permanent de la Suisse auprès de l’OCDE a signé les protocoles portant modification des
conventions de Paris et de Bruxelles [13]. La Suisse pourra désormais envisager leur ratification, car les conventions révisées autorisent explicitement un Etat partie à instituer ou maintenir, dans son droit national, la responsabilité illimitée de l’exploitant. Les conventions révisées garantissent une couverture des dommages nucléaires d’un minimum de 1,5 milliards d’euros. En cas d’accident nucléaire dans un Etat partie et ayant des conséquences dommageables en Suisse, la ratification desdites conventions permettrait d’assurer aux ressortissants suisses lésés l’égalité de traitement avec les lésés étrangers
[14].
Le Conseil fédéral a approuvé l’ordonnance sur l’application de garanties et a chargé le DFAE de procéder, auprès de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), à sa notification. Celle-ci comprend l’accord sur les garanties et le protocole additionnel
[15]. Les autorités fédérales ont ainsi établi la base juridique nécessaire à la ratification du protocole additionnel entre la Suisse et l’AIEA. Juridiquement,
l’ordonnance sur l’application de garanties s’appuie sur la nouvelle loi sur l’énergie nucléaire, sur la loi sur le contrôle des biens et sur la loi sur la radioprotection
[16].
Comblant les lacunes de la Loi sur l’énergie nucléaire (LENu), le Conseil fédéral a mis en consultation au mois de mai
l’Ordonnance sur l’énergie nucléaire (OENu). De nature technique, le texte concerne les exigences en matière de sécurité nucléaire. Il précise les mesures de protection à prendre contre le sabotage, le vol et la dissémination de technologie atomique. L’ordonnance spécifie aussi les mesures à prendre en cas de désaffectation et introduit une nouvelle classification en trois catégories en matière de déchets : fortement radioactifs, alphatoxiques, faiblement et moyennement radioactifs. L’OENu introduit également l’obligation d’une autorisation pour le transport de déchets radioactifs en Suisse
[17]. Réagissant au texte, les organisations environnementales, les Verts et le PS ont critiqué le manque de dispositions précises et sévères pour la mise hors service d’une centrale. Le Parti écologiste a également estimé que l’ordonnance ouvrait la voie à la construction de nouvelles centrales nucléaire au lieu de résoudre les problèmes de sécurité et d’entreposage des déchets. A l’opposé, les organisations swissnuclear et swisselectric, regroupant des exploitants des centrales nucléaires et des entreprises électriques, mettaient en exergue les dispositions de mise hors service, qui pourraient entraîner, à leurs yeux, un abandon prématuré de certaines centrales nucléaires. Ils jugeaient aussi que le projet mis en consultation compliquait l’exploitation des centrales et augmentait les coûts
[18].
Le Conseil fédéral a tenu compte des critiques et les a intégrées dans le texte de l’ordonnance, tout en conservant l’essentiel des dispositions du projet mis en consultation. Il a adopté l’OENu, qui
entrera en vigueur le 1er février 2005, en même temps que la nouvelle LENu. Parmi les principales conséquences de la consultation, la disposition concernant le rééquipement des centrales nucléaires existantes a été assortie d’un renvoi à l’obligation de rééquipement figurant dans la LENu. L’OENu établit ainsi que les prescriptions de sécurité définies dans la loi s’appliquent également aux centrales nucléaires. Les critères de mise hors service temporaire et de rééquipement des centrales nucléaires ont été complétés par le critère d’intégrité de l’enceinte de sécurité du réacteur. Par contre, le critère de fréquence des dommages au cœur a été supprimé
[19].
Fort du rejet par le peuple des deux initiatives antinucléaires, les groupes électriques Atel, Axpo et FMB BKW ont annoncé leur volonté de réactiver l’option nucléaire en
construisant une nouvelle centrale en Suisse. Ils justifient cette nécessité par une constante augmentation de la consommation d’électricité en Suisse, alors que, d’ici à l’an 2020, la centrale de Mühleberg et les deux blocs de Beznau devront être arrêtés pour raison d’âge. Ces centrales produisant 13% de l’électricité utilisée dans le pays, les trois groupes électriques craignent un risque de pénurie électrique et une augmentation des importations. A ce propos, un groupe de travail a été créé par Axpo pour réfléchir à l’après-Beznau. A l’OFEN, un groupe d’étude a également été constitué avec un partenariat industriel, à l’enseigne de « Perspectives énergétiques ». Trois options sont à l’étude : la réduction de la demande grâce à des économies d’énergie, le remplacement des centrales nucléaires par d’autres moyens de production et le renouvellement des centrales nucléaires actuelles par des réacteurs de nouvelle génération. La droite est venue apporter son soutien aux groupes électriques, alors qu’à l’inverse les socialistes et les écologistes, ainsi que les organisations de protection de l’environnement ont critiqué cette option, lui préférant un investissement massif dans le développement d’énergies renouvelables. Le débat s’est aussi invité sur la scène politique bernoise. Le Grand Conseil bernois a désavoué la politique énergétique du gouvernement en décidant de renvoyer le rapport sur la stratégie énergétique du canton de Berne. Dans ce dernier, le Conseil d’Etat refuse, pour des raisons économiques et écologiques, la construction d’une nouvelle centrale nucléaire. L’exécutif bernois devra donc représenter un document qui n’écarte pas l’option de l’atome. Interpellé par la revendication des producteurs d’électricité, Moritz Leuenberger a indiqué qu’il était illégitime de penser à construire une nouvelle centrale, tant que la question des scories nucléaires n’était pas réglée. De plus, le conseiller fédéral donnait peu de chance de succès en cas de tenue du référendum obligatoire
[20].
