Année politique Suisse 1988 : Allgemeine Chronik / Schweizerische Aussenpolitik
Europe
La place qu'occupe et qu'occupera la Suisse en Europe inquiète tant les milieux économiques que les cercles politiques et les autorités
[12]. C'est pourquoi, en réponse à de nombreux postulats, le Conseil fédéral a élaboré et publié un
rapport, fort attendu,
sur la position de la Suisse dans le processus d'intégration européenne
[13]. Nées de la création prochaine du marché unique de 1992, ces inquiétudes ont principalement trait à l'isolement que risque de connaître alors notre pays. Pour éviter à la fois cette exclusion et l'adhésion — incompatible aujourd'hui, selon les autorités, avec le statut de neutralité, les structures fédéralistes, la démocratie directe, les compétences parlementaires et les politiques agricole, étrangère et de l'immigration — le Conseil fédéral propose l'exploration d'une troisième voie. Celle-ci consiste principalement dans l'aménagement de la législation helvétique en regard de la législation européenne, dans l'acquisition — à tous les niveaux — du "réflexe" européen et dans la création et le maintien d'une grande disponibilité face à l'Europe ("Europafähigkeit"). Mais le prix de cette troisième voie réside dans la non-participation de la Suisse au processus de décision de la CE alors que celui-ci nous concernera de plus en plus à l'avenir
[14]. Parallèlement, le gouvernement désire pleinement exploiter les possibilités offertes par l'Accord de libre-échange conclu avec la CE en 1972 et ce dans le cadre de négociations bilatérales. Mais il est conscient d'avoir aussi un intérêt quasi vital à la revalorisation et au renforcement des organisations européennes auxquelles la Suisse prend aujourd'hui part, aux fins d'élargir nos occasions de participation au processus d'intégration européenne. Par ailleurs, notre pays doit aussi développer son activité au sein des plates-formes internationales (GATT par exemple).afin de poursuivre ses relations mondiales et de contrebalancer le poids croissant de l'Europe des Douze
[15].
Les partis gouvernementaux ont approuvé la solution choisie par le Conseil fédéral, conscients qu'elle seule est viable. Pour le parti radical, cette stratégie nécessite le maintien des conditions de concurrence de l'économie libérale. Les démocrates-chrétiens estiment le rapport bien fondé mais regrettent la marginalisation du thème de la libre circulation des travailleurs. Ils considèrent néanmoins qu'une éventuelle adhésion devrait être envisagée à long terme. Les agrariens estiment une adhésion impossible pour l'heure. Les socialistes sont les moins enthousiastes. Pour eux, ce rapport est lacunaire sur les questions de l'Europe sociale et culturelle, de la libre circulation des personnes, de l'environnement, de la sécurité et du désarmement ainsi que sur les problèmes liés à l'agriculture
[16]. Hors des partis gouvernementaux, la position la plus réservée à l'égard de l'Europe communautaire est celle du parti écologiste suisse pour qui la CE ne signifie que "culte de la Grandeur, de la centralisation, de l'uniformisation, de l'harmonisation, de la croissance et d'une culture de l'union diffuse"
[17].
Afin de pallier les lacunes susmentionnées, René Felber a créé un groupe de travail chargé de proposer des schémas quant à la future politique européenne de la Suisse. Il est constitué de quatre commissions traitant de la sécurité et du désarmement pour la première, de la science, de l'environnement et de la culture pour la seconde, des relations avec et du Conseil de l'Europe pour la troisième ainsi que de la neutralité politique et des aspects institutionnels des relations de la Suisse avec la CE pour la quatrième
[18].
Cependant, certains parlementaires sont particulièrement préoccupés du devenir de la Suisse dans la future Europe unie. Ainsi, le Conseil des Etats a accepté de transmettre les postulats Jagmetti (prd, ZH) et Jelmini (pdc, TI). Si le premier demande un rapport sur les effets de l'intégration européenne sur les droits de référendum et de participation des citoyens, le second s'interroge sur les aspects sociaux et culturels de nos relations avec la Communauté européenne
[19]. Focalisant sur un aspect nettement plus spécifique — mais tout aussi redouté — de l'intégration, le postulat du groupe écologiste, transmis par le Conseil national, veut l'examen des conséquences des trois scénarios d'adhésion, de rapprochement et de statu quo sur l'agriculture helvétique
[20]. Par contre, la chambre basse a refusé une motion de sa commission émise lors de l'examen du programme de législature 1987—1991, exigeant la création d'un organe de coordination supradépartemental en matière de décisions et de législation liées à l'Europe. Ce rejet pourrait avoir été induit par un sentiment d'inutilité, plusieurs bureaux fédéraux étant déjà chargés de la même tâche
[21].
