Année politique Suisse 2011 : Infrastructure, aménagement, environnement / Energie
Energie nucléaire
Le 14 mars, seulement trois jours après la catastrophe nucléaire de Fukushima, la Conseillère fédérale Doris Leuthard a ordonné, en tant que cheffe du Département fédéral de l’environnement, des transports, de l’énergie et de la communication (DETEC) la
suspension des dossiers de construction de nouvelles centrales nucléaires. Cette décision est intervenue à l'issue d'une réunion avec des représentants de l'Office fédéral de l'énergie (OFEN) et de l'Inspection fédérale de la sécurité nucléaire (IFSN)
[39].
Le Conseil fédéral a dans la foulée demandé au DETEC d’adapter les scénarios énergétiques établis en 2007 dans le cadre des « perspectives énergétiques 2035 » en demandant l’examen de trois options stratégiques. Le premier scénario prévoit le maintien du mix d’électricité et un éventuel remplacement anticipé des trois centrales nucléaires les plus anciennes (Beznau I et II ainsi que Mühleberg). Le deuxième scénario préconise un abandon progressif de l’énergie nucléaire. Les sites existants sont maintenus jusqu’à la fin de leur durée d’exploitation. Le troisième scénario vise un abandon anticipé. Selon cette variante, les centrales nucléaires sont mises hors service avant qu’elles n’arrivent à échéance
[40].
A l’appel de la coalition « Sortons du nucléaire », près de 20 000 personnes ont
manifesté le 22 mai
pour la sortie du nucléaire aux abords des centrales de Beznau. La Suisse n’avait plus connu un tel rassemblement en faveur de la cause antinucléaire depuis 1986
[41].
Le 25 mai, le Conseil fédéral s’est penché sur les trois scénarios énergétiques dans le cadre d’une séance spéciale. En optant pour la solution médiane, le gouvernement s’est prononcé pour
l’abandon progressif de l’énergie nucléaire. Le Conseil fédéral a mis en avant qu’au regard des lourds dégâts causés par le séisme et le tsunami à Fukushima, le peuple suisse souhaitait réduire les risques liés à l’énergie nucléaire. En outre, il a estimé que les prévisions selon lesquelles, sur le long terme, les énergies renouvelables deviendront plus concurrentielles en termes de prix face à l’énergie nucléaire, justifiaient cette décision de principe historique. Considérant que la question d’arrêter les centrales nucléaires était d’ordre technique, le Conseil fédéral n’a pas fixé de date butoire définitive. En tablant sur une durée d'exploitation de 50 ans, Beznau I devrait être découplée du réseau en 2019, Beznau II et Mühleberg en 2022, Gösgen en 2029 et Leibstadt en 2034
[42].
Lors d’une session spéciale tenue dans le cadre de la session d’été, le Conseil national a soutenu le Conseil fédéral en s’engageant sur la voie d’une sortie progressive du nucléaire. C’est l’adoption de la
motion Schmidt (pdc, VS) qui s’est avérée déterminante. Soutenu par 67 cosignataires, le texte demande qu’aucune autorisation générale ne soit accordée à la construction de centrales nucléaires ainsi que la mise à l’arrêt immédiate des centrales nucléaires ne répondant pas aux exigences de sécurité. En outre, la motion a réclamé une stratégie énergétique qui assure l’approvisionnement en électricité, tout en ne réduisant pas la dépendance énergétique envers l’étranger et des mesures encourageant l’efficacité énergétique et les énergies renouvelables. Cette motion, correspondant à la position du gouvernement, a été acceptée par 101 voix contre 54 et 36 abstentions. Les groupes des Verts, du PS et du PBD se sont prononcés à l’unanimité en faveur du texte. Récemment acquis à la cause anti-nucléaire, le PDC a – à l’exception d’une défection et de trois abstentions – fait bloc derrière la motion Schmidt. Le groupe UDC, pour sa part, s’est opposé au texte, une grande majorité n’ayant pas voulu renoncer à une énergie nucléaire bon marché. Quant aux députés libéraux-radicaux, ils se sont tous abstenus. Suite à la catastrophe nucléaire de Fukushima, le PLR a accepté la fermeture des trois centrales les plus anciennes (Beznau I et II ainsi que Mühleberg) à la fin de leur durée d’exploitation, tout en proposant de refaire le point sur les avancées technologiques en 2025. Le parti a fait valoir qu’il lui était impossible d’amender la motion Schmidt dans ce sens lors de son premier passage devant les chambres fédérales. Les libéraux-radicaux ont donc eu pour objectif de redresser la situation au Conseil des Etats
[43].
