Année politique Suisse 1970 : Economie / Agriculture
Politique agricole
On le constate depuis de nombreuses années, l'agriculture nationale, dans la nécessité de s'adapter à l'économie moderne, ne cesse de transformer ses structures: les exploitations diminuent en nombre mais s'agrandissent en surface, la main-d'oeuvre se raréfie mais la mécanisation la remplace et la productivité augmente
[1]. Cette évolution, qui s'est poursuivie en 1970, se heurte à un problème qui semble s'aggraver et qui est commun d'ailleurs à la plupart des pays industrialisés, celui du revenu
[2]. Si le rendement brut de la production agricole suisse a atteint un nouveau record en 1970 — 4463 millions de francs; accroissement par rapport à 1969: 6,7 %
[3] — la situation par contre est moins réjouissante en d'autres domaines. En 1969, le renchérissement moyen a été de 0,9 % pour les produits agricoles et de 4,2 % pour les moyens de production; en 1970, il a été respectivement de 3,8 % et de 7,7 %
[4]. La comparaison de ces chiffres fait apparaître une, différence de 3,3 % pour 1969 et de 3,9 % pour 1970, donc une augmentation d'une année à l'autre de l'écart entre les prix des produits agricoles et ceux des moyens de production. L'accroissement de la productivité a néanmoins joué un rôle appréciable de compensation. Mais les agriculteurs ont tendance à considérer qu'il n'est pas équitable de tenir compte de la productivité dans le calcul de leur revenu. Quoi qu'il en soit, le malaise de la paysannerie n'a provoqué aucune de ces vastes et violentes manifestations telles que l'étranger en a connues durant l'année. Il s'est néanmoins exprimé abondamment tout au long de 1970 dans les assemblées paysannes
[5], les pétitions au gouvernement
[6], dans la presse
[7] ainsi que dans les interventions parlementaires des défenseurs de l'agriculture
[8]. Les principales revendications ont porté sur le secteur de la production animale qui a constitué en 1970 le 77 % du rendement agricole brut
[9]. Avant de parler plus en détail du lait et de la viande, relevons que la production végétale n'est pas demeurée non plus sans difficultés. Les augmentations de prime consenties à la culture des céréales fourragères et du mais — 100 francs à l'hectare — ont contribué à les surmonter
[10]. L'intégration européenne suscite également des appréhensions. Avant même l'ouverture des conversations de Bruxelles dont la nature, rappelons-le, n'est qu'exploratoire, certains conseillers nationaux, la plupart représentants de l'agriculture ou des milieux qui en sont proches, ont demandé au gouvernement comment il entendait, entre autres, garantir le revenu de la paysannerie dans le cas d'un accord. L'année s'est achevée sans qu'une réponse leur ait été donnée
[11].
Le gouvernement n'est pas insensible à la situation des paysans. Loin de là. Répondant à une interpellation appuyée par 42 députés et présentée par le conseiller national Barras (ccs, FR), il a reconnu une détérioration, par rapport à l'excellente année 1967, de la situation de l'agriculture sur le plan du revenu et laissé prévoir un train de mesures agraires allant du relèvement des prix à la poursuite des améliorations foncières en passant par la revision de la loi sur les crédits d'investissement, cette dernière destinée en outre à diminuer plus efficacement le lourd endettement du secteur primaire de notre économie
[12]. Comme nous le verrons dans un instant, il n'a cependant pas cru nécessaire de satisfaire toutes les exigences du monde rural, dans le domaine des prix notamment où il se doit de maintenir un équilibre entre la production et la consommation. Afin d'éviter une augmentation de prix des produits agricoles, la Fédération suisse des consommateurs a demandé que le soutien indispensable dont a besoin l'agriculture se fasse, pour une période transitoire, par subventionnement direct des pouvoirs publics
[13]. Elle a par ailleurs contesté le principe du salaire paritaire, base des revendications paysannes. Accroître, dit-elle, le revenu agricole en fonction même de celui de l'industrie contribue au renchérissement du coût de la vie
[14]. Quant à l'Alliance des indépendants, elle 'reproche à l'agriculture sa tendance à augmenter simplement son revenu par la hausse des prix de ses produits traditionnels alors qu'elle devrait plutôt, ajoute-t-elle, appliquer ses efforts à se rationaliser et à s'adapter aux conditions de l'économie de marché
[15].