Tant la commission des affaires économiques du Conseil national que le groupe radical-démocratique se sont prononcés en faveur d'un soutien plus actif à toute politique suisse d'intégration. La première citée, par le biais d'un postulat, demande notamment une mise à jour annuelle du rapport du gouvernement ainsi qu'une réévaluation permanente des tenants et aboutissants de l'intégration suisse en fonction des évolutions du processus européen. Par son postulat, le second nommé souhaite soit des mesures supplémentaires soit l'accélération des mesures en cours permettant de faire face à tout développement de l'intégration européenne
[22].
Le bilan des ratifications, par la Suisse, des conventions émanant du Conseil de l'Europe est jugé plutôt satisfaisant par le Conseil fédéral puisque sur les 126 textes concrétisés à ce jour, notre pays en a ratifié 60. Comme l'indique le quatrième rapport sur la Suisse et les Conventions de ce Conseil, le gouvernement souhaite que notre pays adhère à une douzaine de conventions supplémentaires, dont notamment celles sur la violence et les affrontements lors de manifestations sportives, sur la personnalité juridique des organisations non gouvernementales, sur le transfert des personnes condamnées, sur l'indemnisation des personnes victimes d'actes de violence et sur la transmission des demandes d'entraide judiciaire
[23].
Parmi ces textes en suspens figurait la Convention européenne sur la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants mais elle a été ratifiée par les deux Chambres, à l'unanimité, lors de la session d'automne
[24]. Elle est fondée sur un mécanisme préventif et non judiciaire, basé sur des visites effectuées par un comité international dans les lieux de détention provisoire et ceux en exécution de peine. L'Etat signataire refusant cette inspection ou ne suivant pas les recommandations dudit comité peut se voir dénoncé publiquement ou être exclu du Conseil de l'Europe
[25].
Les Chambres ont par ailleurs pris acte du rapport annuel du Conseil fédéral sur les activités de la Suisse au Conseil de l'Europe. Lors de sa présentation devant la chambre haute, René Felber a souligné l'importance que prend désormais cette enceinte en raison de la dynamique communautaire. Il a plaidé pour une coopération accrue entre Strasbourg et Bruxelles et a remarqué l'intérêt croissant porté par les pays de l'Est au Conseil
[26].
Dans un premier temps, le Comité inter-gouvernemental pour les migrations européennes (CIME) avait pour but de faciliter la réintégration des réfugiés de la seconde Guerre Mondiale. Mais depuis, ses activités se sont étendues; il assure aujourd'hui le déroulement des mouvements migratoires sur les cinq continents et facilite l'intégration des migrants dans leurs pays d'accueil. Une révision de son acte constitutif, plus rédactionnelle que substantielle, était nécessaire suite à l'extension de ses activités. Tant le Conseil des Etats que le Conseil national ont adopté les amendements de cette révision, cela en dépit d'une proposition de non-entrée en matière, émanant du conseiller national Steffen (an, ZH) et arguant d'une concurrence avec l'Organisation internationale pour les migrations. Cependant, les principaux groupes parlementaires se prononcèrent en faveur de la ratification, tout comme le Conseil fédéral qui refusa de se désolidariser d'un comité auquel il appartenait déjà
[27].
