Année politique Suisse 1988 : Bildung, Kultur und Medien / Bildung und Forschung
Ecoles obligatoires
Plusieurs événements ont marqué l'évolution du système de l'école obligatoire en 1988. Ainsi, l'enseignement dit précoce de la seconde langue nationale qu'est le français, pour les cantons alémaniques, pourra désormais se faire dans les cantons de Zurich et de Thurgovie, où des initiatives allant à son encontre ont été rejetées. De même, plusieurs réformes des structures des différentes instructions publiques cantonales sont en cours; pour la plupart, elles concernent la répartition des années d'étude primaires et secondaires.
L'initiative, lancée en 1987 par le mouvement humaniste, visant à enseigner "les valeurs fondamentales inhérentes à la Déclaration universelle des Droits de l'homme" dans les écoles publiques et privées, semble vouée à l'échec selon son initiateur Félix Glutz. Il est probable qu'elle ne pourra recueillir un nombre suffisant de signatures dans les délais, faute principalement de l'appui d'une grande organisation. Néanmoins la récolte se poursuivra, ces signatures pouvant, le cas échéant, être utilisées dans le cadre d'une pétition
[1].
La Conférence des directeurs cantonaux de l'Instruction publique (ci-après CDIP) avait, en 1975, recommandé l'enseignement précoce d'une seconde langue nationale et ce dans le but de généraliser en Suisse le bilinguisme, voire le multilinguisme.
La votation zurichoise sur l'enseignement précoce du français en primaire, suscitée par une initiative opposée à cette instruction, était d'une grande importance en Suisse orientale. En raison du poids économique et financier du canton de Zurich, le succès ou l'échec de cette initiative ouvrait ou fermait la porte à l'enseignement du français dans les premiers degrés primaires de bien des cantons de la région où la décision était imminente. L'initiative des opposants zurichois risquait d'entraver le processus d'apprentissage désiré par la CDIP notamment. Leurs arguments résidaient dans la surcharge de travail des élèves (et des maîtres), une sélection renforcée des écoliers bien que cet enseignement fût exempt de toute note et une méthode ludique non adaptée à des enfants de 11 ans, ceux-ci ayant 'dépassé' le stade du jeu. Ils ne s'opposeraient ni au français ni aux Romands mais aux autorités scolaires zurichoises qui avaient décidé, après plusieurs années d'essai, d'avancer le début de l'enseignement du français de la 7ème à la 5ème année scolaire et ce dès 1989. Ses partisans, provenant au départ essentiellement des milieux enseignants, ont été rejoints par certains partis cantonaux. Le parti évangélique craignait que cet enseignement ne se fasse au détriment de l'éducation religieuse. L'Action nationale estimait qu'un tel apprentissage défavoriserait les enfants alémaniques, les petits étrangers ayant soit des prédispositions s'ils sont latins soit des facilités d'acquisition en raison de l'assimilation d'une première langue étrangère. Quelques agrariens pour lesquels un meilleur apprentissage de l'allemand était plus utile et quelques écologistes préférant l'acquisition du 'Züridütsch' et du jardinage ont complété ce groupe.
Il semblerait que la dimension nationale de cette votation ait échappé à bien des initiants. Un tel mouvement ne pouvait que toucher la Suisse romande dans sa sensibilité de minorité et apporter de l'eau au moulin des adversaires de l'allemand en primaire romande. Mais cette émotion n'a pas échappé aux adversaires de l'initiative, comme le gouvernement et le parlement zurichois, bon nombre de partis (PRD, PS, AdI, UDC et verts dans leur majorité), le comité "Pro französisch" présidé par Monika Weber, l'Union des organisations de parents d'élèves, les associations patronales zurichoises, les enseignants de la VPOD et le comité directeur de l'association des maîtres du canton. Si la sensibilité romande fut l'un de leurs arguments, d'autres existèrent parallèlement: éviter l'exclusion du canton, promouvoir la solidarité confédérale, conserver une certaine flexibilité des programmes scolaires, encourager l'apprentissage précoce, car plus aisé, d'une langue.
De surcroît, si les cantons de Suisse centrale et orientale sont les premiers à se plaindre de l'hégémonie économique zurichoise, nombre d'entre eux attendaient le résultat de cette votation pour se prononcer en faveur ou en défaveur du français en primaire. Aussi le rejet massif de l'initiative, par 62,9% de non contre 37,1% de oui, a-t-il été accueilli avec soulagement, notamment en Romandie. Dans le même temps, les Zurichois ont accepté de justesse, par 53,9% des voix, le crédit de 21,5 millions de francs destiné à former les maîtres à l'enseignement du français (cours, séjours en Suisse romande)
[2].
