Année politique Suisse 1970 : Allgemeine Chronik / Schweizerische Aussenpolitik
Missions traditionnelles
Les missions traditionnelles de la Suisse — paix, action humanitaire, hospitalité — se déprécient-elles ?
[104] Aux yeux de certains, de nombreux faits permettent de le penser: lenteur à entrer à l'ONU alors que celle-ci n'y fait plus obstacle, difficulté à ratifier le traité de non-prolifération nucléaire, scepticisme péniblement surmonté à l'égard d'une Conférence européenne de sécurité, opposition de certains milieux au transfert de New York à Genève d'une importante organisation internationale, vicissitudes du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), inexistence malgré les efforts entrepris d'un contingent spécialisé d'intervention en cas de catastrophe, hospitalité bafouée par une initiative qualifiée de xénophobe, expulsion répétée de réfugiés politiques. Mais ce qui aux uns, qui semblent minoritaires, apparais comme autant d'exemples significatifs d'une évolution fâcheuse est considéré par les autres comme simples incidents de parcours sur une voie qui est celle de la fidélité et qui est aussi jalonnée, en dépit des obstacles, de succès réjouissants.
En vérité, la Suisse ne semble pas avoir renoncé à sa mission de paix, mais elle est à la recherche de nouvelles formes d'action: au niveau scientifique par la création d'un institut national pour l'étude des conflits (il en sera question ailleurs
[105]); et surtout au niveau diplomatique. La diplomatie bilatérale cède le pas à la diplomatie multilatérale. Ce qui pose le problème de la participation de la Suisse aux conventions et organisations internationales destinées à assurer la sécurité sur le plan continental et mondial. L'efficacité réelle des instruments de paix existants ou en voie de création constitue le point principal de l'examen auquel les Suisses les soumettent préalablement. Trois projets ont retenu dans ce domaine l'attention du pays en 1970: l'entrée à l'ONU, la ratification du traité de non-prolifération nucléaire, la Conférence européenne de sécurité.
L'ONU a fêté ses vingt-cinq ans en 1970. Des manifestations commémoratives ont eu lieu, à Genève principalement qui en est le siège européen
[106]. La position officielle concernant l'adhésion de la Suisse est demeurée la meme: approche à pas lents
[107]. Entre la politique suisse et celle de Manhattan il y a, a déclaré M. Graber, identité de but — maintien de la paix — mais divergence de moyens — sécurité collective ici, neutralité là
[108]. Au Conseil national, le gouvernement a annoncé, en réponse à une petite question Ziegler (soc., GE), qu'un crédit de 50.000 francs était envisagé en faveur de la campagne d'information, promise dans le rapport de 1969, sur l'entrée éventuelle de la Suisse dans l'Organisation
[109]. Les mass media seront largement utilisés à cette fin et des groupements privés, telle l'Association suisse de politique étrangère, qui s'est montrée très attentive en 1970 au problème de l'adhésion
[110], seront consultés. La nécessité de faire tomber certains préjugés envers l'ONU, objet de méfiance ou d'ignorance dans de très larges couches de la population, s'est confirmée par l'attitude négative des Vigilants qui, à Genève, se sont opposés à l'installation du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD)
[111].
Ayant signé le traité de non-prolifération nucléaire en quatre-vingt-douzième position, le Conseil fédéral a invoqué la raison de l'universalité pour justifier son geste de 1969
[112]. Reste maintenant la phase décisive de la ratification. La démission du commandant de corps P. Gygli du Comité d'action contre le traité n'a pas désarmé ce dernier, ni les autres opposants qui se recrutent essentiellement dans les partis conservateur et radical, ainsi que dans celui des paysans, artisans et bourgeois
[113]. Leurs principaux arguments sont les suivants: absence de sécurité supplémentaire étant donné la possibilité pour tout signataire de dénoncer le traité, inégalité criante entre possesseurs et non-possesseurs de bombes atomiques, transgression de la volonté du peuple qui s'est déjà exprimé sur l'armement nucléaire du pays
[114]. Le traité étant signé pour vingt-cinq ans, il est question d'autre part de le soumettre au référendum facultatif. Une controverse s'est engagée sur ce point capital, le DPF estimant que la clause de dénonciation qu'il contient permet d'éviter la procédure référendaire applicable à tout traité d'une durée de plus de quinze ans
[115].