La cinquième session de la troisième conférence-bilan sur le processus de la Conférence sur la Sécurité et la Coopération en Europe (CSCE) s'est achevée fin mars à Vienne. Si des progrès substantiels ont été faits dans le domaine militaire, où un accord est intervenu entre l'OTAN et le Pacte de Varsovie quant à une future
négociation sur le désarmement conventionnel en Europe, le champ des droits de l'homme s'est caractérisé par une évidente stagnation. Celle-ci pourrait être imputée à certains pays de l'Est, principalement l'Union soviétique et la Roumanie. La tactique développée au sein de cette conférence par l'URSS semble a priori contradictoire puisqu'elle revendique la tenue d'une conférence sur les droits de l'homme à Moscou. Mais le fait que les pays occidentaux posent des conditions préalables à une telle organisation – libre-circulation des délégués dans Moscou, discussions avec tous les groupes s'intéressant aux droits de l'homme mais aussi acceptation des contacts familiaux transfrontaliers par exemple – pourrait expliquer une telle attitude. Par contre, la position de la Roumanie est plus logique si l'on se réfère à l'actuelle politique de réorganisation des campagnes menée dans ce pays. En réponse aux nombreuses interpellations urgentes déposées à ce sujet au Conseil national, René Felber a estimé que la mise en oeuvre de ce plan de systématisation, détruisant des villages entiers et déplaçant les populations, constituerait une atteinte à la dignité humaine et une violation des droits civils, économiques et culturels des minorités ethniques concernées. Dans ce contexte, la Suisse se permettrait dès lors de dénoncer ces agissements aux niveaux bilatéral et multilatéral dans le cadre de la CSCE et de l'UNESCO
[28].
Le groupe des Neutres et des Non-Alignés, dont la Suisse fait partie, a présenté – dans le cadre de la dernière session de la CSCE – un projet de document final consacrant non seulement la double négociation sur le désarmement (CSCE, groupe des 23) mais comprenant aussi des aspects de collaboration économique ainsi que les contacts humains transnationaux
[29]. Ce document est, à l'heure actuelle, toujours en consultation. La Suisse, par le biais de sa participation à l'élaboration de ce texte, a démontré son désir de consolidation des acquis et de solution des cas humanitaires en suspens.
[12] Civitas, 43/1988, p. 4 ss.; Europa, 1988, no 1/2, p. 3 et 9/10, p. 13 s.; SGB, 19.5., 16.6. et 17.11.88; SAZ, 14.4., 21.4., 5.5., 13.10. et 20.10.88.
[13] Postulats des députés Hubacher (ps, BS) et Morf (ps, ZH), de l'ex-député Butty (pdc, FR) et de la Commission des affaires économiques. Cf. aussi APS 1986, p. 49 et 1987, p. 68.; RFS, 38, 20.9.88.
[14] Documenta, 1988, no 2, p. 12 ss.
[15] FF, 1988, Ill, p. 233 ss.; presse du 14.9.88.
[16] Suisse, 14.9.88; Europa, 1989, no 1/2, p. 8 ss.
[17] TW, 11.11.88; DP, 24.11.88.
[18] Ces quatre groupes sont conduits par Edouard Brunner, Franz Muheim, Jenö Staehelin et Mathias Krafft.
[19] BO CE, 1988, p. 936 ss. (Jagmetti) et p. 788 s. (Jelmini).
[20] BO CN, 1988, p. 1483.
[21] BO CN, 1988, p. 511 ss.
[22] Délib. Ass. féd., 1988, IV, p. 31 et 35.
[23] FF, 1988, II, p. 280 ss.; NZZ, 19.4.88.
[24] BO CE, 1988, p. 611 ss.; BO CN, 1988, p. 1415 ss.; Europa, 1988, no 9/10, p. 17.
[25] FF, 1988, II, p. 881 ss.
[26] FF, 1988, II, p. 142 ss.; BO CE, 1988, p. 410 ss.; BO CN, 1988, p. 798 ss.
[27] FF, 1988, I, p. 1425 ss. ; BO CN, 1988, p. 795 ss. ; BO CE, 1988, p. 609.
[28] Interpellations urgentes groupe Adl/PEP, Eggly (pl, GE), Rüttimann (pdc, AG), Dietrich (pdc, BE), Sager (udc, BE), groupe socialiste et Bonny (prd, BE); BO CN, 1988, p. 1404 ss. Réponse de René Felber in BO CN, 1988, p. 1404 ss.; BaZ, 6.10.88.
[29] BaZ, 4.1.88; JdG, 26.3. et 29.3.88; 24 Heures, 29.3. et 16.1 1.88 ; NZZ, 14.5., 8.6. et 20.12.88. Le groupe des 23 est formé des membres des deux alliances militaires du Pacte de Varsovie et de l'OTAN.
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