Dans la foulée de ce scrutin, les votants thurgoviens ont refusé à la fois l'initiative allant à l'encontre d'un enseignement précoce du français — par 19 478 non contre 13 529 oui — et le contre-projet proposé par le parlement cantonal — par 16 713 non contre 13 293 oui — demandant que la compétence de cet enseignement, appartenant aujourd'hui à l'exécutif, lui soit attribué
[3].
Dans le canton de
Saint-Gall, l'initiative "pour une école primaire sans enseignement d'une langue étrangère" sera soumise au peuple en juin 1989 mais le gouvernement, le parlement, le PDC, le PRD et une partie des socialistes lui sont opposés en vertu des égards dûs aux minorités et de la coordination scolaire. Ses partisans — une partie des socialistes et l'AdI — ont repris les arguments des initiants zurichois
[4]. Le Conseil de l'éducation de
Bâle-Campagne qui, dans un premier temps, avait refusé de débuter plus tôt l'enseignement du français malgré des expériences concluantes, est revenu sur cette décision de mai 1987
[5]. Dans une situation similaire, le conseil de l'éducation de
Schaffhouse a envisagé les modalités permettant une telle mise en oeuvre
[6]. Le canton d'
Argovie qui, au départ, avait préféré l'enseignement des travaux manuels à celui du français, pourrait aussi réévaluer sa conduite
[7]. Dans le canton de
Lucerne, la consultation organisée sur la forme que prendra cette introduction a partagé, mais sans remettre en cause la décision d'enseignement précoce du français, les milieux enseignants
[8]. Ceux-ci ont posé trois conditions préalables: une réduction de la matière enseignée, une diminution des effectifs des classes et un soutien du projet par les maîtres
[9]. Au stade consultatif, le corps enseignant nidwaldien était en majorité favorable à l'introduction du français à l'école primaire
[10]. Par contre, un questionnaire a démontré que la plupart des maîtres schwyzois se prononçaient contre un tel projet, tout comme leurs collègues uranais mais ceux-ci se sont déclarés prêts à suivre une formation si cet enseignement était introduit
[11].
Si ces différents mouvements rassurent les Romands quant à la solidarité confédérale, ils ne résolvent néanmoins pas les difficultés linguistiques existant entre les deux communautés. Alors que la bataille de l'enseignement précoce du français semble avoir cause presque gagnée, celle du dialect s'est engagée. Déjà lors du débat zurichois sur l'enseignement du français, la section cantonale de l'UDC avait signalé qu'en fait les romands ne reprochaient pas aux alémaniques de ne pas parler français mais plutôt de ne plus parler allemand
[12]. Dans cette optique, le conseil de l'éducation zurichois a demandé que l'emploi du bon allemand soit de règle dès la 3e année primaire. En Suisse centrale, il existerait plusieurs planifications scolaires exigeant une telle utilisation dès la seconde classe
[13]. Si les francophones ont donc quelques raisons d'être satisfaits, que dire des personnes de langue italienne? Afin de compenser cette inégalité de traitement, le député Pini (prd, TI) a proposé au Conseil national, et obtenu, dans un postulat que l'on suggère aux cantons d'enseigner l'italien dans les établissements secondaires supérieurs
[14].
L'on se demande si une durée scolaire usuelle suffira désormais à contenir toutes les disciplines enseignées, d'autant que les mouvements en vue de raccourcir la
semaine scolaire à cinq jours tendent à se multiplier. Actuellement, huit cantons suisses l'ont introduite
[15]. Mais la décision est difficile tant les arguments des partisans comme des opposants sont pertinents. Un week-end prolongé, une occasion de rencontre parents-enfants, une phase de repos plus longue donc plus efficiente, une attractivité supplémentaire de la profession d'enseignant et sa fréquence au niveau européen parlent en faveur du samedi libre. Mais l'augmentation du stress de fin de semaine dû au départ en week-end, le report des leçons sur les autres journées scolaires et la liberté des parents le samedi matin parlent en sa défaveur. Certains pensent que la solution ne réside pas dans une compression de la matière mais dans sa diminution
[16]. En ville de Zurich, la conférence des directeurs d'écoles avait décidé de temporiser suite aux résultats mitigés du questionnaire effectué auprès des parents d'élèves
[17]. Cependant, le conseil de l'éducation du canton l'a autorisée à tenter un essai lors de l'année scolaire 1989/90
[18]. Dans le canton de Thurgovie, l'initiative demandant que le samedi soit libre a été nettement refusée par le peuple
[19].