Lancé en 1969 sur l'initiative des pays de l'Est, le projet de la Conférence européenne de sécurité n'a pas manqué de susciter d'emblée une certaine réserve en Suisse et à l'étranger. N'a-t-on pas craint par exemple, au sein du Marché commun, une tentative d'enrayer le processus d'intégration européenne? Les appréhensions semblent cependant s'être dissipées peu à peu, spécialement depuis que l'Organisation du traité de l'Atlantique-Nord (OTAN) s'est déclarée favorable à la conférence
[116]. La position de la Suisse, extrêmement prudente au début, est devenue plus positive. Le principe du droit des gens dont il est convenu de partir en l'occurrence est celui de renonciation à la force. Alors qu'au début de l'année, M. Graber disait ne pas voir sa signification pleine et entière, il la reconnaissait en décembre à condition de l'assortir d'une clause d'arbitrage
[117]. Les entretiens qui ont eu lieu à Berne tout au long de l'année avec des représentants de la Finlande, de la Bulgarie, du Luxembourg, de la France et de l'Italie ont sans doute contribué à cette évolution. Ils ont par-là même animé notre politique étrangère et placé notre pays à l'avant-scène de la conférence
[118].
Augmenter l'aide alimentaire suisse au monde de la faim, promouvoir sur le plan international la protection des détenus politiques et la constitution d'un état-major permanent pour intervenir en cas de catastrophe naturelle, ces trois suggestions lancées en 1970 montrent l'intérêt que notre pays témoigne à sa mission humanitaire
[119]. Une autre initiative, datant de 1967, préoccupe cependant à titre prioritaire les autorités: celle d'une centrale fédérale pour les secours d'urgence en Suisse et à l'étranger
[120]. La dénomination n'en est pas encore fixée, mais l'utilité d'un tel organisme est apparue à nouveau par les catastrophes de Roumanie (inondations), du Pakistan (raz de marée), de Turquie et du Pérou (tremblements de terre)
[121]. La lenteur de l'institution à voir le jour s'explique par la difficulté à délimiter les compétences entre la Confédération et la Croix-Rouge suisse, en d'autres mots par le souci d'éviter l'étatisation de l'activité humanitaire
[122]. Un problème semblable se retrouve au niveau des relations entre le Conseil fédéral et le CICR. La mission diplomatique que le gouvernement a confiée à l'organisation genevoise pour négocier la libération des otages de Zerka a soulevé des critiques
[123]. Les réserves formulées à l'endroit du Comité en 1969
[124] se sont ainsi poursuivies en 1970. Des causes sont cherchées à certains constats de carence et on croit les trouver dans son système de cooptation, dans sa composition exclusivement suisse et dans son juridisme étroit qui l'enfermerait dans un carcan et paralyserait son action déjà limitée par une pénurie de personnel
[125]. Si des réformes de structure s'imposent, elles n'enlèvent cependant rien à la raison d'être de l'institution qui non seulement garde des défenseurs convaincus
[126], mais n'a rien perdu en fait de son dynamisme. Preuves en soient d'une part son intense activité juridique dans le cadre d'une conférence internationale sur le droit humanitaire qui se tiendrait dans les prochaines années et à laquelle une quarantaine de gouvernements ont déjà été invités, d'autre part l'importante action de secours qu'il a déployée durant la guerre civile de Jordanie en faveur des populations de ce pays
[127].