Malgré les oppositions de Greenpeace, des autorités de Waldshut (D), du Land du Voralberg (A) et du gouvernement autrichien, le Conseil fédéral a accepté la demande la Nordostschweizerische Kraftwerke AG (NOK) visant à
supprimer la limite de la durée d’exploitation de la centrale nucléaire de Beznau II [21]. Sa décision se fonde sur l’expertise de la DSN et de la Commission fédérale pour la sécurité des installations nucléaires (CSA). Néanmoins, si la centrale ne répond pas ou plus aux conditions d’autorisation d’exploiter, elle peut à tout moment être arrêtée ou se voir retirer son autorisation pour des raisons de sécurité. Les critères de mise hors service ressortent de la nouvelle ordonnance sur l’énergie nucléaire (voir supra)
[22].
Afin de prévenir un manque de place, la société Kernkraftwerk Gösgen-Däniken AG a déposé une demande de construction et d’exploitation d’une
installation intermédiaire d’entreposage en piscine pour combustible usé d’une capacité de 1008 éléments combustibles usés. Celle-ci complétera le dépôt existant d’une capacité de 650 éléments combustibles usés
[23]. Le Conseil fédéral a octroyé à la centrale de
Gösgen ladite autorisation. Il s’est appuyé sur les avis de la DSN et la CSA pour juger que l’exploitation de la nouvelle installation d’entreposage était sans danger
[24].
Aucune opposition n’ayant été formulée lors de la consultation, le Conseil fédéral s’est prononcé en faveur de la demande déposée par la Société nationale pour l’encouragement de la technique atomique industrielle (SNA) en vue de
déclasser la parcelle 925 [25] sur le territoire de la commune de
Lucens (VD). Se basant sur l’expertise de la DSN, le Conseil fédéral est parvenu à la conclusion que les travaux de désaffectation nécessaires ont été réalisés et que les valeurs mesurées de rayonnement radioactif correspondent au rayonnement naturel
[26].
La centrale nucléaire de
Leibstadt (AG) a obtenu l’autorisation du Conseil fédéral de pouvoir prélever et
déverser de l’eau de refroidissement. Les autorités fédérales se sont basées sur la prise de position de l’OFEFP. Celle-ci conclut que le volume d’eau déversé est négligeable par rapport au débit du Rhin et ne représente aucune menace pour les poissons et le reste de la faune du fleuve. Etant presque échue, le gouvernement du canton d’Argovie a également délivré une nouvelle concession de captage des eaux à la centrale de Leibstadt
[27].
Moritz Leuenberger a demandé à la Société coopérative nationale pour l’entreposage des déchets radioactifs (Nagra)
d’examiner des alternatives au site de Benken, dans le Weinland zurichois. Après y avoir effectué plusieurs forages et fait la démonstration de la faisabilité de l’évacuation pour les argiles à opalinus, les travaux du Nagra laissaient croire que le choix était déjà tacitement arrêté. Or, le choix du site ne devrait pas être pris avant 2010. Dans cette perspective, le DETEC estime nécessaire de comparer d’autres régions potentielles. De plus, les autorités fédérales ne veulent pas répéter l’échec du dépôt unique du Wellenberg (NW). Dans l’intervalle, le Conseil fédéral attend que les autorités de sûreté aient fini d’examiner la démonstration de la faisabilité d’évacuation, ainsi que la procédure publique de dépôt, pour pouvoir décider si le choix de l’emplacement requiert des recherches dans les différentes couches rocheuses ou s’il convient de se concentrer sur des régions recelant des argiles à opalinus. A partir de ces résultats, l’OFEN mettra sur pied les bases d’une procédure de sélection des dépôts géologiques en profondeur. Celle-ci sera codifiée dans le cadre d’un plan sectoriel selon la loi sur l’aménagement du territoire. D’autres services fédéraux, les cantons et les autorités compétentes en Allemagne seront associés à l’établissement de ce plan sectoriel. Répondant à un postulat de Hans-Jürg Fehr (ps, SH), le Conseil fédéral a de nouveau précisé que, bien que le Nagra donne l’impression de se limiter au Benken, ordre lui avait été donné de comparer plusieurs sites et plusieurs types de roches susceptibles d’accueillir le dépôt de déchets radioactifs
[28].