L'école à horaire continu propose également un remodelage considérable des traditions de l'instruction publique. Si la famille et sa vie quotidienne ont aujourd'hui changé, l'école demeure basée sur une structure domestique traditionnelle. Ainsi le hiatus entre horaires des parents et des enfants va croissant. L'
école de jour se substitue presque à l'autorité parentale puisqu'elle prend en charge non seulement la scolarisation des enfants mais aussi leurs soins (repas) et leurs loisirs. Selon l'Alliance des sociétés féminines suisses, la Suisse alémanique semble plus avancée dans ce domaine que la Romandie, bien qu'au niveau européen notre pays soit globalement en retard
[20]. Ainsi le canton de Bâle-Campagne a ouvert, lors de l'année scolaire 1988/89, sa première école de jour au niveau primaire
[21]. En ville de Lucerne, le parlement a accepté l'initiative populaire proposant la création d'écoles de jour publiques, bien que le gouvernement municipal ait recommandé son rejet mais soit favorable à un essai de quatre ans
[22].
Si beaucoup de mouvements rénovateurs agitent les milieux de l'instruction publique, signalons quand même que l'harmonisation de la
rentrée scolaire à la fin de l'été a été réalisée et se concrétisera dès l'automne 1989. Rappelons néanmoins que le peuple s'était prononcé favorablement (59% de oui) en 1985 déjà, obligeant ainsi la grande majorité des cantons alémaniques à mettre en oeuvre ce changement
[23].
Si la forme de l'enseignement tend à se modifier, son volume tend à s'accroître car chaque décennie apporte sa contribution aux disciplines dispensées. Selon une enquête de la CDIP, les thèmes traitant de l'
environnement sont aujourd'hui trop souvent cristallisés sur une nature intacte. Si certains d'entre eux sont plus fréquemment professés – eau, énergie, déchets – leurs implications économiques, politiques et sociales sont rarement analysées. Par contre, certains problèmes comme l'air, le sol, les écologies urbaine et rurale sont négligés
[24].
L'éducation à la santé, aujourd'hui primordiale en raison de maladies telles que le
SIDA, est diversement enseignée selon les cantons. Néanmoins, la CDIP a constaté une volonté croissante d'agir en la matière. Dans les cantons de Berne, du Jura et du Tessin, des campagnes de prévention, basées sur la distribution de brochures aux adolescents, ont eu lieu en 1987 déjà. Si le conseil de l'éducation argovien a utilisé ce biais auprès des élèves du secondaire, il l'a renforcé par une série d'explications sur le SIDA données en classe soit par un professeur de biologie soit par un médecin. Dans le canton de Lucerne, les jeunes des 7e, 8e et 9e années scolaires connaissent également, depuis 1988, un tel enseignement
[25].
L'Office fédéral de l'éducation et de la science (OFES) a publié un rapport sur la "
formation à l'informatique en Suisse", faisant suite au postulat Gadient (udc, GR) de juin 1985
[26]. Si l'on ne parle plus aujourd'hui de désastre en la matière, le retard pris par notre pays dans cette discipline de pointe n'en demeure pas moins inquiétant. Peu coordonnée, l'informatique connaît une intégration irrégulière: bonne au niveau secondaire (cours d'introduction obligatoire et " mathématiques appliquées" sur l'écran en scientifique), relativement bonne dans la formation professionnelle de base (56% des apprentissages sont couverts par de tels cours), moyenne dans les écoles techniques, d'ingénieurs et de cadres, très moyenne aux niveaux primaire et universitaire. Bien que le nombre d'étudiants en informatique ait fortement augmenté ces dernières années dans les universités, la recherche de pointe y demeure insuffisante. Pour preuve, les quelque 200 millions de francs accordés en 1986 par les Chambres au titre de mesures spéciales en faveur de l'informatique sont demeurés sous-utilisés, faute de spécialistes compétents
[27].
Un certain nombre de cantons entreprennent actuellement des réformes des structures de leur instruction publique. La plupart d'entre elles concernent la répartition des années d'étude primaires et secondaires.