Le Conseil national a par ailleurs adopté deux motions ayant le même but que la motion Schmidt. Un texte émanant du PBD a obtenu une majorité de 108 voix contre 76. Celui-ci exige l’arrêt des autorisations de construction d’installations nucléaires à partir de 2012. C’est par 108 voix contre 76 que la chambre du peuple a accepté le premier point d’une motion des Verts demandant au Conseil fédéral de présenter un scénario de sortie progressive du nucléaire
[44].
Ayant reçu l’aval au Conseil national,
les trois motions visant une sortie progressive de l’énergie nucléaire ont été reformulées de manière identique par le Conseil des Etats en automne. Se basant sur la motion Schmidt, les sénateurs ont ajouté la poursuite de la recherche nucléaire ainsi que l’exigence que le Conseil fédéral rende régulièrement compte des avancées dans ce domaine. Ces amendements ont permis d’aboutir à des majorités confortables au sein de la chambre des cantons lors de la séance spéciale de fin septembre. Dans un premier temps, la commission de l'environnement, de l'aménagement du territoire et de l'énergie (CEATE-CE) a souhaité limiter la sortie de l’énergie nucléaire aux centrales de la génération actuelle, laissant ainsi la porte ouverte à des réacteurs dotés d’une nouvelle technologie. Mais face à l’impossibilité de s’entendre sur cet ajout, la commission a fini par y renoncer. En raison de leur rôle charnière, les sénateurs démocrates-chrétiens ont fait l’objet de nombreuses sollicitations, mais en privilégiant une sortie du nucléaire sans concession, ils se sont finalement tenus à la consigne du parti. Sous peine de mettre en échec la sortie progressive de l’énergie nucléaire, le Conseil national a adopté en décembre les trois motions amendées, et donc identiques, par 125 voix contre 58, l’UDC n’ayant été soutenue que par dix libéraux-radicaux
[45].
Dans l’esprit du compromis trouvé au sein du parlement fédéral, les chambres ont adopté une motion Forster-Vannini (plr, SG) visant à garantir la poursuite de la
recherche nucléaire en Suisse
[46].
Le Conseil national a par ailleurs accepté un postulat Grin (udc, VD) chargeant le Conseil fédéral d’établir un
rapport sur l'abandon progressif de l'énergie atomique. Le texte déposé exige une étude sur les coûts de la sortie du nucléaire tant pour les entreprises que pour les ménages. De plus, il demande au gouvernement d’exposer les stratégies qu'il compte développer afin de remplacer l'énergie nucléaire par d'autres sources sur le long terme. Finalement, la motion exige l’analyse de l'évolution technologique nécessaire à une sortie du nucléaire et des coûts qui en découlent
[47].
L’Office fédéral de l’énergie a annoncé en novembre que, selon les calculs effectués par Swissnuclear,
les coûts de la phase post-exploitation des centrales nucléaires suisses et de la gestion des déchets radioactifs s’élevaient à 20,654 milliards de francs. Cette estimation tient compte des mesures à prendre dès la fin de l’exploitation (fonctionnement des systèmes de refroidissement, conditionnement des éléments combustibles dans des conteneurs de transport et de stockage), de la désaffection des cinq centrales existantes et du dépôt intermédiaire de Würenlingen (AG) ainsi que de la gestion des déchets. Par rapport à la précédente évaluation de 2006, cela représente une hausse de 10%. Les calculs actualisés ont pris en considération les expériences faites en Allemagne, où les projets de démontage en cours se révèlent plus coûteux que prévus. Les frais de mise hors service ont par conséquent le plus fortement augmenté (+17%). La totalité de ces coûts est financée par les exploitants des centrales suisses, qui ont l’obligation de verser des contributions dans deux fonds indépendants. Selon les prévisions de l’OFEN, les exploitants devront, entre 2012 et 2016, verser chaque année 127,7 millions de francs au fonds de gestion des déchets et 60,7 millions de francs au fonds de désaffection
[48].
L’Inspection fédérale pour la sécurité nucléaire (IFSN) s’est trouvée sous le feu des critiques en 2011. Début mai, les médias ont révélé que Peter Hufschmied, le président du conseil de l’inspection, était étroitement lié aux Forces Motrices Bernoises (FMB), qui exploitent la centrale nucléaire de Mühleberg. Après s’être récusé, le président a fini par démissionner le 24 juin. Suite à ce départ, le Conseil fédéral a décidé de modifier l’ordonnance sur l’inspection fédérale de la sécurité nucléaire. Dans un souci de renforcer l’indépendance du conseil, l’ordonnance a précisé les types d’activités et les liaisons économiques incompatibles avec l’exercice de ce mandat. Ainsi, les membres du conseil de l’IFSN n’ont pas le droit d’être employés par une organisation soumise à la surveillance de l’inspection fédérale, ni d’accepter des mandats de leur part. En outre, ils se voient interdits d’exercer toute fonction dirigeante au sein d’une institution entretenant d’étroites relations économiques avec une organisation surveillée par l’IFSN ainsi que l’emploi par une unité administrative impliquée dans une procédure d’autorisation d’une installation nucléaire. Enfin, les membres de l’inspection ne sont pas autorisés à détenir de participation dans une unité relevant de leur supervision ou appartenant au même groupe que la société contrôlée
[49].