Tradition d'hospitalité enfin. Le refus de l'asile au général Ojukwu, chef de l'insurrection biafraise,. l'internement administratif de réfugiés de l'Est ayant pénétré illégalement en Suisse, et une double expulsion, celle de trois familles bulgares qui avaient abusé du visa touristique et celle de trois révolutionnaires brésiliens venus parler publiquement de la torture pratiquée dans leur pays et approuvant prises d'otages et détournements d'avions, ont provoqué de nombreuses protestations verbales et une manifestation devant le Palais fédéral
[128]. Les accusations lancées contre le Conseil fédéral ont été les plus diverses, mais celle d'arbitraire a été la plus fréquente
[129]. L'exécutif s'est retranché derrière la législation en vigueur sur les réfugiés politiques, effectivement très stricte sur certains points
[130]. Dans l'affaire des Brésiliens, celle qui a fait le plus de bruit et qui a éclaté en novembre, c'est-à-dire avant l'enlèvement de M. Bucher mais après les détournements de Zerka, il se trouvait en réalité face à un dilemme: en n'intervenant pas, il suscitait moins de réactions, mais risquait de choquer une opinion très montée contre les révolutionnaires de tout crin prônant la violence et la terreur; en prononçant l'expulsion, il allait fatalement soulever une vague de protestations
[131]. Si l'hospitalité helvétique envers les réfugiés a été prise en défaut à plusieurs reprises, il convient de relever en revanche que les Chambres ont approuvé durant l'année la création d'un centre d'accueil pour réfugiés à Altstätten (SG) et qu'un mouvement se dessine en faveur d'uné révision dans le sens libéral des dispositions sur le séjour et l'établissement des étrangers, en ce qui concerne leur liberté d'expression surtout
[132].
[104] La Suisse, Annuaire national de la NSH, 41/1970, p. 130 s.
[106] GdL, 175, 2.4.70; NZ, 276, 21.6.70; NZZ, 281, 21.6.70; 308, 7.7.70; TdG, 156, 7.7.70.
[107] Cf. APS, 1969, p. 40.
[111] TdG, 140, 18.6.70; NZZ. 279, 19.6.70; Weltwoche, 27, 3.7.70.
[112] Cf. APS, 1969, p. 43. Interpellations Rohner (ccs, BE) au CN et Jauslin (rad., BL) au CE: Délib. Ass. féd., 1970, I, p. 50 et 52. Petites questions Etter (PAB, BE) et Keller (rad., TG) et réponse du Conseil fédéral du 18.3.70: NZZ. 130, 19.3.70. Petites questions Fischer (PAB, TG) et Leu (ccs, LU) avec réponse du Conseil fédéral du 23.3.70: NZZ, 138, 24.3.70.
[113] NZZ, 35, 22.1.70; GdL, 18, 23.1.70; Sonntags-Journal, 4, 22./23.1.70.
[114] Bund, 55, 8.3.70; 67, 22.3.70; Vat., 154, 7.7.70. Cf. APS, 1969, p. 43.
[115] JdG, 19, 24./25.1.70; 26, 2.2.70; 29, 5.2.70; VO, 21, 28.1.70; 26, 3.2.70; 54, 7.3.70; Lb, 21, 27.1.70; 28, 4.2.70; 38, 17.2.70; 46, 26.2.70.
[116] TdG, 123, 29.5.70. Critique de l'attentisme suisse: VO, 74, 3.4.70; NZ, 504, 2.11.70. Cf. APS, 1969, p. 43 s.
[117] TdG, 138, 16.6.70; GdL, 283, 4.12.70.
[118] Finlande: NZZ, 131, 19.3.70. Bulgarie: NZZ, 136, 23.3.70. Luxembourg: TLM, 169, 18.6.70; NZ, 272, 18.6.70. France: NZZ, 435, 18.9.70. Italie: GdL, 253, 30.10.70.