Ainsi la réforme de cette répartition suscite bien des controverses dans le canton de
Berne. En 1987, une initiative était déposée en faveur d'un système "6+3" (
6 ans d'école primaire et 3 de secondaire, donc sélection plus tardive); le gouvernement bernois se prononça en sa faveur. Les milieux enseignants sont partagés puisque l'association des professeurs du secondaire veut garder l'ancien modèle (4 ans de primaire, 5 ans de secondaire avec sélection en 4e) alors que celle des maîtres primaires soutient la nouvelle formulation. En première lecture, le parlement cantonal s'est également montré hésitant puisque le PRD, l'AN et une partie de l'UDC ont combattu cette nouvelle distribution alors que le PS, le PDC, la Freie Liste/Junges Bern, la Freie Fraktion et l'autre partie de l'UDC l'ont acceptée. Le législatif a finalement pris position en faveur de la nouvelle structure "6+3". Après une seconde lecture en février 1989, le peuple devra normalement se prononcer en automne
[28]. Le souverain bernois a, par contre, rejeté par 70,2% de non l'initiative populaire pour un "degré supérieur coopératif". Celle-ci tendait à supprimer les cloisons existant entre formations primaire supérieure et secondaire par l'instauration d'un tronc commun d'enseignement; les différences se seraient établies non en fonction des classes mais des matières et les cours auraient eu lieu dans un même bâtiment. Les opposants à ce texte étaient nombreux: les autorités cantonales, l'UDC et le PRD, les petites et moyennes communes qui auraient dû céder leur degré supérieur aux grands centres ainsi que les enseignants des écoles primaires
[29].
Le peuple du canton de
Bâle-Ville a accepté en décembre, par 54,2% de oui, la réforme scolaire qui lui était proposée. Soutenue par le parlement, le PDC et une partie du corps enseignant, elle était contrée par les libéraux et les radicaux, la Chambre de commerce et certains professeurs, arguant d'un nivellement par le bas et d'une trop longue durée de formation. Néanmoins, après 4 ans de primaire, tous les élèves suivront désormais 3 ans d'école d'orientation. La sélection se fera dès la 8e année
[30].
La
réforme scolaire vaudoise, ayant introduit une 5e année de sélection, a continué d'être la cible de nombreuses critiques, un député cantonal écologiste ayant même demandé la rétrocession de la part de l'impôt consacrée à l'instruction publique aux parents dont les enfants fréquentent des écoles privées
[31].
[1] 24 Heures, 2.7.88. Cf. APS 1986, p. 216.
[2] 24 Heures, 2.7. et 26.9.88; Lib., 15.9., 16.9. et 26.9.88; JdG, 17.9. et 26.9.88; Suisse, 18.9.88; AT, 26.9.88; presse du 26.9.88; NZZ, 23.9. et 26.9.88; L'Hebdo, 38, 22.9. et 39, 29.9.88.
[3] SGT, 3.5. et 10.10.88; Suisse, 19.10.88; NZZ, 24.10.88.
[4] SGT, 17.6., 29.9., 21.10., 14.11. et 9.12.88.
[5] BaZ, 27.9. et 3.11.88.
[7] L'Hebdo, 39, 29.9.88.
[8] Vereinigte Schulpflege opposée car il s'agit d'une réforme s'ajoutant à beaucoup d'autres encore mal assimilées (Vat., 29.1.88).
[9] LNN, 26.1.88; Vat.. 21.10.88.
[11] LNN, 9.2. et 14.12.88. Cf. aussi APS 1987, p. 216 s.
[13] Suisse, 8.4.88; LNN, 13.4.88.
[14] BO CN, 1988, p. 1930 s. Cf. infra, part. I, 8b (Das Verhältnis zwischen den Sprachregionen).
[15] Voir APS 1987, p. 217.
[17]13 242 questionnaires distribués; 12 245 réponses dont 12 158 valables. 52,6% des parents en faveur de cette semaine contre 47,9% en sa défaveur (NZZ, 15.1., 4.3., 10.3. et 26.10.88; TA, 16.1., 30.1. et 3.3.88).
[19] 31 338 non contre 8 154 oui (SGT, 7.3.88).
[20] BaZ, 26.1.88; JdG, 5.2.88.
[21] BaZ, 15.1. et 20.1.88.
[22] Vat., 1.7. et 13.7.88.
[23] Bund, 9.1.88. Cf. aussi APS 1987, p. 217 (note 4).
[25] Suisse, 1.6.88. AG: AT, 19.1.88. LU: Vat., 20.4.88. TI: CdT, 11.2.88. Voir APS 1986, p. 157 s. et 1987, p. 192 ss.
[26] Rapport de la Conférence des directeurs cantonaux de l'instruction publique (CDIP).
[27] Délib. Ass. féd., 1988, I, p. 24 et IV, p. 25; JdG, 28.1.88; 24 Heures, 5.2.88.
[28] NZZ, 16.5.88; JdG, 28.5.88; Bund, 24.11.88.
[29] JdG, 28.5.88; Bund, 1.6.88; BZ, 13.6.88. Cf. infra, part. II, 6a.
[30] BaZ, 19.2., 14.6., 30.8., 16.11. et 5.12.88; TA, 29.9.88.
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