La conception de l'Alliance, loin d'étre étrangère aux agriculteurs, explique en partie le gros travail de modernisation qu'ils accomplissent sur leurs domaines
[16]. Les améliorations de structure ne constituent pas cependant une panacée et une mise en garde a été faite à ce propos
[17]. Certains problèmes ne peuvent en effet être résolus par le recours à une telle solution. Il est évident par exemple qu'elles sont inaptes à soustraire le territoire rural à la spéculation. Pour ramener le prix des terres à leur valeur agricole, il conviendrait de créer une zone agricole interdite à la construction. Telle est du moins la teneur d'un projet que la presse a qualifié de révolutionnaire et qui permettrait de réaliser dans les faits un aménagement national du territoire par ailleurs impensable si les intérêts de l'agriculture ne sont pas sauvegardés
[18].
A côté des améliorations de structure et de la lutte contre la spéculation, l'orientation de la production offre une autre possibilité de rendre aujourd'hui l'agriculture plus compétitive. En collaboration principalement avec les grandes organisations paysannes, dont l'Union suisse des paysans, le gouvernement a élaboré et publié à ce sujet, conformément aux objectifs fixés dans le 4e Rapport sur l'agriculture (1969), une sorte de plan quinquennal intitulé « Lignes directrices d'un programme de production agricole pour les années 1970-1975 »
[19] dont l'idée centrale est d'adapter l'offre à la demande. Son application implique une certaine souplesse étant donné qu'il s'agira de produire en fonction du marché. Partant d'hypothèses fondamentales sur l'évolution de la production et de la consommation dans les principaux secteurs que sont l'économie laitière, les animaux de boucherie et la production végétale, les auteurs en déduisent trois conséquences essentielles: réduire l'effectif des vaches laitières, augmenter la production de gros bétail, augmenter également la culture des céréales fourragères. L'accent a d'autre part été mis sur la qualité des produits, facteur important de concurrence face aux marchandises étrangères qui trouvent place sur le marché indigène
[20].
Actuellement et de plus en plus, qui dit qualité dit aussi lutte contre la pollution alimentaire. Une enquête menée en Suisse centrale sur les produits laitiers a montré qu'un contrôle sur cinq se révélait négatif et que le lait était souvent malpropre
[21]. Au Conseil national, un postulat Locher (PAB, BE) en faveur du subventionnement d'un contrôle laitier intégral a été adopté
[22]. Le gouvernement a par ailleurs introduit de nouvelles dispositions pour améliorer la qualité du lait
[23]. Sur le plan parlementaire, d'autres démarches sont encore à signaler. Une motion présentée par le conseiller national Hagmann (ccs, SG) qui reprenait celle de son collègue Zeller (ccs, SG) démissionnaire, visait à soumettre à autorisation obligatoire tout emploi d'antibiotiques à usage vétérinaire ou industriel; les deux Chambres l'ont adoptée
[24]. De son côté, le démocrate zurichois Schalcher, après s'être déclaré insatisfait de la réponse donnée par le Conseil fédéral à une petite question qu'il lui avait posée sur les méthodes de culture biologique, a déclaré que les consommateurs réclamaient avec toujours plus d'insistance des fruits et légumes exempts de substances toxiques et a demandé la création d'une station d'essais agricoles consacrée à des recherches dans ce domaine
[25].