Mandaté par l’OFEN dans un but d’obtenir une
évaluation internationale indépendante, un groupe d’experts de l’OCDE a vérifié l’analyse des risques de la Nagra pour le dépôt de déchets radioactifs au Benken. Ils ont conclu qu’elle correspond aux standards internationaux. Le rapport ne porte toutefois pas sur la faisabilité du projet
[29].
Le Conseil fédéral a donné suite à la demande de l’Institut Paul Scherrer (IPS) de pouvoir
entreposer d’autres types de colis et à ce que les limites d’activité soient supprimées dans le dépôt intermédiaire fédéral pour déchets radioactifs (BZL). Il s’est basé sur l’expertise de la DSN et de la CSN, qui concluait que les obligations prévues permettaient de garantir une exploitation sûre du BZL
[30].
[13] La Suisse a déjà signé ces conventions, mais n’a pas pu les ratifier, car elles instituaient jusqu’alors, le principe de la responsabilité limitée de l’exploitant d’une centrale nucléaire en cas d’accident, alors que le droit suisse institue la responsabilité illimitée du dit exploitant.
[14] DETEC,
communiqué de presse, 28.1.04.
[15] Les infractions commises par l’Irak contre le traité de non-prolifération ont amené les Etats membres de l’AIEA à renforcer le système de garanties au moyen d’un protocole additionnel. En vertu de ce dernier, les contrôles de l’AIEA peuvent porter non seulement sur les stocks de matières nucléaires d’un pays, mais encore sur d’autres activités dans ce domaine, avec possibilité de prélever des échantillons dans l’environnement aux fins d’analyses. En outre, la Suisse devra désormais annoncer périodiquement à l’AIEA la production et l’exportation de certains biens d’équipement pour installations nucléaires. L’agence reçoit le droit d’inspecter les entreprises industrielles fabriquant de tels biens.
[16] DETEC,
communiqué de presse, 18.8.04.
[17]
LT, 13.5.04 (mise en consultation); DETEC,
communiqué de presse, 12.5.04.
[18] Presse du 13.8 et 14.8.04 (avis). Voir
APS 2003, p. 150 s.
[19] Etant donné l’évolution scientifique des principes de calcul, le CF estime qu’il n’est pas approprié d’inscrire une valeur fixe dans l’OENu.
LT, 11.12.04; DETEC,
communiqué de presse, 10.12.04.
[20]
LT, 19.4 (groupes énergétiques), 15.11 (partis) et 17.11.04 (Berne);
Lib., 1.5.04 (groupes énergétiques);
CdT, 27.12.04 (Leuenberger). Voir également
APS 2003, p. 150 s.
[21] Les autorisations d’exploiter des centrales nucléaires de Beznau II et Mühleberg étaient limitées dans le temps depuis le départ. En revanche, les centrales de Beznau I, Gösgen et Leibstadt ont des autorisations d’exploiter illimitées dans le temps.
[22] Presse du 20.4.04;
24h, 17.7.04 (oppositions);
LT, 4.12.04; DETEC,
communiqué de presse, 3.12.04.
[23] Avec la nouvelle loi sur l’énergie nucléaire, les assemblages combustibles usés ne peuvent pas être exportés en vue de leur retraitement pendant une période de dix ans à compter du 1er juillet 2006. Sans le retraitement et sans la nouvelle installation, la société de Gösgen estime que la capacité du dépôt existant suffira jusqu’en 2008.
[24] DETEC,
communiqué de presse, 30.6.04.
[25] Suite à un accident en 1969, la centrale nucléaire expérimentale de Lucens avait dû être arrêtée. Une fois les travaux de désaffectation terminés, le CF avait décidé de déclasser une partie du site de l’ancienne installation. En revanche, il avait retenu que la parcelle 925, sur laquelle étaient encore entreposés des conteneurs renfermant divers déchets radioactifs, restait une installation nucléaire.
[26]
FF, 2004, p. 6757; presse du 20.4.04;
LT, 26.5.04; DETEC,
communiqué de presse, 3.12.04. Voir
APS 1995, p. 162.
[27] DETEC,
communiqué de presse, 3.12.04.
[28]
BO CN, 2004, p. 2174; presse du 29.9.04; DETEC,
communiqué de presse, 28.9.04;
TA, 15.12.04 (postulat). Voir aussi
APS 2002, p. 135 s. (Wellenberg) et
APS 2003, p. 153 s. (Benken).
[30] DETEC,
communiqué de presse, 3.12.04. Voir
APS 2003, p. 154.
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