[119] Aide alimentaire: postulat Locher (PAB, BE) in Délib. Ass. féd., 1970, II, p. 30 s. Adopté par CN: NZZ, 273, 16.6.70. Détenus politiques: motion Schmid (ind., ZH) in Délib. Ass. féd., 1970, IV, p. 34. Etat-major international: motion Ziegler (soc., GE) in Délib. Ass. féd., 1970, IV, p. 39.
[120] Il s'agit du projet Furgler (ccs, SG): NZZ, 166, 12.4.70; 504, 29.10.70; TdG, 253, 29.10.70; JdG, 252, 29.10.70; AZ, 251, 29.10.70; Vat., 251, 29.10.70; Lb, 252, 29.10.70; 255, 2.11.70.
[121] GdL, 134, 12.6.70; NZZ, 229, 21.5.70; 234, 25.5.70; 241, 28.5.70.
[122] TLM, 302, 29.10.70; Sonntags-Journal, 45, 7./8.11.70.
[123] NZ, 428, 17.9.70; NZZ, 433, 17.9.70; Bund, 219, 20.9.70.
[124] Cf. APS, 1969, p. 46 et 50.
[125] Bund, 257, 3.11.70; La Suisse, Annuaire national de la NSH, 41/1970, p. 130; TdG, 119, 25.5.70.
[126] MAX PETITPIERRE, «Actualité du Comité international de la Croix-Rouge», ln Schweizer Monatshefte, 50/1970-71, p. 648 ss.
[128] Cas Ojukwu (déroulement des faits): NZZ. 174, 16.4.70; 494, 23.10.70; 503, 29.10.70; 508, 1.11.70; TdG, 244, 19.10.70; 249, 24./25.10.70; 253, 29.10.70; 254, 30.10.70; 255, 31.10./ 1.11.70; Bund, 259, 5.11.70. Réfugiés de l'Est: Weltwoche, 9, 27.2.70; 10, 6.3.70; TLM, 59, 28.2.70; JdG, 49, 28.2./1.3.70. Bulgares: GdL (ats), 285, 7.12.70 (protestations de la Ligue suisse des droits de l'homme et du Parti socialiste genevois); TdG (ats), 291, 12./13.12.70 (l'Action nationale contre l'emprise étrangère soutient la mesure du Conseil fédéral). Protestations dans le cas des Brésiliens: Ligue suisse des droits de l'homme (GdL, 261, 9.11.70); Jeunesse ouvrière chrétienne de Suisse romande et du Tessin (VO, 257, 9.11.70; 263, 16.11.70); PdT (VO, 258, 10.11.70). Grand Conseil du canton du Tessin (Dov., 260, 12.11.70); Déclaration de Berne (TLM, 316, 12.11.70); Union des syndicats du canton de Genève (TLM, 314, 13.11.70); Partis socialistes genevois et vaudois (TLM, 312, 8.11.70; 316, 12.11.70); groupe de députés au Grand Conseil neuchételois (TdG, 273, 21./22.11.70); universitaires lausannois (VO, 262, 14.11.70). Cf. encore NZ, 529, 16.11.70; TdG, 268, 16.11.70. Manifestation à Berne: JdG, 280, 1.12.70.; NZ, 555, 1.12.70.
[129] Entre autres TLM, 319, 15.11.70; JdG, 262, 10.11.70 (revue de presse); PS, 257, 9.11.70; 259, 11.11.70; NZ, 527, 15.11.70; TLM, 319, 15.11.70.
[130] Interpellation Schütz (soc., ZH) in Délib. Ass. féd., 1970, IV, p. 48. Réponse du Conseil fédéral: Bund, 51, 3.3.70; GdL, 51, 3.3.70.
[131] JdG, 264, 12.11.70.
[132] Altstätten: message du Conseil fédéral du 12.11.69 (FF, 1969, II, p. 1297 ss.); décision des Chambres (Délib. Ass. féd., 1970, I, p. 10; II, p. 11). Révision du droit d'asile: postulat Götsch (soc., ZH) in Délib. Ass. féd., 1970, II, p. 26.
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