Un remarquable dynamisme préside au développement de la recherche, de la formation et de la vulgarisation agricoles. Inauguration à Zurich-Reckenholz (recherches agronomiques), premières études scientifiques à Tänikon (TG) dans les domaines de l'économie d'entreprise et du génie rural, mise en exploitation d'un nouveau laboratoire à Wädenswil (ZH) où sont étudiées l'arboriculture, la viticulture et l'horticulture, début des travaux de construction à Grangeneuve (FR) pour les futures recherches sur la production animale, pose de la première pierre d'un nouvel établissement au Tessin, tels sont les faits marquants de 1970 relatifs aux stations fédérales de recherches agricoles
[26]. La création d'un institut de recherche vétérinaire ainsi que le lancement d'études de structures agricoles ont d'autre part été demandés par voie parlementaire
[27]. Des propositions concrètes ont été présentées sur le plan fédéral en ce qui concerne la formation professionnelle; celle-ci s'étendra sur trois ans au moins et s'achèvera par un examen professionnel; de plus, le nombre d'heures des cours professionnels sera porté progressivement à 240 par an et tous les cantons seront tenus de les instituer et d'en déclarer la fréquentation obligatoire. Quant à la vulgarisation agricole, à laquelle la Confédération contribue, elle s'est développée non seulement sous l'impulsion des cantons, mais aussi sur la base de l'initiative privée. S'inspirant de l'exemple de la Suisse romande qui pratique cette dernière forme d'action depuis une dizaine d'années, une cinquantaine d'agriculteurs bernois se sont réunis pour engager leur propre conseiller agronome. Le Conseil fédéral a souhaité l'extension de tels groupements à l'ensemble de la Suisse alémanique
[28].
Le programme quinquennal de production dont il a été question plus haut ne s'applique pas à l'agriculture de montagne. Il est question de celle-ci dans une volumineuse étude traitant d'une conception générale du développement des régions de montagne
[29]. Le Conseil fédéral l'avait annoncé en 1969 en présentant son 4e Rapport sur l'agriculture. Elle fait suite aux motions Brosi (dém.-év., GR) et Danioth (ces, UR) adoptées par les Chambres en 1966 et 1967
[30]. Débutant par une analyse fouillée de la situation actuelle, elle aboutit à une constatation: une grande partie de l'aide apportée jusqu'ici aux régions de montagne n'est pas de nature à promouvoir leur économie. L'aide accordée a essentiellement alimenté le secteur agraire et a consisté trop souvent en pures subventions d'entretien. La politique nouvelle reposerait sur trois principes: la régionalisation (les communes seraient remplacées par des régions), l'élargissement de l'aide à tous les secteurs économiques (et non seulement à quelques-uns d'entre eux), l'utilisation optimale du sol (en favorisant en particulier les productions les mieux adaptées). Une banque d'investissements pour le développement régional serait créée afin de réaliser ces objectifs
[31]. Cette conception, qui se retrouve en partie dans deux motions déposées en 1969
[32], n'a pas encore été soumise aux Chambres. Par contre, elle a servi de base au projet que la Fédération des sociétés suisses d'employés (FSE) a élaboré pour permettre de juger plus objectivement les revendications paysannes en matière de revenu
[33].
[1] Cf. APS, 1969, p. 84 s.
[2] Cf. ASSP, 1966, p. 166 s.; APS, 1966, p. 64 s.; 1967, p. 67 s.; 1968, p. 73 s.; 1969, p. 84. Pour 1970, cf. une controverse in NZZ, 511, 3.11.70; 570, 7.12.70; 604, 29.12.70.
[3] Rapport de la Commission de recherches économiques, 206, supplément de La Vie économique, 44/1971, janvier, p. 5.
[4] Pour 1970 (chiffres provisoires): idem, 207, suppl. de La Vie économique, 44/1971, février, p. 12; cf. aussi NZN, 288, 9.12.70; NZZ, 573, 9.12.70. Pour 1969: Rapport..., 201, suppl. de La Vie économique, 43/1970, février, p. 13.