Dans le cadre d’une votation à caractère consultatif, les citoyens du canton de Berne se sont prononcés en faveur de la construction d’une
nouvelle centrale nucléaire à Mühleberg le 13 février. C’est une courte majorité de 51,2% qui a accepté « Mühleberg II » à l’issue d’une campagne animée. La participation s’est élevée à 51,7%. Le projet, recommandé par la majorité bourgeoise au Grand Conseil, avait cependant été rejeté par le Conseil-exécutif de gauche
[50].
Début mai, un rapport rendu public par l’IFSN a dénoncé des
lacunes des centrales nucléaires. Celui-ci a établi que le stockage et le refroidissement des éléments combustibles irradiés constituaient le principal point faible des centrales nucléaires. Ce sont les installations de Beznau (AG) et surtout celle de Mühleberg (BE) qui ont attiré l’attention de l’autorité de surveillance. Sur les deux sites, le système de refroidissement de la piscine des combustibles n’est pas suffisamment protégé contre les séismes et les inondations. A Mühleberg, l’IFSN a critiqué en outre l’absence d’alternative au pompage de l’eau de l’Aar. En cas de crue particulièrement forte, il n’est pas possible de refroidir la piscine. Afin d’obtenir une autorisation d’exploitation à long terme, les exploitants des cinq centrales nucléaires devront présenter des mesures visant à éliminer ces faiblesses jusqu’au 31 août 2012. Le 30 juin, les Forces Motrices Bernoises (FMB) ont interrompu prématurément l’exploitation de la centrale de Mühleberg. Afin de répondre aux exigences de sécurité, l’exploitant a effectué des travaux de sécurisation portant sur l’approvisionnement en eau du système de refroidissement. La centrale n’a redémarré son activité qu’en fin septembre après avoir obtenu l’autorisation de l’IFSN
[51].
Toujours pour ce qui est de la centrale de Mühleberg, le DETEC a rejeté en octobre deux
requêtes déposées par des riverains visant à retirer l’autorisation d’exploitation. Les plaignants ont décidé de faire appel contre cette décision en saisissant le Tribunal administratif fédéral (TAF)
[52].
Le Conseil national a accepté une motion déposée par sa commission de l'environnement, de l'aménagement du territoire et de l'énergie (CEATE-CN) relative à
l’origine des combustibles utilisés dans les centrales nucléaires suisses. Le texte demande notamment au Conseil fédéral d’obtenir des précisions sur ce sujet sensible et d’examiner des mesures visant à améliorer la transparence. En juin, Axpo s’est vu refuser l’accès à la centrale nucléaire russe de Majak, qui avait fait l’objet d’accusations de pollution radioactive par Greenpeace en 2010 et d’où provenait l’uranium utilisé par la centrale de Beznau. Axpo a demandé en novembre à son fournisseur français Areva de ne plus utiliser de combustible nucléaire de Majak. C'est l’usine russe de Seversk qui a pris le relais
[53].
Le parlement s’est prononcé en faveur d’une motion Fetz (ps, BS) demandant au Conseil fédéral de soumettre les centrales nucléaires suisses aux
tests de résistance (
«stress tests») réalisés au sein de l’Union européenne
[54].
Dans la foulée du séisme survenu à Fukushima, la centrale nucléaire de
Fessenheim (Alsace) a suscité de l’inquiétude en Suisse voisine. La plus ancienne centrale française en exploitation, située à 40 kilomètres au nord de Bâle, n’a été conçue pour résister qu’à un séisme d’une magnitude de 6,4 sur l’échelle de Richter. En avril, les cantons de Bâle-Ville, Bâle-Campagne et du Jura ont demandé la fermeture du site tant qu’un contrôle intensif tenant compte de la catastrophe au Japon n’était pas été effectué. Sur le plan fédéral, le Conseil national a rejeté une motion Malama (plr, BS) demandant au Conseil fédéral d’intervenir auprès du gouvernement français afin qu’il mette hors service la centrale de Fessenheim
[55].
Lors de la session d’été, le Conseil national a adopté un postulat du groupe PDC-PEV-PVL demandant au Conseil fédéral d’établir un
rapport au sujet de la sécurité des centrales nucléaires suisses suite à la catastrophe survenue au Japon
[56].