[5] Cf. entre autres celles de Kirchberg (SG): Ostschw., 35, 12.2.70; Lucerne: NZZ, 124, 16.3.70; Schüpfheim (LU) où le conseiller fédéral von Moos prononce un discours: Documenta Helvetica, 1970, no 14, p. 65 ss.; Monthey (VS): VO, 286, 12.12.70. Cf. aussi infra, p. 54 es.
[6] Cf. infra, p. 95 s. et note 54.
[7] Entre autres NBZ, 4, 7.1.70; Lib., 221, 24./25.10.70, ainsi que infra, p. 95 s.
[8] Entre autres interpellation Barras (ces, FR): Délib. Ass. féd., 1970, I, p. 44 s.; petite question Vincenz (ccs, GR) et réponse du Conseil fédéral du 2 septembre; petites questions Thévoz (lib., VD) et Barras (ccs, FR) du 17 décembre: Délib. Ass. féd., 1970, IV, p. 54 s.
[10] RO, 1970, p. 535; Lib., 173, 30.4.70; TdG; 100, 30.4.70; Tat, 101, 1.5.70.
[11] Interpellation Locher (PAB, BE): Délib. Ass. féd., 1970, II, p. 51. Cf. supra, p. 38.
[12] Cf. note 8. Réponse du Conseil fédéral: NZZ, 279, 19.6.70.
[13] NZZ, 173, 16.4.70; 185, 23.4.70.
[14] Bund, 222, 23.9.70; NZZ, 443, 24.9.70; Tat, 224, 24.9.70.
[15] TdG, 107, 9./10.5.70.
[16] NZZ, 285, 23.6.70; 333, 21.7.70. Cf. Discours du conseiller fédéral Brugger, 29 mai 1970, Zürich-Beckenholz: Documenta Helvetica, 1970, no 4, p. 1 ss. Cf. aussi Evangelische Woche, 34, 21.8.70.
[17] Landwirtschaftlicher Informationsdienst, Berne, repris par NZZ, 325, 16.7.70.
[18] PS, 62, 17.3.70; GdL, 62, 16.3.70.
[19] Publiées par le Groupe de travail pour l'orientation de la production agricole en liaison avec la Division de l'agriculture du DFEP, Berne, 11 juin 1970.
[20] GdL, 135, 13./14.6.70; NBZ, 135, 13./14.6.70; TdG, 136, 13./14.6.70; NZZ, 269, 14.6.70.
[21] GdL, 181, 6.8.70; TLM, 218, 6.8.70.
[22] Délib. Ass. féd., 1970, I, p. 30; NZZ, 468, 8.10.70.
[23] RO, 1970, p. 1315 ss.; GdL, 252, 29.10.70, NZ, 498, 29.10.70; NZZ, 505, 30.10.70.
[24] Motion Zeller: Délib. Ass. féd., 1970, I, p. 39. Motion Hagmann: ibid., II, p. 41. Cf. NZZ, 267, 12.6.70; 467, 8.10.70.
[25] Délib. Ass. féd., 1970, IV, p. 34.
[26] Rapp. gest., 1970, p. 187 et 190.
[27] Postulats Leu (ccs, LU) et Hofer (rad., SG): Délib. Ass. féd., 1970, I, p. 28; II, p. 29 s. Cf. NZZ, 457, 2.10.70.
[28] Rapp. gest., 1970, p. 190.
[29] Cf. à ce sujet: Conception générale du développement économique des régions de montagne. Résumé des principaux résultats d'une expertise du Dr H. Flückiger, Berne, février 1970.
[30] Cf. APS, 1967, p. 68 et note 15; 1969, p. 86. Cf. aussi supra, p. 62.
[31] NZ. 308, 9.7.70; NZZ, 312, 9.7.70; 470, 9.10.70; GdL, 211, 10.9.70.
[32] Motions Tschanz (PAB, BE), retirée: Délib. Ass. féd., 1970, IV, p. 36; et Vincenz (ccs, GR), adoptée: Bull. stén. CE, 1970, p. 286 ss.; NZZ, 589, 18.12.70. Cf. supra, p. 63.
[33] GdL (ats), 180, 5.8.70.
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