La chambre du peuple a par ailleurs accepté un postulat Schelbert (verts, LU) invitant le Conseil fédéral à revoir sa
stratégie d’information en cas de catastrophe nucléaire [57].
En se prononçant en faveur d’un postulat Vischer (verts, ZH), le Conseil national a chargé le Conseil fédéral d'établir un rapport évaluant la
responsabilité civile réelle de l'Etat en cas d'accident touchant un réacteur nucléaire en tenant compte de la catastrophe de Fukushima
[58].
Le Conseil national a donné suite à un postulat Schelbert (verts, LU), chargeant le Conseil d’établir un rapport sur la
situation des combustibles usagés stockés dans les piscines de refroidissement des centrales nucléaires suisses
[59].
Conformément à la conception générale du
plan sectoriel « Dépôts en couches géologiques profondes », le Conseil fédéral a ratifié en novembre de l’année sous revue les six sites proposés par la Société coopérative nationale pour le stockage des déchets radioactifs (NAGRA) destinés à accueillir un dépôt de déchets faiblement et moyennement radioactifs. Il s’agit du Bözberg, du pied sud du Jura, du nord des Lägern, du Südranden, du Wellenberg et du Weinland zurichois. Cette décision a marqué la fin de la première étape et le début de la deuxième, qui consiste à comparer et tester les sites sélectionnés. La NAGRA a approfondi le niveau des connaissances géologiques requis à la procédure de sélection en réalisant des mesures sismiques d’envergure dans plusieurs domaines d’implantation. Par ailleurs, des conférences régionales, sous la direction de la Confédération, ont été créées en 2011 dans les régions susceptibles d’accueillir un dépôt de déchets radioactifs
[60].
Lors d’un vote consultatif, les Nidwaldiens ont, pour la quatrième fois, refusé le stockage des déchets radioactifs au
Wellenberg. Une majorité de 79.7% des participants s’y sont opposé, suivant ainsi la prise de position des autorités cantonales et des principaux partis
[61].
Le 15 mai, les Vaudois ont rejeté à 63% le
projet fédéral de stockage des déchets radioactifs. Comme le prévoit la Constitution vaudoise, les citoyens étaient invités à prendre position, à titre consultatif, sur le stockage de déchets nucléaires en couches géologiques profondes
[62]
[40] Communiqué du DETEC du 23.3.11;
LT 24.3.11.; cf. APS 2007, p. 152 s.
[42] Communiqué de l’OFEN 25.5.11;
NZZ et
LT, 26.5.11.
[43] Mo. 11.3436:
BO CN, 2011, p. 1001; Presse du 9.6.11.
[44] Mo. 11.3426 (PBD):
BO CN, 2011, p. 1001. Mo. 11.3257 (Verts):
BO CN, 2011, p. 998 s.
[45] Mo. 11.3436 (Schmidt):
BO CE, 2011, p. 974;
BO CN, 2011, p. 1903 ss.; Mo. 11.3426 (PBD):
BO CE, 2011, p. 973 s.;
BO CN, 2011, p. 1903 ss.; Mo. 11.3257 (Verts):
BO CE, 2011, p 972 s.;
BO CN, 2011, p. 1903 ss.; Presse du 29.9.11;
NZZ et
LT, 7.12.11.
[46] Mo. 11.3564:
BO CE, 2011, p. 983;
BO CN, 2011, p. 1905 s.
[47] Po. 11.3747:
BO CN, 2011, p. 1846.
[48] Communiqué de l’OFEN 24.11.11;
NZZ et
LT 25.11.11.
[49] Communiqué du DETEC du 19.10.11; Presse du 25.6.11;
LT et
NZZ 20.10.11.
[51] Communiqué des FMB du 29.6.11; Presse du 6.5. et du 30.6.11.
[52] Communiqué du DETEC, 5.10.11.
[53] Mo. 11.3758:
BO CN, 2011, p. 1907 s.;
TA, 21.6.11 ;
ats, 21.11.11; cf.
APS 2010, p. 164.
[54] Mo. 11.3304:
BO CE, 2011, p.982;
BO CN, 2011, p. 1906 s.
[55] Mo. 11.3097:
BO CN, 2011, p. 993;
LT, 23.3.11 ;
BaZ, 2.4.11.
[56] Po. 11.3758:
BO CN, 2011, p. 994.
[57] Po. 11.3322:
BO CN, 2011, p. 1000.
[58] Po. 11.3356:
BO CN, 2011, p. 1000 s.
[59] Po. 11.3329:
BO CN, 2011, p. 1000 s.
[60] Communiqué de la NAGRA du 22.6.12.
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